Si vous êtes sensible à la grammaire — je suppose que la plupart de mes lecteurs le sont —, sans doute avez-vous remarqué, dans les journaux, à la radio ou à la télévision, que certains locuteurs ou auteurs emploient systématiquement participer de.
Ils semblent voir cette association verbe + préposition comme l’équivalent formel de participer à. Or, c’est inexact : si participer de relève bien de la langue soignée ou littéraire, les deux formes n’ont pas le même sens. L’Académie est formelle :
Le sens du verbe variera […] selon qu’il sera suivi de la préposition à ou de la préposition de. Participer à signifie « prendre part à une activité donnée », alors que participer de signifie « avoir une similitude de nature avec, relever de ». On se gardera bien de confondre ces différents sens.
Photo 1, écran vu, hier soir à Metz, dans le spectacle Authentique de David Castello-Lopes (que je n’ai pas aimé, mais c’est un autre sujet). Dommage. Il y a pourtant des humoristes qui connaissent la règle (ou qui ont un bon correcteur), comme Guillaume Meurice (photo 2).
La règle est la suivante (Dictionnaire de l’Académie française, s.v. gens) :
« […] lorsque gens est immédiatement précédé d’un adjectif possédant une forme féminine distincte de celle du masculin, cet adjectif s’accorde au féminin ; cependant, cet accord n’est pas étendu aux autres éléments de la phrase, sauf pour les adjectifs tout et quel. Instruits par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneux. Toutes les vieilles gens ; tous les habiles gens. Quelles sottes gens ! »
DONC : De vraies gens.
MAIS :
« La règle ne s’applique pas lorsque gens est suivi d’un complément introduit par de et désignant une qualité, une profession, un état ; dans ce cas, l’accord se fait toujours au masculin. Les vrais gens de cœur. De nombreux gens de lettres. »
Ainsi, on peut composer cette phrase mnémotechnique : Toutes les vraies gens ne sont pas bons. Seuls les vrais gens de cœur le sont tous.
J’admets que c’est une distinction subtile (et appelée à disparaître).
[…] je verrais d’un bon œil que, tout au long de l’année à venir, on prît la bonne résolution de ne plus « opposer » son veto pour se contenter de le mettre (en latin, veto signifiait déjà « je m’oppose ») […]1
Mini-panique à bord, vu que je laisse toujours passer cette expression.
Heureusement, dans un article où elle corrige apposer un veto, l’Académie m’a rassuré :
« Comme le nom veto désigne un droit reconnu par certaines constitutions au chef de l’État de s’opposer à la promulgation d’une loi votée par l’Assemblée législative et, par extension et par affaiblissement, une opposition, un refus ou une interdiction, c’est opposer un veto qu’il faut dire (comme on dit opposer un refus, opposer une fin de non-recevoir), et non apposer un veto. »
Sur la question, le site Parler français est on ne peut plus clair :
Un pléonasme, vraiment ? Littré, que l’on ne peut soupçonner d’avoir perdu son latin, n’y trouve pourtant rien à redire […]. Pas plus que Hanse […], le TLFi […], le Petit Robert […] ou le Dictionnaire historique de la langue française […]. Girodet lui-même, qui n’a pas la réputation d’être laxiste, trouve cette condamnation excessive […]. Il faut dire que le tour, attesté depuis la Révolution, perdure sous plus d’une plume respectable […].
C’est pas sympa de me faire une frayeur un vendredi soir !
Puis a un statut particulier. C’est un adverbe de temps1 (équivalant à ensuite), mais « il s’emploie toujours, en français commun, dans le contexte d’une coordination, et il se place entre les éléments coordonnés, ce qui fait qu’on le range souvent parmi les conjonctions de coordination » (Grevisse, 1005, g2).
En début de phrase, il est rarement suivi d’une virgule, mais ce n’est pas interdit. En tant que « charnière temporelle », sur le modèle d’ensuite, il y a droit3.
« […] puis peut porter un accent tonique, être suivi d’une pause dans l’oral et d’une virgule dans l’écrit […] » (Grevisse, loc. cit.).
On en trouve des exemples dans la littérature. En voici trois, tirés du Grand Robert :
Puis, il repartit, avec une furie nouvelle, jetant un chiffre de la main à chaque enchérisseur, surprenant les moindres signes, les doigts levés, les haussements de sourcils, les avancements de lèvres, les clignements d’yeux […] — ZOLA, Le Ventre de Paris, t. I, p. 154-155.
