Signes supérieurs et signes en exposant

Y a-t-il une dif­fé­rence de nature entre, d’une part, les carac­tères supé­rieurs employés dans les abré­via­tions (comme Mlle) et dans les appels de note (1) et, d’autre part, les lettres ou chiffres mis en expo­sant (ou en indice) dans les mesures (km2) ou les for­mules mathé­ma­tiques (x2) ?

Tout le monde ne se lève pas le matin avec cette ques­tion en tête, mais elle appa­raît dans quelques rares forums, aujourd’hui datés d’une ving­taine d’an­nées1

Des termes à distinguer

Jean-Pierre Lacroux (1947-2002) dis­tin­guait fer­me­ment les termes expo­sant et supé­rieur :

Les édi­teurs et les tra­duc­teurs de logi­ciels feignent de l’ignorer mais les typo­graphes fran­çais ont un voca­bu­laire res­pec­table. Ils ne connaissent ni expo­sant ni indice, mais des lettres, des chiffres, des signes supé­rieurs ou infé­rieurs. Les expo­sants des mathé­ma­ti­ciens se com­posent en carac­tères supé­rieurs, les indices en carac­tères infé­rieurs2.

Cepen­dant, le terme en expo­sant est cou­ram­ment employé pour dési­gner le pla­ce­ment d’un signe « en haut et à droite du signe (lettre, chiffre) auquel [il] se rap­porte3 ». Et ce n’est pas d’hier. Pour ne don­ner qu’un exemple, dans sa Gram­maire typo­gra­phique (4e éd., 1989), Aurel Ramat (1926-2017) emploie bien le terme de « lettres supé­rieures », mais le signe de cor­rec­tion cor­res­pon­dant, il l’ap­pelle « exposant ». 

signe "exposant" dans la "Grammaire typographique" (1989) d'Aurel Ramat
Signe de cor­rec­tion « expo­sant » dans la Gram­maire typo­gra­phique d’Au­rel Ramat, 3e éd., 1989, p. 26.

Formes et emplois différents

La dis­tinc­tion à opé­rer est clai­re­ment expri­mée par le Guide du typo­graphe (20154) :

Les expo­sants, ou les indices, sont des chiffres ou des lettres sur­éle­vés, res­pec­ti­ve­ment abais­sés, par rap­port à la ligne de base, uti­li­sés en mathé­ma­tiques, où ils peuvent être du même corps que le texte de base, ou en chi­mie où ils sont géné­ra­le­ment d’un corps plus petit.

En com­pa­rai­son, les lettres et chiffres supérieurs : 

sont uti­li­sés dans le texte comme appel[s] de notes ou comme ordi­naux. Ils […] dif­fé­rent [des expo­sants et indices] par un des­sin spé­ci­fique et ce ne sont pas que des lettres réduites. Toutes les fontes n’en sont pas pour­vues et par­fois il faut se résoudre à uti­li­ser les expo­sants ou les indices à leur place, voire les lettres de base en les paran­gon­nant (c’est-à-dire en les éle­vant ou en les abais­sant par rap­port à la ligne de base), en dimi­nuant leur corps et en aug­men­tant leur graisse pour qu’ils ne paraissent pas trop malingres à ces petites tailles.

Ce pro­blème exis­tait déjà à l’é­poque du plomb. Émile Desormes (1850-19..) défi­nit les lettres ou chiffres supé­rieurs comme « les expo­sants algé­briques dont on use géné­ra­le­ment pour les appels de notes […]5 ». On com­po­sait avec les moyens du bord.

Un peu d’histoire

Les lettres supé­rieures étaient « fon­dues sur le corps du carac­tère employé » (Dau­pe­ley-Gou­ver­neur, 18806) et pré­sentes dans la casse pari­sienne (en nombre limité). 

Patrick Bideault et Jacques André expliquent :

[…] On trouve de telles « supé­rieures » dans les casses d’imprimeurs dès le xviie siècle. Par ailleurs, dès le début du xvie siècle, les appels de note sont mar­qués par des signes supé­rieurs comme « * », « a » « † », etc. Vers 1750, Four­nier pro­pose 4 (vraies) supé­rieures (aers) ; la casse pari­sienne, qui a duré en gros de 1850 à 1950, en comp­tait 8, appe­lées rosel­mit 7 ou eil­morst selon l’ordre de ran­ge­ment dans les casses ; en 1934, Bros­sard en énu­mère 16 dif­fé­rents (a c d e f g h i k l m n o r s t) dans une police stan­dard – elles suf­fi­saient pour les abré­via­tions cou­rantes8.

Casse parisienne publiée par Émile Desormes (1895), avec les lettres supérieures en haut à droite
Casse pari­sienne. Dans le rang du haut, à droite, on voit les lettres supé­rieures e i l m o r s t. Émile Desormes, Notions de typo­gra­phie à l’u­sage des écoles pro­fes­sion­nelles, 3e éd., 1895, p. 3.

On note­ra cepen­dant qu’il manque tou­jours le g pour Mgr et le v pour Vve. Or, ces abré­via­tions sont bien com­po­sées avec des lettres finales supé­rieures dans les manuels typo­gra­phiques du xixe siècle. Pui­sait-on celles-ci dans les casses réser­vées aux tra­vaux scien­ti­fiques ? ou les com­man­dait-on spé­cia­le­ment ? Je l’i­gnore. Cela devait sans doute dépendre des ateliers.

Hen­ri Four­nier (1800-1888) explique que les lettres supérieures :

[…] ne servent ordi­nai­re­ment que comme signes d’a­bré­via­tion. Les plus usi­tées sont l’e, l’o, le r et le s ; et, à moins d’une matière spé­ciale, il n’y en a que d’un petit nombre de sortes qui fassent par­tie des fontes. Les autres ne sont en usage que pour les ouvrages scien­ti­fiques, et elles se com­mandent par­ti­cu­liè­re­ment pour des cas sem­blables9.

Les chiffres supé­rieurs, eux, n’existaient pas dans la casse. Ils « […] ne sont d’habitude fon­dus que sur com­mande spé­ciale, de même que les chiffres infé­rieurs, usi­tés dans cer­tains tra­vaux algé­briques » (Dau­pe­ley-Gou­ver­neur, op. cit.). C’est pour­quoi on était obli­gé de « bri­co­ler » au plomb comme aujourd’­hui sur ordinateur.

Quelle taille ? quelle position ? 

La taille des signes supé­rieurs ou en expo­sant n’est jamais pré­ci­sée dans les sources, anciennes ou modernes, que j’ai consul­tées. « Petit œil », « moindre corps », « carac­tères plus petits » sont les seules indi­ca­tions don­nées. Cepen­dant, James Feli­ci (200310) décrit les carac­tères supé­rieurs « spé­cia­le­ment des­si­nés » comme ayant une taille « de 30 à 50 % infé­rieure à celle des carac­tères “nor­maux” ».

Quant à la posi­tion ver­ti­cale res­pec­tive des uns et des autres, c’est encore Feli­ci qui en informe le plus clai­re­ment : idéa­le­ment, les signes supé­rieurs devraient être ali­gnés par rap­port au haut des jam­bages supé­rieurs11, alors que les expo­sants devraient être cen­trés par rap­port à lui.

Position idéale d'un chiffre supérieur et d'un exposant, selon Felici (2003). Exemple réalisé avec la police Minion Pro dans InDesign.
Posi­tion idéale d’un chiffre supé­rieur et d’un expo­sant, selon Feli­ci (2003). Exemple réa­li­sé avec InDe­si­gn et la police Minion Pro.

Divergences esthétiques

Les vrais carac­tères supé­rieurs ne sont dis­po­nibles que dans les polices Open­Type. Pour cer­tains, comme la typo­graphe et gra­phiste Muriel Paris, « la tri­che­rie pro­po­sée par les appli­ca­tions est tout à fait accep­table12 ». Pour d’autres, comme Feli­ci, l’œil de ces lettres obte­nues par réduc­tion homo­thé­tique n’est pas assez gras (sur la notion d’œil, voir mon article). 

C’é­tait notam­ment l’a­vis de Lacroux (op. cit.) : 

Il vaut mieux employer les « vraies » lettres supé­rieures, dont le des­sin devrait — en prin­cipe… — offrir des cor­rec­tions optiques […], mais rares sont ceux qui perdent leur temps à aller pêcher de vraies lettres supé­rieures dans les polices « expert ». Dans quelques années, quand les polices auront enfin acquis une saine cor­pu­lence et les logi­ciels de bons réflexes, la situa­tion s’améliorera…

Contraintes techniques actuelles

Com­pa­rons les supé­rieures impri­mées dans le manuel de Daniel Auger (197613), alors pro­fes­seur à l’é­cole Estienne, aux carac­tères en « exposant/supérieur14 » cal­cu­lés par le logi­ciel Adobe InDe­si­gn15 puis aux supé­rieures acces­sibles dans les polices Open­Type (ici, Minion Pro) : 

À gauche, les supérieures traditionnelles (Auger, 1976) ; à droite, les supérieures calculées par InDesign puis les supérieures de la police expert Minion Pro.
À gauche, les supé­rieures tra­di­tion­nelles (Auger, 1976) ; à droite, les supé­rieures cal­cu­lées par InDe­si­gn sui­vies de celles de la police expert Minion Pro.

