École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, Paris 4e. Carte postale, s.d.
À la suite de mes recherches sur les premières correctrices apparaissant dans les annonces d’emploi (1884-1941), je découvre l’existence d’une école primaire supérieure de jeunes filles, dont certaines élèves pourront devenir correctrices. Trois extraits de journaux permettent d’en brosser un tableau assez précis. Cet établissement est aujourd’hui le lycée Sophie-Germain, nom de baptême que l’école a reçu dès 1888.
Plaque de l’école.
« L’école primaire supérieure de jeunes filles de la rue de Jouy [Paris 4e] mérite une mention spéciale. Fondée il y a dix-huit mois [en 1882], dirigée par une femme de grand talent, Mme Blanche Chegaray, cette école rend des services inappréciables, et bientôt, du reste, la Ville en ouvrira une deuxième, exactement semblable, rue des Martyrs.
« Les jeunes filles y sont admises seulement au concours, et lorsqu’elles sortent de l’établissement, après avoir satisfait aux examens — examens des plus sérieux, — elles sont aptes à entrer dans les postes et télégraphes. à être correctrices d’imprimerie, premières dans des maisons de couture, etc. Indépendamment de cela, elles sont dressées aux soins du ménage, et le blanchissage des dentelles, la confection du linge et des vêtements, la cuisine leur sont enseignés par d’habiles professeurs. En un mot, à l’école de la rue de Jouy, les jeunes filles reçoivent une instruction solide et on leur apprend aussi à être de vrai[e]s femmes. […] » — Gil Blas, 4 août 1884
Conditions d’admission et personnel enseignant
« La durée des études est fixée à quatre années : trois années d’études normales et une année d’études complémentaires.
« L’école est gratuite ; elle ne reçoit que des élèves externes.
« Les élèves sont admises à la suite d’un concours. Les jeunes filles qui doivent atteindre l’âge de douze ans révolus au 1er octobre, et qui n’ont pas dépassé à la même date l’âge de quatorze ans, sont seules admises à participer à ce concours.
« Pour le premier concours, devant avoir lieu au moment de l’ouverture de l’école, les jeunes filles devront avoir atteint l’âge de douze ans révolus au 1er janvier 1882. […]
« Le personnel de l’école est ainsi composé : « Une surveillante générale faisant fonctions d’économe, au traitement de 3,400 à 5,000 francs. « Des maîtresses adjointes, chargées de la surveillance des études, des fonctions de répétitrices et pouvant être appelées en outre à faire certains cours, au traitement, de 2,400 à 3,600 fr. « Des professeurs, hommes ou femmes, pour l’enseignement du français et de la lecture, des langues vivantes (anglais et allemand), de l’écriture, de l’arithmétique, de la tenue des livres, de l’histoire et de la géographie, des sciences physiques et naturelles, de la géométrie pratique et du dessin linéaire, de la coupe et de la couture, de la gymnastique, du chant, et en deuxième et troisième année seulement, de la morale, de notions d’économie politique, de législation et d’économie domestique. » — L’Unité nationale, 28 mars 1882
Épreuves du concours
« Le concours comprend des épreuves écrites et des épreuves orales : « 1o Epreuves écrites : Orthographe et écriture. — Arithmétique et applications pratiques de la géométrie. — Dessin linéaire. — Dessin d’ornement. — (La dictée d’orthographe sert d’épreuve d’écriture) ; « 2o Epreuves orales : Histoire de France. — Géographie. — Arithmétique. — Instruction morale et civique.
« Les épreuves écrites sont éliminatoires.
« Nota. — Le conseil municipal de Paris a décidé, en principe, la création, dans chacune des écoles primaires supérieures, d’un certain nombre de bourses d’entretien destinées à venir en aide aux familles qui n’auraient pas les ressources nécessaires pour entretenir leurs enfants pendant la durée des études d’enseignement primaire supérieur. » — La Réforme, 9 octobre 1882
École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, grand amphithéâtre. Carte postale, s.d.
Après avoir épluché les annonces d’emploi, j’ai eu l’idée de faire de même pour les annonces de mariage et de décès. J’y ai ajouté les éventuelles distinctions hors médaille du travail.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Correctrice de langues étrangères dés. mar. riche pas banal. S’abst. d’écr. si pas riche. Bouleau, Bill. Tuberculeux, 0.914.561. Bur. 84. (La Lanterne, 11 février 1904)
1907 — Par décret du ministre de l’instruction publique, en date du 23 novembre, Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie, à Tours, a été nommée officier d’académie [il s’agit des Palmes académiques1]. C’est avec plaisir que nous enregistrons cette nomination, pleinement justifiée par les services rendus. Nous adressons à notre aimable collaboratrice nos bien cordiales félicitations. (L’Union libérale, 26 décembre)
Le Journal officiel publie les nominations suivantes : […] Au grade d’officier d’académie : Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie à Tours. (L’Union libérale, 30 décembre)
1908 — Eugène-Auguste-Jules Cornilleau, clerc d’avoué, rue Saint-Vincent, et Blanche-Victorine Terrier, correctrice d’imprimerie, rue Saint-Vincent. (L’Ouest-Éclair (Rennes), 6 août (promesse), L’Avenir de la Mayenne, 9 août (promesse) et 23 août ; La Gazette de Château-Gontier, 27 août)
1908 — Georges-Jean-Alexandre Cornemillot, agent de détaxe, et Marie-Louis Bonnardot, correctrice au Bien Public. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 27 août)
1908 — Isidore-Eugène Denancé, employé de bureau, à Meudon (Seine-et-Oise), et Anaïs-Augustine-Joséphine Dubois, correctrice typographe, rue des Lavanderies. (L’Avenir de la Mayenne, 11 octobre)
1917 — Décès — Marie Françoise Masserot, célibataire, 30 ans, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine. (L’Écho de la Mayenne, 8 avril, et La Mayenne, 11 avril)
1924 — Gaston Eiehacker, rentier, rue de la Gare, et Valentine Gourrault, correctrice d’imprimerie, rue de la Gare. (La Mayenne, 4 mai)
1925 — Gustave-Georges Vasseur [ou Vaseux, selon les annonces], maréchal des logis au 4e escadron du train (T.E.M.) au Mans, et Marie-Louise-Jeanny Bathilde Morin, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine (à Laval). (La Mayenne, 16 et 20 septembre, 4 octobre ; L’Avenir de la Mayenne, 20 septembre)
1926 — Georges-Victor-Marie Mercier, chauffeur d’autos, rue Ambroise-Gestière, et Suzanne-Mathilde-Victorine Foucoin, correctrice d’imprimerie, rue Ambroise-Gestière. (La Mayenne, 23 mai (bans), La Mayenne, 15 juin, et L’Avenir de la Mayenne, 20 juin)
1928 — Georges Terrier, graveur-typographe, à Nantes, et Denise-Solange Jean, correctrice d’imprimerie, rue Basse-des-Bouchers, 16. (La Mayenne, 18 et 22 juillet)
1930 — Robert-François Hamon, ajusteur, 31, boulevard de Tours, et Jeanne Ozouf, correctrice d’imprimerie, 26 [parfois 21], rue de Chapelle. (La Mayenne, 10 août (promesse), et L’Avenir de la Mayenne, 3 et 7 septembre)
1930 — Cormerais Armand, artiste lyrique, rue Banasterie, 10 et Guirand Marie, correctrice d’imprimerie, rue Banasterie, 10. (Le Radical de Vaucluse, 29 octobre)
1932 — Henri Surnom, boulanger à Issoudun, et Germaine-Elisabeth Aubrun, correctrice monotypiste à Saint-Amand-Montrond (Cher). (La Dépêche du Berry, 31 juillet)
1934 — Ourmières, Jean, gendarme à la 17e légion, avec Moine, Jeanne, correctrice d’imprimerie. (L’Auvergnat de Paris, 27 janvier 1934)
1934 — Cochet Daniel-Raoul-Camille, mécanicien, et Venot Gilberte-Jeannine, correctrice, tous deux à Vendôme. (L’Écho du Centre, 23 mars)
1937 — Emile Goussin, clerc d’avoué, rue Duguesclin, et Jeanne Allain, correctrice d’imprimerie, rue Paul-Lintier. (La Mayenne, 26 janvier)
1938 — Fernand Genest, commis du trésor, à Flers, et Marthe Durckel, correctrice d’imprimerie, place Gambetta. (La Mayenne, 17 avril)
1941 — Décès de Germaine Sillon, épouse Humberjean, correctrice d’imprimerie, 60 ans, 9, rue des Vergelesses, domiciliée 21, rue Félix-Trutat. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 16 juillet)
« À l’époque il n’y avait pas beaucoup de femmes dans les imprimeries », a déclaré la correctrice Annick Béjean, entrée dans la presse parisienne en 1979 (☞ lire son témoignage). Comment retrouver les traces de ces exceptions ? Comment saisir l’existence des premières femmes embauchées comme correctrices professionnelles, avant que la société en général et le monde typographique en particulier les accueillent plus volontiers ?
