En mai 19281, le Code typographique tant attendu a enfin paru, sur les bords de la Garonne, à Bordeaux. Émile Verlet, président (depuis février 1925) de la commission chargée de sa rédaction, peut souffler… et se féliciter de cette naissance difficile en publiant un poème (pour nos confrères, tout était prétexte à rimer). Comme le rappelle en introduction Eugène Grenet, président de la Société amicale des protes et correcteurs de France, dans la Circulaire des protes (no 336, août 1928) où paraît ce texte, « le premier essai de réalisation du Code typographique fut entrepris par l’Amicale, ainsi qu’en avait décidé le Congrès de […] Nantes en 1908. […] ». Par suite de polémiques, « cette œuvre ne put alors être menée à sa fin ». Cela explique le premier vers du poème ci-dessous.
Première annonce de la parution du Code typographique, Circulaire des protes, mai 1928.
LE CODE TYPOGRAPHIQUE
Amis, il a bientôt vingt ans,
Sa carrière commence
Et c’est fou quand on pense
À ce qu’il a fallu de temps
Pour défaire et refaire
Ce qu’on voulait parfaire.
On a cherché quinze ans son nom :
« Méminto [sic] » ou bien « Code »,
« Marche à suivre »… la mode…
Toujours les typos disent : « Non ! »
Pourtant, quinze ans, ça lasse
Et « Code », à la fin, passe.
Puis intervint la Commission,
Travaillant en silence,
Usant son éloquence
Pour obtenir la permission
De quitter sa famille
Avant sa camomille.
On rentrait tard… après minuit,
En portant bas l’oreille :
L’épouse est là qui veille
Pour voir si l’on s’est mal conduit,
Et son œil italique
Interdit la réplique !
Après l’aride abréviation,
Ce fut la capitale
— La faute capitale —
Puis notes, nombres, division,
Parsemés d’italique :
C’en était fantastique !
Oui, trois ans nous avons lutté
De façon exemplaire,
Toujours pour satisfaire
Notre femme et la Faculté.
Oyez notre misère,
Voyez notre calvaire !
Toulouse2, avec tes troubadours,
Veux-tu mettre à la mode
Ce petit, petit Code
En le parant de tes atours ?
Fais que sur la Garonne
Bientôt l’olifant tonne !
Que chacun vibre à ses échos :
Réalisons ce rêve
De proclamer la trêve
Entre correcteurs et typos !
Et vous, frondeurs du Livre,
Aidez le Code à vivre !
E. VERLET.
« Un autre fils de François [Didot], Pierre François [1731-1795, dit le jeune], crée un des premiers codes typographiques à l’usage des correcteurs. »
Les Didot forment une dynastie d’imprimeurs qui, jusqu’au xixe siècle, apporteront « de nombreuses innovations techniques à l’industrie papetière, à l’imprimerie et à la typographie ».
L’Encyclopédie Larousse reprend cette information, avec des italiques : « Il créa également le premier Code des corrections typographiques », mais en l’attribuant à l’un des petits-fils de François Didot, Pierre (1761-1853).
Un code typographique au xviiie siècle ? Voilà qui bouscule mes connaissances, le premier « code typo » proprement dit datant, pour moi, de 1926 — après une série de « manuels typographiques » au xixe siècle. ☞ Voir Qui crée les codes typographiques ?
Silence des catalogues
« Soucieux d’apporter le plus grand soin aux ouvrages qu’il imprimait, Pierre François Didot composa et publia un petit ouvrage à l’adresse des correcteurs d’épreuves : Protocole des corrections typographiques », écrit, pour sa part, Jean-Claude Faudouas, dans son Dictionnaire des grands noms de la chose imprimée (Retz, 1991, p. 45).
Décidément ! Je fouille, bien sûr, le catalogue de la BnF et celui du musée de l’Imprimerie de Lyon, à la recherche de cette pièce historique. Sans succès.
Je ne trouve rien non plus sur Pierre-François1 Didot dans la vaste Somme typographique (1947-1951) de Maurice Audin, numérisée par le musée de l’Imprimerie de Lyon. Pas plus que dans Orthotypographie : recherches bibliographiques (Paris, Convention typographique, 2002), le gros travail de Jean Méron (voir son site).
L’objet identifié
Alors je m’adresse au service d’aide SINDBAD de la BnF, qui m’oriente vers « L’Art de l’imprimerie (Paris, Dictionnaire des arts et métiers, 1773) », cité par Alan Marshall dans « Manuels typographiques conservés au musée de l’Imprimerie de Lyon » (Cahiers GUTenberg, no 6, juillet 1990, p. 40).
Ce document existe bien à la BnF, sous forme de réimpression moderne : « L’art de l’imprimerie, Thorigny-sur-Marne : impr. de E. Morin, 1913, 39 p., in-8, coll. Documents typographique[s], I ».
Il a été « attribué à Didot le jeune par E. Morin2 », comme l’écrit encore Alan Marshall (art. cit.), car le texte n’est pas signé.
Il s’agit précisément de l’article « IMPRIMERIE (L’art de l’) » (p. 480-512), extrait du tome 2 du Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers… de Philippe Macquer (1720-1770), revu par l’abbé Jaubert, imprimé en 1773 par Pierre-François Didot.
Le protocole des signes de correction de Pierre-François Didot, reproduit par Louis-Emmanuel Brossard (1924).