Si les supé­rieures cal­cu­lées paraissent, en effet, « accep­tables », elles sont « très ténu[e]s » (Feli­ci). Les supé­rieures expert, elles, sont plus proches du modèle traditionnel.

Si l’on ne dis­pose pas de ces der­nières, on peut créer les siennes (ou deman­der au gra­phiste de le faire), avec des lettres d’un corps 30 à 50 % infé­rieur au corps cou­rant, dans une variante semi-grasse, déca­lées à la bonne hau­teur. Pour InDe­si­gn, voir « Créa­tion d’un jeu de glyphes per­son­na­li­sé » dans l’aide en ligne.

Dans un contexte où la pro­duc­tion de docu­ments, sou­vent des­ti­nés à la fois à l’im­pres­sion et à la dif­fu­sion numé­rique, favo­rise la vitesse d’exé­cu­tion, il n’est pas tou­jours aisé au cor­rec­teur d’im­po­ser la dis­tinc­tion entre supé­rieur et expo­sant. Mais, dans l’é­di­tion soi­gnée, il a plus de chances de faire valoir son point de vue. 

Article modi­fié le 3 avril 2024.


  1. Voir notam­ment « Quelle est la dis­tinc­tion fon­da­men­tale entre “expo­sants” et “supé­rieurs” ? », Typo­gra­phie, 5 jan­vier 1999, repro­duit dans Ortho­ty­po­gra­phie, art. « Expo­sant ». — « Lettres supérieures/inférieures = exposants/indices ? », forum­smacg, 20 juin 2006. —  « Nota­tion nombre et expo­sant », fr.lettres.langue.francaise, « il y a 20 ans » (s. d.)., et encore « Expo­sant et lettre supé­rieure », Typo­gra­phie, 10 juin 2012. ↩︎
  2. « Expo­sant », Ortho­ty­po­gra­phie, en ligne. Consul­té le 31 mars 2024. ↩︎
  3. Dic­tion­naire ency­clo­pé­dique du livre, III, Pas­cal Fou­ché, Daniel Péchoin et Phi­lippe Schu­wer (dir.), Paris : éd. du Cercle de la librai­rie, 2011, p. 785. ↩︎
  4. Groupe de Lau­sanne de l’As­so­cia­tion suisse des typo­graphes (AST), 7e éd., p. 238. ↩︎
  5. Notions de typo­gra­phie à l’u­sage des écoles pro­fes­sion­nelles, 3e éd., Paris : École pro­fes­sion­nelle Guten­berg, 1895, p. 3. ↩︎
  6. Le Com­po­si­teur et le Cor­rec­teur typo­graphes, Paris : Rou­vier et Logeat, p. 33. ↩︎
  7. « Cette énu­mé­ra­tion lue comme un acro­nyme (les rosel­mit) est deve­nue un syno­nyme, aujourd’hui vieilli, de lettres supé­rieures. » — Dic­tion­naire ency­clo­pé­dique du livre, op. cit. ↩︎
  8. « La fonte de ce numé­ro : Infi­ni. Ana­lyse des pro­prié­tés d’une fonte Open­Type », La Lettre GUTen­berg, no 45, mai 2022, p. 65. ↩︎
  9. Trai­té de la typo­gra­phie, 3e éd. corr. et augm., Tours : A. Mame et fils, 1870, p. 62-63. ↩︎
  10. Le Manuel com­plet de typo­gra­phie, Peach­pit Press, p. 201-202. ↩︎
  11. Dans son exemple, le Guide du typo­graphe place les appels de note au-des­sus de la hau­teur d’x. ↩︎
  12. « Pense-bête typo avant impres­sion ou l’art du “rechercher/remplacer” », site Typo­ma­nie, s. d. Consul­té le 31 mars 2024. ↩︎
  13. Pré­pa­ra­tion de la copie et cor­rec­tion des épreuves, Paris : INIAG, p. 146. ↩︎
  14. Adobe InDe­si­gn confond les deux modes de cal­cul, contrai­re­ment à Quark­Press. Voir la des­crip­tion de la « zone Expo­sant » et celle de la « zone Supé­rieur » dans le Guide Quark­Press en ligne. Consul­té le 31 mars 2024. ↩︎
  15. Depuis vingt ans, c’est le logi­ciel de PAO le plus uti­li­sé. ↩︎

Guillemets français, chevrons simples et crochets triangulaires

De haut en bas et de gauche à droite : guille­mets fran­çais (en che­vrons doubles), guille­mets en che­vrons simples, signes mathé­ma­tiques de com­pa­rai­son et cro­chets triangulaires.

Nota : Cet article assez long regroupe des consi­dé­ra­tions sur des signes peu connus, mais cou­sins des guille­mets fran­çais. Il ne s’a­git pas, à stric­te­ment par­ler, d’une leçon d’orthotypographie.

Cha­cun sait que les guille­mets dits « fran­çais1 » sont des signes en che­vrons doubles, « » (motif qui évoque aus­si, chez nous, le logo de Citroën). Ils « appa­raissent à par­tir de la fin du xviiie siècle et deviennent majo­ri­taires vers la fin du xixe siècle » (Wiki­pé­dia2). 

On les oppose aux guille­mets dits « anglais », en apos­trophes simples, ‘ ’, ou doubles, “ ”.

Guillemets et citations

De nos jours, en France, les guille­mets en che­vrons doubles sont d’usage majo­ri­taire pour déli­mi­ter les cita­tions — même s’il existe d’autres pos­si­bi­li­tés (ita­lique, corps infé­rieur, etc.3) moins employées.

Dans le cas où un texte com­prend une cita­tion et une sous-cita­tion enchâs­sée dans la pre­mière, l’usage le plus cou­rant, aujourd’­hui, est d’employer les guille­mets fran­çais pour la cita­tion et les guille­mets anglais pour la sous-cita­tion. Chaque cita­tion est close par son guille­met fermant.

Intro­duc­tion : « Cita­tion : Sous-cita­tion. »

C’est, notam­ment, le choix de Louis Gué­ry4 (qui a for­mé des géné­ra­tions de jour­na­listes). Par contre, l’Imprimerie natio­nale — pour qui les guille­mets anglais doivent n’être employés qu’« excep­tion­nel­le­ment » dans un texte fran­çais — enchâsse les guille­mets fran­çais et pré­cise : « Si les deux cita­tions se ter­minent ensemble, on ne com­po­se­ra qu’un guille­met fer­mant5 » : 

Et La Fon­taine de conclure l’anecdote qu’il rap­porte sur son ins­pi­ra­teur : « Cette raille­rie plut au mar­chand. Il ache­ta notre Phry­gien trois oboles et dit en riant : « Les dieux soient loués ! Je n’ai pas fait grand acqui­si­tion, à la véri­té ; aus­si n’ai-je pas débour­sé grand argent. »

« Exemple par­ti­cu­liè­re­ment curieux », note l’utilisateur Mar­cel sur Dis­po­si­tion de cla­vier bépo6, car « si le texte conti­nue, on aura du mal à savoir qui parle, de La Fon­taine ou du narrateur ».

Guillemets en chevrons simples

Pour enca­drer une sous-cita­tion, d’autres signes seraient pos­sibles, mais ils sont igno­rés par la plu­part des manuels typo­gra­phiques fran­çais — de même qu’au Qué­bec7. Il s’agit des che­vrons simples. (Ils sont espa­cés comme les guille­mets ordinaires.)

 C’est pour­tant ce que pré­co­nisent les typo­graphes romands8 : 

Lorsque, à l’intérieur d’une cita­tion, s’en pré­sente une deuxième, nous pré­co­ni­sons l’usage de guille­mets simples ‹ › pour signa­ler celle-ci. […]
Lorsqu’un mot entre guille­mets se trouve à la fin d’une cita­tion, le guille­met fer­mant se confond avec le guille­met final : […]
Le sélec­tion­neur de l’équipe natio­nale affirme : « Les hommes que nous avons choi­sis sont tous des  bat­tants. » 9

Pour la gra­phiste et typo­graphe Muriel Paris, « pro­fi­ter de l’exis­tence, dans les polices de carac­tères, des signes doubles et signes simples », c’est « choi­sir la sobrié­té »10.

Le typo­graphe Jan Tschi­chold (1902-1974) prô­nait, lui, l’ordre inverse : 

Je pré­fère la manière sui­vante : ‹ – « » – › , de même que je donne la pré­fé­rence aux guille­mets simples de cette forme : ‹ › 11.

Des guillemets d’ironie spécifiques

Outre l’a­van­tage de la cohé­rence gra­phique entre che­vrons doubles et simples, cet emploi pré­sen­te­rait celui de réser­ver aux guille­mets anglais le rôle que, spon­ta­né­ment, nombre d’auteurs leur donnent, celui de guille­mets d’ironie

Ex. : Il m’a dit : « Je ne suis pas n’importe qui. »

Les guille­mets d’ironie, dits aus­si guille­mets iro­niques, dési­gnent une uti­li­sa­tion par­ti­cu­lière des guille­mets pour indi­quer que le terme ou l’expression mis en exergue n’a pas sa signi­fi­ca­tion lit­té­rale ou habi­tuelle et n’est pas néces­sai­re­ment cité d’une autre source. Les guille­mets d’ironie marquent la dis­tance, l’ironie, le mépris que l’auteur veut mon­trer vis-à-vis de ce qu’il cite. Ils ont un pou­voir de dis­tan­cia­tion et indiquent les réserves de l’auteur par rap­port à un mot ou à une expres­sion (Wiki­pé­dia12).

