Correcteurs et correctrices sur grand écran

J’a­vais déjà écrit sur deux (rares) per­son­nages de cor­rec­teur au ciné­ma : Antoine Doi­nel dans L’A­mour en fuite (1979) de Fran­çois Truf­faut et Hen­ri (ain­si que ses col­lègues) dans L’Homme fra­gile (1981) de Claire Clou­zot. En voi­ci quelques autres. 

Marous­sia (Mar­ga­ri­ta Tere­kho­va) dans Le Miroir (1975) d’An­dreï Tarkovski.

Marous­sia (Mar­ga­ri­ta Tere­kho­va) dans Le Miroir (1975) d’Andreï Tar­kovs­ki. Bande-annonce (VO) sur Dai­ly­mo­tion.

Le Miroir est le qua­trième long métrage d’An­dreï Tar­kovs­ki (1932-1986). « À bien des égards auto­bio­gra­phique, [le film adopte] une struc­ture dis­con­ti­nue et non chro­no­lo­gique, mêlant rêves, archives, sou­ve­nirs et extraits de poèmes pour retra­cer la vie de son per­son­nage prin­ci­pal, Alexei, entre les années 1930 et l’a­près-guerre » (Wiki­pé­dia).

Dans une séquence avant-guerre, Maria (éga­le­ment appe­lée Macha ou Marous­sia), la mère d’A­lexei, « est vue se pré­ci­pi­ter fré­né­ti­que­ment vers son lieu de tra­vail dans une impri­me­rie. Relec­trice, elle s’in­quiète d’une erreur qu’elle a peut-être négli­gée, mais est récon­for­tée par sa col­lègue Lisa (Alla Demi­do­va) » (ibid.). Sur le forum du site Dvd­clas­sik, un com­men­ta­teur (Thad­deus) ana­lyse la séquence :

Quant à Sta­line, Tar­kovs­ki ne l’é­lude pas et consacre à son ombre mena­çante la séquence de l’im­pri­me­rie, où la mère tra­vaille comme cor­rec­trice. Elle revient à son ate­lier, cou­rant sous la pluie en dehors de son temps de tra­vail. On devine qu’elle croit avoir lais­sé pas­ser une coquille dans un texte impor­tant, une édi­tion spé­ciale. Et l’on sai­sit clai­re­ment l’an­goisse moite exa­cer­bée par les longs cou­loirs qu’il faut par­cou­rir dans une lumière mal­saine, par­mi les rou­leaux et les chutes de papier, accom­pa­gné des pleur­ni­che­ries d’une jeune employée qui sent le drame et ne le for­mule pas, avec le por­trait du petit père des peuples visible der­rière la fer­raille d’une lino­type. L’apaisement vien­dra de la douche, tan­dis que la femme, nue sous l’eau tiède, sou­rit puis rit, ras­su­rée. Mais seule pour goû­ter une joie qui n’est que l’envers de la peur.

Photogrammes de la séquence de l'imprimerie dans "Le Miroir" d'Andreï Tarkovski (1975)
Pho­to­grammes de la séquence de l’im­pri­me­rie dans Le Miroir, emprun­tés au ciné-club de Caen.

« […] dans les années 1930, une femme fut envoyée dans un camp à cause d’une erreur qui ridi­cu­li­sait Sta­line », pré­cise Télé­ra­ma dans sa cri­tique du film. 

Andreï Tar­kovs­ki avait trois ans lorsque son père, le poète russe Arse­ni Tar­kovs­ki, a quit­té le foyer fami­lial. Les Tar­kovs­ki s’installent alors à Mos­cou, où sa mère, Maria Vich­nia­ko­va, issue d’une ancienne famille noble, tra­vaille comme cor­rec­trice d’épreuves. Elle joue son propre rôle (Marous­sia âgée) dans Le Miroir

Affiche du film "La Vie secrète de Walter Mitty" (Norman Z. McLeod, 1947).
Affiche du film La Vie secrète de Wal­ter Mit­ty (Nor­man Z. McLeod, 1947).

Wal­ter Mit­ty (Dan­ny Kaye) dans La Vie secrète de Wal­ter Mit­ty (The Secret Life of Wal­ter Mit­ty, 1947) de Nor­man Z. McLeod (1898-1964), adap­ta­tion d’une nou­velle de James Thur­ber (1939). Bande-annonce (VO) sur You­Tube.

« Un jeune auteur, Wal­ter Mit­ty, tra­vaille comme cor­rec­teur dans une mai­son d’é­di­tion de pulp fic­tions (ouvrages à bon mar­ché). Au cours de rêves éveillés, il s’i­ma­gine tour à tour grand chi­rur­gien, pilote de la Royal Air Force, capi­taine d’un vais­seau cor­saire, ter­reur de l’Ouest amé­ri­cain, etc. Dans cha­cune de ces scènes, il voit une superbe jeune fille blonde en dan­ger. Jus­qu’au jour où, mal­en­con­treu­se­ment, il se retrouve face à un vrai réseau d’es­pions à la pour­suite de la jeune fille blonde, bien réelle. Per­sonne ne le croit dans son entou­rage. Il lutte donc seul contre un psy­cha­na­lyste trop doux pour être hon­nête et contre une bande de per­son­nages diri­gée par un pro­fes­seur hol­lan­dais pas­sion­né de roses » (Wiki­pé­dia).