Cette planche, numérotée II dans l’article de Didot le jeune, y est introduite par les mots suivants : « Lorsque la forme est entiérement ferrée, il [le compositeur] […] la porte à la presse aux épreuves pour en tirer une première épreuve, que le prote lit, & sur la marge de laquelle il marque les mots passés [bourdons] ou doublés, les lettres mises les unes pour les autres que l’on nomme coquilles, &c.Voyez Pl. II » (p. 497-498).
Le paragraphe qui suit, intitulé « De la correction », ne traite, en fait, que du corrigeage (la correction sur plomb). Il n’évoque jamais le correcteur lui-même, sauf dans les premiers mots : « Quand le compositeur a reçu du Prote, ou de tout autre Correcteur, l’épreuve où les fautes sont indiquées sur les marges, il faut qu’il la corrige […]. » Le mot protocole n’y apparaît pas non plus.
Un précurseur
Sauf erreur, les titres donnés par Larousse et Faudouas sont donc fantaisistes. Le texte de Didot le jeune ne s’adresse pas nommément aux correcteurs. Il ne s’agit pas non plus d’un code typographique, dont je rappelle la définition : « Ouvrage de référence décrivant les règles de composition des textes imprimés ainsi que la façon d’abréger certains termes, la manière d’écrire les nombres et toutes les règles de typographie régissant l’usage des différents types de caractères : capitales, bas de casse, italique, etc. » — Wikipédia.
Signes de correction dans Orthotypographia de Jérôme Hornschuch, 1608.
Il s’agit seulement d’un protocole des signes de correction. Le premier, à ma connaissance, depuis l’embryon proposé par Jérôme Hornschuch en 1608 (☞ Voir Orthotypographia, manuel du correcteur, 1608). Les traités de Marie-Dominique Fertel (1723) et de Pierre-Simon Fournier (1764-1766) ne sont pas destinés au correcteur. Bertrand-Quinquet (1798) mentionne les « signes usités dans l’Imprimerie, et qui lui sont particuliers », mais ne les donne pas. C’est généralement à Marcellin-Aimé Brun (Manuel pratique et abrégé de la typographie française, 1825) qu’on attribue le premier tableau des signes de correction3.
C’est ce changement d’un demi-siècle dans la chronologie qui fait l’intérêt principal du présent article.
Avez-vous déjà entendu parler du CONCUVIT1 (ou CONCUBITE2) ? Il s’agit d’une règle connue des professionnels de l’imprimerie et de l’édition, en particulier des correcteurs, qui doivent veiller à son application. Règle de bienséance plutôt que de typographie, si bien que les auteurs des codes typographiques ne la mentionnent pas tous et que, parmi eux, seuls Lacroux et Guéry osent donner son nom familier.
Cette règle recommande d’éviter les coupures (appelées aussi divisions) de mots en fin ou, plus rarement, en début de ligne généralement qualifiées de « malsonnantes » dans les codes typo.
Ainsi, Colignon écrit (à l’entrée « Coupures en fin de ligne ») :
« On évite, même si les mœurs ont évolué, les coupures “malhonnêtes”, choquantes, malsonnantes, qui peuvent entraîner des significations péjoratives… :
« … alors qu’arrivait le grand cul/ tivateur « Ce metteur en scène propose ici une pièce très cul/ turelle « Le chef de l’État voit en chaque Français un con/ tribuable à presser comme un citron. »
De même, le Ramat-Muller signale :
« J’ai mal occu/ pé ma jeunesse »
Et Guéry déconseille :
« Le général s’était fait présenter les cons/ crits qui arrivaient à la caserne. « Il était angoissé à l’idée d’une mort su/ bite qui lui apparaissait… »
Laisser une telle coupure était encore plus risqué à l’époque de la composition au plomb, où la seconde ligne pouvait disparaître pour une raison quelconque.
« Une fois, dans un potin mondain, il était question d’une célèbre danseuse étoile qui devait participer à une fête de charité en abandonnant son cachet. Cette information brève, banale à la limite, était ainsi conçue :
« … Mademoiselle X. prêtera son gracieux con cours.
« Durant le montage, la seconde ligne disparut. Ce bourdon se termina par un procès bien parisien, et le licenciement du journaliste responsable de la rubrique. »
Qu’on soit ou non « bégueule », comme le dit Lacroux, il vaut mieux éviter ces coupures, ne serait-ce que pour se préserver de telles conséquences.
Si vous êtes correcteur ou si vous lisez ce qu’ils publient, vous connaissez le mot orthotypographie ou, du moins, vous l’avez croisé. Il règne un certain flou autour de sa définition, de ce qui relève ou non de cette notion. Certains professionnels, lorsqu’ils parlent de correction orthotypographique, y incluent la grammaire1, voire, quand elle est « approfondie », la cohérence du récit et la réécriture2 !
Le terme orthotypographie ne figure pas dans les dictionnaires de référence (Larousse, Robert, Académie, TLF). Pour Cordial, c’est le « domaine couvrant l’ensemble des corrections de fautes, par l’association de l’orthographe et de la typographie ».
Le Wiktionnaire est plus précis et en propose deux acceptions :
« (Typographie)Ensemble des règles qui permettent d’écrire de façon correcte qui recoupe l’orthographe et les règles typographiques (utilisation des majuscules et des minuscules, des espacements, de la ponctuation, de l’italique, etc.).
