Au début de l’imprimerie, la rareté des caractères en plomb contraignait les ateliers à travailler en « flux tendu », correcteurs compris.
On imagine combien le travail d’impression est soumis à des contraintes matérielles complexes, qui supposent de l’organiser très précisément. Chaque feuille doit passer deux fois sous la presse (pour le recto et le verso) et il faut en outre prévoir les épreuves. Or, les caractères (les fontes) sont très onéreux et en nombre insuffisant pour imprimer à la suite des volumes parfois importants. En règle générale, les imprimeurs opèrent donc feuille à feuille : ils décomposent les premières feuilles (la redistribution) pour disposer des caractères nécessaires à la suite de leur travail. Non seulement on doit coordonner le travail de composition et d’impression, mais la correction des épreuves se fait aussi en fonction de ce rythme : il faut que l’auteur ou le correcteur soit disponible dans l’atelier même ou à proximité immédiate tout le temps du travail d’impression, de manière à ce que chaque épreuve correspondant à une forme puisse être aussitôt corrigée, puis imprimée, avant que l’on n’en redistribue les caractères pour passer à la suite.
Frédéric Barbier, Histoire du livre, Armand Colin, 2000, p. 70
C’est pour moi une découverte, après trente ans de métier : le premier manuel à l’usage des correcteurs date de 1608 – soit un siècle et demi après l’impression de la Bible à 42 lignes par Gutenberg. Nous le devons à Jérôme Hornschuch (1573-1616), qui pratiqua la correction d’épreuves comme gagne-pain tout en suivant des études de médecine. Son petit ouvrage, Orthotypographia (45 pages in‑8), a été publié à Leipzig en latin, puis traduit en allemand (l’édition allemande peut être feuilletée et téléchargée sur SLUB). « La brochure a été publiée dans de nouvelles éditions légèrement modifiées jusqu’en 1744 environ » (Eberhard Dilba).
Page de titre de l’édition en allemand (1634).
« Livre d’érudit sourcilleux : [Hornschuch] évoque, dans un discours savant, l’histoire de l’écriture, l’invention de l’imprimerie ; il vante les qualités du correcteur, définit les dispositifs d’impression correspondant au format, énumère les signes de correction, dénonce les pièges de la composition, de la graphie, vante la bonne ponctuation, cite d’illustres modèles. Un manuel méthodique du savoir corriger » (Jean-Claude Chevalier, CNRS).
On y trouve, pour la première fois représentés, les signes utilisés par les correcteurs : « […] on sait que dès l’époque des incunables, certains signes de correction sont fixés et ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur forme initiale (voir par exemple le deleatur) » (Rémi Jimenes, Centre d’études supérieures de la Renaissance).
En face du 2e paragraphe, on reconnaît le deleatur.
« L’ouvrage comporte également une gravure, devenue célèbre, de Moses Thym représentant un atelier typographique. On y voit, à l’arrière-plan à droite, trois personnages dont l’un lit attentivement un texte et les deux autres discutent. On s’accorde à penser qu’il s’agit d’un auteur en pleine discussion avec deux correcteurs » (Dominique Varry, ENSSIB) – d’autres auteurs disent que le troisième personnage n’est pas identifié.
Au fond à droite, trois personnages discutent, dont deux sont peut-être des correcteurs.
« Le correcteur, quand il existe, joue précisément l’interface entre l’imprimeur et l’auteur. Il demeure donc un témoin privilégié. […] Hornschuch dégage sa propre responsabilité, renvoyant dos à dos des “maîtres imprimeurs ignares et grippe-sous, [et] des auteurs négligents” » (Alain Riffaud, Sorbonne, citant J.-F. Gilmont) :
Orthotypographia a été traduit en français par Susan Baddeley, et édité avec une introduction et des notes de Jean-François Gilmont, par les Éditions des Cendres en 1997. Malheureusement, les 489 exemplaires ont vite été écoulés et mes recherches sont restées vaines pour l’instant. Il est cependant consultable à la BNF.