Montage de photogrammes des vies secrètes de Walter Mitty dans le film de Norman Z. MacLeod (1947)
Mon­tage de pho­to­grammes des vies secrètes de Wal­ter Mit­ty, emprun­té au blog Out of One’s Com­fort Zone.

« […] la Vie secrète de Wal­ter Mit­ty en 1947, loin­tai­ne­ment ins­pi­rée de James Thur­ber, le [Dan­ny Kaye] fait accé­der au Pan­théon des grands comiques. Wal­ter Mit­ty, deve­nu l’ar­ché­type qu’on cite volontier[s] comme réfé­rence pour ce genre de per­son­nage, mène deux vies paral­lèles, et se venge du réel par l’i­ma­gi­naire », écrit Le Monde à la mort de l’ac­teur.

NB — Dans le remake réa­li­sé et inter­pré­té par Ben Stil­ler (2013, inti­tu­lé La Vie rêvée de Wal­ter Mit­ty en France), le per­son­nage est « employé aux néga­tifs du maga­zine Life » (Wiki­pé­dia). 

Katharine Hepburn dans "La Rebelle" (1936) de Mark Sandrich.
Katha­rine Hep­burn dans La Rebelle (1936) de Mark Sandrich.

Pame­la « Pam » Thist­le­waite (Katha­rine Hep­burn) dans La Rebelle (A Woman Rebels, 1936) de Mark San­drich (1901-1945).

« Pame­la et sa sœur Flo­ra ont un père gla­cial, sévère, dénué d’af­fec­tion pour elles, qui pense bien­tôt à les marier ; Flo­ra tombe sin­cè­re­ment amou­reuse d’un offi­cier de marine, tan­dis que Pame­la a des ren­dez-vous roman­tiques au musée Tus­saud avec un jeune (futur) lord, en cachette de son père, elle cède à la pas­sion sans savoir qu’il est marié. Elle part en Ita­lie rejoindre les jeunes mariés, qui attendent un enfant, elle-même est enceinte ; elle fait la connais­sance d’un ami de son beau-frère, Tho­mas, un brillant diplo­mate, qui tombe amou­reux d’elle. Les mal­heurs sur­viennent bru­ta­le­ment : le mari de Flo­ra meurt acci­den­tel­le­ment, la jeune mère décède en couches ain­si que le bébé. Pame­la va faire pas­ser sa propre fille pour sa nièce avec l’ac­cord de sa sœur mou­rante. Pame­la rentre à Londres avec la fillette, bien déci­dée à vivre seule, en femme indé­pen­dante. Elle tra­vaille avec suc­cès [comme cor­rec­trice] dans la presse [une petite revue heb­do­ma­daire1] fémi­nine. Mais le scan­dale la rat­trape… […] » (Wiki­pé­dia).

Myriam Mézières et Jean-Luc Bideau dans "Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000", d'Alain Tanner (1976).
Myriam Mézières et Jean-Luc Bideau dans Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), d’A­lain Tanner.

Max (Jean-Luc Bideau) dans Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), d’Alain Tan­ner (1929-2022). Bande-annonce sur You­Tube.

« Genève. Mathieu se désole d’être au chô­mage depuis si long­temps. C’est Mathilde, sa femme, qui nour­rit toute la famille ; aus­si, quand un jeune couple de maraî­chers, Mar­cel et Mar­gue­rite, accepte de l’embaucher et de lui four­nir le loge­ment, Mathieu [inter­pré­té par Rufus] n’hésite-t-il pas à renon­cer à la typo­gra­phie, son ancien métier. Déçu depuis 1968, Max s’est réfu­gié dans le jeu et gagne péni­ble­ment sa vie comme cor­rec­teur de presse. Pour­tant, un déclic se pro­duit en lui quand il ren­contre Made­leine, secré­taire inté­ri­maire, envoû­tée par l’Inde et le tan­trisme. Marie est cais­sière dans une grande sur­face. Cer­tains clients ne paient pas tout ce qu’ils achètent. C’est ain­si que Mar­co, pro­fes­seur d’histoire aux méthodes péda­go­giques très contes­tées par l’administration, fait sa connais­sance avant de la séduire. Une suite de hasards et de cir­cons­tances met en pré­sence les huit per­son­nages. […]. » (résu­mé CMC / Les Fiches du Ciné­ma, sur le site alaintanner.ch.)

Roger Coggio (à droite) dans son film "Le Journal d'un fou" (1963).
Roger Cog­gio (à droite) dans son film Le Jour­nal d’un fou (1963).

Pas­cal Can­te­loup (Roger Cog­gio) dans Le Jour­nal d’un fou (1963), de Roger Cog­gio (1934-2001), d’a­près la nou­velle de Nico­las Gogol (1835).