Discipline ayant pour objet l’étude de cet ensemble, de son évolution, des ouvrages tels que codes, marches, manuels de bon usage, des pratiques de la correction et de la révision des textes et de celles et ceux qui en font profession. »
Mais la lecture de l’article de Wikipédia consacré à cette notion, au-delà du premier paragraphe, montre que les choses sont plus complexes.
La typographie « au sens large » est, rappelons-le, la « mise en forme de l’écrit3 ». Selon ses racines grecques, l’orthotypographie serait donc la typographie correcte. C’est dans ce sens que Jérôme Hornschuch a créé le terme orthotypographia (en latin) en 1608, dans ce qui est considéré comme le premier manuel du correcteur – lire mon article.
Plus près de nous, la linguiste et historienne de l’orthographe française Nina Catach (1923-1997) a repris le terme, en l’identifiant à une « orthographe typographique4 », incluant la ponctuation et l’« aspect tout extérieur » du texte, c’est-à-dire sa mise en page5.
Pour le correcteur et typographe Jean-Pierre Lacroux, orthotypographie est plutôt un mot-valise (à l’instar d’auto-école) :
Couverture du volume II d’Orthotypographie de Jean-Pierre Lacroux en PDF.
« “Orthotypographie” est un beau néologisme. Sa formation, fort différente de celle d’orthotypographia […], ne doit rien à la préfixation. C’est un mot-valise subtil : ortho[graphe] + typographie. Il est parfait pour désigner l’armada des prescriptions à la fois orthographiques et typographiques, par exemple celles qui concernent l’écriture des titres d’œuvres6. »
« De fait, écrit Wikipédia, le terme correspond à une intersection (nécessairement) floue entre orthographe et typographie », mais « reste […] en attente d’une définition précise ».
Je n’entre pas davantage dans les subtilités définitionnelles du terme et je renvoie à l’article complet le lecteur qui souhaiterait en savoir davantage. J’en retiendrai seulement ce paragraphe :
« L’orthotypographie se distingue […] du simple respect de la norme orthographique et grammaticale commun à l’ensemble des productions écrites (y compris les productions courantes). Son but est d’appliquer des normes ortho- et typo-graphiques applicables à l’édition “composée” qui participent à la compréhension visuelle d’un texte structuré, qu’il s’agisse d’impression sur papier ou de mise en ligne. »
Autrement dit, l’orthotypographie, ce seraient les règles à suivre pour qu’un texte imprimé ou numérique soit conforme à un certain « bon usage », qui, selon Lacroux (ibid.), « n’est pas celui des écrivains mais celui des livres (de toute nature). […] il ne s’agit ici ni de la syntaxe ni de l’orthographe, mais de balivernes, telles que la ponctuation ou l’emploi des majuscules, que la plupart des auteurs ont toujours négligées et abandonnées avec empressement au bas peuple des ateliers. »
Bien que ses contours restent à préciser, l’orthotypographie est pratiquée chaque jour, aussi bien par les professionnels de l’édition que par les particuliers.
Quand « la typographie était l’affaire exclusive des typographes ». DR. Source : Pinterest.
À l’époque de l’imprimerie traditionnelle, explique le professeur Jacques Poitou (ibid.), « la typographie était l’affaire exclusive des typographes ». Avec l’arrivée de la dactylographie (« dans les bureaux vers la fin du xixe siècle, dans le courant du xxe siècle chez les particuliers »), les possibilités d’enrichissement du texte étaient limitées. Mais avec l’arrivée de la PAO, « le possesseur d’un ordinateur, d’un logiciel de traitement de texte et d’une imprimante a les moyens techniques de produire des documents de qualité. Il a même à sa disposition bien plus de moyens (notamment de polices) que les imprimeurs auraient pu en rêver. » Or, « la mise en forme et la mise en page du texte ne sont généralement pas objet d’enseignement ». Pourtant, bien publier s’apprend.
« Depuis que la “typographie” est morte8, écrit encore Lacroux (ibid.), les codes typographiques sont devenus indispensables. » Avec les automobiles, « quand tout le monde circule vite, il vaut mieux prendre des précautions » (à savoir créer le Code de la route). De même, « quand n’importe qui imprime », il faut des règles communes.
Le « succès public9 » d’un ouvrage comme le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale montre que des particuliers et des professionnels hors du domaine de l’édition ont encore le souci de produire des documents – imprimés ou numériques – de qualité et que, selon la jolie formule de Lacroux, « la chaleur du plomb n’a pas fini d’irradier la langue écrite ».
Je n’ai jamais corrigé d’ouvrages de mathématiques ni de physique-chimie, mais, bien sûr, il arrive que les textes qu’on me confie comportent des formules chimiques ou des expressions algébriques, dont je dois garantir la lisibilité. Il y a là une source d’erreur qui peut avoir des conséquences fâcheuses.
J’ai notamment vu transformer des symboles minuscules en majuscules, ce qui en change radicalement le sens. Le kilo (k) en Kelvin (K), le gramme (g) en giga (G). À un éditeur qui avait choisi de passer tous les titres en capitales, j’ai dû signaler que cela ne l’autorisait pas à transformer le cobalt (Co) en oxyde de carbone (CO).
Il y a quelques jours, je racontais la disparition du trait d’union au nom de la simplification dactylographique. Le « tiret du 6 » a, en effet, fusionné trait d’union et signe moins. C’est ce dernier que je vais maintenant évoquer, car sa quasi-disparition est plus problématique que celle de son « cousin ».
