Le 6 mai, fête des typographes et des imprimeurs

Les typographes fêtent la Saint-Jean-Porte-Latine. Gravure de Pierre Eugène Lacoste, dans "Physiologie de l'imprimeur", de Constant Moisand, Paris, Desloges, 1842, p. 72.
Les typo­graphes fêtent la Saint-Jean-Porte-Latine. Gra­vure de Pierre Eugène Lacoste, dans Phy­sio­lo­gie de l’im­pri­meur, de Constant Moi­sand, Paris, Des­loges, 1842, p. 72. Source : Gallica/BnF.

Nous sommes le 6 mai, jour de la Saint-Jean-Porte-Latine. C’est la fête patro­nale des typo­graphes et des impri­meurs (mais aus­si des pape­tiers, des relieurs, des écri­vains, des copistes, des libraires, « enfin de tous ceux par les mains des­quels passe le livre, véhi­cule de la pen­sée1 » — et les cor­rec­teurs ?). Ou plu­tôt c’était une fête célé­brée depuis la fin du xvie siècle2, par une messe sui­vie d’un bal ou d’un ban­quet. « Avant la Révo­lu­tion, les impri­meurs, qui étaient admis à la cour, devaient, ce jour-là, fer­mer bou­tique et ate­liers sous peine d’a­mende3. »

Rappel de l'interdiction de travailler un jour de fête. "Code de la librairie et imprimerie de Paris", 1744.
Rap­pel de l’in­ter­dic­tion de tra­vailler un jour de fête. Code de la librai­rie et impri­me­rie de Paris, ou Confé­rence du régle­ment arrê­té au Conseil d’É­tat du Roy, le 28 février 1723, et ren­du com­mun pour tout le royaume, par arrêt du Conseil d’É­tat du 24 mars 1744. Source : Gallica/BnF.

Ensuite, la tra­di­tion s’est main­te­nue quelque temps dans cer­tains ateliers.

En 1836, par exemple, le Cour­rier du Midi aver­tit ses abon­nés que le ven­dre­di 6 mai, les ate­liers d’im­pri­me­rie seront fer­més, ce qui repous­se­ra la sor­tie du jour­nal daté du same­di au dimanche matin.

Avis de fermeture des ateliers le 6 mai, dans le "Courrier du Midi", 5 mai 1836.
Cour­rier du Midi, jour­nal de l’Hé­rault, 5 mai 1836. Source : Gallica/BnF.

Quand ils ont com­men­cé à fes­toyer, les typo­graphes ont du mal à s’arrêter4. Dans sa Phy­sio­lo­gie de l’imprimeur (1842), Constant Moi­sand raconte avec humour :

Vienne par exemple le six mai, jour de la St-Jean-Porte-Latine, fête des com­po­si­teurs, le singe5 fait ce qu’il appelle ses frais6. Tous les com­pa­gnons du même ate­lier se réunissent pour aller dîner aux Ven­danges de Bour­gogne7, et cet illustre res­tau­rant devient alors le théâtre des débauches les plus désor­don­nées. Cette déli­cieuse noce dure au moins trois jours, jus­qu’à ce qu’en­fin les eaux soient deve­nues tel­le­ment basses, qu’il faille retour­ner à ce mau­dit ate­lier8.

Mais la tra­di­tion est déjà en train de se perdre. Trente ans plus tard, la Saint-Jean-Porte-Latine « n’est plus guère chô­mée9 », selon le cor­rec­teur Eugène Bout­my (Dic­tion­naire de l’argot des typo­graphes, 1878).

Tou­te­fois, le Bul­le­tin folk­lo­rique d’Ile-de-France (1948) rap­porte qu’en 1899 les typo­graphes d’Étampes (Essonne) ont encore digne­ment mar­qué l’évènement. Une seule journée.

LES TYPOGRAPHES et « LA SAINT-JEAN PORTE-LATINE »

La cor­po­ra­tion des typo­graphes d’É­tampes don­nait […] tous les ans une fête en l’hon­neur de son saint patron : [s]aint Jean Porte Latine.
En 1899, les membres de cette impor­tante cor­po­ra­tion, coif­fés du cha­peau haut de forme, vêtus de la grande blouse noire du typo­graphe et por­tant la grosse cra­vate noire nouée ont défi­lé par les rues de la ville, aux accents entra[î]nants de marches exé­cu­tées par une fan­fare de bigo­phones10 et de chants d’une cho­rale dont tous les chan­teurs étaient recru­tés par­mi eux.

Un ensemble de bigophones caricaturé par Léonce Burret, 1913.
Un ensemble de bigo­phones cari­ca­tu­ré par Léonce Bur­ret en 1913. Source : Wiki­pé­dia.