Grâce à RetroNews, le site de presse de la BnF, j’ai pu interroger 2 000 journaux français de 1631 à 1950. J’ai sondé, avec un heureux succès, les annonces d’emploi (offres et demandes). J’ai exhumé quelques lauréates de la médaille du travail. Les correctrices au travail apparaissent aussi dans quelques extraits de procès et à travers des personnages de feuilleton. Peu à peu, ces femmes reviennent à la lumière.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Au bas de la page, j’ai ajouté mes premiers commentaires.
Annonces d’emploi, articles judiciaires et feuilletons
1884 — AGENCE Saint-Julien, maison fondée en 1859 : ventes et achats de fonds de commerce, recouvrements de créances, etc. 9, place d’Aquitaine. Mme Lataste, directrice et correctrice du journal la Liberté, de Paris. (La Petite Gironde, 3 juillet)
1886 — Une dame désire entrer dans une imprimerie en qualité de correctrice. Ecr., L. P., poste restante, 50, rue Bonaparte. (Le Mot d’ordre, 15 octobre)
1887 — On demande une correctrice d’épreuves d’imprimerie. S’ad. Mme Jaudoin, 65, bd Arago. (Le Mot d’ordre et L’Écho de Paris, 17 avril)
1888 — Me MORILLOT, défenseur de Robert. — Ni l’espoir du gain, car, outre son traitement, sa femme apporte encore au ménage 3,500 francs, qu’elle gagne comme correctrice d’imprimerie. (Pierre-Émile Robert, ex-agent de la police de sûreté, jugé pour usurpation de fonctions, arrestation illégale et violation de domicile, tribunal correctionnelle de la Seine, 8e chambre, présidence de M. Gillet, audience du 6 décembre 1888, Le Droit, 7 décembre)
Annonce de l’Imprimerie picarde, 1889
1889 — ON DEMANDE / Des Apprenties / COMPOSITRICES / de 13 à 18 ans / Travail agréable et lucratif / ATELIER PARTICULIER / On gagne de suite / (Il n’est pas exigé de contrat) / ET POUR / CORRECTRICE / une jeune fille ayant le brevet élémentaire. / A l’Imprimerie Picarde / 71, Rue du Lycée, 71, Amiens (Le Progrès de la Somme, 13 janvier)
1889 — Dame veuve diplômée demande emploi de correctrice dans une imprimerie. C. R., 10, avenue de Tourelle, St-Mandé. (Le Radical, 20 avril)
1893 — Attendu qu’en fait, il est reconnu que l’appelant a, le 25 décembre 1893, jour de fête légale et à l’heure énoncée par le procès-verbal, employé treize filles majeures comme compositrices et une fille majeure comme correctrice dans l’atelier de son imprimerie ; […] Attendu que le travail de la correctrice consiste surtout à vérifier l’identité du manuscrit avec l’imprimé[,] à rectifier les erreurs matérielles telles que le renversement des lettres, que c’est exceptionnellement qu’elle accomplit une œuvre purement intellectuelle pour résoudre des difficultés qui se présentent sur l’orthographe, la ponctuation, les dates ; que le caractère industriel prédomine dans la tâche confiée à l’ouvrière chargée de la correction des compositions typographiques ; […] En conséquence le condamne : 1o à quatorze amendes de 1 franc chacune pour avoir fait travailler quatorze filles majeures après neuf heures du soir ; 2o à quatorze amendes de 1 franc pour avoir fait travailler ces mêmes filles majeures un jour de fête légale reconnue par la loi, soit en tout vingt-huit amendes de 1 franc chacune et aux dépens liquidés à 15 fr. 45, outre le coût du présent jugement ; fixe au minimum de la loi la durée de la contrainte par corps. (Police correctionnelle, tribunal de Saint-Etienne, présidence de M. Gast, audience du 28 avril 1894, La Loi, 12 août 1894)
1895 — Correctrice connaiss. bien la lect. et le tierçage est demandée p. gde impr., pl. stable Journal A.B.17. (Le Journal, 9 février)
1895 — ON DEMANDE / UNE / CORRECTRICE / A l’imprimerie WATON, / à Bellevue. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 juillet)
Annonce de l’Imprimerie Waton, 1897
1897 — BONNE CORRECTRICE / est demandée / à l’Imprimerie WATON (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 29 et 30 septembre, 20 octobre)
1898 — On demande bonne correctrice typographe, emploi sérieux et rémunérateur. Références exigées. — G. M. H., Journal. (Le Journal, 12 février)
1899 — P.-S. — J’écrivais, il y a huit jours, dans mon Supplément : « Il fallut toute la courtoisie de mon interlocuteur (il s’agissait d’une conversation, en wagon, avec un officier) et tout mon désir de ne pas froisser un homme convaincu, pour, etc., etc. On a imprimé : « et tout mon désir de ne pas favoriser ; je prie ceux de mes lecteurs qui ont ouvert de grands yeux, de rétablir le texte, et je conjure la correctrice d’avoir pitié d’une malheureuse chemineaude qui ne peut corriger ses épreuves. (La Fronde, 17 juin)
1903 — CORRECTRICE imprimerie, b. réf., d. pl. M.D.P., post. rest., r. Pierre-Guérin (16e) (Le Matin, 19 et 23 février)
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT et Cie / JEUNE FILLE, instruite et sérieuse, est demandée pour apprendre le métier de correctrice. (L’Union libérale, 23 avril)
Annonce de l’Imprimerie Arrault et Cie, 1904.
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie / ON DEMANDE / UNE CORRECTRICE (L’Union libérale, 29 octobre).
