J’ai trouvé dans Demi-crimes, l’ultime roman d’Henry de Pène (1830-1888), une nouvelle description déplorable du local des correcteurs dans une imprimerie parisienne au xixe siècle. On peut raisonnablement faire crédit à l’auteur de l’authenticité de ses propos, car il a été journaliste pendant une quarantaine d’années.
Le fait est que le petit réduit, une espèce de niche pratiquée, à l’entresol, dans la cage de l’escalier noir qui conduisait de l’atelier des machines aux ateliers de composition et aux bureaux des différents journaux locataires de l’imprimerie Drière, n’était guère fait pour recevoir des visiteurs gantés, vernis, luisants [sic] des pieds à la tête comme l’était d’ordinaire, et plus spécialement encore ce soir-là, M. Jack Stick, l’élégant rédacteur hippique de l’Écho Parisien.
Autant le jeune homme était parfumé, autant le petit local dont il venait de pousser la porte devant lui était puant. L’odeur grasse des encres, le relent des vieux papiers mêlé aux exhalaisons humaines, les fumées refroidies des cigares et des cigarettes, les émanations du gaz, l’absence d’air extérieur, la poussière longuement accumulée sur le plancher, le long des murs, y composaient une atmosphère spéciale et, en quelque sorte, professionnelle qu’on ne pouvait impunément respirer que par grâce d’état1. Dans ce bouge, quatre poitrines humaines étaient condamnées à une asphyxie de chaque nuit. C’étaient Brenard, le correcteur attitré de l’Écho, un apprenti qui lui servait de « teneur de copie » ; un autre correcteur, attaché au service de plusieurs canards de moindre importance qui ne se payaient pas le luxe d’un correcteur spécial. Ce second correcteur était assisté, lui aussi, d’un jeune garçon chargé de suivre sur le manuscrit, tandis que son chef couvrait de signes cabalistiques, intelligibles seulement pour les initiés, les étroites feuilles de papier imprimées dites : paquets, où le premier travail du compositeur dépose parfois presque autant de fautes que de mots. (p. 13-14)
“Des chenils sombres et malsains”
Cet extrait est à rapprocher du témoignage de M. Dutripon (1861 : « on le fourre dans un trou, sous un escalier, sous les rangs des compositeurs, quelquefois dans une espèce de niche qu’on appelle cabinet, sombre, étroit »), du récit de Pierre Larousse (1869 : « Les loges de concierges, dans certaines ruelles du vieux Paris, aujourd’hui disparues, auraient pu passer pour des salons en comparaison des chenils sombres et malsains que telle grande imprimerie de la capitale décore du nom pompeux de bureaux des correcteurs ») et de la vision lugubre du métier par Paul Bodier (1936 : « Les correcteurs sont les plus sacrifiés par tout un clan de misérables patrons dont les ateliers sales et pouilleux sont le refuge de toutes les vermines, de toutes les poussières, de toutes les immondices possibles […] »).
On a, heureusement, un contre-exemple avec le bureau des correcteurs à l’imprimerie Paul Dupont, 1867.
Dans un dialogue, Henry de Pène évoque aussi la rémunération du correcteur, que Jack Stick appelle « avec une familiarité cordiale “père Brenard” ». Ce dernier déclare :
— […] voyez-vous, nous avons des enfants et avec ce que je gagne ici la nuit, ce qu’on me donne au journal du soir où je corrige dans l’après-midi, on a bien de la peine à joindre les deux bouts.
— […] Vous ne m’avez jamais dit combien vous vous faisiez par mois à vous crever les yeux et à vous éreinter le tempérament au service de vos deux journaux.
— Deux cent cinquante francs ; quelquefois trois cents, quand je puis faire quelques suppléments… (p. 16)