Une école de correctrices, à Paris, dès 1882

École pri­maire supé­rieure de jeunes filles Sophie-Ger­main, Paris 4e. Carte pos­tale, s.d.

À la suite de mes recherches sur les pre­mières cor­rec­trices appa­rais­sant dans les annonces d’emploi (1884-1941), je découvre l’exis­tence d’une école pri­maire supé­rieure de jeunes filles, dont cer­taines élèves pour­ront deve­nir cor­rec­trices. Trois extraits de jour­naux per­mettent d’en bros­ser un tableau assez pré­cis. Cet éta­blis­se­ment est aujourd’­hui le lycée Sophie-Ger­main, nom de bap­tême que l’é­cole a reçu dès 1888.

plaque de l'école primaire supérieure de jeunes filles Sophie Germain, fondée en 1882
Plaque de l’école.

« L’école pri­maire supé­rieure de jeunes filles de la rue de Jouy [Paris 4e] mérite une men­tion spé­ciale. Fon­dée il y a dix-huit mois [en 1882], diri­gée par une femme de grand talent, Mme Blanche Che­ga­ray, cette école rend des ser­vices inap­pré­ciables, et bien­tôt, du reste, la Ville en ouvri­ra une deuxième, exac­te­ment sem­blable, rue des Martyrs.

« Les jeunes filles y sont admises seule­ment au concours, et lors­qu’elles sortent de l’é­ta­blis­se­ment, après avoir satis­fait aux exa­mens — exa­mens des plus sérieux, — elles sont aptes à entrer dans les postes et télé­graphes. à être cor­rec­trices d’im­pri­me­rie, pre­mières dans des mai­sons de cou­ture, etc. Indé­pen­dam­ment de cela, elles sont dres­sées aux soins du ménage, et le blan­chis­sage des den­telles, la confec­tion du linge et des vête­ments, la cui­sine leur sont ensei­gnés par d’ha­biles pro­fes­seurs. En un mot, à l’é­cole de la rue de Jouy, les jeunes filles reçoivent une ins­truc­tion solide et on leur apprend aus­si à être de vrai[e]s femmes. […] » — Gil Blas, 4 août 1884

Conditions d’admission et personnel enseignant

« La durée des études est fixée à quatre années : trois années d’études nor­males et une année d’études complémentaires.

« L’école est gra­tuite ; elle ne reçoit que des élèves externes.

« Les élèves sont admises à la suite d’un concours. Les jeunes filles qui doivent atteindre l’âge de douze ans révo­lus au 1er octobre, et qui n’ont pas dépas­sé à la même date l’âge de qua­torze ans, sont seules admises à par­ti­ci­per à ce concours.

« Pour le pre­mier concours, devant avoir lieu au moment de l’ouverture de l’école, les jeunes filles devront avoir atteint l’âge de douze ans révo­lus au 1er jan­vier 1882. […]

« Le per­son­nel de l’école est ain­si com­po­sé :
« Une sur­veillante géné­rale fai­sant fonc­tions d’économe, au trai­te­ment de 3,400 à 5,000 francs.
« Des maî­tresses adjointes, char­gées de la sur­veillance des études, des fonc­tions de répé­ti­trices et pou­vant être appe­lées en outre à faire cer­tains cours, au trai­te­ment, de 2,400 à 3,600 fr.
« Des pro­fes­seurs, hommes ou femmes, pour l’enseignement du fran­çais et de la lec­ture, des langues vivantes (anglais et alle­mand), de l’écriture, de l’arithmétique, de la tenue des livres, de l’histoire et de la géo­gra­phie, des sciences phy­siques et natu­relles, de la géo­mé­trie pra­tique et du des­sin linéaire, de la coupe et de la cou­ture, de la gym­nas­tique, du chant, et en deuxième et troi­sième année seule­ment, de la morale, de notions d’économie poli­tique, de légis­la­tion et d’économie domes­tique. » — L’Unité natio­nale, 28 mars 1882

Épreuves du concours

« Le concours com­prend des épreuves écrites et des épreuves orales :
« 1o Epreuves écrites : Ortho­graphe et écri­ture. — Arith­mé­tique et appli­ca­tions pra­tiques de la géo­mé­trie. — Des­sin linéaire. — Des­sin d’ornement. — (La dic­tée d’orthographe sert d’épreuve d’é­cri­ture) ;
« 2o Epreuves orales : His­toire de France. — Géo­gra­phie. — Arith­mé­tique. — Ins­truc­tion morale et civique.

« Les épreuves écrites sont éliminatoires.

« Nota. — Le conseil muni­ci­pal de Paris a déci­dé, en prin­cipe, la créa­tion, dans cha­cune des écoles pri­maires supé­rieures, d’un cer­tain nombre de bourses d’en­tre­tien des­ti­nées à venir en aide aux familles qui n’auraient pas les res­sources néces­saires pour entre­te­nir leurs enfants pen­dant la durée des études d’en­sei­gne­ment pri­maire supé­rieur. » — La Réforme, 9 octobre 1882

École pri­maire supé­rieure de jeunes filles Sophie-Ger­main, grand amphi­théâtre. Carte pos­tale, s.d.

Les correctrices dans les avis de mariage et de décès (1904-1941)

mariage, années 1920
Un mariage dans les années 1920. DR.

Après avoir éplu­ché les annonces d’emploi, j’ai eu l’i­dée de faire de même pour les annonces de mariage et de décès. J’y ai ajou­té les éven­tuelles dis­tinc­tions hors médaille du travail.

NB — Ce sont des don­nées volon­tai­re­ment brutes, non cor­ri­gées. Je ne les ai pas alour­dies de guille­mets inutiles : tout ce qui suit est tiré des jour­naux consultés. 

Avis de mariage, de décès et de distinction

1904 — Dame cor­rec­trice anglais dés. mariage pas banal. — Ecrire : Bill. Tuber­cul. 0,905,576, bur. Fon­taine (Le Jour­nal, 16 janvier)

Cor­rec­trice de langues étran­gères dés. mar. riche pas banal. S’abst. d’é­cr. si pas riche. Bou­leau, Bill. Tuber­cu­leux, 0.914.561. Bur. 84. (La Lan­terne, 11 février 1904)

1907 — Par décret du ministre de l’instruction publique, en date du 23 novembre, Mlle Ther, Julie, cor­rec­trice d’imprimerie, à Tours, a été nom­mée offi­cier d’académie [il s’a­git des Palmes aca­dé­miques1]. 
C’est avec plai­sir que nous enre­gis­trons cette nomi­na­tion, plei­ne­ment jus­ti­fiée par les ser­vices ren­dus. 
Nous adres­sons à notre aimable col­la­bo­ra­trice nos bien cor­diales féli­ci­ta­tions. (L’Union libé­rale, 26 décembre)

Le Jour­nal offi­ciel publie les nomi­na­tions sui­vantes : […] 
Au grade d’officier d’académie : Mlle Ther, Julie, cor­rec­trice d’imprimerie à Tours.
(L’Union libé­rale, 30 décembre)

1908 — Eugène-Auguste-Jules Cor­nilleau, clerc d’avoué, rue Saint-Vincent, et Blanche-Vic­to­rine Ter­rier, cor­rec­trice d’imprimerie, rue Saint-Vincent. (L’Ouest-Éclair (Rennes), 6 août (pro­messe), L’Avenir de la Mayenne, 9 août (pro­messe) et 23 août ; La Gazette de Châ­teau-Gon­tier, 27 août)

1908 — Georges-Jean-Alexandre Cor­ne­mil­lot, agent de détaxe, et Marie-Louis Bon­nar­dot, cor­rec­trice au Bien Public. (Le Pro­grès de la Côte-d’Or, 27 août)

1908 — Isi­dore-Eugène Denan­cé, employé de bureau, à Meu­don (Seine-et-Oise), et Anaïs-Augus­tine-José­phine Dubois, cor­rec­trice typo­graphe, rue des Lavan­de­ries. (L’Avenir de la Mayenne, 11 octobre)

1917 — Décès — Marie Fran­çoise Mas­se­rot, céli­ba­taire, 30 ans, cor­rec­trice d’imprimerie, rue de la Made­leine. (L’Écho de la Mayenne, 8 avril, et La Mayenne, 11 avril)

1924 — Gas­ton Eie­ha­cker, ren­tier, rue de la Gare, et Valen­tine Gour­rault, cor­rec­trice d’imprimerie, rue de la Gare. (La Mayenne, 4 mai)

1925 — Gus­tave-Georges Vas­seur [ou Vaseux, selon les annonces], maré­chal des logis au 4e esca­dron du train (T.E.M.) au Mans, et Marie-Louise-Jean­ny Bathilde Morin, cor­rec­trice d’imprimerie, rue de la Made­leine (à Laval). (La Mayenne, 16 et 20 sep­tembre, 4 octobre ; L’Avenir de la Mayenne, 20 septembre)

1926 — Georges-Vic­tor-Marie Mer­cier, chauf­feur d’autos, rue Ambroise-Ges­tière, et Suzanne-Mathilde-Vic­to­rine Fou­coin, cor­rec­trice d’imprimerie, rue Ambroise-Ges­tière. (La Mayenne, 23 mai (bans), La Mayenne, 15 juin, et L’Avenir de la Mayenne, 20 juin) 

1928 — Georges Ter­rier, gra­veur-typo­graphe, à Nantes, et Denise-Solange Jean, cor­rec­trice d’imprimerie, rue Basse-des-Bou­chers, 16. (La Mayenne, 18 et 22 juillet)

1930 — Robert-Fran­çois Hamon, ajus­teur, 31, bou­le­vard de Tours, et Jeanne Ozouf, cor­rec­trice d’imprimerie, 26 [par­fois 21], rue de Cha­pelle. (La Mayenne, 10 août (pro­messe), et L’Avenir de la Mayenne, 3 et 7 septembre)