1908 — ON DEMANDE un correcteur ou une correctrice à l’Imprimerie E. Arrault et Cie. (L’Union libérale, 29 et 30 octobre)
1909 — Médailles d’honneur du travail1 (argent, vingt ans). — Mlles Ther Rosalie, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault, à Tours ; Ther Joséphine, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault à Tours ; […] (L’Union libérale, 16 août)
1910 — DEMOISELLE TRÈS SÉRIEUSE, diplômée enseignement, désire emploi comme correctrice d’imprimerie. Ferait recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections. Pourrait aussi s’occuper de contentieux. — S’adresser à Mme Barin à l’Action. (L’Action, 4 août)
1910 — ANCIENNE correctrice d’anglais et d’espagnol dans une grande imprimerie parisienne, connaissant en outre la sténographie et la machine à écrire, et ayant été employée à l’expédition d’un journal, demande situation à Paris ou en province ; se contenterait de conditions modestes. Ecrire aux bureaux du journal. (L’Univers, nombreux passages de décembre 1910 à juillet 1911)
1911 — J.f. 23 a., correctrice, dem. pl. ch. imp. ou édit. b. réf. parle angl. Zabaska, 64 r. du Rocher (Le Journal, 13 mai)
1911 — [Béthel] Le président passe enfin au dernier fait qui est reproché au jeune typographe : le détournement de la mineure Suzanne Pinteau [15 ans]. — Je ne l’ai pas enlevée, au sens propre du mot, répond Chagnoux. Son père s’était remarié. Elle vivait chez sa belle-mère et travaillait comme correctrice à l’imprimerie Cerf où j’étais employé. Je lui avais conseillé de rester dans sa famille jusqu’au jour où je l’épouserai. Elle m’a suivi volontairement. (L’Indépendant rémois, 30 août)
1912 — Demoiselle, 35 ans, correctrice plusieurs années même imprimerie, cherche situation similaire : secrétaire, dame de compagnie. S’adresser au bureau du journal. (La Mode illustrée, 7 avril)
1912 — Bne correctrice [?]em. empl. dans imprimerie. Sér. réf. Devalière, 5, r. Edgar-Quinet, Montrouge. (Le Journal, 28 août)
1912 — Jeune fille, 22 ans, ayant été correctrice d’imprimerie, cherche place analogue, comptabilité ou écritures. (La Mayenne, 22 et 29 décembre 1912 ; 5 janvier 1913)
1914 — J’ai un mot pour une imprimerie où je puis faire un remplacement, comme correctrice ; c’est la vie assurée pour quelque temps, et quelle vie ! Cette perspective ne m’a pourtant pas désarçonnée. Je demeure le pied à l’étrier, mais pour l’avoir senti glisser — oh ! un rien — j’ai perdu un peu de ma belle confiance. Bah ! l’espoir renaîtra, à la première éclaircie. Il faut laisser se dissiper ce léger nuage. (feuilleton « Le Retour des choses », Henriette Devers, dans L’Homme libre, 11 juillet)
1914 — Jne fem. dirigeant imprimerie belge dut quitter suite occup. all. dem. place correctrice, emploi simil. ou vend. R.L., 8, Théophile-Gautier. (Le Journal, 17 octobre)
1915 — J. FILLE instr., sténodactylo, correctrice journal, cherche emploi. Donne leçons st.-dactylo. Prix modérés. (Le Phare de la Loire, 15 octobre)
1919 — ON DEMANDE bons typos, metteur en page, correcteur ou correctrice connaissant si possible l’anglais et l’italien, imprimerie Ged, 4, rue Paradis. (Le Petit Provençal, 25 avril)
1921 — Imprimerie Lang, 75, rue Championnet, Paris, demande correctrice. Offres et référ. par écrit. (Le Journal, 11 mars)
1921 — ON DEMANDE Correcteur ou correctrice, blessé ou veuve de guerre, connaissant parfaitement le français, pour service de cinq à six heures par jour. — S’adresser au bureau du journal. (Le Nord maritime, 17 octobre)
1922 — On demande bon correcteur ou correctrice pour imprimerie Paris. Ecrire avec référ. et prétentions à Fanon, 3, rue d’Orainville, Athis-Mons (S.-et-Oise). (L’Intransigeant, 28 septembre)
1922 — On demande bonne correctrice d’épreuves. S’adr. av. références, de 9 à 10 h., Imprimerie, 20, r. Turgot (9e (L’Intransigeant, 9 octobre)
1923 — Médaille du travail (argent) — Mlle Seguin Marie-Catherine-Alphonsine, ouvrière correctrice dans la maison Paul Féron-Vrau, imprimeur de la « Bonne Presse », à Aiguiperse. (Courrier du Puy-de-Dôme, 8 avril)
1923 — Procès du renvoi injustifié de Rirette Maitrejean, correctrice d’imprimerie (article à venir).
1925 — Jeune fille, au courant rech. bibliogr., bonne correctrice épreuves, cherche emploi secrétaire dactylo. Connaît le russe. Mlle Cheinisse, 19, avenue d’Orléans, à Paris. (La Journée industrielle, 11 décembre)
1928 — CORRECTRICE épreuves imprimerie. Se prés. 4 à 6 h. Imp. Universelle, 48, r. Claude-Vellefaux. (L’Intransigeant, 10 janvier)
1929 — CORRECTEUR / ou CORRECTRICE / demandé par l’Imprimerie Darantière, rue Paul-Cabet, 13, Dijon (Le Progrès de la Côte-d’Or, 25 et 28 avril)
1929 — URGENT / Correcteur ou Correctrice, / connaissances générales et anglais, / Dactylographe habile, / pour être utilisée au clavier de machine à composer, demandés à l’Imprimerie Darantière, 13, rue Paul-Cabet, Dijon. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 28 juillet)
1930 — Médaille du travail (vermeil, trente ans) — Mlle Groslier, correctrice à l’Imprimerie Clerc, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 1er août)
1932 — On demande jeune femme 20-25 ans, possédant brevet élémentaire pour emploi aide-correctrice. Ecrire avant se présenter / à l’Imprimerie DRAEGER, / 46, rue de Bagneux, Montrouge. (Le Journal, 28 mai)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mme Augonnet, née Vanier Marie-Alice-Antoinette, ex-correctrice à l’imprimerie Bussière, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 28 juillet)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mlle Allimand (Marie-Madeleine-Jeanne), correctrice à la Société anonyme de l’imprimerie Théolier, à St-Etienne. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 31 juillet)
1932 — Da. con. l’assurance meill. réf. d. pl. jour ou 1/2 ch. courtier, ou correctrice p. éd. art. g.d.l. Ecr. P.R. N° 8277, P.A., 25, rue Royale. (Paris-soir, 20 octobre)
1933 — Dem. place correctrice pr impression franç. ou étrang. Ecr. Irène Pesté, 43, Bd. St-Martin 3e. (Paris-soir, 29 novembre)
1936 — Médaille du travail (argent) — Mlle Charvet (Berthe), correctrice à l’imprimerie de Sceaux, à Sceaux. (Journal officiel de la République française, 16 janvier)
1936 — ON dem. une correctrice et des ouvrières estampeuses de clichés. S’ad. S.I.P., 21, r. Montsouris. (L’Intransigeant, 22 mars)
1938 — Bonne correctrice rapide pour journaux et trav. imprimerie. Place stab. Ecr. réf. prétent. M. Fabre, ab. POP, 121, r. Lafayette. (Paris-soir, 19 octobre)
1938 — Dame typographe et correctrice dem. empl. 2 ou 3 jrs p. semaine. Ecr. No 7765. Paris-soir (Paris-soir, 17 novembre)
1941 — Je terminais à peine ma fastidieuse besogne de correctrice, interrompus [sic] seulement par l’absorption rapide de deux sandwiches, que Mme Jehanne d’Irounac revint de ses agapes littéraires, rouge et congestionnée sous son fard candide. (feuilleton « Le Pirate », Alex Berry, Le Réveil du Nord, 12 avril)
Premiers enseignements de ces données
On peut être embauchée dès 15 ans, avec pour tout bagage le brevet élémentaire (qui deviendra le BEPC en 1947), être employée surtout pour comparer l’épreuve à la copie (être « aide-correctrice » ou « ouvrière correctrice »), comme être diplômée, maîtriser des langues étrangères, et proposer ses services pour des « recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections ».
En 1904, l’Imprimerie Arrault et Cie, à Tours, cherche exclusivement une correctrice et se déclare prête à la former. Sténodactylo, préposée aux écritures, voire dame de compagnie, sont, pour certaines de ces femmes, des « emplois similaires ».