Employer le même signe pour deux usages dif­fé­rents dans le même contexte est contraire à la recherche de lisi­bi­li­té maxi­male, vers quoi doit tenir l’orthotypographie :

[…] cette mode selon laquelle les mêmes guille­mets servent tan­tôt pour mar­quer une cita­tion ou un terme cité, tan­tôt un terme cri­ti­quable dont on met en ques­tion la signi­fi­ca­tion habi­tuelle, n’a-t-elle pas tout pour fâcher celles et ceux d’entre nous qui aiment la rigueur plu­tôt que l’ambiguïté ? […]
Pour la clar­té du dis­cours écrit, il est recom­man­dable d’utiliser les ‹ … › pour les cita­tions de deuxième niveau, et de réser­ver les “…” aux guille­mets d’ironie s’il convient d’en mettre. En voyant des “…”, la lec­trice et le lec­teur peuvent se rendre compte immé­dia­te­ment que ce n’est pas don­né comme une cita­tion. Effet à évi­ter donc à l’intérieur des cita­tions, sauf si la per­sonne citée aurait mis des guille­mets d’ironie à l’écrit (« Mar­cel », tou­jours13).

D’autres chevrons simples

D’un point de vue gra­phique, les guille­mets en che­vrons simples sont en concur­rence avec d’autres, les signes mathé­ma­tiques de com­pa­rai­son (infé­rieur à, <, et supé­rieur à, >).

J’é­voque là des usages mécon­nus des non-pro­fes­sion­nels de l’édition. 

Le Ramat en parle tout de même14 :

On peut uti­li­ser les che­vrons simples (sans espaces inté­rieures) pour entou­rer une adresse de site. Si l’adresse ter­mine la phrase, on met un point final après le che­vron simple fer­mant. 
Mon site est le sui­vant : <www.ramat.ca>. […]
Le che­vron fer­mant (avec espaces) est uti­li­sé pour décrire les opé­ra­tions infor­ma­tiques
Accueil > Insé­rer > Forme > Rec­tangles (Pour des­si­ner un rec­tangle dans Word.

On emploie éga­le­ment le signe supé­rieur à, >, dans les « fils d’ariane », c’est-à-dire les che­mins d’accès à une page Web15

Ex. : Pour savoir quels ouvrages je recom­mande aux cor­rec­teurs, voir mon site > Accueil > La biblio­thèque du correcteur.

Dans son « Que sais-je ? » sur La Ponc­tua­tion16, Nina Catach a employé ces mêmes che­vrons pour citer des signes de ponc­tua­tion. Ex. : <“ ”> (elle cite les guille­mets anglais).

Un domaine particulier : la philologie

Un usage encore plus spé­ci­fique ne concerne que la phi­lo­lo­gie

En phi­lo­lo­gie, pour l’é­di­tion scien­ti­fique d’un texte, le che­vron marque géné­ra­le­ment les mots ou groupes de mots ajou­tés dans le texte par conjec­ture. Les lacunes peuvent éga­le­ment être indi­quées par un groupe de trois asté­risques entou­rées par des che­vrons (<***>). — Wiki­pé­dia17.

Lorsqu’on emploie les che­vrons pour signi­fier la sup­pres­sion de mots [par l’au­teur du texte étu­dié, et non par l’é­di­teur], on les appelle aus­si cro­chets de res­ti­tu­tion — Vitrine lin­guis­tique18.

Les che­vrons sont aus­si employés en lin­guis­tique pour mar­quer la paren­té entre deux mots (amare > aimer)19 ou « pour indi­quer les gra­phèmes ou les trans­crip­tions gra­phiques20 ».

Une découverte : les crochets triangulaires

Enfin, il faut men­tion­ner les cro­chets tri­an­gu­laires, encore plus rares, dont j’ai décou­vert l’exis­tence dans la Gram­maire typo­gra­phique (1952) de Jules Denis21

Dans les édi­tions phi­lo­lo­giques de textes, on indique par­fois entre paren­thèses, ( ), les lettres ou les mots que l’éditeur consi­dére comme devant être omis, et entre cro­chets, [ ], les lettres ou les mots qu’il ajoute au docu­ment repro­duit. 
Un autre pro­cé­dé consiste à employer, dans ce genre de tra­vaux, deux sortes de cro­chets ; les cro­chets droits, [ ], enfer­mant des lettres ou des mots exis­tant dans les manus­crits, mais qui sont à exclure ; les cro­chets tri­an­gu­laires ⟨ ⟩, enfer­mant des lettres ou des mots ne figu­rant dans aucun manus­crit, mais qui sont réta­blis par conjecture. 

Chevrons simples enchâssés : de l'extérieur vers l'intérieur, guillemets simples, signes mathématiques de comparaison et crochets triangulaires.
Che­vrons simples enchâs­sés : de l’ex­té­rieur vers l’in­té­rieur, guille­mets simples, signes mathé­ma­tiques de com­pa­rai­son et cro­chets triangulaires.

On note­ra que les cro­chets choi­sis par Jules Denis, cor­rec­teur de l’im­pri­me­rie Georges Thone à Liège, ont une forme dif­fé­rente à la fois des guille­mets en che­vrons simples et des signes de com­pa­rai­son. Ce sont, eux aus­si, des signes mathématiques :

Les deux che­vrons ⟨ ⟩ sont uti­li­sés pour noter le pro­duit sca­laire, ou pour annon­cer une pré­sen­ta­tion d’un groupe fini­ment engen­dré » — Wiki­pé­dia22.

Dans le cas pré­cis — raris­sime, je le rap­pelle — où un cor­rec­teur serait ame­né à relire des tra­vaux phi­lo­lo­giques employant des che­vrons simples, je lui conseille­rais de pri­vi­lé­gier ces cro­chets tri­an­gu­laires, car gra­phi­que­ment ils s’ap­pa­rient mieux avec les cro­chets car­rés que les che­vrons mathé­ma­tiques. Pré­ci­sons tou­te­fois qu’ils sont dis­po­nibles dans peu de polices (pour mes illus­tra­tions, j’ai uti­li­sé Apple Symbols).

Article mis à jour le 22 mars 2024.