1930 — Cor­me­rais Armand, artiste lyrique, rue Banas­te­rie, 10 et Gui­rand Marie, cor­rec­trice d’imprimerie, rue Banas­te­rie, 10. (Le Radi­cal de Vau­cluse, 29 octobre)

1932 — Hen­ri Sur­nom, bou­lan­ger à Issou­dun, et Ger­maine-Eli­sa­beth Aubrun, cor­rec­trice mono­ty­piste à Saint-Amand-Mon­trond (Cher). (La Dépêche du Ber­ry, 31 juillet)

1934 — Our­mières, Jean, gen­darme à la 17e légion, avec Moine, Jeanne, cor­rec­trice d’imprimerie. (L’Auvergnat de Paris, 27 jan­vier 1934)

1934 — Cochet Daniel-Raoul-Camille, méca­ni­cien, et Venot Gil­berte-Jean­nine, cor­rec­trice, tous deux à Ven­dôme. (L’Écho du Centre, 23 mars)

1937 — Emile Gous­sin, clerc d’avoué, rue Dugues­clin, et Jeanne Allain, cor­rec­trice d’imprimerie, rue Paul-Lin­tier. (La Mayenne, 26 janvier)

1938 — Fer­nand Genest, com­mis du tré­sor, à Flers, et Marthe Dur­ckel, cor­rec­trice d’imprimerie, place Gam­bet­ta. (La Mayenne, 17 avril)

1941 — Décès de Ger­maine Sillon, épouse Hum­ber­jean, cor­rec­trice d’imprimerie, 60 ans, 9, rue des Ver­ge­lesses, domi­ci­liée 21, rue Félix-Tru­tat. (Le Pro­grès de la Côte-d’Or, 16 juillet)


Les correctrices dans les annonces d’emploi (1884-1941)

Le « marbre » du Jour­nal du Centre, en 1957. Où sont les femmes ?
Source : « Retour en images sur Le Jour­nal du Centre », 27 sep­tembre 2014.

« À l’époque il n’y avait pas beau­coup de femmes dans les impri­me­ries », a décla­ré la cor­rec­trice Annick Béjean, entrée dans la presse pari­sienne en 1979 (☞ lire son témoi­gnage). Com­ment retrou­ver les traces de ces excep­tions ? Com­ment sai­sir l’exis­tence des pre­mières femmes embau­chées comme cor­rec­trices pro­fes­sion­nelles, avant que la socié­té en géné­ral et le monde typo­gra­phique en par­ti­cu­lier les accueillent plus volontiers ? 

Grâce à Retro­News, le site de presse de la BnF, j’ai pu inter­ro­ger 2 000 jour­naux fran­çais de 1631 à 1950. J’ai son­dé, avec un heu­reux suc­cès, les annonces d’emploi (offres et demandes). J’ai exhu­mé quelques lau­réates de la médaille du tra­vail. Les cor­rec­trices au tra­vail appa­raissent aus­si dans quelques extraits de pro­cès et à tra­vers des per­son­nages de feuille­ton. Peu à peu, ces femmes reviennent à la lumière.

NB — Ce sont des don­nées volon­tai­re­ment brutes, non cor­ri­gées. Je ne les ai pas alour­dies de guille­mets inutiles : tout ce qui suit est tiré des jour­naux consultés. 

Au bas de la page, j’ai ajou­té mes pre­miers commentaires. 

Annonces d’emploi, articles judiciaires et feuilletons

1884 — AGENCE Saint-Julien, mai­son fon­dée en 1859 : ventes et achats de fonds de com­merce, recou­vre­ments de créances, etc. 9, place d’Aquitaine. Mme Lataste, direc­trice et cor­rec­trice du jour­nal la Liber­té, de Paris. (La Petite Gironde, 3 juillet)

1886 — Une dame désire entrer dans une impri­me­rie en qua­li­té de cor­rec­trice.
Ecr., L. P., poste res­tante, 50, rue Bona­parte. (Le Mot d’ordre, 15 octobre)

1887 — On demande une cor­rec­trice d’épreuves d’imprimerie.
S’ad. Mme Jau­doin, 65, bd Ara­go. (Le Mot d’ordre et L’Écho de Paris, 17 avril)

1888 — Me MORILLOT, défen­seur de Robert. — Ni l’espoir du gain, car, outre son trai­te­ment, sa femme apporte encore au ménage 3,500 francs, qu’elle gagne comme cor­rec­trice d’imprimerie. (Pierre-Émile Robert, ex-agent de la police de sûre­té, jugé pour usur­pa­tion de fonc­tions, arres­ta­tion illé­gale et vio­la­tion de domi­cile, tri­bu­nal cor­rec­tion­nelle de la Seine, 8e chambre, pré­si­dence de M. Gil­let, audience du 6 décembre 1888, Le Droit, 7 décembre)

annonce imprimerie picarde, 1889
Annonce de l’Im­pri­me­rie picarde, 1889

1889 — ON DEMANDE / Des Appren­ties / COMPOSITRICES / de 13 à 18 ans / Tra­vail agréable et lucra­tif / ATELIER PARTICULIER / On gagne de suite / (Il n’est pas exi­gé de contrat) / ET POUR / CORRECTRICE / une jeune fille ayant le bre­vet élé­men­taire. / A l’Imprimerie Picarde / 71, Rue du Lycée, 71, Amiens (Le Pro­grès de la Somme, 13 janvier)

1889 — Dame veuve diplô­mée demande emploi de cor­rec­trice dans une impri­me­rie.
C. R., 10, ave­nue de Tou­relle, St-Man­dé. (Le Radi­cal, 20 avril)

1893 — Atten­du qu’en fait, il est recon­nu que l’appelant a, le 25 décembre 1893, jour de fête légale et à l’heure énon­cée par le pro­cès-ver­bal, employé treize filles majeures comme com­po­si­trices et une fille majeure comme cor­rec­trice dans l’atelier de son impri­me­rie ; […]
Atten­du que le tra­vail de la cor­rec­trice consiste sur­tout à véri­fier l’identité du manus­crit avec l’imprimé[,] à rec­ti­fier les erreurs maté­rielles telles que le ren­ver­se­ment des lettres, que c’est excep­tion­nel­le­ment qu’elle accom­plit une œuvre pure­ment intel­lec­tuelle pour résoudre des dif­fi­cul­tés qui se pré­sentent sur l’orthographe, la ponc­tua­tion, les dates ; que le carac­tère indus­triel pré­do­mine dans la tâche confiée à l’ouvrière char­gée de la cor­rec­tion des com­po­si­tions typo­gra­phiques ; […]
En consé­quence le condamne : 1o à qua­torze amendes de 1 franc cha­cune pour avoir fait tra­vailler qua­torze filles majeures après neuf heures du soir ; 2o à qua­torze amendes de 1 franc pour avoir fait tra­vailler ces mêmes filles majeures un jour de fête légale recon­nue par la loi, soit en tout vingt-huit amendes de 1 franc cha­cune et aux dépens liqui­dés à 15 fr. 45, outre le coût du pré­sent juge­ment ; fixe au mini­mum de la loi la durée de la contrainte par corps.
(Police cor­rec­tion­nelle, tri­bu­nal de Saint-Etienne, pré­si­dence de M. Gast, audience du 28 avril 1894, La Loi, 12 août 1894)

1895 — Cor­rec­trice connaiss. bien la lect. et le tier­çage est deman­dée p. gde impr., pl. stable Jour­nal A.B.17. (Le Jour­nal, 9 février)

1895 — ON DEMANDE / UNE / CORRECTRICE / A l’imprimerie WATON, / à Bel­le­vue. (Mémo­rial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 juillet)

annonce imprimerie Waton
Annonce de l’Im­pri­me­rie Waton, 1897

1897 — BONNE CORRECTRICE / est deman­dée / à l’Imprimerie WATON (Mémo­rial de la Loire et de la Haute-Loire, 29 et 30 sep­tembre, 20 octobre)

1898 — On demande bonne cor­rec­trice typo­graphe, emploi sérieux et rému­né­ra­teur. Réfé­rences exi­gées. — G. M. H., Jour­nal. (Le Jour­nal, 12 février)

1899 — P.-S. — J’é­cri­vais, il y a huit jours, dans mon Sup­plé­ment : « Il fal­lut toute la cour­toi­sie de mon inter­lo­cu­teur (il s’a­gis­sait d’une conver­sa­tion, en wagon, avec un offi­cier) et tout mon désir de ne pas frois­ser un homme convain­cu, pour, etc., etc.
On a impri­mé : « et tout mon désir de ne pas favo­ri­ser ; je prie ceux de mes lec­teurs qui ont ouvert de grands yeux, de réta­blir le texte, et je conjure la cor­rec­trice d’a­voir pitié d’une mal­heu­reuse che­mi­neaude qui ne peut cor­ri­ger ses épreuves. (La Fronde, 17 juin)

1903 — CORRECTRICE impri­me­rie, b. réf., d. pl. M.D.P., post. rest., r. Pierre-Gué­rin (16e) (Le Matin, 19 et 23 février)

1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT et Cie / JEUNE FILLE, ins­truite et sérieuse, est deman­dée pour apprendre le métier de cor­rec­trice. (L’Union libé­rale, 23 avril)

annonce imprimerie Arrault
Annonce de l’Im­pri­me­rie Arrault et Cie, 1904.

1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie / ON DEMANDE / UNE CORRECTRICE (L’Union libé­rale, 29 octobre).