L’histoire s’invite dans ces situations professionnelles : en 1914, une directrice d’imprimerie a fui l’occupation allemande ; en 1921, on embauche une veuve de guerre…
Les deux demoiselles, Rosalie et Joséphine Ther, à qui on remet en 1909 la médaille d’honneur du Travail ont donc déjà vingt ans de métier, ce qui date leur entrée dans l’imprimerie à 1889.
Enfin, quelles impressions de ce métier les correctrices des feuilletons ont-elles ? « Quelle vie ! » (1914) ou « fastidieuse besogne » (1941).
C’est une friandise que je vous propose aujourd’hui, un entrefilet trouvé dans le Figaro du 22 mars 1878. Vous donnera-t-il un peu de gaieté ? C’est mon but, en tout cas.
Le Figaro, 22 mars 1878.
Introduite en seconde position dans le Dictionnaire de l’Académie en 1798, l’orthographe gaîté est donc admise en 1878, date de l’article du Figaro, mais la première, gaieté, est la seule que l’Académie emploie dans ses définitions depuis 1740 : « Avoir de la gaieté. Perdre toute sa gaieté. Reprendre sa gaieté. Montrer de la gaieté. Témoigner une grande gaieté. Il est d’une gaieté folle. Il a de la gaieté dans l’esprit. »
Ces messieurs les correcteurs suivaient donc la préférence de l’Académie.
Précédemment (1694, 1714), l’Académie écrivait gayeté – prononcé en trois syllabes, comme on le voit dans ces vers :
« Mais je vous avouerai que cette gayeté Surprend au dépourvu toute ma fermeté » — Molière, Don Garcie de Navarre ou le Prince jaloux (1661), V, 6.
Ensuite, elle écrira gaieté seul (1718, 1762), choix auquel elle reviendra en 1935.
L’édition actuelle du Dictionnaire de l’Académie conserve la seule gaieté, mais précise en bas de définition : « On trouve aussi gaîté » et « Peut s’écrire gaité, selon les rectifications orthographiques de 1990 ».
Dans les faits, gaieté reste nettement majoritaire, gaîté ne se rencontre plus que dans des noms propres (théâtre de la Gaîté) ; gaité n’a pas encore pris.
Ajoutons, pour le plaisir, qu’en 1878 les gaietés désignaient aussi « des paroles ou des actions folâtres que disent ou que font les jeunes personnes ».
Je vous souhaite donc, en ce dimanche, d’avoir de la gaieté ou de faire de petites gaietés.
PS – Les correcteurs auront noté, au passage, que la confusion mise à/au jour avait déjà cours.
25e congrès de l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, Rennes, 31 mai 1936, L’Ouest-Éclair (édition de Rennes), ce même jour.
C’est avec une certaine émotion que j’ai découvert cette « photo de famille ». Elle rend leur visage aux membres du 25e congrès de l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, à Rennes, le 31 mai 1936, dont le président est alors E. Grenet (successeur de Théotiste Lefèvre1, qui officia jusqu’en 1921, et de A. Geoffrois).
E. Grenet, dans L’Ouest-Éclair (Rennes), 31 mai 1936.
Fondée à Perpignan, en 1897, par Joachim Comet (1856-1921), cette collectivité a connu plusieurs noms2. En 1905, elle « compte […] plus de 500 membres […] [et] a pour but la défense des intérêts professionnels et matériels de ses membres ; c’est une société de secours mutuels, de prévoyance et d’assurance pour le cas d’invalidité et pour la vieillesse3 ». En janvier 1921, elle avait « un effectif de 750 membres environ, dont 300 correcteurs au plus », écrit L.-E. Brossard4.
Concours Delmas, 1909.
Concrètement, on sait, par exemple, que le congrès de Toulouse, en 1904, « s’est principalement occupé des offices de placement ; de la division rationnelle de la Société amicale des protes et correcteurs en sections régionales [d’abord au nombre de sept, elles seront quatorze à partir de 1911] ; du contrat d’apprentissage et du concours Delmas5. « Une intéressante question, celle de la “cotisation-décès” en faveur de la famille des membres actifs de la société qui viendraient à mourir, a été résolue dans un sens nettement mutualiste. « Le congrès s’est occupé aussi de la question des retraites et a formulé ses réponses au questionnaire relatif au rapport Taudou6, présenté à Lyon en 19037. »
Des comptes rendus peu informatifs
S’ils sont assez nombreux dans la presse, les comptes rendus des banquets annuels et congrès de correcteurs sont généralement ennuyeux : ils déroulent de longues listes d’intervenants, tout le monde se remercie et se congratule. Sont souvent présents le maire de la ville et quelques conseillers municipaux, un ou plusieurs maîtres imprimeurs locaux, éventuellement un directeur de journal. Dans la presse régionale, on trouve des passages de ce genre :
« Au dessert, le président de la section, M. F. Riou, le visage rayonnant, se lève et se défendant tout d’abord de vouloir faire un discours, salua en excellents termes les dames et les amicalistes présents, puis résuma notre programme de solidarité, de mutualité et de prévoyance sociale. […] Puis, gagné par la chaleur communicative, chacun y alla de sa romance ou de son monologue, et après une sortie familiale vers Saint-Laurent l’on revint trinquer à la santé des présents et… des absents8. »
On a tous les détails de l’organisation des journées ; on sait dans quel bon restaurant tout ce beau monde a déjeuné (mais pas de quoi, hélas !) ; on nous dit que les discours, nombreux, ont été très applaudis, mais on en apprend peu sur les questions débattues. À croire qu’il s’agit surtout de se régaler…
Une blague du Figaro, 28 mai 1912.
J’ai tout de même appris que le congrès de Saint-Étienne, du 15 mai 1910, « s’est occupé de la situation précaire des correcteurs, souvent moins rétribués que les typos. Une nouvelle intervention aura lieu auprès des syndicats des Maîtres imprimeurs, en les priant de prendre en considération les vœux qui leur seront soumis à nouveau. Ces vœux visent à la fois les salaires, la considération due aux correcteurs, les locaux malsains dans lesquels ils travaillent9. »
Et qu’en 1926, « le Congrès […] a adopté un vœu demandant huit jours de congé payé par an pour les correcteurs et les chefs de service […]10 ». Il faudra attendre encore un peu…
Se fédérer, une nécessité
Dès 1880, dans l’annonce d’un banquet annuel de correcteurs au Palais-Royal (Paris), présidé par Eugène Boutmy11, on peut découvrir le bienfait de telles rencontres :
« L’invitation s’adresse, non-seulement aux membres de la société, mais encore et surtout aux correcteurs qui n’en font pas partie. Les correcteurs n’ont que de rares relations ; ils se connaissent dans une imprimerie, et encore ! La réunion annuelle a pour but de faire connaître, et par conséquent apprécier à tous, la nécessité du groupement12. »
Des sujets abordés lors de ce « superbe banquet [qui] réunissait […] un grand nombre des membres de la Société des correcteurs de Paris », on sait ceci :
« M. E. Massard a insisté sur la nécessité d’établir une solidarité étroite entre les compositeurs et les correcteurs, et manifesté le désir de voir tous les correcteurs se grouper pour faire cesser l’exploitation dont ils sont l’objet. Ces travailleurs salariés ont besoin de leur appui mutuel pour triompher des injustices dont ils sont journellement victimes de la part des maîtres imprimeurs. « Le délégué de la Société typographique a répondu que les compositeurs syndiqués seront prochainement invités à n’accepter dans leurs ateliers que des correcteurs également syndiqués. Le président a pris acte de cette importante déclaration13. […] »
La saveur des « actualités » du passé
Contraint de « couvrir » l’évènement, le rédacteur du journal local tire parfois bravement à la ligne pour remplir ses colonnes. Ainsi, quand les congressistes de Rennes, en 1936, partent visiter le Mont-Saint-Michel, la plume se fait lyrique :
« Les cars roulent, maintenant, sur la digue, entre des sables de traîtrise, et encore frisés de la caresse du flot. Entre Tombelaine et le Mont, une procession lilliputienne, croix d’or, faisant en tête un point lumineux, s’avance. Le Mont-Saint-Michel ! tout le monde descend ! et c’est l’entrée de la caravane par la Bavolle, la Cour du Lion, le boulevard, et enfin cette rampe pittoresque, aux maisons rapprochées, comme à la casbah, avec ses cuivreries de Villedieu, qui sont bien un peu mauresques ! Elles tintin[n]abulent aux échop[p]es, sous le toucher curieux. Les invites sont pressantes, le succès de l’omelette renommée est le secret de chaque hostellerie et de partout on vous promet vue sur la mer, du haut de la terrasse. […]14 »
Les congressistes de Rennes, en 1936. Cœur de l’image (la partie la plus nette).