  1. On les dit aus­si « typo­gra­phiques », par oppo­si­tion aux guille­mets dac­ty­lo­gra­phiques ou droits. ↩︎
  2. « His­toire », art. « Guille­met », Wiki­pé­dia. Consul­té le 11 mars 2024 ↩︎
  3. Voir Lexique des règles en usage à l’Im­pri­me­rie natio­nale, Impri­me­rie natio­nale, 2022, p. 49. Pour les autres usages des guille­mets, se réfé­rer aux manuels habi­tuels. ↩︎
  4. Dic­tion­naire des règles typo­gra­phiques, 5e éd., edi­Sens, 2019, p. 238. ↩︎
  5. Lexique des règles en usage à l’Im­pri­me­rie natio­nale, op. cit., p. 51. ↩︎
  6. Uti­li­sa­teur Mar­cel, « Guille­mets che­vrons simples », Dis­po­si­tion de cla­vier bépo. Consul­té le 11 mars 2024. ↩︎
  7. « Si la cita­tion prin­ci­pale est enca­drée de guille­mets fran­çais (« »), la meilleure façon d’in­di­quer la cita­tion interne est de l’en­ca­drer de guille­mets anglais (“ ”). » — « 7.2.6 Cita­tion double », Le Guide du rédac­teur, TERMIUM Plus. Consul­té le 11 mars 2024.   ↩︎
  8. Guide du typo­graphe, 7e éd., Groupe de Lau­sanne de l’As­so­cia­tion suisse des typo­graphes, 2015, § 610, p. 99. — En France, cet usage relève de choix sin­gu­liers. En 2022, lors d’une dis­cus­sion dans la liste de dif­fu­sion Typo­gra­phie de l’In­ria, Benoît Lau­nay, direc­teur artis­tique au CNRS, écrit : « Per­son­nel­le­ment, j’ap­pré­cie ces guilles et m’en sert dans les publi­ca­tions du CNRS que je réa­lise. » Jacques Melot lui répond : «  Il est évident que ces guille­mets simples qui n’ont pas d’u­sage en fran­çais vont évo­quer une sorte de bali­sage des­ti­né à un effet spé­cial comme lors­qu’il s’a­git d’at­ti­rer l’at­ten­tion du lec­teur sur le texte en tant que tel dans une pro­duc­tion didac­tique par exemple, c’est-à-dire avoir un effet de ralen­tis­se­ment sur la lec­ture, irri­tant sans aucun doute une par­tie appré­ciable des lec­teurs. C’est tout bon­ne­ment anti­ré­dac­tion­nel ! » — Le cher­cheur indé­pen­dant Jean Méron (mort en 2022 — voir mon article) les uti­li­sait aus­si dans ses textes. Sur le sujet, on lira d’ailleurs, avec pro­fit, son article « En ques­tion : le gram­maire typo­gra­phique — Les guille­mets », du 14 juin 1999, dont un PDF est dis­po­nible sur le site de la Liste Typo­gra­phie. ↩︎
  9. Pour sim­pli­fier ma démons­tra­tion, je ne conserve volon­tai­re­ment que le second exemple. La rup­ture de pari­té des guille­mets, ren­for­cée par leur dif­fé­rence gra­phique, est per­tur­bante pour le cor­rec­teur fran­çais. ↩︎
  10. Le Petit Manuel de com­po­si­tion typo­gra­phique, ver­sion 3, autoé­di­té, 2021, p. 77. ↩︎
  11. Jan Tschi­chold, Livre et typo­gra­phie, trad. de l’al­le­mand par Nicole Casa­no­va, Allia, 2018, p. 125. ↩︎
  12. « Guille­mets d’i­ro­nie », art. « Guille­met », Wiki­pé­dia, cité. Leur nom anglais est scare quotes. Ils ont été inven­tés par l’A­mé­ri­caine Eli­sa­beth Ans­combe en 1956. — « His­to­ry », art. « Scare Quotes », Wiki­pe­dia (EN). Consul­té le 11 mars 2024. ↩︎
  13. Uti­li­sa­teur Mar­cel, art. cité.  ↩︎
  14. Aurel Ramat et Anne-Marie Benoit, Le Ramat de la typo­gra­phie, 11e éd., A.-M. Benoit éd., 2017, p. 195. ↩︎
  15. « Che­vrons », Vitrine lin­guis­tique. Consul­té le 11 mars 2024. ↩︎
  16. PUF, 1994, p. 77. ↩︎
  17. « Usage phi­lo­lo­gique », art « Che­vron (typo­gra­phie) », Wiki­pé­dia. Consul­té le 11 mars 2024. ↩︎
  18. « Che­vrons », Vitrine lin­guis­tique, art. cité. J’ai écar­té la pré­ci­sion qui suit : « Cer­tains édi­teurs pré­fèrent employer les cro­chets ; cepen­dant, si on opte pour ce signe, il faut expli­quer qu’il s’agit d’un mot qui avait été sup­pri­mé par l’auteur, et non d’un ajout de l’éditeur, puisqu’on emploie géné­ra­le­ment les cro­chets pour enca­drer les com­men­taires et les modi­fi­ca­tions appor­tées par l’éditeur. » — Jacques Drillon fait une remarque équi­va­lente (Trai­té de la ponc­tua­tion fran­çaise, Gal­li­mard, 1991, p. 280-281). ↩︎
  19. « Che­vrons », Vitrine lin­guis­tique, art. cité. ↩︎
  20. « Che­vron (typo­gra­phie) », Wiki­pé­dia, art. cité. ↩︎
  21. Éd. Georges Thone, p. 177. ↩︎
  22. « Usage mathé­ma­tique », art. « Che­vron (typo­gra­phie) », Wiki­pé­dia, art. cité. ↩︎

Usages anciens de l’esperluette et de l’abréviation “etc.”

Aujourd’hui, les codes typo­gra­phiques réservent l’emploi de l’esper­luette à l’é­cri­ture des rai­sons sociales (Dupont & fils) et à leurs déri­vés (noms com­mer­ciaux, enseignes1), d’où l’autre nom de ce signe : « et com­mer­cial ». Cepen­dant, sa forme séduit les gra­phistes, qui en font un usage plus large.

Les manuels pros­crivent aus­si la répé­ti­tion d’etc. à l’écrit, qua­li­fiée d’i­nu­tile, alors qu’on la pra­tique cou­ram­ment à l’o­ral, au point que « dans les pro­pos attri­bués à un per­son­nage, un seul etc. semble[rait] aujourd’­hui incon­gru, inso­lite » (Jean-Pierre Coli­gnon, Un point, c’est tout !, 2018, p. 113). 

Ces règles n’ont pas tou­jours été en vigueur. 

esperluette et abréviations "&c." sur la couverture d'un livre de 1783
Esper­luette et abré­via­tions &c. sur la cou­ver­ture du livre Des­crip­tion his­to­rique et géo­gra­phique de la ville de Mes­sine…, 1783.

Ain­si, sur la cou­ver­ture de ce livre de 1783, on compte une esper­luette employée comme conjonc­tion de coor­di­na­tion (à l’a­vant-der­nière ligne) et pas moins de cinq abré­via­tions &c. — abré­via­tion d’abréviation, donc, puisque etc. abrège déjà et cæte­ra (ou et cete­ra). On note­ra au pas­sage qu’elles ne sont pas sépa­rées par des vir­gules. Cette abré­via­tion a aujourd’­hui dis­pa­ru — de même que les s longs (ſ et non f) qu’on peut voir dans le mot désastre du titre. 

Rap­pe­lons que l’esperluette, liga­ture des lettres et, remonte à l’Antiquité et était très employée par les moines copistes au Moyen Âge pour gagner du temps. 

répétition d'etc. dans le "Journal officiel" du 1er mai 1874
Répé­ti­tions d’etc. dans le Jour­nal offi­ciel de la Répu­blique fran­çaise, 1er mai 1874.

Une siècle plus tard, on trouve encore aisé­ment des répé­ti­tions d’etc. dans les jour­naux les plus sérieux, y com­pris dans le Jour­nal offi­ciel (pho­to ci-des­sus).

Autre inter­dic­tion des codes typo­gra­phiques actuels : faire suivre etc. de points de sus­pen­sion, « car cela consti­tue un pléo­nasme qu’on ne sau­rait rache­ter ni au nom de l’“expression lit­té­raire”, ni au nom d’un illu­soire “ren­for­ce­ment de l’i­dée”… qui échap­pe­ra au lec­teur » (Coli­gnon, op. cit., p. 112). Mais cela res­tait cou­rant dans les jour­naux du xixe siècle et du début du xxe siècle.

Série d'etc. suivis de points de suspension, dans "Le Carnet de la semaine", 1er mai 1931.
Série d’etc. sui­vis de points de sus­pen­sion, dans Le Car­net de la semaine, 1er mai 1931.

Il arrive même qu’on trouve dans des jour­naux ou livres anciens plus de trois points de sus­pen­sion, ce qui est encore une inter­dic­tion actuelle.

Cinq points de sus­pen­sion dans Illu­sions per­dues, de Bal­zac, Vve A. Hous­siaux, 1874.

La typo­gra­phie s’est assagie.

Article mis à jour le 6 novembre 2023.


  1. Sur les dif­fé­rences entre ces termes, voir L-expert-comptable.com. ↩︎

Un poème fête la naissance du “Code typographique”, 1928

En mai 19281, le Code typo­gra­phique tant atten­du a enfin paru, sur les bords de la Garonne, à Bor­deaux. Émile Ver­let, pré­sident (depuis février 1925) de la com­mis­sion char­gée de sa rédac­tion, peut souf­fler… et se féli­ci­ter de cette nais­sance dif­fi­cile en publiant un poème (pour nos confrères, tout était pré­texte à rimer). Comme le rap­pelle en intro­duc­tion Eugène Gre­net, pré­sident de la Socié­té ami­cale des protes et cor­rec­teurs de France, dans la Cir­cu­laire des protes (no 336, août 1928) où paraît ce texte, « le pre­mier essai de réa­li­sa­tion du Code typo­gra­phique fut entre­pris par l’Ami­cale, ain­si qu’en avait déci­dé le Congrès de […] Nantes en 1908. […] ». Par suite de polé­miques, « cette œuvre ne put alors être menée à sa fin ». Cela explique le pre­mier vers du poème ci-dessous.

Annonce de la parution du "Code typographique", mai 1928
Pre­mière annonce de la paru­tion du Code typo­gra­phique, Cir­cu­laire des protes, mai 1928.

LE CODE TYPOGRAPHIQUE

Amis, il a bientôt vingt ans,
Sa carrière commence
Et c’est fou quand on pense
À ce qu’il a fallu de temps
Pour défaire et refaire
Ce qu’on voulait parfaire.

On a cherché quinze ans son nom :
« Méminto [sic] » ou bien « Code »,
« Marche à suivre »… la mode…
Toujours les typos disent : « Non ! »
Pourtant, quinze ans, ça lasse
Et « Code », à la fin, passe.

Puis intervint la Commission,
Travaillant en silence,
Usant son éloquence
Pour obtenir la permission
De quitter sa famille
Avant sa camomille.

On rentrait tard… après minuit,
En portant bas l’oreille :
L’épouse est là qui veille
Pour voir si l’on s’est mal conduit,
Et son œil italique
Interdit la réplique !

Après l’aride abréviation,
Ce fut la capitale
— La faute capitale —
Puis notes, nombres, division,
Parsemés d’italique :
C’en était fantastique !

Oui, trois ans nous avons lutté
De façon exemplaire,
Toujours pour satisfaire
Notre femme et la Faculté.
Oyez notre misère,
Voyez notre calvaire !

Toulouse2, avec tes troubadours,
Veux-tu mettre à la mode
Ce petit, petit Code
En le parant de tes atours ?
Fais que sur la Garonne
Bientôt l’olifant tonne !