Le site communautaire 24 jours du Web, déjà mentionné dans mon précédent article, en parlait, bien sûr :
« Le signe moins […] n’est pas directement accessible sur nos claviers. Même les claviers étendus qui proposent un pavé numérique n’offrent qu’une duplication du “trait d’union et signe moins”. Ce symbole mathématique est pourtant différent graphiquement et sémantiquement des autres. Sa hauteur lui permet d’être parfaitement aligné avec son opérateur opposé, le + ; et sa largeur est proche du tiers de cadratin. Sa largeur est également identique aux signes plus et égal, afin d’offrir de meilleurs alignements verticaux […] »
J’ajouterai une autre comparaison (en police Bodoni), très parlante :
De gauche à droite, trait d’union, tiret demi-cadratin, signe moins et signe plus en Bodoni. Le signe moins est différent en largeur, en épaisseur et surtout en hauteur.
Autre problème, jamais mentionné : dans certaines polices, le trait d’union n’a rien d’un tiret rectiligne. Exemples ci-dessous en Jenson et en Novarese (police avec laquelle j’ai longtemps travaillé).
Trait d’union dans les polices Jenson (à gauche) et Novarese.
Quel scientifique accepterait d’exprimer la négativité avec une sorte de tilde, lequel a une autre signification dans sa discipline ?
Enfin, dans le signe « plus ou moins » (±), les deux signes associés ne sont-ils pas de même largeur ? Il y a donc là une incohérence.
Typographie soignée
Sur un blog, qu’il est inutile de nommer, j’ai lu : « En bonne typographie, c’est ce signe [le trait d’union] qui est employé comme “signe moins” dans la transcription mathématique. » Peut-on vraiment parler de « bonne typographie » ?
Il ne faut pas confondre les contraintes pratiques et la théorie.
Pour moi, le correcteur doit mettre en œuvre la meilleure typographie possible ou, du moins, être capable de le faire sur demande. Il faut pour cela la connaître. C’est à cela que servira ce billet.
Les codes et manuels typographiques décrivent les usages différenciés du trait d’union et des tirets (cadratin et demi-cadratin). La plupart oublient de mentionner quel signe il faut employer pour écrire un nombre négatif ! Ce n’est souvent qu’en tombant sur un exemple qu’on en déduit le choix de l’auteur. Et on trouve de tout : ainsi, chez Gouriou (p. 80), un tiret cadratin suivi d’une espace (sous — 20 degrés).
Autre source d’étonnement : la nette distinction qu’ils font entre composition mathématique (par exemple, Imprimerie nationale, p. 115) et composition ordinaire. Peut-on, sans risque, les séparer aussi nettement ? Comme je l’ai déjà dit plus haut, les textes courants peuvent comporter des formules algébriques, qui doivent être relues avec attention par le correcteur professionnel.
Or, inverser la valeur d’un nombre n’a rien d’anodin. Peut-on accepter si facilement de représenter cette opération par un signe étriqué, de moitié moins large qu’un chiffre ?
S’en émouvoir, ce n’est pas être puriste. C’est avoir le souci de la lisibilité. C’est aussi chercher à maintenir vivant l’art de la typographie.
Même Jean-Pierre Colignon parle du signe moins au passé : « […] le vrai “moins” était un signe intermédiaire entre le tiret et le trait d’union, faisant les deux tiers ou les trois quarts du vrai tiret. Ce rôle est joué aujourd’hui par le trait d’union […]1 »
Un correcteur digne de ce nom ne confondrait pas la lettre minuscule x et la croix de multiplication (×), ni le prime (a′) et l’apostrophe (a’). Pourquoi devrait-il confondre trait d’union (ou tiret) et signe moins, en laissant libre cours à une prétendue « norme » ?
Aspect pratique
Bref, quand les codes typo parlent de l’écriture des nombres négatifs, ils recommandent généralement le trait d’union. Voir Colignon (déjà cité) ou Ramat-Muller (p. 83). Pour ma part, je le trouve trop petit et je lui préfère le tiret demi-cadratin, à l’instar du typographe Bruno Bernard2.
L’emploi du signe moins, qui reste recommandable en typographie soignée, présente trois difficultés :
1) Il n’est pas accessible au clavier directement. Il faut soit taper son Unicode (U-2212), soit aller le chercher dans les glyphes, parmi les signes mathématiques.
2) Il n’existe pas dans certaines polices, comme la Garamond de mon Mac.
Le signe moins ne s’affiche pas dans la Garamond de mon ordinateur.
3) Conséquence du 2 : si on travaille sur un texte qui aura plusieurs destinations, par exemple une publication imprimée et une en ligne, on ne peut prendre le risque d’employer un signe qui, potentiellement, disparaîtra du texte. Il faut au moins vérifier que cela est sans danger.
Ces restrictions mises à part, le signe moins reste disponible.
Et l’espacement ?
Pour faire le tour complet de la question, je donne les règles d’espacement du signe moins (difficiles à trouver), évidemment valables si vous utilisez à sa place le trait d’union ou le tiret :
« Un nombre négatif est écrit sans espace séparateur après le signe moins » — Wikipédia3. Inversement, toutes les opérations algébriques s’écrivent avec une espace avant et après le signe. En effet, en mathématiques, on distingue le cas où le signe moins est un opérateur unaire (–1) et celui où il est un opérateur binaire (3 – 1). Pour plus d’information, lire le PDF Règles françaises de typographie mathématique d’Alexandre André.