1908 — ON DEMANDE un cor­rec­teur ou une cor­rec­trice à l’Imprimerie E. Arrault et Cie. (L’Union libé­rale, 29 et 30 octobre)

1909 — Médailles d’honneur du tra­vail1 (argent, vingt ans). — Mlles Ther Rosa­lie, cor­rec­trice d’imprimerie dans la mai­son Arrault, à Tours ; Ther José­phine, cor­rec­trice d’imprimerie dans la mai­son Arrault à Tours ; […] (L’Union libé­rale, 16 août)

1910 — DEMOISELLE TRÈS SÉRIEUSE, diplô­mée ensei­gne­ment, désire emploi comme cor­rec­trice d’imprimerie. Ferait recherches lit­té­raires ou scien­ti­fiques pour ouvrages ou col­lec­tions. Pour­rait aus­si s’occuper de conten­tieux. — S’adresser à Mme Barin à l’Action. (L’Action, 4 août)

1910 — ANCIENNE cor­rec­trice d’anglais et d’espagnol dans une grande impri­me­rie pari­sienne, connais­sant en outre la sté­no­gra­phie et la machine à écrire, et ayant été employée à l’expédition d’un jour­nal, demande situa­tion à Paris ou en pro­vince ; se conten­te­rait de condi­tions modestes. Ecrire aux bureaux du jour­nal. (L’Univers, nom­breux pas­sages de décembre 1910 à juillet 1911)

1911 — J.f. 23 a., cor­rec­trice, dem. pl. ch. imp. ou édit. b. réf. parle angl. Zabas­ka, 64 r. du Rocher (Le Jour­nal, 13 mai)

1911 — [Béthel] Le pré­sident passe enfin au der­nier fait qui est repro­ché au jeune typo­graphe : le détour­ne­ment de la mineure Suzanne Pin­teau [15 ans].
— Je ne l’ai pas enle­vée, au sens propre du mot, répond Cha­gnoux. Son père s’était rema­rié. Elle vivait chez sa belle-mère et tra­vaillait comme cor­rec­trice à l’imprimerie Cerf où j’étais employé. Je lui avais conseillé de res­ter dans sa famille jusqu’au jour où je l’épouserai. Elle m’a sui­vi volon­tai­re­ment. (L’Indépendant rémois, 30 août)

1912 — Demoi­selle, 35 ans, cor­rec­trice plu­sieurs années même impri­me­rie, cherche situa­tion simi­laire : secré­taire, dame de com­pa­gnie. S’adresser au bureau du jour­nal. (La Mode illus­trée, 7 avril)

1912 — Bne cor­rec­trice [?]em. empl. dans impri­me­rie. Sér. réf. Deva­lière, 5, r. Edgar-Qui­net, Mon­trouge. (Le Jour­nal, 28 août)

1912 — Jeune fille, 22 ans, ayant été cor­rec­trice d’imprimerie, cherche place ana­logue, comp­ta­bi­li­té ou écri­tures. (La Mayenne, 22 et 29 décembre 1912 ; 5 jan­vier 1913)

1914 — J’ai un mot pour une impri­me­rie où je puis faire un rem­pla­ce­ment, comme cor­rec­trice ; c’est la vie assu­rée pour quelque temps, et quelle vie ! Cette pers­pec­tive ne m’a pour­tant pas désar­çon­née. Je demeure le pied à l’étrier, mais pour l’avoir sen­ti glis­ser — oh ! un rien — j’ai per­du un peu de ma belle confiance. Bah ! l’espoir renaî­tra, à la pre­mière éclair­cie. Il faut lais­ser se dis­si­per ce léger nuage. (feuille­ton « Le Retour des choses », Hen­riette Devers, dans L’Homme libre, 11 juillet)

1914 — Jne fem. diri­geant impri­me­rie belge dut quit­ter suite occup. all. dem. place cor­rec­trice, emploi simil. ou vend. R.L., 8, Théo­phile-Gau­tier. (Le Jour­nal, 17 octobre)

1915 — J. FILLE ins­tr., sté­no­dac­ty­lo, cor­rec­trice jour­nal, cherche emploi. Donne leçons st.-dactylo. Prix modé­rés. (Le Phare de la Loire, 15 octobre)

1919 — ON DEMANDE bons typos, met­teur en page, cor­rec­teur ou cor­rec­trice connais­sant si pos­sible l’anglais et l’italien, impri­me­rie Ged, 4, rue Para­dis. (Le Petit Pro­ven­çal, 25 avril)

1921 — Impri­me­rie Lang, 75, rue Cham­pion­net, Paris, demande cor­rec­trice. Offres et référ. par écrit. (Le Jour­nal, 11 mars)

1921 — ON DEMANDE Cor­rec­teur ou cor­rec­trice, bles­sé ou veuve de guerre, connais­sant par­fai­te­ment le fran­çais, pour ser­vice de cinq à six heures par jour. — S’adresser au bureau du jour­nal. (Le Nord mari­time, 17 octobre)

1922 — On demande bon cor­rec­teur ou cor­rec­trice pour impri­me­rie Paris. Ecrire avec référ. et pré­ten­tions à Fanon, 3, rue d’Orainville, Athis-Mons (S.-et-Oise). (L’Intransigeant, 28 septembre)

1922 — On demande bonne cor­rec­trice d’épreuves. S’adr. av. réfé­rences, de 9 à 10 h., Impri­me­rie, 20, r. Tur­got (9e (L’Intransigeant, 9 octobre)

1923 — Médaille du tra­vail (argent) — Mlle Seguin Marie-Cathe­rine-Alphon­sine, ouvrière cor­rec­trice dans la mai­son Paul Féron-Vrau, impri­meur de la « Bonne Presse », à Aigui­perse. (Cour­rier du Puy-de-Dôme, 8 avril)

1923 — Pro­cès du ren­voi injus­ti­fié de Rirette Mai­tre­jean, cor­rec­trice d’imprimerie (article à venir). 

1925 — Jeune fille, au cou­rant rech. biblio­gr., bonne cor­rec­trice épreuves, cherche emploi secré­taire dac­ty­lo. Connaît le russe. Mlle Chei­nisse, 19, ave­nue d’Orléans, à Paris. (La Jour­née indus­trielle, 11 décembre)

1928 — CORRECTRICE épreuves impri­me­rie. Se prés. 4 à 6 h. Imp. Uni­ver­selle, 48, r. Claude-Vel­le­faux. (L’Intransigeant, 10 janvier)

1929 — CORRECTEUR / ou CORRECTRICE / deman­dé par l’Imprimerie Daran­tière, rue Paul-Cabet, 13, Dijon (Le Pro­grès de la Côte-d’Or, 25 et 28 avril)

1929 — URGENT / Cor­rec­teur ou Cor­rec­trice, / connais­sances géné­rales et anglais, / Dac­ty­lo­graphe habile, / pour être uti­li­sée au cla­vier de machine à com­po­ser, deman­dés à l’Imprimerie Daran­tière, 13, rue Paul-Cabet, Dijon. (Le Pro­grès de la Côte-d’Or, 28 juillet)

1930 — Médaille du tra­vail (ver­meil, trente ans) — Mlle Gros­lier, cor­rec­trice à l’Imprimerie Clerc, à Saint-Amand. (La Dépêche du Ber­ry, 1er août)

1932 — On demande jeune femme 20-25 ans, pos­sé­dant bre­vet élé­men­taire pour emploi aide-cor­rec­trice. Ecrire avant se pré­sen­ter / à l’Imprimerie DRAEGER, / 46, rue de Bagneux, Mon­trouge. (Le Jour­nal, 28 mai)

1932 — Médaille du tra­vail (argent) — Mme Augon­net, née Vanier Marie-Alice-Antoi­nette, ex-cor­rec­trice à l’imprimerie Bus­sière, à Saint-Amand. (La Dépêche du Ber­ry, 28 juillet)

1932 — Médaille du tra­vail (argent) — Mlle Alli­mand (Marie-Made­leine-Jeanne), cor­rec­trice à la Socié­té ano­nyme de l’imprimerie Théo­lier, à St-Etienne. (Mémo­rial de la Loire et de la Haute-Loire, 31 juillet)

1932 — Da. con. l’assurance meill. réf. d. pl. jour ou 1/2 ch. cour­tier, ou cor­rec­trice p. éd. art. g.d.l. Ecr. P.R. N° 8277, P.A., 25, rue Royale. (Paris-soir, 20 octobre)

1933 — Dem. place cor­rec­trice pr impres­sion franç. ou étrang. Ecr. Irène Pes­té, 43, Bd. St-Mar­tin 3e. (Paris-soir, 29 novembre)

1936 — Médaille du tra­vail (argent) — Mlle Char­vet (Berthe), cor­rec­trice à l’imprimerie de Sceaux, à Sceaux. (Jour­nal offi­ciel de la Répu­blique fran­çaise, 16 janvier)

1936 — ON dem. une cor­rec­trice et des ouvrières estam­peuses de cli­chés. S’ad. S.I.P., 21, r. Mont­sou­ris. (L’Intransigeant, 22 mars)

1938 — Bonne cor­rec­trice rapide pour jour­naux et trav. impri­me­rie. Place stab. Ecr. réf. prétent. M. Fabre, ab. POP, 121, r. Lafayette. (Paris-soir, 19 octobre)

1938 — Dame typo­graphe et cor­rec­trice dem. empl. 2 ou 3 jrs p. semaine. Ecr. No 7765. Paris-soir (Paris-soir, 17 novembre)

1941 — Je ter­mi­nais à peine ma fas­ti­dieuse besogne de cor­rec­trice, inter­rom­pus [sic] seule­ment par l’absorption rapide de deux sand­wiches, que Mme Jehanne d’Irounac revint de ses agapes lit­té­raires, rouge et conges­tion­née sous son fard can­dide. (feuille­ton « Le Pirate », Alex Ber­ry, Le Réveil du Nord, 12 avril)


Premiers enseignements de ces données 

On peut être embau­chée dès 15 ans, avec pour tout bagage le bre­vet élé­men­taire (qui devien­dra le BEPC en 1947), être employée sur­tout pour com­pa­rer l’épreuve à la copie (être « aide-cor­rec­trice » ou « ouvrière cor­rec­trice »), comme être diplô­mée, maî­tri­ser des langues étran­gères, et pro­po­ser ses ser­vices pour des « recherches lit­té­raires ou scien­ti­fiques pour ouvrages ou collections ». 