Pour la bonne bouche, j’ai retenu deux autres passages de ces articles compassés. À lire avec l’intonation des speakers de l’époque.
1904 — « Dimanche, jour de Pâques, la section bordelaise de l’Association amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de province a célébré son banquet annuel, auquel — gracieuse innovation — les dames ajoutaient le charme de leur présence. Comme par le passé, l’hôtel Gobineau justifia sa renommée si légitimement acquise, et ses hôtes, toujours fidèles, trouvèrent le fin menu qui leur fut servi en harmonie avec l’élégance de la table15. »
1907 — « À midi, une surprise attendait les excursionnistes à l’hôtel Bellevue, dont — entre parenthèses — le Vatel se surpassa. […] Delumeau, directeur de la Société vinicole blayaise ; Patrouillet et Brunette, imprimeurs à Blaye, […] prévenaient qu’ils se faisaient représenter à ce dîner intime par d’excellentes caisses de vin vieux. Aussi, quand vint l’instant de déboucher ces vénérables flacons, ce fut un feu croisé de toasts où les remerci[e]ments les plus chaleureux allèrent aux généreux donateurs, aux organisateurs aussi. « Enfin, l’heure sonna du retour, et — après un court et merveilleux voyage — celle, suprême, de la dislocation. Ce fut le seul nuage de ces deux belles journées, — bien vite dissipé par l’espérance de l’au-revoir prochain, au Congrès général de Nantes16. »
Ces folles agapes nous paraissent bien lointaines…
« L’Amicale des “Protes” Stéphanois donnait dimanche son banquet annuel », Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 8 juillet 1936. Cette fois, les épouses étaient conviées.
Je reproduis ci-dessous un texte publié en une du quotidien La Démocratie (Paris), le 17 avril 1914, sous le titre de rubrique « Libres propos ».
« S’il est homme critiqué, c’est bien le correcteur, celui qui s’est donné dans sa vie, la très fâcheuse mission de corriger dans une toute petite pièce donnée comme l’on donne une aumône, les inévitables « coquilles » si généreusement distribuées par les typographes. Sa besogne est aride, parfois amère : sous la blanche lumière d’une lampe, il parcourt de ses yeux fatigués des épreuves plus ou moins lisibles ; un doigt de sa main gauche fixé sur la copie de l’auteur, suit la succession ininterrompue des lignes et le fil d’Ariane d’une pensée dont le reflet est parfois rebelle et dont la continuité s’interrompt soudain sous le fâcheux effet d’un quelconque distraction.
« Derrière l’humble personne de ce travailleur modeste, les linotypes chantent leur monotone mélopée : elle n’a rien d’harmonieux cette succession de bruits qui imite à s’y méprendre le cliquetis de fantastiques cisailles qui s’agiteraient dans le vide : une désagréable odeur de plomb fondu s’attarde dans l’atmosphère de l’atelier : les lampes électriques projettent sur les machines et sur les gens le brillant reflet de leur impassible clarté. Obstinément penché sur les placards que le prote transmet avec une désespérante régularité, le correcteur examine soigneusement les lignes rigides, fixe les lettres, surveille une ponctuation capricieuse et veille avec un soin jaloux à ce que rien ne défigure la pensée d’un auteur inconnu.
« Ô l’obscure tâche !
« Les connaissances de ce paria des ateliers de typographie doivent être assez étendues pour qu’elles puissent facilement embrasser tous les domaines de l’intellectualité : un dictionnaire est le compagnon fidèle et discret, le précieux arbitre qui résout tous les conflits entre l’orthodoxie et la syntaxe : la patience est la vertu nécessaire et son rôle est d’autant plus ingrat qu’elle doit s’exercer en des heures de fièvre et de surmenage, alors que la pensée devance avec une inquiétude fébrile une plume trop rétive et trop lente à son gré.
« […] le correcteur à ses rares instants de loisirs voit les formes du journal s’emplir… » DR.
« La monotomie [sic] apparente des heures sombre dans le souci de ne point retarder le labeur des typographes : aussi, est-ce d’un œil bienveillant que le correcteur à ses rares instants de loisirs voit les formes du journal s’emplir : les lignes s’ajoutent aux lignes[,] les paragraphes aux paragraphes, les colonnes aux colonnes : une masse uniformément noire donne à ces heures une de ces joies que des profanes ne soupçonnent point : nous n’aurions jamais cru que le plomb, ce vil et populaire métal, pût éveiller d’aussi douces émotions…
« Dans la solitude de ton bureau, travaille petit correcteur : obstine-toi avec amour sur l’ingrate tâche et songe à ceux qui, le lendemain, liront ce journal sur lequel tes yeux se sont si patiemment attardés : songe à tout cela, songe au bien que pourront faire dans les âmes les lignes corrigées par toi, et dis-toi que ton humble travail a contribué à reproduire avec le plus de fidélité possible, la pensée de ceux qui se sont consacrés au rude apostolat de la plume.
« On tire une épreuve de ce premier jet (comme la création spirituelle, la création mécanique implique des retouches) et on transmet cette épreuve aux correcteurs. Penchés sous des faisceaux de lumière, comme des artisans sous la lampe, les correcteurs confrontent l’épreuve qu’ils viennent de recevoir avec le texte original. Confrontent. Il faudrait écrire : reconstituent. Gloire à eux qui arrivent à faire parler les pattes de mouches, à découvrir des clartés dans des textes plus impénétrables que les énigmes du Sphinx… Consciencieusement, ils redressent les petites entorses à l’orthographe, ils restituent au papier les paragraphes oubliés et — confessons-le — souvent ils redonnent un sens à la pensée de l’auteur qui a écrit trop vite et oublié le verbe qui asseyait la phrase… La tâche accomplie, ils redonnent l’épreuve au chef prote.
« Après cette retouche, ce filtrage supplémentaire, voici le “papier” avec son titre dans sa forme définitive. Il quitte la réunion [sic, rédaction ?] pour gagner le marbre. Le marbre est une longue table d’acier (elle était de marbre dans les anciennes imprimeries) sur laquelle on “monte” les pages. Les articles, revus et corrigés, se groupent près des formes, ces cadres d’acier qui épousent la “forme” des pages et retrouvent, clichées, les photographies que le secrétaire de rédaction a choisies pour illustrer ses articles. Les articles sportifs sont ainsi rassemblés près de la forme des sports… Les articles de tête, près de la forme de la “une” : la première page.
Les secrétaires de rédaction composent les pages
« Les secrétaires de rédaction — chacun responsable d’une page — sont à leur poste devant leur forme… Et le montage commence… Disposant ses clichés, ses titres gras ou maigres, selon l’importance qu’il leur assigne en indiquant leurs caractères, le secrétaire, lentement, élabore son chef-d’œuvre. Il essaye de faire chanter tout cet univers qu’on lui a apporté, de donner une forme harmonieuse à ces lourdes colonnes de plomb, de composer un poème vivant avec des lignes, des filets, des traits pleins. Il a prévu une maquette.