Même s’il n’en a pas l’usage au quotidien, le correcteur doit au moins connaître l’existence du signe moins et ses propriétés, pour l’employer quand cela est nécessaire. Cela ne me paraît pas follement réactionnaire, simplement rigoureux.
1er décembre, premier jour de l’avent et, bien sûr, défilent, sur les réseaux sociaux et ailleurs, billets et articles surfant sur le « calendrier de l’avent » ou, plus souvent, « de l’Avent ». Pourquoi cette hésitation graphique ?
Anciennement advent (vers 1119), avent vient du latin chrétien adventus (« arrivée, avènement ») et désigne la « période de l’année liturgique de quatre semaines qui précède et prépare la fête de Noël » (Larousse).
Un calendrier de l’avent est une boîte « comprenant vingt-quatre volets à ouvrir chaque jour, du 1er décembre à Noël, pour découvrir une friandise, une surprise » (Robert).
Dans un cas comme dans l’autre, la minuscule s’impose.
Le logiciel Antidote précise : « Comme c’est toute une période qui est désignée par le mot avent et non pas un jour de fête unique, il est recommandé de l’écrire avec une minuscule, comme pour le nom du carême ou du ramadan. La graphie Avent, avec une majuscule, est déconseillée. »
On peut le vérifier dans les dictionnaires suivants : Robert, Jouette, Girodet, Dournon, Littré ; dans les encyclopédies Universalis et Wikipédia, ainsi que dans la Vitrine linguistique (Québec).
Seul Larousse (et le TLFI) maintient la majuscule. Est-ce pour « bien distinguer l’Avent, temps de la liturgie catholique qui précède Noël, de la préposition avant » ? L’argument me paraît mince.
Même le dictionnaire de la si conservatrice Académie a abandonné la majuscule depuis son édition de 1835.
Pourtant, cette tradition – de la majuscule – a la vie dure.
Avent dans calendrier de l’avent serait-il perçu comme le « nom spécifique », sur le modèle de ministère de l’Économie ? S’agit-il de l’expression d’une déférence à l’égard de la religion ? Ou encore d’un exemple de la « majusculite » commerciale ?
J’avoue que l’explication m’échappe. Les hypothèses sont les bienvenues.
Comme nous allons le voir, les ressources à la disposition du correcteur sont contradictoires sur cette question, ainsi qu’au sujet des crochets et des guillemets.
En ce qui concerne le style des parenthèses, la règle que j’ai apprise à mes débuts et que j’ai vu largement pratiquer – notamment dans la presse et dans les pièces de théâtre – est celle donnée par Louis Guéry1 :
Lorsque tous les mots à l’intérieur de la parenthèse sont en italique dans un texte en romain, les parenthèses se composent en italique, l’inverse étant vrai : ➠ Il roula sa busse (sic) jusqu’à l’entrée de la cave. ➠ C’est ce que l’on attend maintenant (à suivre).
Lorsque, à l’intérieur de la parenthèse, des mots sont composés en romain et d’autres en italique, on composera les deux parenthèses dans le caractère dominant : ➠ … (qui deviendra au fil des ans un sacré rififi).
En aucun cas, on ne composera une parenthèse en romain et l’autre en italique.
De même, dans le vieux Code typographique2, on trouvait (§§ 54, 55 et 99) les exemples suivants :
M. Valois — Je suis surpris. (Bruit.) Il atteignit enfin le troisième étage. (À suivre.) Nous nous rattrapperons (sic). Quelle horreur !… (Elle recule épouvantée.)
L’ouvrage expliquait cette apparente incohérence comme suit (§ 99, p. 105) :
Les parenthèses renfermant une phrase ou une partie de phrase entièrement en italique peuvent être en italique ou en romain, mais, si le mot initial ou final est en romain, les deux parenthèses seront obligatoirement en romain3.
L’édition de 1997 ajoute, dans une rédaction modernisée (§ 150, p. 137) : « Cette règle est la même pour tout caractère d’une famille ou d’un style différent de celui du texte. » On peut en déduire que cela est valable pour le gras, usage que j’observe très rarement, mais que recommande le Québécois Guy Connolly sur son site4.
Chez Charles Gouriou, on peut lire pareillement (§ 206, p. 96) :
Les parenthèses qui encadrent un texte en italique ou en caractères gras devraient normalement5 se composer dans le même corps6 : ➠ Parbleu ! (Il sourit.) Regardez.
Il prend la peine de préciser : « Cependant, si cet usage a été régulièrement omis, on ne le rétablira pas à la correction.»
Avis divergents
En effet, certains éditeurs font un autre choix, celui que préconise notamment la Vitrine linguistique (Canada)7 :
[…] les parenthèses sont de préférence dans la même face8que la phrase principale et non des mots mis entre parenthèses. Ainsi, dans les indications aux lecteurs, les descriptions scénographiques et les jeux de scène, les parenthèses se composent en romain, alors que le reste est en italique. Dans les renvois à d’autres sections d’un ouvrage, seul le titre ou mot faisant l’objet du renvoi est en italique ; le reste est en romain, y compris les parenthèses. Quant aux crochets, ils restent généralement en romain, que le texte soit en romain ou en italique (notons toutefois que les conventions typographiques sur les crochets ne sont pas uniformes d’un ouvrage à l’autre).