En 1904, l’Imprimerie Arrault et Cie, à Tours, cherche exclu­si­ve­ment une cor­rec­trice et se déclare prête à la for­mer. Sté­no­dac­ty­lo, pré­po­sée aux écri­tures, voire dame de com­pa­gnie, sont, pour cer­taines de ces femmes, des « emplois similaires ». 

L’histoire s’invite dans ces situa­tions pro­fes­sion­nelles : en 1914, une direc­trice d’imprimerie a fui l’occupation alle­mande ; en 1921, on embauche une veuve de guerre… 

Les deux demoi­selles, Rosa­lie et José­phine Ther, à qui on remet en 1909 la médaille d’honneur du Tra­vail ont donc déjà vingt ans de métier, ce qui date leur entrée dans l’im­pri­me­rie à 1889. 

Enfin, quelles impres­sions de ce métier les cor­rec­trices des feuille­tons ont-elles ? « Quelle vie ! » (1914) ou « fas­ti­dieuse besogne » (1941). 

☞ Lire aus­si Les cor­rec­trices dans les annonces de mariage et de décès (1904-1941).


L’orthographe de “gaieté” fait débat au “Figaro”, 1878

C’est une frian­dise que je vous pro­pose aujourd’hui, un entre­fi­let trou­vé dans le Figa­ro du 22 mars 1878. Vous don­ne­ra-t-il un peu de gaie­té ? C’est mon but, en tout cas. 

entrefilet dans "Le Figaro", 22 mars 1878
Le Figa­ro, 22 mars 1878.

Intro­duite en seconde posi­tion dans le Dic­tion­naire de l’Académie en 1798, l’orthographe gaî­té est donc admise en 1878, date de l’article du Figa­ro, mais la pre­mière, gaie­té, est la seule que l’Académie emploie dans ses défi­ni­tions depuis 1740 : « Avoir de la gaie­té. Perdre toute sa gaie­té. Reprendre sa gaie­té. Mon­trer de la gaie­té. Témoi­gner une grande gaie­té. Il est d’une gaie­té folle. Il a de la gaie­té dans l’esprit. » 

Ces mes­sieurs les cor­rec­teurs sui­vaient donc la pré­fé­rence de l’Académie.

Pré­cé­dem­ment (1694, 1714), l’Académie écri­vait gaye­té – pro­non­cé en trois syl­labes, comme on le voit dans ces vers : 

« Mais je vous avoue­rai que cette gaye­té 
Sur­prend au dépour­vu toute ma fer­me­té »
— Molière, Don Gar­cie de Navarre ou le Prince jaloux (1661), V, 6.

Ensuite, elle écri­ra gaie­té seul (1718, 1762), choix auquel elle revien­dra en 1935.

L’édition actuelle du Dic­tion­naire de l’Académie conserve la seule gaie­té, mais pré­cise en bas de défi­ni­tion : « On trouve aus­si gaî­té » et « Peut s’écrire gai­té, selon les rec­ti­fi­ca­tions ortho­gra­phiques de 1990 ». 

Dans les faits, gaie­té reste net­te­ment majo­ri­taire, gaî­té ne se ren­contre plus que dans des noms propres (théâtre de la Gaî­té) ; gai­té n’a pas encore pris. 

Ajou­tons, pour le plai­sir, qu’en 1878 les gaie­tés dési­gnaient aus­si « des paroles ou des actions folâtres que disent ou que font les jeunes personnes ».

Je vous sou­haite donc, en ce dimanche, d’avoir de la gaie­té ou de faire de petites gaietés. 

PS – Les cor­rec­teurs auront noté, au pas­sage, que la confu­sion mise à/au jour avait déjà cours.

Photo de famille : un congrès de correcteurs, 1936

25e congrès de l’A­mi­cale des protes et cor­rec­teurs d’im­pri­me­rie de France, Rennes, 31 mai 1936, L’Ouest-Éclair (édi­tion de Rennes), ce même jour.

C’est avec une cer­taine émo­tion que j’ai décou­vert cette « pho­to de famille ». Elle rend leur visage aux membres du 25e congrès de l’A­mi­cale des protes et cor­rec­teurs d’im­pri­me­rie de France, à Rennes, le 31 mai 1936, dont le pré­sident est alors E. Gre­net (suc­ces­seur de Théo­tiste Lefèvre1, qui offi­cia jus­qu’en 1921, et de A. Geoffrois).

E. Grenet, président général de l'Amicale des Protes et Correcteurs de France, 1936
E. Gre­net, dans L’Ouest-Éclair (Rennes), 31 mai 1936.

Fon­dée à Per­pi­gnan, en 1897, par Joa­chim Comet (1856-1921), cette col­lec­ti­vi­té a connu plu­sieurs noms2. En 1905, elle « compte […] plus de 500 membres […] [et] a pour but la défense des inté­rêts pro­fes­sion­nels et maté­riels de ses membres ; c’est une socié­té de secours mutuels, de pré­voyance et d’assurance pour le cas d’invalidité et pour la vieillesse3 ». En jan­vier 1921, elle avait « un effec­tif de 750 membres envi­ron, dont 300 cor­rec­teurs au plus », écrit L.-E. Bros­sard4

Concours Delmas
Concours Del­mas, 1909.

Concrè­te­ment, on sait, par exemple, que le congrès de Tou­louse, en 1904, « s’est prin­ci­pa­le­ment occu­pé des offices de pla­ce­ment ; de la divi­sion ration­nelle de la Socié­té ami­cale des protes et cor­rec­teurs en sec­tions régio­nales [d’a­bord au nombre de sept, elles seront qua­torze à par­tir de 1911] ; du contrat d’apprentissage et du concours Del­mas5.
« Une inté­res­sante ques­tion, celle de la “coti­sa­tion-décès” en faveur de la famille des membres actifs de la socié­té qui vien­draient à mou­rir, a été réso­lue dans un sens net­te­ment mutua­liste.
« Le congrès s’est occu­pé aus­si de la ques­tion des retraites et a for­mu­lé ses réponses au ques­tion­naire rela­tif au rap­port Tau­dou6, pré­sen­té à Lyon en 19037. »

Des comptes rendus peu informatifs

S’ils sont assez nom­breux dans la presse, les comptes ren­dus des ban­quets annuels et congrès de cor­rec­teurs sont géné­ra­le­ment ennuyeux : ils déroulent de longues listes d’intervenants, tout le monde se remer­cie et se congra­tule. Sont sou­vent pré­sents le maire de la ville et quelques conseillers muni­ci­paux, un ou plu­sieurs maîtres impri­meurs locaux, éven­tuel­le­ment un direc­teur de jour­nal. Dans la presse régio­nale, on trouve des pas­sages de ce genre : 

« Au des­sert, le pré­sident de la sec­tion, M. F. Riou, le visage rayon­nant, se lève et se défen­dant tout d’abord de vou­loir faire un dis­cours, salua en excel­lents termes les dames et les ami­ca­listes pré­sents, puis résu­ma notre pro­gramme de soli­da­ri­té, de mutua­li­té et de pré­voyance sociale. […] Puis, gagné par la cha­leur com­mu­ni­ca­tive, cha­cun y alla de sa romance ou de son mono­logue, et après une sor­tie fami­liale vers Saint-Laurent l’on revint trin­quer à la san­té des pré­sents et… des absents8. »

On a tous les détails de l’organisation des jour­nées ; on sait dans quel bon res­tau­rant tout ce beau monde a déjeu­né (mais pas de quoi, hélas !) ; on nous dit que les dis­cours, nom­breux, ont été très applau­dis, mais on en apprend peu sur les ques­tions débat­tues. À croire qu’il s’agit sur­tout de se régaler… 

une blague du "Figaro"
Une blague du Figa­ro, 28 mai 1912.

J’ai tout de même appris que le congrès de Saint-Étienne, du 15 mai 1910, « s’est occu­pé de la situa­tion pré­caire des cor­rec­teurs, sou­vent moins rétri­bués que les typos. Une nou­velle inter­ven­tion aura lieu auprès des syn­di­cats des Maîtres impri­meurs, en les priant de prendre en consi­dé­ra­tion les vœux qui leur seront sou­mis à nou­veau. Ces vœux visent à la fois les salaires, la consi­dé­ra­tion due aux cor­rec­teurs, les locaux mal­sains dans les­quels ils tra­vaillent9. »

Et qu’en 1926, « le Congrès […] a adop­té un vœu deman­dant huit jours de congé payé par an pour les cor­rec­teurs et les chefs de ser­vice […]10 ». Il fau­dra attendre encore un peu…

Se fédérer, une nécessité

Dès 1880, dans l’an­nonce d’un ban­quet annuel de cor­rec­teurs au Palais-Royal (Paris), pré­si­dé par Eugène Bout­my11, on peut décou­vrir le bien­fait de telles rencontres : 

« L’invitation s’adresse, non-seule­ment aux membres de la socié­té, mais encore et sur­tout aux cor­rec­teurs qui n’en font pas par­tie. Les cor­rec­teurs n’ont que de rares rela­tions ; ils se connaissent dans une impri­me­rie, et encore ! La réunion annuelle a pour but de faire connaître, et par consé­quent appré­cier à tous, la néces­si­té du grou­pe­ment12. » 

Des sujets abor­dés lors de ce « superbe ban­quet [qui] réunis­sait […] un grand nombre des membres de la Socié­té des cor­rec­teurs de Paris », on sait ceci :