[…] Moravagine se signa longuement devant les icônes. Puis, il s’empara d’une assiettée de zakouskis et but une grande tasse d’alcool, retourna devant les icônes, commanda un borchtch4, vint s’asseoir à ma table, alluma sa courte pipe en jurant, croisa ses jambes et entama un long monologue à haute voix. — B. CENDRARS, Moravagine, inŒuvres complètes, t. IV, p. 165.
Quand il connut la nouvelle, le capitaine Raymond Dronne, du régiment de marche du Tchad, donna calmement ses ordres de départ à ses hommes. Puis, il décrocha le rétroviseur de son command-car et l’attacha à une branche de pommier. Et il entreprit de tailler sa florissante barbe rousse. — D. LAPIERRE et L. COLLINS, Paris brûle-t-il ?, p. 250.
En complément, ajoutons que, au sens temporel, « puis est employé dans la meilleure langue avec et » (Grevisse, loc. cit.) :
Le loup le quitte alors et puis il nous regarde (Vigny, Dest., Mort du loup). […]
C’est encore plus joli quand elles retombent. Et puis aussitôt elles se fondent(A. Breton, Nadja, p. 99)5.
Au sens de « d’ailleurs, au reste, en outre », et puis est souvent suivi d’une virgule :
— Pourquoi aurait-elle fait l’amour si vite, quelques minutes après vous avoir rencontré ? — Je vous l’ai dit, à nos âges, ça se fait. Et puis, elle avait bu et fumé, ça désinhibe, c’est certain. — Karine TUIL, Les Choses humaines, p. 2646.
Cet article m’a été inspiré par une consœur qui trouvait cette virgule « très bizarre », alors qu’une autre, à la lecture de l’article, a commenté : « Puis sans virgule me semble… tout nu ! » Une nouvelle preuve que, selon nos lectures, nous avons une image différente de la langue française.
Plus rarement adverbe de lieu : Derrière lui était assis un tel, puis un tel. — Wiktionnaire. ↩︎
Le Bon Usage, De Boeck-Duculot, 14e éd., 2008. ↩︎
Êtes-vous familier de cette construction ? Elle est très fréquente en droit. Pourtant, les dictionnaires usuels ne la référencent pas.
Seul Antidote explique que, « en parlant d’une loi, d’un règlement, d’un contrat », ce verbe signifie : « Contenir des dispositions, des clauses applicables. » C’est donc l’équivalent de disposer.
Les grammaires sont tout aussi muettes sur la question, sauf Hanse et Blampain (Dictionnaire des difficultés du français, 2012), qui écrivent à propos de cette acception donnée à prévoir :
On va sans doute trop loin lorsqu’on dit : La loi a prévu telle sanction au lieu de : a prescrit telle sanction, mais on dira qu’elle a prévu telle sorte de crime.
Trop tard ! Les textes de loi en sont farcis, et nous sommes obligés de les citer tels quels.
Quelques exemples tirés du site Légifrance :
La procédure prévoit que l’auteur du signalement est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception1.
[…] la loi ou le règlement prévoit que cette peine ne peut pas être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle2.
[…] ledit article 13 prévoit que locataires et occupants doivent, le cas échéant, être relogés dans un des locaux situés dans les immeubles ayant fait l’objet de travaux […]3
L’article 3 prévoit que les assureurs n’ont plus à couvrir obligatoirement les dommages occasionnés à l’étranger par les engins de déplacement personnels motorisés (EDPM) et assimilés, comme les trottinettes électriques[…]4.
Le projet d’arrêté prévoit que le traitement SIRENE poursuit trois finalités sur le vecteur maritime […]5
Pratiquez-vous l’élision ç’a été ? Personnellement, dans mes textes, j’évite le double hiatusa/a/é et je propose à mes clients d’en faire autant.
André Jouette (1993) écrit :
C’, Ç’ Élision de ce, pronom démonstratif devant une voyelle. La cédille se met devant a, o, u. C’est nouveau. Ç’a été un grand malheur. C’eût été trop beau (conditionnel car on pourrait dire : Ç’aurait été). Et n’allez pas croire que ç’ait été toujours pour dire du bien de vous (Diderot). C’en est (sera) fini de cette histoire.
Ça ne s’élide pas. On écrit : Ça ira. Ça arrive. Ça allait mieux. Ça a un bon côté.
Dans Ç’a été, on a élidé ce et mis la cédille pour le son [s].