Pour Jacques Drillon, c’est le seul choix de bon sens (p. 277, § 28) :
[…] si le début de la parenthèse est en romain, et la fin en italique, il est impossible d’adopter un système cohérent… Tandis que si l’on observe la règle qui veut qu’un signe de parenthèse soit imprimé dans le corps du texte général, la difficulté tombe d’elle-même. C’est l’opinion de Jean-Pierre Colignon9 et de nombreux autres correcteurs […]
Concernant l’usage très répandu dans les journaux de mettre les citations en italique, y compris les guillemets qui les encadrent, Drillon a un avis tout aussi tranché (p. 325, § 25) :
C’est une coutume illogique, puisque les guillemets appartiennent au discours général de l’auteur, non à la partie entre guillemets.
J’ai eu un client qui suivait l’avis de Drillon, mais c’est peu courant.
Quand le correcteur est décisionnaire de ces choix typographiques, il est sans doute plus simple pour lui de laisser tous les signes de ponctuation dans le style principal du texte, qu’il s’agisse des signes isolés comme la virgule ou des signes allant par paire. Cela évite bien des hésitations.
Dans les faits, il doit le plus souvent se conformer à la marche de chaque éditeur.
J’ajouterai, cependant, qu’il est pour moi surprenant qu’aucune des sources que j’ai consultées ne mentionne la difficulté pratique que peut représenter, avec certaines polices, l’association d’un texte en italique et de parenthèses en romain. Le problème est particulièrement apparent avec le Garamond :
En Garamond, par défaut, la parenthèse romaine fermante entre en conflit avec le texte italique. La parenthèse italique le touche, ce qu’il vaut mieux corriger également.
Il faut alors « jeter un peu de blanc » avant la parenthèse fermante, comme le recommande Lacroux (s.v. Parenthèses).
Dans le logiciel InDesign, avant la parenthèse italique, j’ai ajouté 90 d’approche, alors qu’avec la parenthèse romaine, j’ai dû ajouter 270, et cela crée un fâcheux espace au pied du f.
Mais, à l’ère de la PAO, rares sont les professionnels de l’édition qui se donnent encore la peine de tels réglages manuels…
La question esthétique du mélange de signes de ponctuation romains et italiques n’est pas à réserver à « l’homme de goût » (Daupeley-Gouverneur) ou à « quelques lecteurs vétilleux » (Lacroux)… Il suffit de s’y intéresser un peu. Comparons deux polices, Garamond et Cambria :
Polices Garamond (en haut) et Cambria (en bas).
On constate aisément que la rupture de style que constitue le point-virgule romain entre deux mots en italique est plus nette dans une police très cursive comme le Garamond.
On note aussi que le point italique en Cambria est bien dessiné en oblique, contrairement au point romain (ce n’est donc pas toujours « kif-kif »).
De plus, le point italique est placé légèrement plus près du t que le point romain (voir l’exemple en Garamond ci-contre).
Je pensais confusément que l’exception dont fait souvent l’objet la virgule (ainsi que le point et les points de suspension, mais ils se remarquent moins) tenait au fait qu’elle est collée au mot précédent et « accompagne » son mouvement, en quelque sorte. Mais je n’ai pas trouvé confirmation de cette hypothèse. D’abord, parce que les typographes ont longtemps mis de l’espace avant la virgule (lire Espacement de la ponctuation en français) ; ensuite, parce que l’usage différait selon les imprimeurs (voire selon leurs différents compositeurs ?) ou parfois même à l’intérieur d’un ouvrage.
Quelques exemples
Dans le manuel de A. Frey (18351), la ponctuation, qu’elle soit haute ou basse, reste en romain après des mots en italique :
Première ligne : le point-virgule après cursive est en romain. Troisième, quatrième et sixième lignes : la virgule suivant un mot en italique est en romain.
Chez Jules Claye (18742), la ponctuation est oblique quand le texte qui précède est oblique.
Toutes les virgules suivant de l’italique sont composées dans le même caractère.
À la même époque, on trouve à la fois des virgules romaines chez Littré :
Dictionnaire de la langue française, 1873-1874.
et des signes de ponctuation italiques (ici, un point-virgule) chez Flaubert :
Madame Bovary, 2e partie, ch. X, [1857], 2e éd., 1878.
Une règle, enfin
C’est chez G. Daupeley-Gouverneur (18803) que j’ai trouvé une première mention de la règle encore mentionnée dans notre vieux Code typographique4 : « La ponctuation, quelle qu’elle soit, doit être romaine après le romain, italique après l’italique. »
Lui-même admet déjà répondre en premier lieu à un objectif esthétique. « La règle qui nous occupe est, dit-il, une de celles qui ont pour objet la satisfaction du coup d’œil ; mais elle ne s’accorde pas toujours avec la raison […] », et il est « forcé d’admettre une exception en faveur des textes traitant spécialement de linguistique […] dans lesquels l’italique vise presque toujours uniquement les mots à l’exclusion de la ponctuation ».
Malgré tout, il souhaiterait voir sa règle unanimement appliquée :
En ce qui concerne l’emploi des virgules italiques, il règne malheureusement, dans la plupart des imprimeries, pour ne pas dire dans toutes, une trop grande indifférence de la part du compositeur. L’expérience nous prouve tous les jours combien il est difficile d’atteindre ici la perfection. Le mélange des virgules italiques et des virgules romaines est, nous le savons, un détail qui paraît bien minutieux aux gens qui ne sont pas du métier, mais il fera toujours la désolation de l’homme de goût. L’observation de la règle sur ce point a pour nous une réelle importance, parce que l’écueil est à chaque pas, parce qu’il ne se présente que deux chemins également faciles à suivre, l’un bon, l’autre mauvais, et que le choix de l’un ou de l’autre est trop souvent soumis aux caprices du hasard, source d’un désordre perpétuel.