« M. E. Mas­sard a insis­té sur la néces­si­té d’établir une soli­da­ri­té étroite entre les com­po­si­teurs et les cor­rec­teurs, et mani­fes­té le désir de voir tous les cor­rec­teurs se grou­per pour faire ces­ser l’exploitation dont ils sont l’objet. Ces tra­vailleurs sala­riés ont besoin de leur appui mutuel pour triom­pher des injus­tices dont ils sont jour­nel­le­ment vic­times de la part des maîtres impri­meurs. 
« Le délé­gué de la Socié­té typo­gra­phique a répon­du que les com­po­si­teurs syn­di­qués seront pro­chai­ne­ment invi­tés à n’accepter dans leurs ate­liers que des cor­rec­teurs éga­le­ment syn­di­qués. Le pré­sident a pris acte de cette impor­tante décla­ra­tion13. […] »

La saveur des « actualités » du passé

Contraint de « cou­vrir » l’é­vè­ne­ment, le rédac­teur du jour­nal local tire par­fois bra­ve­ment à la ligne pour rem­plir ses colonnes. Ain­si, quand les congres­sistes de Rennes, en 1936, partent visi­ter le Mont-Saint-Michel, la plume se fait lyrique : 

« Les cars roulent, main­te­nant, sur la digue, entre des sables de traî­trise, et encore fri­sés de la caresse du flot. Entre Tom­be­laine et le Mont, une pro­ces­sion lil­li­pu­tienne, croix d’or, fai­sant en tête un point lumi­neux, s’avance. Le Mont-Saint-Michel ! tout le monde des­cend ! et c’est l’entrée de la cara­vane par la Bavolle, la Cour du Lion, le bou­le­vard, et enfin cette rampe pit­to­resque, aux mai­sons rap­pro­chées, comme à la cas­bah, avec ses cui­vre­ries de Vil­le­dieu, qui sont bien un peu mau­resques ! Elles tintin[n]abulent aux échop[p]es, sous le tou­cher curieux. Les invites sont pres­santes, le suc­cès de l’omelette renom­mée est le secret de chaque hos­tel­le­rie et de par­tout on vous pro­met vue sur la mer, du haut de la ter­rasse. […]14 »

Les congres­sistes de Rennes, en 1936. Cœur de l’i­mage (la par­tie la plus nette).

Pour la bonne bouche, j’ai rete­nu deux autres pas­sages de ces articles com­pas­sés. À lire avec l’in­to­na­tion des spea­kers de l’époque.

1904 — « Dimanche, jour de Pâques, la sec­tion bor­de­laise de l’Association ami­cale des protes et cor­rec­teurs d’imprimerie de pro­vince a célé­bré son ban­quet annuel, auquel — gra­cieuse inno­va­tion — les dames ajou­taient le charme de leur pré­sence.
Comme par le pas­sé, l’hôtel Gobi­neau jus­ti­fia sa renom­mée si légi­ti­me­ment acquise, et ses hôtes, tou­jours fidèles, trou­vèrent le fin menu qui leur fut ser­vi en har­mo­nie avec l’élégance de la table15. »

1907 — « À midi, une sur­prise atten­dait les excur­sion­nistes à l’hôtel Bel­le­vue, dont — entre paren­thèses — le Vatel se sur­pas­sa. […] Delu­meau, direc­teur de la Socié­té vini­cole blayaise ; Patrouillet et Bru­nette, impri­meurs à Blaye, […] pré­ve­naient qu’ils se fai­saient repré­sen­ter à ce dîner intime par d’excellentes caisses de vin vieux. Aus­si, quand vint l’instant de débou­cher ces véné­rables fla­cons, ce fut un feu croi­sé de toasts où les remerci[e]ments les plus cha­leu­reux allèrent aux géné­reux dona­teurs, aux orga­ni­sa­teurs aus­si. 
« Enfin, l’heure son­na du retour, et — après un court et mer­veilleux voyage — celle, suprême, de la dis­lo­ca­tion. Ce fut le seul nuage de ces deux belles jour­nées, — bien vite dis­si­pé par l’espérance de l’au-revoir pro­chain, au Congrès géné­ral de Nantes16. »

Ces folles agapes nous paraissent bien lointaines…

« L’Amicale des “Protes” Sté­pha­nois don­nait dimanche son ban­quet annuel », Mémo­rial de la Loire et de la Haute-Loire, 8 juillet 1936. Cette fois, les épouses étaient conviées.

Hommage au correcteur, dans “La Démocratie”, 1914

Je repro­duis ci-des­sous un texte publié en une du quo­ti­dien La Démo­cra­tie (Paris), le 17 avril 1914, sous le titre de rubrique « Libres propos ».

« S’il est homme cri­ti­qué, c’est bien le cor­rec­teur, celui qui s’est don­né dans sa vie, la très fâcheuse mis­sion de cor­ri­ger dans une toute petite pièce don­née comme l’on donne une aumône, les inévi­tables « coquilles » si géné­reu­se­ment dis­tri­buées par les typo­graphes. Sa besogne est aride, par­fois amère : sous la blanche lumière d’une lampe, il par­court de ses yeux fati­gués des épreuves plus ou moins lisibles ; un doigt de sa main gauche fixé sur la copie de l’auteur, suit la suc­ces­sion inin­ter­rom­pue des lignes et le fil d’Ariane d’une pen­sée dont le reflet est par­fois rebelle et dont la conti­nui­té s’interrompt sou­dain sous le fâcheux effet d’un quel­conque distraction.

« Der­rière l’humble per­sonne de ce tra­vailleur modeste, les lino­types chantent leur mono­tone mélo­pée : elle n’a rien d’har­mo­nieux cette suc­ces­sion de bruits qui imite à s’y méprendre le cli­que­tis de fan­tas­tiques cisailles qui s’a­gi­te­raient dans le vide : une désa­gréable odeur de plomb fon­du s’at­tarde dans l’atmosphère de l’atelier : les lampes élec­triques pro­jettent sur les machines et sur les gens le brillant reflet de leur impas­sible clar­té. Obs­ti­né­ment pen­ché sur les pla­cards que le prote trans­met avec une déses­pé­rante régu­la­ri­té, le cor­rec­teur exa­mine soi­gneu­se­ment les lignes rigides, fixe les lettres, sur­veille une ponc­tua­tion capri­cieuse et veille avec un soin jaloux à ce que rien ne défi­gure la pen­sée d’un auteur inconnu.

« Ô l’obscure tâche !

« Les connais­sances de ce paria des ate­liers de typo­gra­phie doivent être assez éten­dues pour qu’elles puissent faci­le­ment embras­ser tous les domaines de l’intellectualité : un dic­tion­naire est le com­pa­gnon fidèle et dis­cret, le pré­cieux arbitre qui résout tous les conflits entre l’orthodoxie et la syn­taxe : la patience est la ver­tu néces­saire et son rôle est d’au­tant plus ingrat qu’elle doit s’exercer en des heures de fièvre et de sur­me­nage, alors que la pen­sée devance avec une inquié­tude fébrile une plume trop rétive et trop lente à son gré.

marbre typographique
« […] le cor­rec­teur à ses rares ins­tants de loi­sirs voit les formes du jour­nal s’emplir… » DR.

« La mono­to­mie [sic] appa­rente des heures sombre dans le sou­ci de ne point retar­der le labeur des typo­graphes : aus­si, est-ce d’un œil bien­veillant que le cor­rec­teur à ses rares ins­tants de loi­sirs voit les formes du jour­nal s’emplir : les lignes s’a­joutent aux lignes[,] les para­graphes aux para­graphes, les colonnes aux colonnes : une masse uni­for­mé­ment noire donne à ces heures une de ces joies que des pro­fanes ne soup­çonnent point : nous n’au­rions jamais cru que le plomb, ce vil et popu­laire métal, pût éveiller d’aus­si douces émotions…

« Dans la soli­tude de ton bureau, tra­vaille petit cor­rec­teur : obs­tine-toi avec amour sur l’in­grate tâche et songe à ceux qui, le len­de­main, liront ce jour­nal sur lequel tes yeux se sont si patiem­ment attar­dés : songe à tout cela, songe au bien que pour­ront faire dans les âmes les lignes cor­ri­gées par toi, et dis-toi que ton humble tra­vail a contri­bué à repro­duire avec le plus de fidé­li­té pos­sible, la pen­sée de ceux qui se sont consa­crés au rude apos­to­lat de la plume.

L. de J. »

SR et correcteurs au “Petit Journal”, 1938

Le secrétaire de rédaction annote les dépêches et la copie qu'il vient de recevoir

« On tire une épreuve de ce pre­mier jet (comme la créa­tion spi­ri­tuelle, la créa­tion méca­nique implique des retouches) et on trans­met cette épreuve aux cor­rec­teurs. 
Pen­chés sous des fais­ceaux de lumière, comme des arti­sans sous la lampe, les cor­rec­teurs confrontent l’épreuve qu’ils viennent de rece­voir avec le texte ori­gi­nal. Confrontent. Il fau­drait écrire : recons­ti­tuent. Gloire à eux qui arrivent à faire par­ler les pattes de mouches, à décou­vrir des clar­tés dans des textes plus impé­né­trables que les énigmes du Sphinx…
Conscien­cieu­se­ment, ils redressent les petites entorses à l’orthographe, ils res­ti­tuent au papier les para­graphes oubliés et — confes­sons-le — sou­vent ils redonnent un sens à la pen­sée de l’auteur qui a écrit trop vite et oublié le verbe qui asseyait la phrase… 
La tâche accom­plie, ils redonnent l’épreuve au chef prote.

Correcteurs, grands redresseurs de torts…

« Après cette retouche, ce fil­trage sup­plé­men­taire, voi­ci le “papier” avec son titre dans sa forme défi­ni­tive. Il quitte la réunion [sic, rédac­tion ?] pour gagner le marbre. 
Le marbre est une longue table d’acier (elle était de marbre dans les anciennes impri­me­ries) sur laquelle on “monte” les pages. 
Les articles, revus et cor­ri­gés, se groupent près des formes, ces cadres d’acier qui épousent la “forme” des pages et retrouvent, cli­chées, les pho­to­gra­phies que le secré­taire de rédac­tion a choi­sies pour illus­trer ses articles. 
Les articles spor­tifs sont ain­si ras­sem­blés près de la forme des sports… Les articles de tête, près de la forme de la “une” : la pre­mière page.