Que chacun vibre à ses échos :
Réalisons ce rêve
De proclamer la trêve
Entre correcteurs et typos !
Et vous, frondeurs du Livre,
Aidez le Code à vivre !

E. VERLET.

☞ Voir aus­si Qui crée les codes typographiques ?


À la recherche du code typo perdu 

Un article de la BnF consa­cré à l’his­toire de la typo­gra­phie (signé Danièle Mer­met, non daté) écrit : 

« Un autre fils de Fran­çois [Didot], Pierre Fran­çois [1731-1795, dit le jeune], crée un des pre­miers codes typo­gra­phiques à l’u­sage des cor­rec­teurs. »

Les Didot forment une dynas­tie d’imprimeurs qui, jus­qu’au xixe siècle, appor­te­ront « de nom­breuses inno­va­tions tech­niques à l’in­dus­trie pape­tière, à l’im­pri­me­rie et à la typographie ».

L’Ency­clo­pé­die Larousse reprend cette infor­ma­tion, avec des ita­liques : « Il créa éga­le­ment le pre­mier Code des cor­rec­tions typo­gra­phiques », mais en l’at­tri­buant à l’un des petits-fils de Fran­çois Didot, Pierre (1761-1853).

Un code typo­gra­phique au xviiie siècle ? Voi­là qui bous­cule mes connais­sances, le pre­mier « code typo » pro­pre­ment dit datant, pour moi, de 1928 — après une série de « manuels typo­gra­phiques » au xixe siècle. ☞ Voir Qui crée les codes typographiques ?

Silence des catalogues 

« Sou­cieux d’apporter le plus grand soin aux ouvrages qu’il impri­mait, Pierre Fran­çois Didot com­po­sa et publia un petit ouvrage à l’adresse des cor­rec­teurs d’épreuves : Pro­to­cole des cor­rec­tions typo­gra­phiques », écrit, pour sa part, Jean-Claude Fau­douas, dans son Dic­tion­naire des grands noms de la chose impri­mée (Retz, 1991, p. 45).

Déci­dé­ment ! Je fouille, bien sûr, le cata­logue de la BnF et celui du musée de l’Imprimerie de Lyon, à la recherche de cette pièce his­to­rique. Sans succès. 

Je ne trouve rien non plus sur Pierre-Fran­çois1 Didot dans la vaste Somme typo­gra­phique (1947-1951) de Mau­rice Audin, numé­ri­sée par le musée de l’Imprimerie de Lyon. Pas plus que dans Ortho­ty­po­gra­phie : recherches biblio­gra­phiques (Paris, Conven­tion typo­gra­phique, 2002), le gros tra­vail de Jean Méron (voir son site).

L’objet identifié

Alors je m’adresse au ser­vice d’aide SINDBAD de la BnF, qui m’oriente vers « L’Art de l’im­pri­me­rie (Paris, Dic­tion­naire des arts et métiers, 1773) », cité par Alan Mar­shall dans « Manuels typo­gra­phiques conser­vés au musée de l’Imprimerie de Lyon » (Cahiers GUTen­berg, no 6, juillet 1990, p. 40).

Ce docu­ment existe bien à la BnF, sous forme de réim­pres­sion moderne : « L’art de l’im­pri­me­rie, Tho­ri­gny-sur-Marne : impr. de E. Morin, 1913, 39 p., in-8, coll. Docu­ments typographique[s], I ». 

Il a été « attri­bué à Didot le jeune par E. Morin2 », comme l’écrit encore Alan Mar­shall (art. cit.), car le texte n’est pas signé.

Il s’agit pré­ci­sé­ment de l’ar­ticle « IMPRIMERIE (L’art de l’) » (p. 480-512), extrait du tome 2 du Dic­tion­naire rai­son­né uni­ver­sel des arts et métiers… de Phi­lippe Mac­quer (1720-1770), revu par l’ab­bé Jau­bert, impri­mé en 1773 par Pierre-Fran­çois Didot. 

Je le retrouve alors men­tion­né chez Louis-Emma­nuel Bros­sard (Le Cor­rec­teur Typo­graphe, 1924, p. 287), où il tient sur une page, que voici. 

Le pro­to­cole des signes de cor­rec­tion de Pierre-Fran­çois Didot, repro­duit par Louis-Emma­nuel Bros­sard (1924).

Cette planche, numé­ro­tée II dans l’ar­ticle de Didot le jeune, y est intro­duite par les mots sui­vants : « Lorsque la forme est entié­re­ment fer­rée, il [le com­po­si­teur] […] la porte à la presse aux épreuves pour en tirer une pre­mière épreuve, que le prote lit, & sur la marge de laquelle il marque les mots pas­sés [bour­dons] ou dou­blés, les lettres mises les unes pour les autres que l’on nomme coquilles, &c. Voyez Pl. II » (p. 497-498). 

Le para­graphe qui suit, inti­tu­lé « De la cor­rec­tion », ne traite, en fait, que du cor­ri­geage (la cor­rec­tion sur plomb). Il n’é­voque jamais le cor­rec­teur lui-même, sauf dans les pre­miers mots : « Quand le com­po­si­teur a reçu du Prote, ou de tout autre Cor­rec­teur, l’é­preuve où les fautes sont indi­quées sur les marges, il faut qu’il la cor­rige […]. » Le mot pro­to­cole n’y appa­raît pas non plus.

Un précurseur

Sauf erreur, les titres don­nés par Larousse et Fau­douas sont donc fan­tai­sistes. Le texte de Didot le jeune ne s’a­dresse pas nom­mé­ment aux cor­rec­teurs. Il ne s’agit pas non plus d’un code typo­gra­phique, dont je rap­pelle la défi­ni­tion : « Ouvrage de réfé­rence décri­vant les règles de com­po­si­tion des textes impri­més ain­si que la façon d’abréger cer­tains termes, la manière d’écrire les nombres et toutes les règles de typo­gra­phie régis­sant l’usage des dif­fé­rents types de carac­tères : capi­tales, bas de casse, ita­lique, etc. » — Wiki­pé­dia.

Signes de correction dans "Orthotypographia", 1608
Signes de cor­rec­tion dans Ortho­ty­po­gra­phia de Jérôme Horn­schuch, 1608.

Il s’a­git seule­ment d’un pro­to­cole des signes de cor­rec­tion. Le pre­mier, à ma connais­sance, depuis l’embryon pro­po­sé par Jérôme Horn­schuch en 1608 (☞ Voir Ortho­ty­po­gra­phia, manuel du cor­rec­teur, 1608). Les trai­tés de Marie-Domi­nique Fer­tel (1723) et de Pierre-Simon Four­nier (1764-1766) ne sont pas des­ti­nés au cor­rec­teur. Ber­trand-Quin­quet (1798) men­tionne les « signes usi­tés dans l’Im­pri­me­rie, et qui lui sont par­ti­cu­liers », mais ne les donne pas. C’est géné­ra­le­ment à Mar­cel­lin-Aimé Brun (Manuel pra­tique et abré­gé de la typo­gra­phie fran­çaise, 1825) qu’on attri­bue le pre­mier tableau des signes de cor­rec­tion3

C’est ce chan­ge­ment d’un demi-siècle dans la chro­no­lo­gie qui fait l’intérêt prin­ci­pal du pré­sent article. 

Article mis à jour le 26 octobre 2023.


Coupures “malsonnantes”, décence et conséquences

Avez-vous déjà enten­du par­ler du CONCUVIT1 (ou CONCUBITE2) ? Il s’agit d’une règle connue des pro­fes­sion­nels de l’imprimerie et de l’édition, en par­ti­cu­lier des cor­rec­teurs, qui doivent veiller à son appli­ca­tion. Règle de bien­séance plu­tôt que de typo­gra­phie, si bien que les auteurs des codes typo­gra­phiques ne la men­tionnent pas tous et que, par­mi eux, seuls Lacroux et Gué­ry osent don­ner son nom familier. 

Cette règle recom­mande d’éviter les cou­pures (appe­lées aus­si divi­sions) de mots en fin ou, plus rare­ment, en début de ligne géné­ra­le­ment qua­li­fiées de « mal­son­nantes » dans les codes typo.

Ain­si, Coli­gnon écrit (à l’en­trée « Cou­pures en fin de ligne ») :

« On évite, même si les mœurs ont évo­lué, les cou­pures “mal­hon­nêtes”, cho­quantes, mal­son­nantes, qui peuvent entraî­ner des signi­fi­ca­tions péjo­ra­tives… :

« … alors qu’arrivait le grand cul/
tiva­teur

« Ce met­teur en scène pro­pose ici une pièce très cul/
turelle

« Le chef de l’État voit en chaque Fran­çais un con/
tri­buable à pres­ser comme un citron
. »

De même, le Ramat-Mul­ler signale : 

« J’ai mal occu/
pé ma jeu­nesse
 »

Et Gué­ry déconseille :

« Le géné­ral s’était fait pré­sen­ter les cons/
crits qui arri­vaient à la caserne.
 