« Les négociations de M. Eden sur deux colonnes, en tête. Bon. Mais, à la dernière minute, M. Spaak ne sera pas reçu par M. Eden. Toutes les négociations de M. Eden, subitement, perdent de leur importance. Et deux colonnes en tête, c’est beaucoup trop… La maquette — toute une soirée de réflexion et de composition — ne tient plus… M. Eden a tout gâché.
« — Vite ! très vite ! — l’heure inexorable du premier train qui doit emporter l’édition approche — il faut improviser une autre maquette. Et souvent, grâce à une trouvaille de dernière heure, la page se présentera dans sa perfection, équilibrée comme la raison, heureuse comme la ligne du Temple antique, dans la lumière bleue de l’Acropole…
« — Vite une morasse ! Un peu d’encre, une feuille blanche. Quelques coups de brosse énergiques. Voici à la lettre, le premier tirage : l’exemplaire no 1. Le secrétaire de rédaction contemple cette morasse comme la fille bien-aimée de ses efforts et de sa pensée. Il la scrute du regard pour voir si elle est digne de lui, si une erreur, dans un titre ou dans une légende, ne l’obligerait pas demain à la renier…
« Tout va bien. Ce titre est clair comme une aurore. Celui en “romain”, sur un papier relatif à l’Italie, apparaît massif et ordonné, comme un défilé de chemises noires. C’est parfait. En avant ! — Chariot ! Déjà, voici que s’avance, en grinçant, poussée par des bras musclés, cette petite table d’acier que le secrétaire de rédaction accueille toujours avec le sourire, car elle emporte son œuvre… annonce sa libération. »
René Armand, « Une journée au “Petit Journal” », Le Petit Journal, 1er février 1938, p. 1-2.
À propos du style journalistique, deux citations historiques sont restées célèbres.
Georges Clemenceau, atelier Nadar, s.d.
La première est due à Georges Clemenceau, alors rédacteur en chef (1903-1906) de L’Aurore. Plusieurs variantes circulent, mais il s’agissait sans doute d’une circulaire adressée aux rédacteurs du journal, formulée ainsi :
« Faites des phrases courtes. Vous ne devez pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. »
Clemenceau avait son franc parler. Parmi les nombreuses citations qu’il nous a laissées, celle-ci est particulièrement savoureuse : « Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie française. » On voit que la « vieille dame du quai Conti » était déjà tenue en haute estime !
“Le Temps”, fruit d’une volonté de sérieux et de qualité
L’autre phrase souvent citée à propos de l’écriture journalistique est due à Adrien Hébrard. Qui ça ?
« Adrien Hébrard [1833-1914] s’efface derrière son œuvre et les historiens contemporains doivent se contenter de quelques renseignements signalétiques » (J.-G. Padioleau1). S’il fut longtemps sénateur de la Haute-Garonne (1879-1897), il n’est monté qu’une fois à la tribune. On sait aussi que, doué en affaires, il investit dans les travaux publics, l’électricité, le téléphone, la métallurgie, et mourut très riche (Wikipédia).
Surtout, pour ce qui nous concerne ici, il dirigea le quotidien Le Temps de 1871 à sa mort, en 1914, et en fit une puissance politique et financière.
Adrien Hébrard à l’atelier Nadar, s.d., et dans une cérémonie des Jardies [à la mémoire de Gambetta], le 29 juillet 1914. Au milieu, Le Temps, une du 2 novembre 1896. (Gallica, BNF.)
En 1861, en lançant Le Temps, Auguste Nefftzer en avait annoncé le principe directeur : « De la mission d’éducation publique que nous assignons à la presse, notre programme découle tout naturellement. […] nous devrons nous attacher à solliciter le libre raisonnement de nos concitoyens et […] nous chercherons moins à leur inculquer une opinion toute faite qu’à les mettre en état de s’en former par eux-mêmes » (P. Éveno2).
Sérieux et qualité étaient donc au programme.
Dix ans plus tard, Nefftzer laissa la direction du journal au rédacteur en chef Adrien Hébrard, dont le mot d’ordre fut plus succinct : « Surtout, faites emmerdant ! »
« Expression d’une recherche presque maniérée de l’austérité, mais aussi réaction salutaire contre la vulgarité ou la facilité des nouveaux grands de la presse quotidienne (Le Petit Parisien, Le Journal) et le sensationnalisme agressif et diffamatoire du Matin […] » (Encyclopædia Universalis3).
Peut-être était-ce aussi « pour inciter sa rédaction à creuser les sujets au risque de déplaire, sans crainte de lasser » (O. Maniette4).
Quotidien républicain et conservateur, Le Temps se saborda pendant la Seconde Guerre mondiale, le 30 novembre 1942. « Ses locaux réquisitionnés et son matériel saisi à la Libération permettent le lancement le 18 décembre 1944 du Monde qui le remplace comme organe de référence » (BNF5).
« Longtemps, Le Monde a été l’héritier [du] jansénisme [d’Adrien Hébrard]. Plus personne n’était là pour enjoindre de “faire emmerdant”, mais le style maison refusait toute frivolité. Du gris partout, du gris à satiété. Telle était la norme dans les années 1950 et 1960 » (Le Monde6).
Aujourd’hui, « Faites des phrases courtes » reste de bon conseil. « Faites emmerdant », je suis moins sûr.
Je cite, ci-dessous, trois longs extraits d’Histoire d’un livre (1857), petit ouvrage signé de Jean-Bernard Mary-Lafon, historien, linguiste et dramaturge français (1810-1884). L’auteur se propose de démontrer, à un certain Jean Duval, ancien procureur, et à ses six fils, dont l’un souhaite devenir auteur, que rien n’est plus beau ni plus utile que la carrière d’homme de lettres. Du désir d’être publié à la mise en vente du livre, en passant par les divers ateliers de l’imprimerie, se déroule un aimable récit, volontairement décousu, mêlé de références puisées dans divers ouvrages, dont les Études pratiques et littéraires sur la typographie publiées vingt ans plus tôt par l’imprimeur Georges-Adrien Crapelet. Il y est bien sûr question des correcteurs, notamment à travers deux anecdotes historiques que Mary-Lafon se délecte à raconter…
Une visite de l’ancienne imprimerie de Plantin, à Anvers
« […] je vous peindrai mal l’impression profonde que je rapportai d’une visite faite, en compagnie d’un linguiste célèbre, dans l’ancienne imprimerie de Plantin, à Anvers. C’était le 3 mai 18361 ; le soleil faisait jaillir à travers la brume matinale ces doux rayons d’or qu’aimait tant Rubens. J’attendais depuis une heure avec mon collègue sur la place Vendredi, lorsqu’un homme de bonnes manières, que je sus depuis être un descendant de Plantin, par les femmes, nous introduisit dans le vieil édifice. L’atelier, construit en 1554, est plein de débris poudreux, que nous considérions comme autant de reliques. Il y a là deux presses du temps, cinquante à soixante composteurs en bois, de vieilles galées, des manches de pointes, un trépied et une chaise en bois tors. Nous passâmes ensuite dans le bureau de Plantin, dont les registres et les livres de comptes et d’affaires sont encore rangés sur les tablettes, comme s’il venait de sortir. À côté s’ouvre le cabinet des correcteurs.
La salle des correcteurs du musée Plantin-Moretus, à Anvers, de nos jours. DR.
Juste Lipse par Rubens (Les Quatre Philosophes [détail], vers 1615).