Hanse et Blampain (2012) donnent comme exemples : Ç’allait être les vacances. Ç’avait l’air d’une bonne blague. Ç’allaitêtre mon tour.
Et Le Dico en ligne du Robert : Ç’a été une belle journée. Ç’allait être difficile.
Mais cette élision est facultative et tend à disparaître. La non-élision se rencontre chez de grands auteurs (donnés par La Culture générale) :
— Non, il est passé dans les miennes ; je ne dirai pas que ça a été sans peine, par exemple, car je mentirais. (Dumas, Les Trois Mousquetaires.) Non, ça aurait été stupide, sa visite était justement cette excuse […]. » (Proust, À la recherche du temps perdu.) Ça en estvenu à un tel point que nombre de magasins ouvrent des crédits à leurs clientes, qui ne payent plus que l’intérêt de leurs achats. » (Journal, Goncourt.)
Pour l’Académie, plutôt que ça a été, il est préférable d’employer ç’a été.
Rappelons que le vrai nom de l’inventeur, en Europe, de l’imprimerie à caractères mobiles est Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg, « nom d’emprunt tiré de la maison que possédaient ses parents à Mayence et qui portait l’enseigne Zum guten Berg (“à la bonne montagne”) » (note de Wikipédia).
Cette francisation suit la règle classique énoncée dans une note de Wikipédia :
« L’usage français veut que, devant les lettres m, b et p, à l’exception de quelques mots comme bonbon, bonbonne et embonpoint, on emploie le m au lieu du n. »
Pour tenter de dater le changement de graphie en France, il faudrait feuilleter de vieux dictionnaires de noms propres. Dans mon Robert 2 de 1997, on trouve bien « Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg ».
Le respect de la graphie originelle des noms étrangers fait débat sur Wikipédia1, au Sénat2 et chez les traducteurs3. Bruno Dewaele, champion d’orthographe, appelle à une uniformisation de nos dictionnaires4.
Dans son Dictionnaire d’orthographe et d’expression écrite, André Jouette (☞ voir mon article) précise :
« Il règne une certaine incohérence dans notre adoption de noms propres étrangers. […] Ne cherchons pas de règle logique : selon les époques, l’usage s’est imposé. »
Gutenberg/Gutemberg, c’est un peu le même problème que Beijing/Pékin5, Mumbai/Bombay6 ou Kolkata/Calcutta7.
Une incohérence qui a amené les pouvoirs publics à publier l’arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d’États et de capitales (Wikipédia), dont les premiers principes sont :
La forme recommandée pour la désignation des pays et des capitales est la forme française (exonyme) existant du fait de traditions culturelles ou historiques francophones établies.
En l’absence d’exonyme français attesté, on emploiera la forme locale actuellement en usage. Pour les pays qui n’utilisent pas l’alphabet latin, la graphie recommandée est celle qui résulte d’une translittération ou d’une transcription en caractères latins, conforme à la phonétique française.
Les noms de pays et de villes étant des noms propres, il est recommandé de respecter la graphie locale en usage, translittérée ou non. On ne portera cependant pas les signes diacritiques particuliers s’ils n’existent pas dans l’écriture du français.
La tendance étant au respect des cultures étrangères, Johannes Gutenberg ne devrait plus être francisé. Et Miguel Cervantès8, combien de temps encore gardera-il son accent grave en français ?
« Saviez-vous qu’il existât une édition numérique […] de l’Encyclopédie ? » ai-je spontanément écrit, hier, dans un billet sur LinkedIn ?
La formulation a dû en surprendre plus d’un, à l’heure où, dans une phrase comme celle-ci, même l’imparfait de l’indicatif (qu’il existait) est détrôné par le présent (qu’il existe).
Mais la fréquentation des auteurs du xixe siècle déteint sur moi, et je me suis dit qu’au moment d’évoquer une œuvre majeure du xviiie siècle, il était approprié d’employer une langue soutenue.
Ne fallait-il pas là le passé simple (qu’il exista), plutôt que l’imparfait du subjonctif, m’a demandé un « correcteur en devenir » ?
« Saviez-vous qu’il exista, à une époque de notre histoire, une technique funéraire consistant à séparer le corps d’un défunt de haut rang en plusieurs parties ? […] »
Jules Claretie vers 1860. Source : BnF/Gallica.