À l’ex­tré­mi­té de la ville ils prirent d’as­saut, au nombre d’une cin­quan­taine,
les breacks11 [sic] qui devaient les emme­ner en excur­sion à Mil­ly en Gâti­nais (deve­nu depuis peu Mil­ly-la-Forêt).
À leur arri­vée à Mil­ly, ils firent grande sen­sa­tion sur les habi­tants qui mani­fes­tèrent leur joie.
Après avoir exé­cu­té plu­sieurs mor­ceaux de musique et des chants sur la grande place, ils se ren­dirent à l’hô­tel où un ban­quet leur avait été pré­pa­ré. Le repas, sablé au cham­pagne, fut fort gai. Les toasts furent sui­vis de chan­sons. Le retour se fit vers 2 heures du matin.

Dans la presse de la pre­mière moi­tié du xxe siècle, on trouve encore l’an­nonce ou le compte ren­du de ban­quets de typo­graphes et d’im­pri­meurs un dimanche proche de la date du 6 mai. Le 5 mai 1935, une messe à la basi­lique du Sacré-Cœur a réuni 250 pro­fes­sion­nels pari­siens du livre12.

En 1942, le gra­veur Jean Chièze a repré­sen­té saint Jean Porte Latine par­mi une série de « Saints patrons des métiers de France ». « Saint Jean est ici repré­sen­té jeune, imberbe, auréo­lé, assis, écri­vant son évan­gile sur un pupitre sou­te­nu par l’aigle, son prin­ci­pal attri­but. Il domine une scène se dérou­lant dans une impri­me­rie : l’un des ouvriers est à la presse. Sur le pre­mier des bois gra­vés se trou­vant au sol, on peut voir la repré­sen­ta­tion du sup­plice de [s]aint Jean (à Rome, il est plon­gé dans un chau­dron d’huile bouillante qui lui fit l’ef­fet d’un bain rafraî­chis­sant)13. »

"Saint Jean Porte Latine, patron des imprimeurs", estampe de Jean Chièze, 1942
Saint Jean Porte Latine, patron des impri­meurs, se fête le 6 mai. Estampe de Jean Chièze, éd. Hen­ri Lefebvre, 1942. Coll. musée Car­na­va­let, Paris.

  1. La Petite Presse, 10 mai 1887. ↩︎
  2. « Une décla­ra­tion du roi, du 10 sep­tembre 1572 […] accor­da [aux com­pa­gnons] […] qu’ils auront congé le jour de la Saint-Jean-Porte-Latine […] ». Louis Morin, Essai sur la police des com­pa­gnons impri­meurs sous l’an­cien régime, impr. de L. Sézanne (Lyon), 1898, p. 24. ↩︎
  3. Loc. cit. ↩︎
  4. « […] fêtes et ban­quets par­fois un peu intem­pes­tifs et pro­lon­gés », écrit Louis Bros­sard (Le Cor­rec­teur typo­graphe, 1924, p. 446). ↩︎
  5. Com­po­si­teur typo­graphe. ↩︎
  6. « Faire ses frais », c’est à la fois « faire des dépenses inha­bi­tuelles » et « être récom­pen­sé de ses peines ». Voir « Il faut que je m’a­muse un peu avant de prendre congé ! Je veux faire mes frais » (Bal­zac, Marâtre, 1848, III, 9, p. 104). — TLF. ↩︎
  7. Situé rue du Fau­bourg-du-Temple, à Paris. ↩︎
  8. Constant Moi­sand, Phy­sio­lo­gie de l’imprimeur, Paris, Des­loges, 1842, p. 72-73. ↩︎
  9. « C’é­tait dimanche la fête de Saint-Jean-Porte-Latine, patron des typo­grapbes. Elle coïn­cide avec l’é­pa­nouis­se­ment du prin­temps et l’ap­pa­ri­tion des feuilles. Ce serait une rai­son pour que le saint soit fêté digne­ment par ceux qu’il pro­tège ; mais il n’en a rien été croyons-nous à Bel­fort », regrette Le Ral­lie­ment (jour­nal répu­bli­cain du Ter­ri­toire de Bel­fort), le 10 mai 1888. ↩︎
  10. « Ins­tru­ment de musique bur­lesque, de formes diverses, dont on joue en chan­tant dans l’embouchure » (TLF). ↩︎
  11. Break : « Voi­ture décou­verte, à quatre roues (TLF). ↩︎
  12. Heb­do­ma­daire Choi­sir : vivre c’est choi­sir, 19 mai 1935. ↩︎
  13. Musée dépar­te­men­tal bre­ton, Quim­per. ↩︎