« Il était angois­sé à l’idée d’une mort su/
bite qui lui appa­rais­sait…
 »

Lais­ser une telle cou­pure était encore plus ris­qué à l’époque de la com­po­si­tion au plomb, où la seconde ligne pou­vait dis­pa­raître pour une rai­son quelconque. 

Un procès et un licenciement

Mau­rice Rajs­fus, que j’ai déjà cité (voir Deux belles blagues faites au cor­rec­teur par le typo­graphe), raconte (p. 74-75) : 

« Une fois, dans un potin mon­dain, il était ques­tion d’une célèbre dan­seuse étoile qui devait par­ti­ci­per à une fête de cha­ri­té en aban­don­nant son cachet. Cette infor­ma­tion brève, banale à la limite, était ain­si conçue :

« … Made­moi­selle X. prê­te­ra son gra­cieux con
cour
s.

« Durant le mon­tage, la seconde ligne dis­pa­rut. Ce bour­don se ter­mi­na par un pro­cès bien pari­sien, et le licen­cie­ment du jour­na­liste res­pon­sable de la rubrique. »

Qu’on soit ou non « bégueule », comme le dit Lacroux, il vaut mieux évi­ter ces cou­pures, ne serait-ce que pour se pré­ser­ver de telles conséquences. 

Pour les réfé­rences des auteurs cités, voir Qui crée les codes typographiques ?


Orthotypographie, un terme mal défini

Au plomb comme sur ordi­na­teur, la typo­gra­phie, c’est tout un art. Qui dit art qui règles.
© Libra­ry of Congress. Source : Mashable.

Si vous êtes cor­rec­teur ou si vous lisez ce qu’ils publient, vous connais­sez le mot ortho­ty­po­gra­phie ou, du moins, vous l’avez croi­sé. Il règne un cer­tain flou autour de sa défi­ni­tion, de ce qui relève ou non de cette notion. Cer­tains pro­fes­sion­nels, lors­qu’ils parlent de cor­rec­tion ortho­ty­po­gra­phique, y incluent la gram­maire1, voire, quand elle est « appro­fon­die », la cohé­rence du récit et la réécri­ture2 !

Le terme ortho­ty­po­gra­phie ne figure pas dans les dic­tion­naires de réfé­rence (Larousse, Robert, Aca­dé­mie, TLF). Pour Cor­dial, c’est le « domaine cou­vrant l’en­semble des cor­rec­tions de fautes, par l’as­so­cia­tion de l’or­tho­graphe et de la typographie ».

Le Wik­tion­naire est plus pré­cis et en pro­pose deux acceptions :

  1. « (Typo­gra­phie) Ensemble des règles qui per­mettent d’écrire de façon cor­recte qui recoupe l’orthographe et les règles typo­gra­phiques (uti­li­sa­tion des majus­cules et des minus­cules, des espa­ce­ments, de la ponc­tua­tion, de l’italique, etc.).
  2. Dis­ci­pline ayant pour objet l’étude de cet ensemble, de son évo­lu­tion, des ouvrages tels que codes, marches, manuels de bon usage, des pra­tiques de la cor­rec­tion et de la révi­sion des textes et de celles et ceux qui en font profession. »

Mais la lec­ture de l’ar­ticle de Wiki­pé­dia consa­cré à cette notion, au-delà du pre­mier para­graphe, montre que les choses sont plus complexes. 

Couverture du livre "Orthotypo & Co" d'Annick Valade
Ortho­ty­po & Co d’An­nick Valade (Cor­nées Laliat).

La typo­gra­phie « au sens large » est, rap­pe­lons-le, la « mise en forme de l’écrit3 ». Selon ses racines grecques, l’orthotypographie serait donc la typo­gra­phie cor­recte. C’est dans ce sens que Jérôme Horn­schuch a créé le terme ortho­ty­po­gra­phia (en latin) en 1608, dans ce qui est consi­dé­ré comme le pre­mier manuel du cor­rec­teur – lire mon article

Plus près de nous, la lin­guiste et his­to­rienne de l’orthographe fran­çaise Nina Catach (1923-1997) a repris le terme, en l’identifiant à une « ortho­graphe typo­gra­phique4 », incluant la ponc­tua­tion et l’« aspect tout exté­rieur » du texte, c’est-à-dire sa mise en page5.

Pour le cor­rec­teur et typo­graphe Jean-Pierre Lacroux, ortho­ty­po­gra­phie est plu­tôt un mot-valise (à l’instar d’auto-école) :

Cou­ver­ture du volume II d’Ortho­ty­po­gra­phie de Jean-Pierre Lacroux en PDF.

« “Ortho­ty­po­gra­phie” est un beau néo­lo­gisme. Sa for­ma­tion, fort dif­fé­rente de celle d’ortho­ty­po­gra­phia […], ne doit rien à la pré­fixa­tion. C’est un mot-valise sub­til : ortho[graphe] + typo­gra­phie. Il est par­fait pour dési­gner l’armada des pres­crip­tions à la fois ortho­gra­phiques et typo­gra­phiques, par exemple celles qui concernent l’écriture des titres d’œuvres6. »

« De fait, écrit Wiki­pé­dia, le terme cor­res­pond à une inter­sec­tion (néces­sai­re­ment) floue entre ortho­graphe et typo­gra­phie », mais « reste […] en attente d’une défi­ni­tion précise ».

Je n’entre pas davan­tage dans les sub­ti­li­tés défi­ni­tion­nelles du terme et je ren­voie à l’article com­plet le lec­teur qui sou­hai­te­rait en savoir davan­tage. J’en retien­drai seule­ment ce paragraphe : 

« L’orthotypographie se dis­tingue […] du simple res­pect de la norme ortho­gra­phique et gram­ma­ti­cale com­mun à l’ensemble des pro­duc­tions écrites (y com­pris les pro­duc­tions cou­rantes). Son but est d’appliquer des normes ortho- et typo-gra­phiques appli­cables à l’édition “com­po­sée” qui par­ti­cipent à la com­pré­hen­sion visuelle d’un texte struc­tu­ré, qu’il s’agisse d’impression sur papier ou de mise en ligne. »

Autre­ment dit, l’orthotypographie, ce seraient les règles à suivre pour qu’un texte impri­mé ou numé­rique soit conforme à un cer­tain « bon usage », qui, selon Lacroux (ibid.), « n’est pas celui des écri­vains mais celui des livres (de toute nature). […] il ne s’agit ici ni de la syn­taxe ni de l’orthographe, mais de bali­vernes, telles que la ponc­tua­tion ou l’emploi des majus­cules, que la plu­part des auteurs ont tou­jours négli­gées et aban­don­nées avec empres­se­ment au bas peuple des ate­liers. » 

« En somme, tout ce qui entoure le mot7. »

L’orthotypographie, un besoin actuel pour tous

Bien que ses contours res­tent à pré­ci­ser, l’or­tho­ty­po­gra­phie est pra­ti­quée chaque jour, aus­si bien par les pro­fes­sion­nels de l’é­di­tion que par les particuliers.

Mains d'un typographe corrigeant un texte composé au plomb
Quand « la typo­gra­phie était l’affaire exclu­sive des typo­graphes ».
DR. Source : Pin­te­rest.

À l’époque de l’imprimerie tra­di­tion­nelle, explique le pro­fes­seur Jacques Poi­tou (ibid.), « la typo­gra­phie était l’affaire exclu­sive des typo­graphes ». Avec l’ar­ri­vée de la dac­ty­lo­gra­phie (« dans les bureaux vers la fin du xixe siècle, dans le cou­rant du xxe siècle chez les par­ti­cu­liers »), les pos­si­bi­li­tés d’enrichissement du texte étaient limi­tées. Mais avec l’arrivée de la PAO, « le pos­ses­seur d’un ordi­na­teur, d’un logi­ciel de trai­te­ment de texte et d’une impri­mante a les moyens tech­niques de pro­duire des docu­ments de qua­li­té. Il a même à sa dis­po­si­tion bien plus de moyens (notam­ment de polices) que les impri­meurs auraient pu en rêver. » Or, « la mise en forme et la mise en page du texte ne sont géné­ra­le­ment pas objet d’enseignement ». Pour­tant, bien publier s’apprend.

« Depuis que la “typo­gra­phie” est morte8, écrit encore Lacroux (ibid.), les codes typo­gra­phiques sont deve­nus indis­pen­sables. » Avec les auto­mo­biles, « quand tout le monde cir­cule vite, il vaut mieux prendre des pré­cau­tions » (à savoir créer le Code de la route). De même, « quand n’importe qui imprime », il faut des règles com­munes.

"Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale"

Le « suc­cès public9 » d’un ouvrage comme le Lexique des règles typo­gra­phiques en usage à l’Imprimerie natio­nale montre que des par­ti­cu­liers et des pro­fes­sion­nels hors du domaine de l’édition ont encore le sou­ci de pro­duire des docu­ments – impri­més ou numé­riques – de qua­li­té et que, selon la jolie for­mule de Lacroux, « la cha­leur du plomb n’a pas fini d’irradier la langue écrite ».

☞ Lire aus­si, notam­ment, Qui crée les codes typo­gra­phiques ? et Ce que la PAO a chan­gé au métier de cor­rec­teur.


Employer le signe moins : quand et comment ?

