Pour en finir avec l’interdiction de “par contre”

Savez-vous qu’il existe en France des gens tel­le­ment sou­cieux de « pro­té­ger la pure­té de la langue fran­çaise » qu’ils estiment l’Académie dan­ge­reu­se­ment laxiste ? 

Récem­ment, sur Quo­ra, quelqu’un pré­ten­dait nous inter­dire d’employer par contre, par consé­quent et par extra­or­di­naire, selon lui « gram­ma­ti­ca­le­ment incorrects ». 

Je l’ai alors ren­voyé à l’avis de l’Académie, laquelle écrit : 

Loc. adv. Par consé­quent, par une suite logique. Vous l’avez pro­mis et, par consé­quent, vous y êtes obli­gé1.

Loc. adv. Par extra­or­di­naire, par excep­tion ou par une cir­cons­tance tout à fait inha­bi­tuelle, par hasard, par chance. Par extra­or­di­naire, j’étais sor­ti ce soir-là. C’est un men­teur fief­fé, mais, cette fois, par extra­or­di­naire, il a dit la véri­té2.

Par contre, en revanche, d’un autre côté, en contre­par­tie, en com­pen­sa­tion, à l’inverse.

Remarque : Condam­née par Lit­tré d’après une remarque de Vol­taire, la locu­tion adver­biale Par contre a été uti­li­sée par d’excellents auteurs fran­çais, de Sten­dhal à Mon­ther­lant, en pas­sant par Ana­tole France, Hen­ri de Régnier, André Gide, Mar­cel Proust, Jean Girau­doux, Georges Duha­mel, Georges Ber­na­nos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exu­pé­ry, etc. Elle ne peut donc être consi­dé­rée comme fau­tive, mais l’usage s’est éta­bli de la décon­seiller, chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est pos­sible3.

Pour ma part, j’écris par contre si je veux. Dans mes tra­vaux de cor­rec­teur, je ne le rem­place par en revanche que si l’éditeur l’exige. Le client est roi. 

Mais je ne peux m’empêcher de gar­der en tête l’excellent exemple d’André Gide : « Trou­ve­riez-vous décent qu’une femme vous dise : Oui, mon frère et mon mari sont reve­nus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai per­du mes deux fils ?4 »

« En effet, par contre marque une simple oppo­si­tion entre deux énon­cés, alors que en revanche et en com­pen­sa­tion, en plus de mar­quer l’opposition, intro­duisent nor­ma­le­ment un énon­cé pré­sen­tant un avan­tage. On peut donc dif­fi­ci­le­ment uti­li­ser ces locu­tions devant une pro­po­si­tion expri­mant un désa­van­tage ou un incon­vé­nient. Dans ce contexte, il est inutile de cher­cher à évi­ter la locu­tion par contre », détaille la Vitrine lin­guis­tique.

De même, je ne cor­rige plus le second accent d’évè­ne­ment, depuis que l’A­ca­dé­mie a enfin rec­ti­fié (soit dans la der­nière édi­tion de son dic­tion­naire5) une erreur qui a duré trois siècles6.


Ce français qui n’en finit plus de mourir

Toute langue vivante évo­lue constam­ment. Le fran­çais ne fait pas excep­tion. Ses chan­ge­ments pas­sionnent les Fran­çais. Cer­tains se contentent de les obser­ver, d’autres les critiquent.

Depuis que j’ai fait du fran­çais mon métier, j’ai vu défiler :

  • Le fran­çais écor­ché, 1987 (P.-V. Ber­thier et J.-P. Colignon) ;
  • Ce fran­çais qu’on mal­mène, 1991 (P.-V. Ber­thier et J.-P. Colignon) ;
  • Petit manuel du fran­çais mal­trai­té, 2002 (Pierre Bénard) ;
  • Le fran­çais mal-t-à-pro­pos, 2007 (Pierre Merle, qui a publié qua­si­ment un livre sur l’é­tat du fran­çais par an entre 1986 et 2012) ;
  • Défense et illus­tra­tion de la langue fran­çaise aujourd’­hui, 2013 (col­lec­tif) ;
  • De quel amour bles­sée. Réflexions sur la langue fran­çaise, 2014 (Alain Borer) ;
  • Langue fran­çaise : arrê­tez le mas­sacre !, 2014 (Jean Maillet) ;
  • Langue fran­çaise : le mas­sacre conti­nue !, 2016 (Jean Maillet) ;
  • C’est le fran­çais qu’on assas­sine, 2017 (Jean‑Paul Brighelli) ;
  • Le fran­çais a-t-il per­du sa langue ?, 2018 (dir. Éric Fottorino),

et j’en passe…

Mais ce n’est pas nou­veau. La pre­mière Défense et illus­tra­tion de la langue fran­çaise, écrite par Joa­chim du Bel­lay, date de 1549 !