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Du décorum qu’on garde à celui qu’on regarde

"Le Sacre de Napoléon", de Jacques-Louis David, 1805-1807
Le sacre de Napo­léon (ici, peint par J.-L. David, 1805-1807), déco­rum ou bar­num impérial ?

Une phrase dans un récent entre­tien avec Tho­mas Jol­ly1 dans Le Monde a réveillé une réflexion qui traî­nait dans un coin de ma tête. Le met­teur en scène racon­tait un sou­ve­nir d’en­fance, à l’âge de six ans : 

« Je lui explique [à sa prof de danse] que ce que nous fai­sons n’est pas assez beau, que l’endroit est moche. Moi, je vou­lais des tutus cha­toyants, des dorures, un déco­rum fas­tueux, je vou­lais déjà mon­ter Le Lac des cygnes, même si, à cette époque, je ne le connais­sais pas ! »

Le mot déco­rum a, en effet, connu une évo­lu­tion intéressante. 

Le déco­rum (avec un article défi­ni), c’est d’abord (1587) quelque chose qu’on res­pecte, qu’on observe, qu’on « garde » (en fran­çais du xviie s., voir Fure­tière) : l’ensemble des règles de bienséance.

C’est aus­si, plus spé­cia­le­ment, à par­tir de 1889, l’ap­pa­rat offi­ciel, autre­ment appe­lé « éti­quette, pro­to­cole ou céré­mo­nial », tel celui qu’a mis en scène pour sa propre gloire Napo­léon Ier.

Mais, entre-temps, nous dit Alain Rey2, « il a déve­lop­pé, pro­ba­ble­ment sous l’influence du groupe de décor, déco­rer, le sens de “ce qui orne, pare” (1835). Il prend alors la valeur péjo­ra­tive de “luxe ostentatoire”. »

La date don­née par Alain Rey cor­res­pond au Père Goriot de Bal­zac, cité par le TLF :  « Nous avons une cui­si­nière et un domes­tique, il faut gar­der le déco­rum, papa est baron. »

Il s’agit tou­jours de « ce qui convient », mais en matière de signes exté­rieurs d’appartenance à une classe : employer des domes­tiques, por­ter cer­tains vête­ments3 comme habi­ter un lieu « qui en jette ». Habi­tude bien fran­çaise, à en croire un élève de David, Étienne-Jean Delé­cluze : « On retrouve par­tout ces habi­tudes de faire tout avec appa­rat, ce besoin de jeter de la poudre aux yeux, que l’on déguise sous le nom de bien­séance, de décence, de déco­rum » (Jour­nal, 1827, cité par le TLF).

Le déco­rum, comme l’apparat (du latin appa­ra­tus « pré­pa­ra­tifs »), c’est un tout. On com­prend aisé­ment que le « déco­rum royal », notam­ment, regroupe un ensemble de signes, y com­pris une déco­ra­tion fas­tueuse. — D’ailleurs, l’éti­quette, de son côté, désigne à la fois le céré­mo­nial, « ce qui marque quel­qu’un et le classe » et… le prix des choses ! 

Un décor qui impressionne

Concer­nant le décor seule­ment, il faut noter que déco­rum a dési­gné son aspect fas­tueux (le déco­rum d’un hall d’entrée) avant de dési­gner le décor lui-même (Il y avait des plantes vertes, des tapis rouges, un buf­fet somp­tueux, tout un déco­rum). 

Pour Larousse, dont je tire les deux exemples pré­ci­tés, c’est un « emploi cou­rant mais impropre ». Le dic­tion­naire recom­mande de « n’u­ti­li­ser le mot qu’au sens de “bien­séance, éti­quette” ». Anti­dote se can­tonne encore à ce der­nier sens. 

Dans sa der­nière édi­tion, l’Aca­dé­mie, elle, admet une exten­sion de sens, qu’elle ne dis­cute pas : « A sou­vent le sens d’Appa­rat. S’entourer d’un grand déco­rum. Il a le goût du déco­rum. »

À la dif­fé­rence du petit, le Grand Robert enre­gistre, lui, le sens péjo­ra­tif de « décor très soi­gné, pom­peux », avec une cita­tion du Hus­sard sur le toit, de Gio­no (1951) : « Ils contour­naient une suc­ces­sion de petites col­lines toutes plus gen­tilles les unes que les autres. Chaque détour les emme­nait dans des pers­pec­tives où il n’é­tait ques­tion que de pins espa­cés autour de bos­quets ruti­lants en un déco­rum que le pre­mier venu aurait trou­vé royal. » 

Pas­sons sur le pléo­nasme « déco­rum faste » de Tho­mas Jol­ly, forme d’insistance assez cou­rante à l’oral. Par contre, on ne peut trop défi­nir si son déco­rum résume « des tutus cha­toyants, des dorures » (le clin­quant) ou leur ajoute un décor grandiose. 