Je n’ai jamais cor­ri­gé d’ouvrages de mathé­ma­tiques ni de phy­sique-chi­mie, mais, bien sûr, il arrive que les textes qu’on me confie com­portent des for­mules chi­miques ou des expres­sions algé­briques, dont je dois garan­tir la lisi­bi­li­té. Il y a là une source d’erreur qui peut avoir des consé­quences fâcheuses. 

J’ai notam­ment vu trans­for­mer des sym­boles minus­cules en majus­cules, ce qui en change radi­ca­le­ment le sens. Le kilo (k) en Kel­vin (K), le gramme (g) en giga (G). À un édi­teur qui avait choi­si de pas­ser tous les titres en capi­tales, j’ai dû signa­ler que cela ne l’autorisait pas à trans­for­mer le cobalt (Co) en oxyde de car­bone (CO).

Il y a quelques jours, je racon­tais la dis­pa­ri­tion du trait d’union au nom de la sim­pli­fi­ca­tion dac­ty­lo­gra­phique. Le « tiret du 6 » a, en effet, fusion­né trait d’union et signe moins. C’est ce der­nier que je vais main­te­nant évo­quer, car sa qua­si-dis­pa­ri­tion est plus pro­blé­ma­tique que celle de son « cousin ». 

Le site com­mu­nau­taire 24 jours du Web, déjà men­tion­né dans mon pré­cé­dent article, en par­lait, bien sûr : 

« Le signe moins […] n’est pas direc­te­ment acces­sible sur nos cla­viers. Même les cla­viers éten­dus qui pro­posent un pavé numé­rique n’offrent qu’une dupli­ca­tion du “trait d’union et signe moins”.
Ce sym­bole mathé­ma­tique est pour­tant dif­fé­rent gra­phi­que­ment et séman­ti­que­ment des autres.
Sa hau­teur lui per­met d’être par­fai­te­ment ali­gné avec son opé­ra­teur oppo­sé, le + ; et sa lar­geur est proche du tiers de cadra­tin. Sa lar­geur est éga­le­ment iden­tique aux signes plus et égal, afin d’offrir de meilleurs ali­gne­ments ver­ti­caux
 […] »

Alignement parfait des signes moins, plus et égal
Les signes moins, plus et égal sont faits pour s’a­li­gner par­fai­te­ment. © 24 jours du Web.

On ne sau­rait mieux dire. 

J’ajouterai une autre com­pa­rai­son (en police Bodo­ni), très parlante : 

trait d'union, tiret demi-cadratin, signe moins et signe plus en Bodoni
De gauche à droite, trait d’u­nion, tiret demi-cadra­tin, signe moins et signe plus en Bodo­ni. Le signe moins est dif­fé­rent en lar­geur, en épais­seur et sur­tout en hauteur. 

Autre pro­blème, jamais men­tion­né : dans cer­taines polices, le trait d’union n’a rien d’un tiret rec­ti­ligne. Exemples ci-des­sous en Jen­son et en Nova­rese (police avec laquelle j’ai long­temps travaillé). 

trait d'union en Jenson et et Novarese
Trait d’u­nion dans les polices Jen­son (à gauche) et Novarese.

Quel scien­ti­fique accep­te­rait d’exprimer la néga­ti­vi­té avec une sorte de tilde, lequel a une autre signi­fi­ca­tion dans sa discipline ? 

Enfin, dans le signe « plus ou moins » (±), les deux signes asso­ciés ne sont-ils pas de même lar­geur ?  Il y a donc là une incohérence. 

Typographie soignée 

Sur un blog, qu’il est inutile de nom­mer, j’ai lu : « En bonne typo­gra­phie, c’est ce signe [le trait d’union] qui est employé comme “signe moins” dans la trans­crip­tion mathé­ma­tique. » Peut-on vrai­ment par­ler de « bonne typographie » ? 

Il ne faut pas confondre les contraintes pra­tiques et la théorie.

Pour moi, le cor­rec­teur doit mettre en œuvre la meilleure typo­gra­phie pos­sible ou, du moins, être capable de le faire sur demande. Il faut pour cela la connaître. C’est à cela que ser­vi­ra ce billet. 

Les codes et manuels typo­gra­phiques décrivent les usages dif­fé­ren­ciés du trait d’union et des tirets (cadra­tin et demi-cadra­tin). La plu­part oublient de men­tion­ner quel signe il faut employer pour écrire un nombre néga­tif ! Ce n’est sou­vent qu’en tom­bant sur un exemple qu’on en déduit le choix de l’auteur. Et on trouve de tout : ain­si, chez Gou­riou (p. 80), un tiret cadra­tin sui­vi d’une espace (sous — 20 degrés).

Autre source d’étonnement : la nette dis­tinc­tion qu’ils font entre com­po­si­tion mathé­ma­tique (par exemple, Impri­me­rie natio­nale, p. 115) et com­po­si­tion ordi­naire. Peut-on, sans risque, les sépa­rer aus­si net­te­ment ? Comme je l’ai déjà dit plus haut, les textes cou­rants peuvent com­por­ter des for­mules algé­briques, qui doivent être relues avec atten­tion par le cor­rec­teur professionnel. 

Or, inver­ser la valeur d’un nombre n’a rien d’anodin. Peut-on accep­ter si faci­le­ment de repré­sen­ter cette opé­ra­tion par un signe étri­qué, de moi­tié moins large qu’un chiffre ? 

S’en émou­voir, ce n’est pas être puriste. C’est avoir le sou­ci de la lisi­bi­li­té. C’est aus­si cher­cher à main­te­nir vivant l’art de la typographie. 

Même Jean-Pierre Coli­gnon parle du signe moins au pas­sé : « […] le vrai “moins” était un signe inter­mé­diaire entre le tiret et le trait d’union, fai­sant les deux tiers ou les trois quarts du vrai tiret. Ce rôle est joué aujourd’hui par le trait d’union […]1 »

Un cor­rec­teur digne de ce nom ne confon­drait pas la lettre minus­cule x et la croix de mul­ti­pli­ca­tion (×), ni le prime (a′) et l’apostrophe (a’). Pour­quoi devrait-il confondre trait d’union (ou tiret) et signe moins, en lais­sant libre cours à une pré­ten­due « norme » ? 

Aspect pratique 

Bref, quand les codes typo parlent de l’é­cri­ture des nombres néga­tifs, ils recom­mandent géné­ra­le­ment le trait d’union. Voir Coli­gnon (déjà cité) ou Ramat-Mul­ler (p. 83). Pour ma part, je le trouve trop petit et je lui pré­fère le tiret demi-cadra­tin, à l’instar du typo­graphe Bru­no Ber­nard2.

L’emploi du signe moins, qui reste recom­man­dable en typo­gra­phie soi­gnée, pré­sente trois difficultés :

1) Il n’est pas acces­sible au cla­vier direc­te­ment. Il faut soit taper son Uni­code (U-2212), soit aller le cher­cher dans les glyphes, par­mi les signes mathématiques. 

2) Il n’existe pas dans cer­taines polices, comme la Gara­mond de mon Mac. 

signe moins inexistant en Garamond
Le signe moins ne s’af­fiche pas dans la Gara­mond de mon ordinateur.

3) Consé­quence du 2 : si on tra­vaille sur un texte qui aura plu­sieurs des­ti­na­tions, par exemple une publi­ca­tion impri­mée et une en ligne, on ne peut prendre le risque d’employer un signe qui, poten­tiel­le­ment, dis­pa­raî­tra du texte. Il faut au moins véri­fier que cela est sans danger.

Ces res­tric­tions mises à part, le signe moins reste disponible.

Et l’espacement ? 

Pour faire le tour com­plet de la ques­tion, je donne les règles d’es­pa­ce­ment du signe moins (dif­fi­ciles à trou­ver), évi­dem­ment valables si vous uti­li­sez à sa place le trait d’u­nion ou le tiret : 

« Un nombre néga­tif est écrit sans espace sépa­ra­teur après le signe moins » — Wiki­pé­dia3. Inver­se­ment, toutes les opé­ra­tions algé­briques s’é­crivent avec une espace avant et après le signe. En effet, en mathé­ma­tiques, on dis­tingue le cas où le signe moins est un opé­ra­teur unaire (–1) et celui où il est un opé­ra­teur binaire (3 – 1). Pour plus d’in­for­ma­tion, lire le PDF Règles fran­çaises de typo­gra­phie mathé­ma­tique d’A­lexandre André.

Même s’il n’en a pas l’u­sage au quo­ti­dien, le cor­rec­teur doit au moins connaître l’existence du signe moins et ses pro­prié­tés, pour l’employer quand cela est néces­saire. Cela ne me paraît pas fol­le­ment réac­tion­naire, sim­ple­ment rigoureux. 

Pour les réfé­rences des auteurs cités, voir La biblio­thèque du cor­rec­teur.

NB – N’é­tant pas mathé­ma­ti­cien, j’ai pu man­quer de pré­ci­sion dans mes expli­ca­tions. Si c’est le cas, n’hé­si­tez pas à me le signaler. 


Le “calendrier de l’avent”, une tradition majuscule

Calen­drier de l’avent « Céleste » de Ladu­rée.