Un remède oublié
Grâce à lui, j’ai découvert qu’une solution originale – et perdue depuis – a été imaginée à son époque :
C’est la difficulté d’obvier à ce mélange qui a fait adopter depuis quelque temps, dans certaines fontes, un genre de virgules mixtes, dont l’œil n’est ni tout à fait romain, ni tout à fait italique. Nous approuvons fort ce système, qui, n’ayant rien de choquant en lui-même, a l’immense avantage de parer à l’inconvénient que nous signalons.
Dans une note, il affirme : « La septième édition du Dictionnaire de l’Académie (1877) [sic, 1878] a été composée entièrement avec des virgules mixtes. » Cela a piqué ma curiosité, qui s’est trouvée en partie déçue, car dès la définition du mot virgule j’ai trouvé un mélange de styles :
Virgule romaine (ou « mixte » ?) après virgule ; virgule italique après « saillie ». La belle ambition de cohérence semble avoir été trompée par le travail des compositeurs…
Pour ma part, afin d’éviter les « caprices du hasard » et le « désordre perpétuel », je recommande, contrairement à Daupeley-Gouverneur, de laisser la ponctuation dans le style du texte principal. La « satisfaction de l’œil », en soi déjà discutable (car si une virgule italique est en cohérence avec le texte italique qui précède, elle est incohérente avec le romain qui suit), me paraît ici moins importante que la rigueur du sens communiqué par la typographie.
« Le mélange des virgules italiques et des virgules romaines est, nous le savons, un détail qui paraît bien minutieux aux gens qui ne sont pas du métier, mais il fera toujours la désolation de l’homme de goût. » — G. Daupeley-Gouverneur (18801)
Comment le correcteur doit-il agir quand une virgule suit un texte en italique ou en gras (ou les deux à la fois) ? Celle-ci doit-elle se conformer au style du texte en question ?
Une règle simple se trouve dans Le Ramat européen de la typographie, adapté par Romain Muller (p. 88, « Faces de la ponctuation ») :
La ponctuation se met dans la face2de la phrase ou partie de phrase à laquelle elle appartient.
➠ La centième partie de l’euro est le centime ; la centième partie de la livre est le penny. Le point-virgule et le point sont en romain. ➠ Le titre du livre est le suivant : Le théâtre aujourd’hui ; son rôle dans la société. Le deux-points est en romain, le point-virgule est en italique, le point est en romain.
Pour la plupart des gens, professionnels ou non, « un point romain et un point italique, ça doit être kif-kif », comme le dit quelqu’un dans le forum Typographie… Mais poursuivons notre lecture de Ramat-Muller :
Fautif : Il convient d’être très attentif, car c’est un travail de précision. Correct : Il convient d’être très attentif, car… Fautif : c’est un travail de précision. Il faut être très attentif ! Correct : c’est un travail de précision. Il faut être très attentif !
Cette règle est celle que j’applique dans les travaux où j’ai le contrôle complet de la typographie. Elle a l’avantage de ne souffrir ni exception ni ambiguïté. « C’est la façon de faire la plus normale et celle qu’on devrait préférer », écrit aussi la Vitrine linguistique3.
C’est également le choix de Jean-Pierre Lacroux (s.v.Ponctuation) :
Après une portion de phrase composée en italique (mots étrangers, titres, etc.), la ponctuation sera composée en romain si elle n’appartient pas à l’élément ainsi mis en évidence : « Quel est le deuxième lied du cycle Die schöne Müllerin ? — Il me semble que c’est Wohin ? »
De même pour Charles Gouriou (§ 41, p. 13), qui ne mentionne, lui, que la ponctuation haute (; : ! ?).
Avis divergents
Cependant, notre vieux Code typographique4 prescrivait l’inverse dans un nota (§ 105, p. 108) :
Il est d’usage d’employer les signes de ponctuation du même œil que le mot qui les précède, surtout quand il s’agit d’italique ou de caractères gras : ➠ Fallait-il écrire la location ou l’allocation ? ➠ On discuta longtemps sur Tartuffe ; d’autre part, on tomba d’accord sur…
D’autres font une exception pour la seule virgule ou pour toute la « ponctuation basse » (virgule, point, points de suspension). « Peut-être pour des raisons de commodité » (Vitrine linguistique), le plus souvent avec des arguments esthétiques5.
Aurel Ramat lui-même, dans son manuel (l’édition québécoise, donc), écrit (p. 192) : « La ponctuation basse reste toujours dans la même face que le mot qui la précède, qu’elle appartienne au mot ou au reste de la phrase. »
« Toutefois, objecte le Bureau de la traduction6 (Canada), si l’on applique à la lettre cette règle de typographie, on devrait écrire : ➠ Vous avez le choix d’utiliser les styles de police suivants : gras,italique, normal, gras italique. Il semble plus logique dans un cas comme celui-là de mettre les signes de ponctuation en caractères ordinaires. »
Laquelle des options ci-dessous est la meilleure ? gras,italique, normal, gras italique. gras, italique, normal, gras italique.
C’est une question d’appréciation personnelle. Je choisis la seconde.
