Il arrive que, par mégarde, le correcteur ajoute une erreur, ce qui est fâcheux mais humain. Jean Yanne nous en raconte une savoureuse, qui l’a fait rire.
« Outre les coquilles, ce que je trouve savoureux dans la presse, c’est l’erreur qui se produit entre le moment où le journaliste écrit son article et le moment où il est imprimé. Parce que c’est dans cet intervalle que sévissent les correcteurs qui, quelque fois [sic], aggravent les choses. La plus belle que j’ai trouvée, c’est dans un journal breton. Le journaliste avait écrit SE pour sud-est, en abrégé. Le début de son article était : “Le navire a quitté le port à 14 heures, poussé par un léger vent de sud-est.” Passé dans les mains du correcteur, c’est devenu, une fois imprimé : “Le navire a quitté le port à 14 heures, poussé par un léger vent de Son Éminence.” Je sais bien que la Bretagne est un pays catholique, mais là, j’me marre ! »
Jean Yanne, J’me marre, Le Cherche midi, 2003 [posthume].
PS — L’exemple est amusant, en effet, mais rien ne dit qu’au moment où ce « fond de tiroir » (non daté) a été glané, il y avait encore un correcteur dans ce journal. C’est l’habitude de s’en prendre au correcteur qui est ancienne.
André Bergeron, le 26 mai 1968. Source : Les Échos.
Dans le second volume de ses souvenirs1, le journaliste Maurice Rajsfus (1928-2020) évoque un correcteur avec lequel il s’est particulièrement lié d’amitié, Minet. J’ai retenu l’histoire suivante.
« Minet brillait dans l’anecdote. Il aimait relater les « cuirs » où [sic] les mauvaises plaisanteries mettant parfois en péril la situation d’un correcteur, d’un typo ou du journaliste responsable d’une rubrique. Ainsi, une nuit de la Saint-Sylvestre, alors que l’équipe d’Ouest[-]France, à Rennes, était déjà partie réveillonner en famille, il ne restait plus à l’atelier qu’un linotypiste, un typo et un correcteur pour les derniers repiquages. Le lino composait une liste interminable de promus dans l’ordre de la Légion d’honneur et, arrivant au terme de cette corvée, il avait cru bon de conclure par deux lignes vengeresses : « Et puis merde ! Tous ces cons-là me font chier ! » Le typo avait terminé son montage et donné un coup de clé supplémentaire à la forme d’acier. Entre[-]temps, l’ultime épreuve était arrivée chez le correcteur qui n’avait pas manqué de remarquer les phrases iconoclastes et porté immédiatement le holà. « Ne t’inquiète pas, avait dit le typo, c’était une blague à usage interne. Tu penses bien que les deux lignes ont été retirées au marbre. Nous voulions juste voir comment tu allais réagir. » Le lendemain, à cinq heures du matin, une armée de cyclistes faisait le tour des dépositaires de Rennes et de la région pour retirer les exemplaires contaminés. »
Dans sa Lettre ouverte à un syndiqué (Albin Michel, 1975), André Bergeron (1922-2014, secrétaire général de la CGT-FO de 1963 à 1989) raconte une aventure similaire.
« La vie militante offre aussi des moments amusants. Je veux te conter une anecdote qui date de l’avant-guerre. J’étais employé à la Société générale d’imprimerie à Belfort.
« En 1938, je crois, le cardinal Pacelli, qui devait par la suite devenir pape, était venu inaugurer la basilique de Lisieux. À cette occasion, il prononça un grand discours qui se terminait par quelque chose comme : « Vive Dieu, Vive la Religion, Vive le Catholicisme, etc. » Je précise que la Société générale d’imprimerie sortait La République de l’Est, journal de l’évêché. Parmi les linotypistes, il y avait un vieux camarade que, parce qu’il avait de grandes moustaches, nous appelions le « Gaulois ». Il était un peu anarchiste. À la fin du discours du futur Pie XII, entre le « Vive Dieu » et le « Vive la Religion », il ajouta « Vive les Soviets ! » C’était une plaisanterie qui, sans doute, dans son esprit, ne devait pas dépasser le bureau des correcteurs. Seulement, les correcteurs laissèrent passer… Tu te rends compte, le journal de l’évêché est sorti avec le « Vive les Soviets » du Gaulois ! J’entends encore les hurlements du patron. Eh bien, finalement, notre lino est demeuré en place. Sans doute la chose passerait-elle mieux aujourd’hui étant donné l’Ag[g]iornamento ! »
Dessin d’Alberto Montt, dessinateur équatorien, connu dans toute l’Amérique latine. Celui-ci est pour nous, gens du livre. L’album dont il est extrait est publié, avec d’autres, par Çà et là. Une bonne idée cadeau.
Les hispanophones peuvent apprécier les dessins d’Alberto Montt en version originale sur son blog, En dosis diartas.