1er décembre, pre­mier jour de l’avent et, bien sûr, défilent, sur les réseaux sociaux et ailleurs, billets et articles sur­fant sur le « calen­drier de l’avent » ou, plus sou­vent, « de l’Avent ». Pour­quoi cette hési­ta­tion graphique ? 

Ancien­ne­ment advent (vers 1119), avent vient du latin chré­tien adven­tus (« arri­vée, avè­ne­ment ») et désigne la « période de l’année litur­gique de quatre semaines qui pré­cède et pré­pare la fête de Noël » (Larousse).

Un calen­drier de l’avent est une boîte « com­pre­nant vingt-quatre volets à ouvrir chaque jour, du 1er décembre à Noël, pour décou­vrir une frian­dise, une sur­prise » (Robert).

Dans un cas comme dans l’autre, la minus­cule s’impose. 

Le logi­ciel Anti­dote pré­cise :
« Comme c’est toute une période qui est dési­gnée par le mot avent et non pas un jour de fête unique, il est recom­man­dé de l’écrire avec une minus­cule, comme pour le nom du carême ou du rama­dan. La gra­phie Avent, avec une majus­cule, est déconseillée. »

On peut le véri­fier dans les dic­tion­naires sui­vants : Robert, Jouette, Giro­det, Dour­non, Lit­tré ; dans les ency­clo­pé­dies Uni­ver­sa­lis et Wiki­pé­dia, ain­si que dans la Vitrine lin­guis­tique (Qué­bec).

Seul Larousse (et le TLFI) main­tient la majus­cule. Est-ce pour « bien dis­tin­guer l’Avent, temps de la litur­gie catho­lique qui pré­cède Noël, de la pré­po­si­tion avant » ? L’argument me paraît mince. 

Même le dic­tion­naire de la si conser­va­trice Aca­dé­mie a aban­don­né la majus­cule depuis son édi­tion de 1835.

Pour­tant, cette tra­di­tion – de la majus­cule – a la vie dure.

Avent dans calen­drier de l’avent serait-il per­çu comme le « nom spé­ci­fique », sur le modèle de minis­tère de l’Économie ? S’agit-il de l’expression d’une défé­rence à l’égard de la reli­gion ? Ou encore d’un exemple de la « majus­cu­lite » commerciale ?

J’avoue que l’explication m’échappe. Les hypo­thèses sont les bienvenues. 

NB – La plu­part des sources men­tion­nées ici figurent dans La biblio­thèque du cor­rec­teur.

Les parenthèses encadrant de l’italique doivent-elles être en italique ?

Comme nous allons le voir, les res­sources à la dis­po­si­tion du cor­rec­teur sont contra­dic­toires sur cette ques­tion, ain­si qu’au sujet des cro­chets et des guillemets. 

En ce qui concerne le style des paren­thèses, la règle que j’ai apprise à mes débuts et que j’ai vu lar­ge­ment pra­ti­quer – notam­ment dans la presse et dans les pièces de théâtre – est celle don­née par Louis Gué­ry1 : 

Lorsque tous les mots à l’intérieur de la paren­thèse sont en ita­lique dans un texte en romain, les paren­thèses se com­posent en ita­lique, l’inverse étant vrai : 
➠ Il rou­la sa busse (sic) jusqu’à l’entrée de la cave. 
➠ C’est ce que l’on attend main­te­nant (à suivre).

Lorsque, à l’intérieur de la paren­thèse, des mots sont com­po­sés en romain et d’autres en ita­lique, on com­po­se­ra les deux paren­thèses dans le carac­tère domi­nant :
➠  … (qui devien­dra au fil des ans un sacré rifi­fi).

En aucun cas, on ne com­po­se­ra une paren­thèse en romain et l’autre en italique.

De même, dans le vieux Code typo­gra­phique2, on trou­vait (§§ 54, 55 et 99) les exemples suivants : 

M. Valois — Je suis sur­pris. (Bruit.)
Il attei­gnit enfin le troi­sième étage. (À suivre.)
Nous nous rat­trap­pe­rons (sic).
Quelle hor­reur !… (Elle recule épou­van­tée.)

L’ou­vrage expli­quait cette appa­rente inco­hé­rence comme suit (§ 99, p. 105) : 

Les paren­thèses ren­fer­mant une phrase ou une par­tie de phrase entiè­re­ment en ita­lique peuvent être en ita­lique ou en romain, mais, si le mot ini­tial ou final est en romain, les deux paren­thèses seront obli­ga­toi­re­ment en romain3.

L’é­di­tion de 1997 ajoute, dans une rédac­tion moder­ni­sée (§ 150, p. 137) : « Cette règle est la même pour tout carac­tère d’une famille ou d’un style dif­fé­rent de celui du texte. » On peut en déduire que cela est valable pour le gras, usage que j’ob­serve très rare­ment, mais que recom­mande le Qué­bé­cois Guy Connol­ly sur son site4.

Chez Charles Gou­riou, on peut lire pareille­ment (§ 206, p. 96) :

Les paren­thèses qui encadrent un texte en ita­lique ou en carac­tères gras devraient nor­ma­le­ment5 se com­po­ser dans le même corps6 : 
➠ Par­bleu ! (Il sou­rit.) Regardez. 

Il prend la peine de pré­ci­ser : « Cepen­dant, si cet usage a été régu­liè­re­ment omis, on ne le réta­bli­ra pas à la cor­rec­tion.»

Avis divergents

En effet, cer­tains édi­teurs font un autre choix, celui que pré­co­nise notam­ment la Vitrine lin­guis­tique (Cana­da)7 :

[…] les paren­thèses sont de pré­fé­rence dans la même face8 que la phrase prin­ci­pale et non des mots mis entre paren­thèses. Ain­si, dans les indi­ca­tions aux lec­teurs, les des­crip­tions scé­no­gra­phiques et les jeux de scène, les paren­thèses se com­posent en romain, alors que le reste est en ita­lique. Dans les ren­vois à d’autres sec­tions d’un ouvrage, seul le titre ou mot fai­sant l’objet du ren­voi est en ita­lique ; le reste est en romain, y com­pris les paren­thèses. Quant aux cro­chets, ils res­tent géné­ra­le­ment en romain, que le texte soit en romain ou en ita­lique (notons tou­te­fois que les conven­tions typo­gra­phiques sur les cro­chets ne sont pas uni­formes d’un ouvrage à l’autre).

Pour Jacques Drillon, c’est le seul choix de bon sens (p. 277, § 28) : 

[…] si le début de la paren­thèse est en romain, et la fin en ita­lique, il est impos­sible d’adopter un sys­tème cohé­rent… Tan­dis que si l’on observe la règle qui veut qu’un signe de paren­thèse soit impri­mé dans le corps du texte géné­ral, la dif­fi­cul­té tombe d’elle-même. C’est l’opinion de Jean-Pierre Coli­gnon9 et de nom­breux autres correcteurs […]

Concer­nant l’usage très répan­du dans les jour­naux de mettre les cita­tions en ita­lique, y com­pris les guille­mets qui les encadrent, Drillon a un avis tout aus­si tran­ché (p. 325, § 25) : 

C’est une cou­tume illo­gique, puisque les guille­mets appar­tiennent au dis­cours géné­ral de l’auteur, non à la par­tie entre guillemets. 

J’ai eu un client qui sui­vait l’a­vis de Drillon, mais c’est peu courant. 

Quand le cor­rec­teur est déci­sion­naire de ces choix typo­gra­phiques, il est sans doute plus simple pour lui de lais­ser tous les signes de ponc­tua­tion dans le style prin­ci­pal du texte, qu’il s’agisse des signes iso­lés comme la vir­gule ou des signes allant par paire. Cela évite bien des hésitations. 

Dans les faits, il doit le plus sou­vent se confor­mer à la marche de chaque éditeur. 

J’a­jou­te­rai, cepen­dant, qu’il est pour moi sur­pre­nant qu’au­cune des sources que j’ai consul­tées ne men­tionne la dif­fi­cul­té pra­tique que peut repré­sen­ter, avec cer­taines polices, l’as­so­cia­tion d’un texte en ita­lique et de paren­thèses en romain. Le pro­blème est par­ti­cu­liè­re­ment appa­rent avec le Garamond : 

En Gara­mond, par défaut, la paren­thèse romaine fer­mante entre en conflit avec le texte ita­lique. La paren­thèse ita­lique le touche, ce qu’il vaut mieux cor­ri­ger également.

Il faut alors « jeter un peu de blanc » avant la paren­thèse fer­mante, comme le recom­mande Lacroux (s.v. Paren­thèses).

Dans le logi­ciel InDe­si­gn, avant la paren­thèse ita­lique, j’ai ajou­té 90 d’ap­proche, alors qu’a­vec la paren­thèse romaine, j’ai dû ajou­ter 270, et cela crée un fâcheux espace au pied du f.

Mais, à l’ère de la PAO, rares sont les pro­fes­sion­nels de l’é­di­tion qui se donnent encore la peine de tels réglages manuels…

☞ Lire aus­si La vir­gule qui suit de l’italique doit-elle être en italique ?


Pour les réfé­rences qui ne sont pas don­nées dans les notes ci-des­sous, voir La biblio­thèque du cor­rec­teur.