En effet, dans la presse et la com­mu­ni­ca­tion d’au­jourd’­hui, quand le décor impres­sionne, il devient aisé­ment déco­rum. Le mot est en vogue – tout pour bar­num, d’ailleurs, au sens de « tapage ». Cela tient à la ten­dance à employer des « grands mots ». Et quoi de mieux qu’un mot son­nant latin ? 

Évolution des graphies "decorum" et "décorum" dans Ngram Viewer
Évo­lu­tion des gra­phies deco­rum et déco­rum dans Ngram Vie­wer. Si la seconde prend son essor vers 1820, sa pro­gres­sion est très nette depuis la fin des années 1970.

Voir le titre de cette expo­si­tion pari­sienne de 2014 : « Deco­rum - Tapis et tapis­se­ries d’ar­tistes ». Aus­si belles soient-elles, ces œuvres ne consti­tuent pas pro­pre­ment un déco­rum – et le texte de pré­sen­ta­tion ne four­nit pas de jus­ti­fi­ca­tion de ce terme. 

Voir aus­si cet exemple tiré de Libé­ra­tion, par­mi d’autres réper­to­riés dans le DVLF, dic­tion­naire par­ti­ci­pa­tif : « Ce déco­rum repro­duit l’am­biance sonore d’une salle de ciné­ma THX, quand les tri­cé­ra­tops de Juras­sic Park déboulent dans le dos du spectateur. »

Le déco­rum ne devrait pas (n’au­rait pas dû) perdre son sens d’o­ri­gine pour prendre celui, plus com­mun, de « décor », encore moins celui de « déco­ra­tion », contre lequel nous pré­vient, bien soli­tai­re­ment, le dic­tion­naire Cor­dial : « Ne pas employer ce mot au sens de “déco­ra­tion”. […] Ne dites pas “ce vase a été pla­cé là pour le décorum”. »

Le ver était dans le fruit chez Lit­tré, avec sa défi­ni­tion étran­ge­ment suc­cincte et ambi­guë, cal­quée sur l’é­ty­mo­lo­gie latine : « Ce qui convient et décore. » Et, à en croire une remarque dans le sup­plé­ment de son dic­tion­naire, cette déri­va­tion ger­mait depuis plus long­temps encore : 

« REM. Le Pous­sin a employé ce mot dans le sens de déco­ra­tion.
“Puis viennent l’or­ne­ment, le déco­rum, la beau­té, la grâce, la viva­ci­té, le cos­tume, la vrai­sem­blance et le juge­ment par­tout,” Lett. du Pous­sin, 7 mars 1665, dans J. Dumes­nil, Hist. des amat. ital. p. 542. »

Exemple ancien, rare, trou­vé dans une lettre du maître, qui n’ex­plique pas à lui seul l’ac­cep­tion actuelle que gri­gnote aujourd’­hui le mot déco­rum. Les locu­teurs et les scrip­teurs ont le droit d’être en avance sur les dic­tion­naires, mais ils prennent le risque d’être mal com­pris, et les en aver­tir est une des mis­sions du correcteur.


Sur l’enterrement discret d’un grand modeste, le trait d’union

Cer­tains l’appellent « tiret du 6 », d’autres « (signe) moins », d’autres encore « trait d’union » – les typo­graphes parlent, eux, de « divi­sion1 », plus rare­ment de « tiret quart de cadra­tin ». Mais la plu­part ignorent sans doute, comme moi jusqu’à hier, qu’un tour de passe-par­tout a été opé­ré, dans le monde de l’ingénierie, à la fin du xixe siècle.

En cher­chant autre chose, je lis ici : « Le tiret du 6 n’est pas un trait d’union ! » Je lis ailleurs : « Le “tiret du 6” n’a […] pas de valeur typo­gra­phique. » Je découvre aus­si que les déve­lop­peurs infor­ma­tiques l’appellent « trait d’union-signe moins » (hyphen-minus, en anglais). Me voi­là troublé !