Figurez-vous une assez grande pièce, tendue en cuir doré, avec de ces beaux dessins de la Renaissance, à peine effacés par le temps. Le jour y est superbe, et tout a si fidèlement gardé le cachet du passé qu’en m’approchant du bureau, et fermant les yeux, il me sembla que j’étais derrière Juste Lipse2, courbé sur les épreuves, et que j’entendais ce bon, ce digne Corneille Kilian3, le phénix des correcteurs morts et vivants, murmurer, en se frottant les mains, cette petite satire que je vous traduis du latin :
Nous corrigeons des livres les erreurs, Et nous notons les fautes des auteurs ; Mais un brouillon, que la fureur d’écrire Pour nos péchés dans les lettres attire, De ce bel art faisant un vil métier, Souille la plume et tache le papier. Loin de lécher son ourson, il s’empresse De le jeter dans les bras de la presse ; Et si l’on rit de son avortement, Voilà ce sot de furie écumant. Tout aussitôt il s’en prend pour excuse Au correcteur : c’est lui seul qu’il accuse. — Eh ! mon ami ! laisse le correcteur Débarbouiller les marmots de l’auteur ! C’est bien assez que ce pauvre homme-lige Soit l’ennemi de tous ceux qu’il corrige !…
De ce cabinet, où Corneille Kilian expurgea des épreuves pendant cinquante ans, ce qui suffit, et au delà, pour faire pardonner sa boutade en vers latins contre les brouillons du temps, on nous fit passer dans la salle des ornements typographiques. […] » (p. 47-49)
Récriminations éternelles des auteurs
« Imprimeur corrigeant une épreuve ». Gravure illustrant un extrait du livre de Mary-Lafon publié dans Musée des familles. Lectures du soir, 1849-1850.
« La correction des épreuves est à l’imprimerie ce que l’âme est au corps, ce que la vue est à l’homme. Un fou et un aveugle, en effet, peuvent seuls donner l’idée d’une épreuve corrigée imparfaitement ou sans intelligence. Suivez-moi dans le cabinet relégué au fond de l’imprimerie, et regardez discrètement. Un enfant de Paris, à mine éveillée et mutine sous son tricorne de papier, est là, debout, lisant la copie à haute voix, tandis que le correcteur, courbé, à son bureau, sur l’épreuve, suit attentivement et l’arrête pour noter chaque faute.
Si vous voulez maintenant connaître le résultat de cette première expurgation, hâtons-nous d’accompagner l’épreuve chez l’auteur, et de lui demander ce qu’il en pense… Notre question est à peine formulée que celui-ci répond furieux :
« C’est une espèce de gâteau de plomb à donner mille indigestions littéraires. Vous trouvez dans vos lignes sentimentales des refrains de vaudeville et des débris de conversations les plus grotesques. L’idée écartelée en pages, parquée en lignes, dissipée en mots, hachée par la justification, l’idée qui souriait encore pleure. Elle trouve sa cellule si étroite ! elle se frappe aux barreaux de sa cage4. »
Joachim du Bellay (1522-1560).
Et ne croyez pas que ces plaintes datent d’hier ; elles sont aussi vieilles que l’imprimerie elle-même. Voici, par exemple, un auteur du seizième siècle, Joachim du Belloy, qui s’écriait en 1561 [sic, il est mort l’année précédente] : « Si tu trouves, amy lecteur, quelque faute en l’impression, tu ne t’en dois prendre à moi, qui m’en suis rapporté à la foy d’autruy. Puis, le labeur de la correction est une œuvre telle que tous les yeux d’Argus5ne suffiroient pas pour y voir les fautes qui s’y trouvent. »
Le cardinal Duperron6 ne se plaignit pas, vingt-six ans plus tard, avec moins d’amertume. « Il faut, disait-il, mettre ordre aux imprimeurs ; en ma harangue ils ont imprimé les barbares Grecs, au lieu de barbares Gètes. Ils appellent barbare la nation la plus polie qui ait jamais été ! »
Aussi le grave et savant docteur Hornschuch7, qui corrigeait, en 1608, à Leipsick8, donne à ses confrères de terribles instructions. « Le correcteur, dit-il, doit éviter avec le plus grand soin de s’abandonner à la colère, à la tristesse, à la galanterie, enfin à toutes les émotions vives. Il doit surtout fuir l’ivrognerie ; car y a-t-il un être dont la vue soit plus troublée que cet idiot qui transformait Diane en grenouille : Dianam in ranam ! »
Anecdote sur un correcteur trop investi dans son travail
Page de titre du livre de Conrad Zeltner, 1716.
N’est-il pas vrai qu’en écoutant ces bons conseils on est tenté de parodier le mot de Figaro ? Aux vertus, en effet, que le docteur Hornschuch exige de ses confrères, combien trouverait-on d’imprimeurs, aujourd’hui, dignes d’être correcteurs ?… Je sais bien qu’en me déroulant la glorieuse liste des cent correcteurs illustrés par Conrad Zeltner9, l’excellent Germain dirait, s’il pouvait me répondre, que cette noble profession était embrassée autrefois avec un enthousiasme qui rendait la pratique de toutes les vertus plus facile et tous les sacrifices légers. Et il ne manquerait pas de me citer, après ce Kilian, qu’on vit si délicieusement occupé pendant un demi-siècle à la correction des épreuves, le trait de Frédéric Morel10, petit-neveu de Robert Estienne, qui corrigeait, à ce qu’il parait, une tierce, lorsqu’on vint l’avertir que sa femme allait fort mal. « Un moment, » dit-il à la servante. Ce moment fut si long que le médecin crut devoir se rendre lui-même dans son cabinet pour lui dire de se hâter s’il voulait voir encore sa femme vivante. « Je n’ai plus, répondit-il, que deux mots à écrire. » Quelques instants après, on frappa à la porte du cabinet : mais, cette fois, c’était l’homme de Dieu qui venait lui annoncer que l’infortunée était morte. « J’en suis marri, reprit-il tranquillement en se remettant à son épreuve, c’était une bonne femme ! »
À ce trait historique, les six frères Duval protestèrent à la fois par un cri d’incrédulité. — Vous doutez de ce fanatisme ? — Oui, c’est impossible ! crièrent-ils. comme on fait dans l’Ariége, c’est-à-dire à tue-tête. — Ah ! vraiment ? Et que diriez-vous si je trouvais l’équivalent, sans remonter plus haut que la fin du dernier siècle ? — C’est impossible.
“Un homme dont je suis fier” ou le travail avant tout (bis)
— Écoutez donc : En l’an de grâce 1773, le salon d’Antoine Stoupe11, successeur de Le Breton12, imprimeur ordinaire du Roi, était brillamment illuminé. Le maître imprimeur, comme se qualifiaient modestement les typographes de ce siècle, avait voulu célébrer chez lui la noce de son correcteur Charles Crapelet13. La mariée était si belle, avec sa robe blanche et sa guirlande dont les paillettes étincelaient aux lumières sur sa tête poudrée avec art, ses yeux bleus se baissaient avec une candeur si douce, que toutes les femmes se mordaient les lèvres de dépit, tandis qu’en revanche tous les hommes félicitaient l’heureux époux. Celui-ci, à la stupéfaction générale, paraissait rêveur, morose, contraint, et ses regards se portaient plutôt sur la pendule que sur sa nouvelle compagne. Cette préoccupation n’avait échappé à aucun des convives, mais trois personnes semblaient l’épier surtout avec un intérêt particulier : c’était le maître imprimeur, la mariée et une vieille tante de cette dernière, qui, tout en feignant de regarder les grands personnages verts et jaunes de la tapisserie de laine, ne perdait pas un seul des mouvements du jeune époux. À mesure que l’heure avançait, elle voyait avec effroi son front se rembrunir. Minuit sonne enfin ; il n’y tient plus, et sort précipitamment du salon. Or, jugez maintenant de l’émoi des convives, du désespoir de la mariée, quand on ne le vit pas reparaître.