Les secrétaires de rédaction composent les pages

« Les secré­taires de rédac­tion — cha­cun res­pon­sable d’une page — sont à leur poste devant leur forme… 
Et le mon­tage com­mence… 
Dis­po­sant ses cli­chés, ses titres gras ou maigres, selon l’importance qu’il leur assigne en indi­quant leurs carac­tères, le secré­taire, len­te­ment, éla­bore son chef-d’œuvre. 
Il essaye de faire chan­ter tout cet uni­vers qu’on lui a appor­té, de don­ner une forme har­mo­nieuse à ces lourdes colonnes de plomb, de com­po­ser un poème vivant avec des lignes, des filets, des traits pleins. 
Il a pré­vu une maquette. 

« Les négo­cia­tions de M. Eden sur deux colonnes, en tête. Bon. Mais, à la der­nière minute, M. Spaak ne sera pas reçu par M. Eden. Toutes les négo­cia­tions de M. Eden, subi­te­ment, perdent de leur impor­tance. Et deux colonnes en tête, c’est beau­coup trop… 
La maquette — toute une soi­rée de réflexion et de com­po­si­tion — ne tient plus… M. Eden a tout gâché. 

« — Vite ! très vite ! — l’heure inexo­rable du pre­mier train qui doit empor­ter l’édition approche — il faut impro­vi­ser une autre maquette. 
Et sou­vent, grâce à une trou­vaille de der­nière heure, la page se pré­sen­te­ra dans sa per­fec­tion, équi­li­brée comme la rai­son, heu­reuse comme la ligne du Temple antique, dans la lumière bleue de l’Acropole… 

Un dernier coup d'œil à la morasse

« — Vite une morasse !
Un peu d’encre, une feuille blanche. Quelques coups de brosse éner­giques. Voi­ci à la lettre, le pre­mier tirage : l’exemplaire no 1.
Le secré­taire de rédac­tion contemple cette morasse comme la fille bien-aimée de ses efforts et de sa pen­sée. Il la scrute du regard pour voir si elle est digne de lui, si une erreur, dans un titre ou dans une légende, ne l’obligerait pas demain à la renier… 

« Tout va bien. Ce titre est clair comme une aurore. Celui en “romain”, sur un papier rela­tif à l’Italie, appa­raît mas­sif et ordon­né, comme un défi­lé de che­mises noires. 
C’est par­fait. En avant !
— Cha­riot ! 
Déjà, voi­ci que s’avance, en grin­çant, pous­sée par des bras mus­clés, cette petite table d’acier que le secré­taire de rédac­tion accueille tou­jours avec le sou­rire, car elle emporte son œuvre… annonce sa libération. » 

Titre Une journée au "Petit Journal"

René Armand, « Une jour­née au “Petit Jour­nal” », Le Petit Jour­nal, 1er février 1938, p. 1-2.

“Faites emmerdant”, ou la rigueur journalistique selon Adrien Hébrard

À pro­pos du style jour­na­lis­tique, deux cita­tions his­to­riques sont res­tées célèbres. 

Georges Clemenceau, atelier Nadar, sans date.
Georges Cle­men­ceau, ate­lier Nadar, s.d.

La pre­mière est due à Georges Cle­men­ceau, alors rédac­teur en chef (1903-1906) de L’Aurore. Plu­sieurs variantes cir­culent, mais il s’agissait sans doute d’une cir­cu­laire adres­sée aux rédac­teurs du jour­nal, for­mu­lée ainsi : 

« Faites des phrases courtes.
Vous ne devez pas oublier qu’une phrase se com­pose d’un sujet, d’un verbe et d’un com­plé­ment
Ceux qui vou­dront user d’un adjec­tif pas­se­ront me voir dans mon bureau
Ceux qui emploie­ront un adverbe seront fou­tus à la porte. »

Cle­men­ceau avait son franc par­ler. Par­mi les nom­breuses cita­tions qu’il nous a lais­sées, celle-ci est par­ti­cu­liè­re­ment savou­reuse : « Don­nez-moi qua­rante trous du cul et je vous fais une Aca­dé­mie fran­çaise. » On voit que la « vieille dame du quai Conti » était déjà tenue en haute estime !

“Le Temps”, fruit d’une volonté de sérieux et de qualité

L’autre phrase sou­vent citée à pro­pos de l’écriture jour­na­lis­tique est due à Adrien Hébrard. Qui ça ? 

« Adrien Hébrard [1833-1914] s’efface der­rière son œuvre et les his­to­riens contem­po­rains doivent se conten­ter de quelques ren­sei­gne­ments signa­lé­tiques » (J.-G. Padio­leau1). S’il fut long­temps séna­teur de la Haute-Garonne (1879-1897), il n’est mon­té qu’une fois à la tri­bune. On sait aus­si que, doué en affaires, il inves­tit dans les tra­vaux publics, l’élec­tri­ci­té, le télé­phone, la métal­lur­gie, et mou­rut très riche (Wiki­pé­dia). 

Sur­tout, pour ce qui nous concerne ici, il diri­gea le quo­ti­dien Le Temps de 1871 à sa mort, en 1914, et en fit une puis­sance poli­tique et financière. 

En 1861, en lan­çant Le Temps, Auguste Nefft­zer en avait annon­cé le prin­cipe direc­teur : « De la mis­sion d’éducation publique que nous assi­gnons à la presse, notre pro­gramme découle tout natu­rel­le­ment. […] nous devrons nous atta­cher à sol­li­ci­ter le libre rai­son­ne­ment de nos conci­toyens et […] nous cher­che­rons moins à leur incul­quer une opi­nion toute faite qu’à les mettre en état de s’en for­mer par eux-mêmes » (P. Éve­no2).

Sérieux et qua­li­té étaient donc au programme. 

Dix ans plus tard, Nefft­zer lais­sa la direc­tion du jour­nal au rédac­teur en chef Adrien Hébrard, dont le mot d’ordre fut plus suc­cinct : « Sur­tout, faites emmerdant ! »

« Expres­sion d’une recherche presque manié­rée de l’aus­té­ri­té, mais aus­si réac­tion salu­taire contre la vul­ga­ri­té ou la faci­li­té des nou­veaux grands de la presse quo­ti­dienne (Le Petit Pari­sien, Le Jour­nal) et le sen­sa­tion­na­lisme agres­sif et dif­fa­ma­toire du Matin […] »  (Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis3).

Peut-être était-ce aus­si « pour inci­ter sa rédac­tion à creu­ser les sujets au risque de déplaire, sans crainte de las­ser » (O. Maniette4).

Quo­ti­dien répu­bli­cain et conser­va­teur, Le Temps se sabor­da pen­dant la Seconde Guerre mon­diale, le 30 novembre 1942. « Ses locaux réqui­si­tion­nés et son maté­riel sai­si à la Libé­ra­tion per­mettent le lan­ce­ment le 18 décembre 1944 du Monde qui le rem­place comme organe de réfé­rence » (BNF5).

« Long­temps, Le Monde a été l’hé­ri­tier [du] jan­sé­nisme [d’Adrien Hébrard]. Plus per­sonne n’é­tait là pour enjoindre de “faire emmer­dant”, mais le style mai­son refu­sait toute fri­vo­li­té. Du gris par­tout, du gris à satié­té. Telle était la norme dans les années 1950 et 1960 » (Le Monde6).

Aujourd’­hui, « Faites des phrases courtes » reste de bon conseil. « Faites emmer­dant », je suis moins sûr.

☞ Lire aus­si Apprendre à écrire un article de presse.


“Histoire d’un livre”, de Mary-Lafon, 1857

Je cite, ci-des­sous, trois longs extraits d’His­toire d’un livre (1857), petit ouvrage signé de Jean-Ber­nard Mary-Lafon, his­to­rien, lin­guiste et dra­ma­turge fran­çais (1810-1884). L’au­teur se pro­pose de démon­trer, à un cer­tain Jean Duval, ancien pro­cu­reur, et à ses six fils, dont l’un sou­haite deve­nir auteur, que rien n’est plus beau ni plus utile que la car­rière d’homme de lettres. Du désir d’être publié à la mise en vente du livre, en pas­sant par les divers ate­liers de l’im­pri­me­rie, se déroule un aimable récit, volon­tai­re­ment décou­su, mêlé de réfé­rences pui­sées dans divers ouvrages, dont les Études pra­tiques et lit­té­raires sur la typo­gra­phie publiées vingt ans plus tôt par l’im­pri­meur Georges-Adrien Cra­pe­let. Il y est bien sûr ques­tion des cor­rec­teurs, notam­ment à tra­vers deux anec­dotes his­to­riques que Mary-Lafon se délecte à raconter… 

Une visite de l’ancienne imprimerie de Plantin, à Anvers

« […] je vous pein­drai mal l’im­pres­sion pro­fonde que je rap­por­tai d’une visite faite, en com­pa­gnie d’un lin­guiste célèbre, dans l’an­cienne impri­me­rie de Plan­tin, à Anvers. C’é­tait le 3 mai 18361 ; le soleil fai­sait jaillir à tra­vers la brume mati­nale ces doux rayons d’or qu’ai­mait tant Rubens. J’at­ten­dais depuis une heure avec mon col­lègue sur la place Ven­dre­di, lors­qu’un homme de bonnes manières, que je sus depuis être un des­cen­dant de Plan­tin, par les femmes, nous intro­dui­sit dans le vieil édi­fice. L’a­te­lier, construit en 1554, est plein de débris pou­dreux, que nous consi­dé­rions comme autant de reliques. Il y a là deux presses du temps, cin­quante à soixante com­pos­teurs en bois, de vieilles galées, des manches de pointes, un tré­pied et une chaise en bois tors. Nous pas­sâmes ensuite dans le bureau de Plan­tin, dont les registres et les livres de comptes et d’af­faires sont encore ran­gés sur les tablettes, comme s’il venait de sor­tir. À côté s’ouvre le cabi­net des correcteurs. 