« Pas­cal Can­te­loup est cor­rec­teur d’im­pri­me­rie, dans un jour­nal [pari­sien, pré­cise Le Monde]. Il est amer et irri­table envers ses chefs et les per­sonnes avec les­quelles il tra­vaille. Il est rem­pli de haine, au sujet de la vie. Petit a petit, il va som­brer dans la folie ! » (Uni­france.)

Le per­son­nage de Gogol, Avk­sen­ty Iva­no­vitch Popricht­chine, était un modeste fonc­tion­naire dans un minis­tère de Saint-Péters­bourg (il taillait des plumes pour le directeur).

Roger Cog­gio réa­li­se­ra en 1987 une autre ver­sion, où le pro­ta­go­niste retrou­ve­ra son nom et sa fonc­tion d’origine.

Jason Watkins dans "The Overcoat" (2017) de Patrick Myles.
Jason Wat­kins dans The Over­coat (2017) de Patrick Myles.

Chris­to­pher Clob­ber (Jason Wat­kins) dans The Over­coat (2017), court métrage (19 min) de Patrick Myles, adap­ta­tion d’une autre nou­velle de Nico­las Gogol, Le Man­teau (1843). Bande-annonce sur Indieactivity.com.

Chris­to­pher Clob­ber est cor­rec­teur d’é­preuves dans un minis­tère, où per­sonne ne le remarque. Chaque jour, il prend le même petit déjeu­ner, se réveille à la même heure, porte les mêmes vête­ments et le même par­des­sus. Lorsque ce der­nier tombe en lam­beaux, il s’en fait tailler un sur mesure, ce qui le rend popu­laire auprès de ses col­lègues. Mais cette nou­velle popu­la­ri­té est de courte durée, car il se fait voler son pré­cieux pardessus.

Là aus­si, chez Gogol, le per­son­nage (Aka­ki Aka­kie­vitch Bach­mat­ch­kine) est un petit fonc­tion­naire péters­bour­geois : « [il] consacre l’es­sen­tiel de son temps à des copies d’actes, tâche qu’il accom­plit avec zèle au milieu des moque­ries et des vexa­tions » (Wiki­pé­dia). 

Elisabeth Moss dans "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson. Image tirée de la bande-annonce.
Eli­sa­beth Moss dans The French Dis­patch (2021) de Wes Ander­son. Image tirée de la bande-annonce.

Alum­na (Eli­sa­beth Moss) dans The French Dis­patch (2021) de Wes Ander­son (né en 1969). Bande-annonce sur You­Tube.

« Le jour­nal amé­ri­cain The Eve­ning Sun, de Liber­ty dans le Kan­sas, pos­sède une antenne nom­mée The French Dis­patch à Ennui-sur-Bla­sé, une ville fran­çaise fic­tive évo­quant Paris dans les années 1950-60. Arthur Howit­zer Jr., le rédac­teur en chef du French Dis­patch, meurt subi­te­ment d’une crise car­diaque. Selon les sou­haits expri­més dans son tes­ta­ment, la publi­ca­tion du jour­nal est immé­dia­te­ment sus­pen­due après un der­nier numé­ro d’a­dieu, dans lequel trois articles des édi­tions pré­cé­dentes du jour­nal sont repu­bliés, ain­si qu’une nécro­lo­gie.
« Les trois articles traitent de Moses Rosen­tha­ler, un déte­nu psy­cho­pathe qui se révèle être un grand artiste peintre, des évè­ne­ments de Mai 68 et enfin d’une enquête gas­tro­no­mique qui vire au polar » (Wiki­pé­dia).

Selon L’Hu­ma­ni­té, Eli­sa­beth Moss y campe « une cor­rec­trice très à che­val sur la gram­maire ». À lire France Inter, le jour­nal emploie à la fois un secré­taire de rédac­tion (Fisher Ste­vens), une cor­rec­trice (E. Moss) et une relec­trice (Anje­li­ca Bette Fel­li­ni). On est bien à une autre époque !

D’a­près la fiche de dis­tri­bu­tion des films, Jacques Dhe­ry [ou Dhé­ry] joue aus­si un cor­rec­teur dans Cette nuit-là (1958) de Mau­rice Caze­neuve, et Éve­lyne Didi est cor­rec­trice dans Mau­vais genre (1997) de Laurent Bénégui. 

Enfin, Claire Rocher (Karin Viard) dit l’être, une fois, dans Le Rôle de sa vie (2004), de Fran­çois Favrat, mais le synop­sis offi­ciel la décrit seule­ment comme « pigiste dans un maga­zine de mode » et la mise en scène du métier se résume à lui faire por­ter trois gros dic­tion­naires au sein du maga­zine Elle (dont on aper­çoit fur­ti­ve­ment le logo près des cages d’as­cen­seur). Le « rôle de sa vie » ne sera pas d’être cor­rec­trice mais, un temps, l’as­sis­tante d’une star de ciné­ma, Éli­sa­beth Becker, incar­née par Agnès Jaoui.

Karin Viard, en sage cor­rec­trice, timide, effa­cée, dans Le Rôle de sa vie (2004), de Fran­çois Favrat. Pour ce rôle de com­po­si­tion, elle sera nom­mée au César de la meilleure actrice.

  1. Pré­ci­sions de Ciné­monde no 431, 21 jan­vier 1937.