J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer les déplorables conditions de travail des correcteurs du xve au xixe siècle1. Il semble malheureusement que le problème ait perduré au xxe siècle. Ainsi trouve-t-on en 1973, dans l’ouvrage d’Yves Blondeau Le Syndicat des correcteurs2, le texte suivant :
L’article 3 de l’annexe technique des correcteurs — convention collective de la presse de 1937 — précise « (…) qu’il est désirable que les correcteurs disposent, lorsque cela est possible, dans chaque imprimerie, d’un local indépendant et spacieux, aéré et, autant que possible, éclairé par la lumière du jour et agencé spécialement pour l’exécution du travail ». Le peu de progrès dans ce domaine est affirmé par la nécessité que les correcteurs ont eue de faire insérer, en les reproduisant mot pour mot, ces quelques lignes dans l’annexe technique de la convention collective de la presse de 1959.
Un aperçu des conditions de travail réelles des correcteurs est donné par un article de R. Mangeret3 : « Elles sont légion les imprimeries où, dans une atmosphère irrespirable (odeur de plomb en fusion, fumée de cigarettes, poussières voltigeant au moindre déplacement), souvent au milieu de l’atelier, avec le bruit des linotypes, il (le correcteur) ne doit pas avoir la moindre distraction. L’aération, quand par hasard il occupe une petite pièce, est le plus souvent très mauvaise : pas de fenêtre donnant sur l’extérieur, donc pas de possibilité de renouveler l’air vicié. C’est la lumière clignotante qui éclaire son bureau exigu, c’est la couche de poussière gluante qui recouvre tout : murs, tables, armoires, et toute chose qu’on a l’imprudence de laisser quelque temps à la même place.
« Depuis ce journal tristement célèbre pour la décrépitude de ses locaux, où l’on a peur de se retrouver soudain au rez-de-chaussée par les trous que dispense généreusement le plancher vermoulu, où les correcteurs travaillent sur des tables bancales, s’asseyent sur des chaises percées (sic) et où les vitres cassées laissent joyeusement filtrer l’air pur du « Croissant4 », tout cela dans la crasse…
« Jusqu’à ce grand quotidien où les vasistas à ras du sol s’entrouvrent sur la cour intérieure pour que les gaz d’échappement des nombreuses voitures et motos manœuvrant sans arrêt asphyxient les correcteurs. Local bien trop petit, système d’aération inefficace, saleté régnant en maîtresse… (…) »
[…]
Aux odeurs, au manque d’air, aux poussières, au bruit, à la vétusté des locaux, s’ajoute, aujourd’hui encore, un éclairage déficient, source d’une fatigue supplémentaire pour les correcteurs.
La « cage de verre » décrite par Georges Simenon en 19715 et filmée par François Truffaut en 19796 est représentative de ces locaux exigus. Ni l’espace ni l’éclairage ne semblent, non plus, bien fameux dans le cassetin recréé par Claire Clouzot en 19817.
L’arrivée de la photocomposition (années 1960), de la PAO (1985) et la loi Évin contre le tabagisme (1991) ont assaini l’air, mais pour ce qui est de l’espace, je peux à mon tour témoigner, ces dernières années, avoir plusieurs fois été relégué dans une petite pièce sans fenêtre ou sur un coin de bureau.
Le télétravail présente au moins l’avantage de pouvoir contrôler ses conditions matérielles de travail.
- Lire notamment le Témoignage de M. Dutripon, correcteur d’épreuves d’imprimerie, 1861.
- Le Syndicat des correcteurs de Paris et de la région parisienne, 1881-1973, supplément au Bulletin des correcteurs no 99, 1973, p. 31-32.
- Bulletin des correcteurs, octobre 1962.
- Nom donné au quartier des journaux, groupés le plus souvent autour de la rue du Croissant.
- Voir Georges Simenon et ses correcteurs.
- Voir Antoine Doinel, correcteur d’imprimerie.
- Voir L’Homme fragile, un correcteur au cinéma.