La salle des cor­rec­teurs du musée Plan­tin-More­tus, à Anvers, de nos jours. DR.
Juste Lipse par Rubens, dans "Les Quatre Philosophes", vers 1615.
Juste Lipse par Rubens (Les Quatre Phi­lo­sophes [détail], vers 1615).

Figu­rez-vous une assez grande pièce, ten­due en cuir doré, avec de ces beaux des­sins de la Renais­sance, à peine effa­cés par le temps. Le jour y est superbe, et tout a si fidè­le­ment gar­dé le cachet du pas­sé qu’en m’ap­pro­chant du bureau, et fer­mant les yeux, il me sem­bla que j’é­tais der­rière Juste Lipse2, cour­bé sur les épreuves, et que j’en­ten­dais ce bon, ce digne Cor­neille Kilian3, le phé­nix des cor­rec­teurs morts et vivants, mur­mu­rer, en se frot­tant les mains, cette petite satire que je vous tra­duis du latin :

Nous cor­ri­geons des livres les erreurs,
Et nous notons les fautes des auteurs ;
Mais un brouillon, que la fureur d’é­crire 
Pour nos péchés dans les lettres attire,
De ce bel art fai­sant un vil métier,
Souille la plume et tache le papier.
Loin de lécher son our­son, il s’empresse 
De le jeter dans les bras de la presse ;
Et si l’on rit de son avor­te­ment,
Voi­là ce sot de furie écu­mant.
Tout aus­si­tôt il s’en prend pour excuse 
Au cor­rec­teur : c’est lui seul qu’il accuse.
— Eh ! mon ami ! laisse le cor­rec­teur 
Débar­bouiller les mar­mots de l’au­teur !
C’est bien assez que ce pauvre homme-lige 
Soit l’en­ne­mi de tous ceux qu’il corrige !…

De ce cabi­net, où Cor­neille Kilian expur­gea des épreuves pen­dant cin­quante ans, ce qui suf­fit, et au delà, pour faire par­don­ner sa bou­tade en vers latins contre les brouillons du temps, on nous fit pas­ser dans la salle des orne­ments typo­gra­phiques. […] » (p. 47-49)

Récriminations éternelles des auteurs

« Impri­meur cor­ri­geant une épreuve ». Gra­vure illus­trant un extrait du livre de Mary-Lafon publié dans Musée des familles. Lec­tures du soir, 1849-1850.

« La cor­rec­tion des épreuves est à l’im­pri­me­rie ce que l’âme est au corps, ce que la vue est à l’homme. Un fou et un aveugle, en effet, peuvent seuls don­ner l’i­dée d’une épreuve cor­ri­gée impar­fai­te­ment ou sans intel­li­gence. Sui­vez-moi dans le cabi­net relé­gué au fond de l’im­pri­me­rie, et regar­dez dis­crè­te­ment. Un enfant de Paris, à mine éveillée et mutine sous son tri­corne de papier, est là, debout, lisant la copie à haute voix, tan­dis que le cor­rec­teur, cour­bé, à son bureau, sur l’é­preuve, suit atten­ti­ve­ment et l’ar­rête pour noter chaque faute.

Si vous vou­lez main­te­nant connaître le résul­tat de cette pre­mière expur­ga­tion, hâtons-nous d’ac­com­pa­gner l’é­preuve chez l’au­teur, et de lui deman­der ce qu’il en pense… Notre ques­tion est à peine for­mu­lée que celui-ci répond furieux :

« C’est une espèce de gâteau de plomb à don­ner mille indi­ges­tions lit­té­raires. Vous trou­vez dans vos lignes sen­ti­men­tales des refrains de vau­de­ville et des débris de conver­sa­tions les plus gro­tesques. L’i­dée écar­te­lée en pages, par­quée en lignes, dis­si­pée en mots, hachée par la jus­ti­fi­ca­tion, l’i­dée qui sou­riait encore pleure. Elle trouve sa cel­lule si étroite ! elle se frappe aux bar­reaux de sa cage4. »

Portrait du poète Joachim du Bellay
Joa­chim du Bel­lay (1522-1560).

Et ne croyez pas que ces plaintes datent d’hier ; elles sont aus­si vieilles que l’im­pri­me­rie elle-même. Voi­ci, par exemple, un auteur du sei­zième siècle, Joa­chim du Bel­loy, qui s’é­criait en 1561 [sic, il est mort l’an­née pré­cé­dente] : « Si tu trouves, amy lec­teur, quelque faute en l’im­pres­sion, tu ne t’en dois prendre à moi, qui m’en suis rap­por­té à la foy d’au­truy. Puis, le labeur de la cor­rec­tion est une œuvre telle que tous les yeux d’Ar­gus5 ne suf­fi­roient pas pour y voir les fautes qui s’y trouvent. »

Le car­di­nal Duper­ron6 ne se plai­gnit pas, vingt-six ans plus tard, avec moins d’a­mer­tume.
« Il faut, disait-il, mettre ordre aux impri­meurs ; en ma harangue ils ont impri­mé les bar­bares Grecs, au lieu de bar­bares Gètes. Ils appellent bar­bare la nation la plus polie qui ait jamais été ! »

Aus­si le grave et savant doc­teur Horn­schuch7, qui cor­ri­geait, en 1608, à Leip­sick8, donne à ses confrères de ter­ribles ins­truc­tions.
« Le cor­rec­teur, dit-il, doit évi­ter avec le plus grand soin de s’a­ban­don­ner à la colère, à la tris­tesse, à la galan­te­rie, enfin à toutes les émo­tions vives. Il doit sur­tout fuir l’i­vro­gne­rie ; car y a-t-il un être dont la vue soit plus trou­blée que cet idiot qui trans­for­mait Diane en gre­nouille : Dia­nam in ranam ! »

Anecdote sur un correcteur trop investi dans son travail

Page de titre de "Correctorum in Typographiis eruditorum centuria" de Conrad Zeltner, 1615
Page de titre du livre de Conrad Zelt­ner, 1716.

N’est-il pas vrai qu’en écou­tant ces bons conseils on est ten­té de paro­dier le mot de Figa­ro ? Aux ver­tus, en effet, que le doc­teur Horn­schuch exige de ses confrères, com­bien trou­ve­rait-on d’im­pri­meurs, aujourd’­hui, dignes d’être cor­rec­teurs ?… Je sais bien qu’en me dérou­lant la glo­rieuse liste des cent cor­rec­teurs illus­trés par Conrad Zelt­ner9, l’ex­cellent Ger­main dirait, s’il pou­vait me répondre, que cette noble pro­fes­sion était embras­sée autre­fois avec un enthou­siasme qui ren­dait la pra­tique de toutes les ver­tus plus facile et tous les sacri­fices légers. Et il ne man­que­rait pas de me citer, après ce Kilian, qu’on vit si déli­cieu­se­ment occu­pé pen­dant un demi-siècle à la cor­rec­tion des épreuves, le trait de Fré­dé­ric Morel10, petit-neveu de Robert Estienne, qui cor­ri­geait, à ce qu’il parait, une tierce, lors­qu’on vint l’a­ver­tir que sa femme allait fort mal.
« Un moment, » dit-il à la ser­vante.
Ce moment fut si long que le méde­cin crut devoir se rendre lui-même dans son cabi­net pour lui dire de se hâter s’il vou­lait voir encore sa femme vivante.
« Je n’ai plus, répon­dit-il, que deux mots à écrire. »
Quelques ins­tants après, on frap­pa à la porte du cabi­net : mais, cette fois, c’é­tait l’homme de Dieu qui venait lui annon­cer que l’in­for­tu­née était morte.
« J’en suis mar­ri, reprit-il tran­quille­ment en se remet­tant à son épreuve, c’é­tait une bonne femme ! »

À ce trait his­to­rique, les six frères Duval pro­tes­tèrent à la fois par un cri d’in­cré­du­li­té.
— Vous dou­tez de ce fana­tisme ?
— Oui, c’est impos­sible ! crièrent-ils. comme on fait dans l’Ariége, c’est-à-dire à tue-tête.
— Ah ! vrai­ment ? Et que diriez-vous si je trou­vais l’é­qui­valent, sans remon­ter plus haut que la fin du der­nier siècle ?
— C’est impossible.

“Un homme dont je suis fier” ou le travail avant tout (bis)

— Écou­tez donc : En l’an de grâce 1773, le salon d’An­toine Stoupe11, suc­ces­seur de Le Bre­ton12, impri­meur ordi­naire du Roi, était brillam­ment illu­mi­né. Le maître impri­meur, comme se qua­li­fiaient modes­te­ment les typo­graphes de ce siècle, avait vou­lu célé­brer chez lui la noce de son cor­rec­teur Charles Cra­pe­let13. La mariée était si belle, avec sa robe blanche et sa guir­lande dont les paillettes étin­ce­laient aux lumières sur sa tête pou­drée avec art, ses yeux bleus se bais­saient avec une can­deur si douce, que toutes les femmes se mor­daient les lèvres de dépit, tan­dis qu’en revanche tous les hommes féli­ci­taient l’heu­reux époux. Celui-ci, à la stu­pé­fac­tion géné­rale, parais­sait rêveur, morose, contraint, et ses regards se por­taient plu­tôt sur la pen­dule que sur sa nou­velle com­pagne. Cette pré­oc­cu­pa­tion n’a­vait échap­pé à aucun des convives, mais trois per­sonnes sem­blaient l’é­pier sur­tout avec un inté­rêt par­ti­cu­lier : c’é­tait le maître impri­meur, la mariée et une vieille tante de cette der­nière, qui, tout en fei­gnant de regar­der les grands per­son­nages verts et jaunes de la tapis­se­rie de laine, ne per­dait pas un seul des mou­ve­ments du jeune époux. À mesure que l’heure avan­çait, elle voyait avec effroi son front se rem­bru­nir. Minuit sonne enfin ; il n’y tient plus, et sort pré­ci­pi­tam­ment du salon. Or, jugez main­te­nant de l’é­moi des convives, du déses­poir de la mariée, quand on ne le vit pas reparaître.