Je ne pratique qu’une exception, pour les introducteurs en gras, car je considère que le deux-points qui les suit leur appartient. Choix validé par le Bureau de la traduction :
On met généralement en gras le deux-points qui suit un mot ou une expression en gras en début de phrase : ➠ Remarque : Ce terme est considéré comme vieilli.
Pour être exhaustif, il faut aussi noter, toujours sous la plume du Bureau de la traduction :
Par souci de simplification et d’économie de temps, on admet […] de mettre les virgules en italique après chaque nom d’une énumération : ➠ Les noms qui riment avec le son -on, comme jambon, lardon, poisson, carillon, bouton, etc., ne peuvent pas être utilisés dans l’exercice.
J’avoue me laisser aller à ce genre de facilité… ce qu’admet aussi Lacroux, dans une discussion7 :
[…] dans une énumération de termes composés en italique, pourquoi se fatiguer à réintroduire du romain à chaque virgule alors que l’ital coule de source et que sa bizarrerie « sémantique » n’apparaîtra qu’à quelques lecteurs vétilleux […]
Je donne ici une règle qui a l’avantage d’être facile à appliquer, mais je ne suis pas pour autant insensible à l’aspect esthétique de la question. J’y reviens donc dans un billet plus historique, Ponctuation et italique : aux sources de la règle.
Que reste-t-il du monde des typographes ? Laure Bernard a recueilli le témoignage de deux d’entre eux, Frédéric Tachot et Jean-Paul Deschamps, derniers héritiers de ce monde resté quasiment inchangé pendant cinq siècles et qui a disparu en une génération. À travers le récit de leur parcours, de leur expérience dans une Histoire qui se termine, ce sont les arcanes de ce métier qui se dessinent : un univers où se mêlent formation et filiation, où le savoir-faire implique un certain rapport au savoir lui-même, où le geste est lié au mot, et où l’appartenance à une corporation, avec ses diverses nuances, se traduit aussi par un langage, et par un esprit, vifs et truculents. (Présentation de l’éditeur.) Extraits.
Frédéric Tachot transmet son expérience de typographe.
Chez les Tachot, on est typos depuis sept générations… Ainsi, la vie se passe en trois temps : un temps où l’on apprend, un deuxième temps où l’on se sert de ce qu’on a appris pour vivre et un troisième temps où l’on doit restituer. J’en suis au troisième stade là, au stade de la restitution. Mais qu’est-ce que je peux transmettre, et à qui ? Toute la question est là. La tradition typographique, l’esprit du métier, ne sont plus transmissibles puisque le monde qui leur était rattaché est mort.
Correcteurs et corrigeurs
Une fois la première composition terminée, on tire une « épreuve » du texte. Le processus est un peu différent entre le Labeur et la Presse mais dans les deux cas, l’épreuve permet de faire les corrections, Il y a les correcteurs qui corrigent le texte, qui l’annotent en fonction des modifications à faire ; parfois il y a les corrigeurs, des typographes qui retouchent concrètement le texte, la forme typographique selon les indications du correcteur. Bien sûr, en fonction des boîtes ces tâches étaient faites par plus ou moins de personnes différentes, le protocole n’était pas tout à fait le même. (p. 82)
Codes typographiques
Deschamps : Établir des règles communes, c’est aussi le principe du Code typographique. Mais il faut bien dire que ces codes de composition, ces codes typographiques, il y en a un à chaque époque, chaque auteur a voulu en faire un, et il n’y en a pas deux qui disent la même chose, c’est assez extraordinaire ! Il y a le Lexique des règles typographiques de l’Imprimerie nationale ; le Code typographique, édité par la Chambre typographique ; le Guide du typographe des Suisses romands ; les règles de l’Institut belge de normalisation… autant de codes, souvent contradictoires. Et pourtant, dans le pur esprit typographique, il faut souligner qu’à une époque, quand on avait à faire un simple tableau administratif, qu’on le fasse à Lille, à Marseille, à Brest ou à Strasbourg, il était fait rigoureusement de la même manière. Chose qu’on ne fait plus maintenant.
Tachot : Si on voulait faire un ouvrage d’édition courante, où que ce soit, il était fait de la même façon. À condition que le format papier soit le même. Il y avait la moitié du blanc avant le point-virgule, le point d’exclamation, le point d’interrogation, pas de coupure de syllabe muette… Dans tous les pays francophones, que ce soit chez les Belges ou chez les Suisses, les mêmes règles étaient utilisées. Les Anglais et les Américains en avaient d’autres, bien que les Anglais se rapprochent aujourd’hui de plus en plus des Américains. En France, d’ailleurs, le Code typographique dépend des syndicats de l’imprimerie ou de l’Imprimerie nationale ; tandis qu’en Angleterre, il dépend d’Oxford. Ce sont les grammairiens qui s’occupent de la typographie de leur langue, ce qui est tout à fait logique puisque ça touche aux règles de grammaire et de compréhension d’un texte.
D : Quand l’étais apprenti, mon patron pouvait refuser un travail à des clients dont les demandes ne correspondaient pas aux règles typographiques. Il nous disait : « Je ne le fais pas. Ce n’est pas typographique ! ». Et le client se faisait dire la même chose par un autre. Maintenant, alors on s’en fout totalement.
T : Les imprimeurs sont devenus des prestataires de services, ils ne peuvent plus lutter contre les imprimantes laser. Ils sont contraints de s’asseoir sur toutes les valeurs qui ont construit le métier pendant cinq siècles. Et ça, ça nous désole un peu. (p. 98-99)