Mais la radio se référait à un fait historique, alors que l’édition numérique de l’Encyclopédie est bien un objet actuel, comme existe toujours la Société pour la propagande de la boxe anglaise, au moment où Jules Claretie écrit, dans La Vie à Paris (le 25 mars 1910) :
« Saviez-vous qu’il existât une Société pour la propagande de la boxe anglaise ? Je l’ignorais jusqu’à présent et je l’ai appris, l’autre soir, en allant assister au grand match entre Willie Lewis et Billy Papke dans le vaste cirque de l’avenue de La Motte-Picquet. »
De même, alors qu’on écrirait aujourd’hui je voudrais qu’il existe (subjonctif présent, mode entraîné par l’expression d’un souhait), Balzac écrit, lui :
« Je voudrais qu’il existât un langage autre que celui dont je me sers, pour t’exprimer les renaissantes délices de mon amour […] » — Louis Lambert, Pl., t. X, p. 434.
C’est la concordance classique.
Plus surprenant encore paraît, de nos jours, le subjonctif hypothétique en début de phrase. Les Plût à Dieu que…, Dussé-je…, Fussé-je…, voire, au présent, Je ne sache pas que…
Ces formes étonnent mes jeunes confrères, mais ils se doivent de les connaître — à défaut de les employer eux-mêmes —, car ils peuvent les rencontrer dans la réédition d’un texte ancien ou même sous la plume d’un auteur contemporain. Exemple :
« Derrière les contrevents clos, j’attendais que la pénombre m’entraînât dans une sieste encombrée de songes. » — Gaël Faye, Il faut tenter de vivre, 20151.
Je leur recommande donc de se pencher sur une grammaire complète, comme la Grammaire méthodique du français (PUF), un peu aride mais, à mon avis, indispensable.
Ces formes littéraires classiques, il serait fâcheux qu’ils les corrigeassent (au passé, si l’on est passé près de la catastrophe, il eût été fâcheux qu’ils les eussent corrigées2).
La diffusion épidémique de la préposition sur n’est plus une nouveauté. Penser à je travaille sur Paris (formule à laquelle j’ai consacré un article) et à la désormais célèbre locution on est sur… (par exemple, sur un foie de veau, voir la chronique de Muriel Gilbert).
Mais voici quelques curieuses extensions d’emploi de sur, tirées du procès-verbal d’une réunion d’une CSSCT1 :
Le point de vente était en rupture sur un produit d’entretien, c’est pourquoi ils sont allés sur un autre point de vente pour récupérer du produit pour effectuer leur lavage. Ce produit a été transvasé dans un récipient type gobelet. Le gobelet a été ramené sur Pierre Hermé et a été posé à côté du lavabo, endroit où un collaborateur effectuait son nettoyage. Vu qu’il s’agissait d’un gobelet standard sans indication particulière, la victime, en voyant le gobelet, a pensé que c’était du jus de fruit et en a bu une gorgée2.
On y constate sur un produit d’entretien mis pourd’un produit d’entretien,surun autre point de vente mis pour dans(ou à) un autre point de vente et, surtout, sur Pierre Hermémispourdans (ou à) la boutique Pierre Hermé, ce qui constitue un raccourci particulièrement audacieux.
L’effet involontairement comique de tels énoncés semble échapper aux locuteurs.
Accompagner est un mot à la mode. Les services administratifs comme les cabinets-conseils ne vous aident plus dans votre vie personnelle ou professionnelle, ils vous accompagnent. Et cela tord parfois la langue. On rencontre des accompagner à + infinitif.
Image extraite d’une vidéo d’une thérapeute caennaise : « Pourquoi je peux t’accompagner à passer d’un statut de salarié à un statut d’indépendant à succès ».
Jusqu’alors, on accompagnait quelqu’un pour qu’il fasse quelque chose. Et si on l’accompagnait à, cela était suivi d’un nom de lieu (à la gare, à la mairie…).
La préposition sur étant aussi devenue à la mode, désormais, on vous accompagne sur… sur le choix de votre activité, sur un statut professionnel, etc.
Accompagner quelqu’un, c’était l’escorter, lui servir de guide. On l’accompagnait jusqu’à sa voiture comme… à sa dernière demeure. Depuis une vingtaine d’années, on vous accompagne dans vos démarches.
Fréquence de accompagne dans vos dans le corpus de Gallicagram.
Le verbe s’employait aussi en soins palliatifs. Accompagner un malade, c’était « l’entourer, le soutenir moralement et physiquement à la fin de sa vie » (Robert).
Si nous avons tous tellement besoin d’être accompagnés, n’est-ce pas une preuve que le monde est bien malade ?