Tous les yeux se tour­nèrent vers Stoupe qui, rayon­nant de joie, aspi­rait de longues prises de tabac et regar­dait la place vide d’un air de triomphe.
Le père de la mariée lui deman­da bien­tôt le motif de cette étrange dis­pa­ri­tion.
Pas de réponse.
La vieille tante répé­ta la ques­tion avec aigreur, il ne parut pas avoir enten­du.
Enfin, la mariée s’é­tant jetée à ses pieds tout en larmes, il la rele­va, et lui met­tant au front un bai­ser pater­nel :
— Réjouis-toi, ma fille, lui dit-il avec enthou­siasme, tu as la perle des maris !
— Un homme qui aban­donne sa femme le jour de ses noces ! obser­va aigre­ment la vieille.
— Oui, Madame, répli­qua le maître, trop froid pour s’emporter jamais, trop heu­reux ce soir-là pour s’é­mou­voir de l’an­xié­té géné­rale ; c’est un homme dont je suis fier !
Lorsque l’ai­guille mar­que­ra trois heures, pour­sui­vit-il, Charles ren­tre­ra dans ce salon.
La mariée sou­pi­ra, les parents mur­mu­rèrent, cha­cun des amis fit une remarque tout bas, mais on atten­dit. Comme trois heures son­naient, le marié ren­tra effec­ti­ve­ment, ain­si que l’a­vait annon­cé Stoupe.
— D’où venez-vous ?… fut le cri qui sor­tit de toutes les bouches.
Je viens de cor­ri­ger des épreuves atten­dues par les impri­meurs, dit-il en regar­dant ten­dre­ment sa jeune femme, qui dut être jalouse, à ce moment, de la typographie.

— Et vous garan­tis­sez l’a­nec­dote ?
— Oui, Mes­sieurs, m’é­criai-je avec l’as­su­rance de Stoupe, car le propre fils du héros, C.-A. [sic, Georges-Adrien] Cra­pe­let, défunt mon col­lègue à la Socié­té impé­riale des anti­quaires de France, m’a racon­té vingt fois le fait dans les mêmes termes, et, non content de l’a­voir dit à tout le monde, il l’a impri­mé sur vélin dans ses Études typo­gra­phiques14, ouvrage aus­si mau­vais d’ailleurs que riche en curieuses recherches.
— Je n’en doute pas le moins du monde, pour mon compte, me dit alors le bon Duval, mais il me semble que cette digres­sion vous éloigne du but.
— Elle m’y ramène au contraire. Ce même Charles Cra­pe­let, dont il était ques­tion tout à l’heure, ayant remar­qué que, dans la pre­mière feuille d’un Télé­maque auquel il don­nait tous ses soins, on avait impri­mé Pélé­nope pour Péné­lope, faillit atten­ter à ses jours. » (p. 56-64)

De Lord Byron à… Érasme

Il résulte de ces erreurs de cor­rec­tion des récri­mi­na­tions amères et assez bien fon­dées, quel­que­fois, de la part des auteurs. « La moindre faute de typo­gra­phie me tue, écri­vait Byron15 à son édi­teur ; cor­ri­gez, je vous en conjure, si vous tenez à ne pas me voir me cou­per la gorge. Ah ! je vou­drais que le com­po­si­teur fût atta­ché sur un che­val et acco­lé à un vampire ! »

Érasme par Holbein le jeune, 1523.
Érasme (1466?-1566) par Hol­bein le jeune, en 1523.

Ces malé­dic­tions, que les com­po­si­teurs et les cor­rec­teurs lui ren­daient au cen­tuple, car son écri­ture était si mau­vaise qu’il ne pou­vait par­ve­nir à la déchif­frer lui-même, l’illustre auteur de Child-Harold16 ne les eût point lan­cées contre les ouvriers de Mur­ray17 s’il avait pris la peine de sur­veiller per­son­nel­le­ment l’im­pres­sion de ses œuvres. Il en était ain­si autre­fois. Érasme ne rou­git pas de se faire le cor­rec­teur de ses propres ouvrages, chez Alde l’an­cien ; et au com­men­ce­ment de ce siècle on vit le car­di­nal Mau­ry18 suivre page à page, ligne à ligne, et en quelque sorte mot à mot, l’im­pres­sion de son Essai sur l’Éloquence de la chaire.

Il ne se pas­sait pas deux jours, dit l’au­teur des Études typo­gra­phiques, sans qu’il vînt à l’im­pri­me­rie, mon­tant rapi­de­ment les quatre étages, pré­cé­dé et sui­vi d’un laquais en livrée. Il était habi­tuel­le­ment en longue sou­tane vio­lette, avec petit camail en des­sous rouge, quel­que­fois en petit man­teau. Il allait dis­crè­te­ment se pla­cer dans le rang de son com­po­si­teur, et là, il lui don­nait toutes les expli­ca­tions néces­saires sur les cor­rec­tions, ou plu­tôt sur la rédac­tion nou­velle du texte, qui a eu jus­qu’à dix ou douze épreuves par feuille.

— Tout cela, fit remar­quer M. Duval, qui ne per­dait jamais l’oc­ca­sion d’é­mettre une opi­nion juste, tout cela dut prendre beau­coup de temps !
— Deux ans, de 1808 à 1810. […] » (p. 65-67)


Mary-Lafon [Mary-Lafon, Jean-Ber­nard, 1812-1884], His­toire d’un livre, Paris, Par­man­tier, 1857, 132 p.

Pour d’autres textes his­to­riques, consul­ter la liste des articles.

Une mention peu flatteuse du métier de correcteur, 1690

extrait des mémoires du marquis de Beauvau, 1690
Extrait de l’A­ver­tis­se­ment de l’é­di­teur aux Mémoires du mar­quis de Beau­vau (1690).

Je retrans­cris tel quel (dans l’or­tho­graphe de l’é­poque) un texte tiré des Mémoires (post­humes) du mar­quis de Beau­vau (1610?-1684), gou­ver­neur de Charles V de Lor­raine. Dans son « Aver­tis­se­ment », l’é­di­teur évoque les risques de contre­fa­çon de cet ouvrage, qui a déjà connu d’autres édi­tions, dont « une copie subrep­tice, pleine de fautes, & presque inin­tel­li­gible », et se montre, au pas­sage, peu tendre avec les cor­rec­teurs de son temps. 

Je donne quelques infor­ma­tions sur l’au­teur que j’ai trou­vées sur le site d’un libraire de livres anciens :

Après avoir pris part, en 1633, à l’expédition des Lor­rains en Alsace ; Hen­ri de Beau­vau finit par quit­ter la Lor­raine où la situa­tion était inte­nable à cause des guerres et se ren­dit à Vienne, où le duc Fran­çois de Lor­raine le char­gea de l’éducation des princes Fer­di­nand et Charles, ses enfants. Il les sui­vit en Flandres, puis en France et enfin se retrou­va en Lor­raine en 1662, fut appe­lé en Bavière en 1668 pour être char­gé de l’éducation du Prince élec­teur. Il ne revint en Lor­raine qu’en 1680 et y mou­rut en 1684. Dans son ouvrage il se montre très ins­truit des affaires de son temps.

« Pour cor­ri­ger tout, il auroit falu faire une nou­velle His­toire sur les Memoires de M. de Beau­vau. Mais outre qu’on n’avoit pas le temps de s’attacher à cela, on appre­hen­doit que pen­dant qu’on seroit occu­pé à ce tra­vail, quelque autre ne fit impri­mer ces Mémoires, & ne les rem­plit de nou­velles fautes, comme c’est l’ordinaire. On ne sçait que trop les rai­sons que nous avions de craindre cet acci­dent, & que la plû­part des Cor­rec­teurs d’Imprimerie ne sont pas de fort habiles gens, parce que ce métier si neces­saire & si utile, n’a rien qui attire les per­sonnes d’esprit. On n’y acquiert ni du bien ni de l’honneur, & cepen­dant il est extré­me­ment penible. Le carac­tére des Auteurs est ordi­nai­re­ment assez dif­fi­cile à lire, les Copistes n’entendent point l’Ortographe, les Impri­meurs ne sçavent pas le plus sou­vent la Langue des Livres sur les­quels ils tra­vaillent : de sorte que quand les Cor­rec­teurs sont igno­rans, il est presque impos­sible que les pre­miéres édi­tions des Livres ne soient pleines de fautes, & que les secondes qu’on fait en l’absence des Auteurs n’en ayent encore plus. C’est une chose qui a déjà furieu­se­ment décrié les impres­sions de Hol­lande, & qui ache­ve­ra de les perdre si l’on n’y prend garde ; je veux dire l’avarice sor­dide des Libraires, qui les empêche de trou­ver de bons Ouvriers, parce qu’elle les empêche de les payer. Il est vrai que les Païs Etran­gers com­mencent à ne faire guére mieux ; & il nous vient tous les jours des Livres d’Allemagne & de Paris aus­si peu cor­rects que ceux de Hol­lande. Si les choses vont à ce train, il n’en fau­dra pas davan­tage pour rame­ner la bar­ba­rie & l’ignorance dans nôtre siécle. »

« Aver­tis­se­ment », in Hen­ri de Beau­vau, Mémoires du mar­quis de Beau­vau, pour ser­vir à l’his­toire de Charles IV, duc de Lor­raine et de Bar, Cologne, Pierre Mar­teau, 1690, non paginé.

Pour d’autres docu­ments his­to­riques, consul­ter la liste des articles.