Tous les yeux se tournèrent vers Stoupe qui, rayonnant de joie, aspirait de longues prises de tabac et regardait la place vide d’un air de triomphe. Le père de la mariée lui demanda bientôt le motif de cette étrange disparition. Pas de réponse. La vieille tante répéta la question avec aigreur, il ne parut pas avoir entendu. Enfin, la mariée s’étant jetée à ses pieds tout en larmes, il la releva, et lui mettant au front un baiser paternel : — Réjouis-toi, ma fille, lui dit-il avec enthousiasme, tu as la perle des maris ! — Un homme qui abandonne sa femme le jour de ses noces ! observa aigrement la vieille. — Oui, Madame, répliqua le maître, trop froid pour s’emporter jamais, trop heureux ce soir-là pour s’émouvoir de l’anxiété générale ; c’est un homme dont je suis fier ! Lorsque l’aiguille marquera trois heures, poursuivit-il, Charles rentrera dans ce salon. La mariée soupira, les parents murmurèrent, chacun des amis fit une remarque tout bas, mais on attendit. Comme trois heures sonnaient, le marié rentra effectivement, ainsi que l’avait annoncé Stoupe. — D’où venez-vous ?… fut le cri qui sortit de toutes les bouches. — Je viens de corriger des épreuves attendues par les imprimeurs, dit-il en regardant tendrement sa jeune femme, qui dut être jalouse, à ce moment, de la typographie.
— Et vous garantissez l’anecdote ? — Oui, Messieurs, m’écriai-je avec l’assurance de Stoupe, car le propre fils du héros, C.-A. [sic, Georges-Adrien] Crapelet, défunt mon collègue à la Société impériale des antiquaires de France, m’a raconté vingt fois le fait dans les mêmes termes, et, non content de l’avoir dit à tout le monde, il l’a imprimé sur vélin dans ses Études typographiques14, ouvrage aussi mauvais d’ailleurs que riche en curieuses recherches. — Je n’en doute pas le moins du monde, pour mon compte, me dit alors le bon Duval, mais il me semble que cette digression vous éloigne du but. — Elle m’y ramène au contraire. Ce même Charles Crapelet, dont il était question tout à l’heure, ayant remarqué que, dans la première feuille d’un Télémaque auquel il donnait tous ses soins, on avait imprimé Pélénope pour Pénélope, faillit attenter à ses jours. » (p. 56-64)
De Lord Byron à… Érasme
Il résulte de ces erreurs de correction des récriminations amères et assez bien fondées, quelquefois, de la part des auteurs. « La moindre faute de typographie me tue, écrivait Byron15 à son éditeur ; corrigez, je vous en conjure, si vous tenez à ne pas me voir me couper la gorge. Ah ! je voudrais que le compositeur fût attaché sur un cheval et accolé à un vampire ! »
Érasme (1466?-1566) par Holbein le jeune, en 1523.
Ces malédictions, que les compositeurs et les correcteurs lui rendaient au centuple, car son écriture était si mauvaise qu’il ne pouvait parvenir à la déchiffrer lui-même, l’illustre auteur de Child-Harold16 ne les eût point lancées contre les ouvriers de Murray17 s’il avait pris la peine de surveiller personnellement l’impression de ses œuvres. Il en était ainsi autrefois. Érasme ne rougit pas de se faire le correcteur de ses propres ouvrages, chez Alde l’ancien ; et au commencement de ce siècle on vit le cardinal Maury18 suivre page à page, ligne à ligne, et en quelque sorte mot à mot, l’impression de son Essai sur l’Éloquence de la chaire.
Il ne se passait pas deux jours, dit l’auteur des Études typographiques, sans qu’il vînt à l’imprimerie, montant rapidement les quatre étages, précédé et suivi d’un laquais en livrée. Il était habituellement en longue soutane violette, avec petit camail en dessous rouge, quelquefois en petit manteau. Il allait discrètement se placer dans le rang de son compositeur, et là, il lui donnait toutes les explications nécessaires sur les corrections, ou plutôt sur la rédaction nouvelle du texte, qui a eu jusqu’à dix ou douze épreuves par feuille.
— Tout cela, fit remarquer M. Duval, qui ne perdait jamais l’occasion d’émettre une opinion juste, tout cela dut prendre beaucoup de temps ! — Deux ans, de 1808 à 1810. […] » (p. 65-67)
Mary-Lafon [Mary-Lafon, Jean-Bernard, 1812-1884], Histoire d’un livre, Paris, Parmantier, 1857, 132 p.
Extrait de l’Avertissement de l’éditeur aux Mémoires du marquis de Beauvau (1690).
Je retranscris tel quel (dans l’orthographe de l’époque) un texte tiré des Mémoires (posthumes) du marquis de Beauvau (1610?-1684), gouverneur de Charles V de Lorraine. Dans son « Avertissement », l’éditeur évoque les risques de contrefaçon de cet ouvrage, qui a déjà connu d’autres éditions, dont « une copie subreptice, pleine de fautes, & presque inintelligible », et se montre, au passage, peu tendre avec les correcteurs de son temps.
Je donne quelques informations sur l’auteur que j’ai trouvées sur le site d’un libraire de livres anciens :
Après avoir pris part, en 1633, à l’expédition des Lorrains en Alsace ; Henri de Beauvau finit par quitter la Lorraine où la situation était intenable à cause des guerres et se rendit à Vienne, où le duc François de Lorraine le chargea de l’éducation des princes Ferdinand et Charles, ses enfants. Il les suivit en Flandres, puis en France et enfin se retrouva en Lorraine en 1662, fut appelé en Bavière en 1668 pour être chargé de l’éducation du Prince électeur. Il ne revint en Lorraine qu’en 1680 et y mourut en 1684. Dans son ouvrage il se montre très instruit des affaires de son temps.
« Pour corriger tout, il auroit falu faire une nouvelle Histoire sur les Memoires de M. de Beauvau. Mais outre qu’on n’avoit pas le temps de s’attacher à cela, on apprehendoit que pendant qu’on seroit occupé à ce travail, quelque autre ne fit imprimer ces Mémoires, & ne les remplit de nouvelles fautes, comme c’est l’ordinaire. On ne sçait que trop les raisons que nous avions de craindre cet accident, & que la plûpart des Correcteurs d’Imprimerie ne sont pas de fort habiles gens, parce que ce métier si necessaire & si utile, n’a rien qui attire les personnes d’esprit. On n’y acquiert ni du bien ni de l’honneur, & cependant il est extrémement penible. Le caractére des Auteurs est ordinairement assez difficile à lire, les Copistes n’entendent point l’Ortographe, les Imprimeurs ne sçavent pas le plus souvent la Langue des Livres sur lesquels ils travaillent : de sorte que quand les Correcteurs sont ignorans, il est presque impossible que les premiéres éditions des Livres ne soient pleines de fautes, & que les secondes qu’on fait en l’absence des Auteurs n’en ayent encore plus. C’est une chose qui a déjà furieusement décrié les impressions de Hollande, & qui achevera de les perdre si l’on n’y prend garde ; je veux dire l’avarice sordide des Libraires, qui les empêche de trouver de bons Ouvriers, parce qu’elle les empêche de les payer. Il est vrai que les Païs Etrangers commencent à ne faire guére mieux ; & il nous vient tous les jours des Livres d’Allemagne & de Paris aussi peu corrects que ceux de Hollande. Si les choses vont à ce train, il n’en faudra pas davantage pour ramener la barbarie & l’ignorance dans nôtre siécle. »
« Avertissement », in Henri de Beauvau, Mémoires du marquis de Beauvau, pour servir à l’histoire de Charles IV, duc de Lorraine et de Bar, Cologne, Pierre Marteau, 1690, non paginé.
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