Un article d’un site com­mu­nau­taire (24 jours du Web, infor­ma­tion confir­mée par le Wiki­pé­dia anglais) m’a éclairé : 

« Le signe - que vous connais­sez tous est un des carac­tères les plus acces­sibles sur nos cla­viers. Il n’est mal­heu­reu­se­ment qu’un (pauvre) héri­tage de la dac­ty­lo­gra­phie. En effet, il a été inven­té pour rem­pla­cer deux signes dis­tincts à la fois : le trait d’union et le signe moins. Ain­si les méca­nismes des machines à écrire s’en trou­vaient sim­pli­fiés. […]
Même si gra­phi­que­ment les deux pre­miers signes sont bien iden­tiques, ils n’ont en fait pas exac­te­ment le même sens. […]
Pour autant, l’usage du trait d’union étant très fré­quent, et le véri­table carac­tère bien plus dif­fi­cile à obte­nir, je vous recom­mande de ne pas vous mon­trer trop per­fec­tion­niste et de consi­dé­rer le carac­tère “trait d’union et signe moins” comme un simple trait d’union. C’est un com­pro­mis qui semble accep­table tant séman­ti­que­ment que graphiquement. »

Je savais que, par sim­pli­ci­té – et ce, depuis l’in­ven­tion de la machine à écrire –, le trait d’union était sou­vent employé comme signe moins, mais je pen­sais que seul ce signe mathé­ma­tique avait dis­pa­ru du cla­vier. J’ignorais que le vrai trait d’union (hyphen) avait, lui aus­si, disparu ! 

Il n’existe qua­si­ment plus que sous forme de réfé­rence chif­frée (U+2010), dans le stan­dard mon­dial Uni­code (le code du « trait d’union-signe moins » est U+002D). Il y a donc « confu­sion homo­gly­phique » des deux signes.  Si, comme il est dit plus haut, il est « bien plus dif­fi­cile à obte­nir », c’est que ce code est lais­sé vide par nombre de polices numé­riques, telle la Gara­mond de mon Mac : 

Le code du vrai trait d'union n'est pas affiché par la Garamond de mon Mac.
Le code du vrai trait d’u­nion n’est pas affi­ché par la Gara­mond de mon Mac.

Je ne suis pas cer­tain que la typo­gra­phie y ait vrai­ment per­du quelque chose. D’éventuels spé­cia­listes me détrom­pe­ront. (Plus gênante est la dif­fi­cul­té d’employer le vrai signe moins – lire mon article.) Mais j’ai été sur­pris par cette révé­la­tion impromptue.

Au pas­sage, j’ai décou­vert dans les pro­fon­deurs d’Unicode des tirets mécon­nus comme le trait d’union armé­nien (U+058A), le trait d’union double oblique (U+2E17) ou encore le trait d’union à tré­ma (U+2E1A). Ne me deman­dez pas à quoi ils servent… (Si vous le savez, vous pou­vez m’écrire !)

Traits d'union arménien, double oblique et à tréma.
Traits d’u­nion armé­nien, double oblique et à tréma.

Doré­na­vant, quand je me repen­che­rai, dans mes codes typo2, sur les usages du « trait d’u­nion », je sau­rai que le vrai, l’u­nique, a été enter­ré sans les hon­neurs, il y a quelque cent cin­quante ans, et qu’un impos­teur a pris sa place.

☞ Pour d’autres infos inté­res­santes, consul­ter la liste des articles.


Source illus­tra­tion du haut : Astu­to.

“Des plus facile” ou “des plus faciles” ?

chapô du "Monde" présentant une difficulté grammaticale
Cha­pô récent d’un article du Monde. Faut-il écrire piquant ou piquants ?

Un récent article du Monde1 me donne l’occasion d’évoquer un cas de gram­maire liti­gieux. Son exis­tence même est peu connue, même des pro­fes­sion­nels de l’écrit, dont les correcteurs. 

« Dans un roman gra­phique des plus piquant […] », écrit le quo­ti­dien. Fal­lait-il écrire piquants ? 

Cette hési­ta­tion est ancienne. Dans la cor­res­pon­dance de Sten­dhal, par exemple, on trouve à la fois L’état sani­taire de cette ville [= Mar­seille] et de Lyon est des plus satis­fai­sant (t. VIII, p. 14) et L’intérêt était des plus minimes (t. IX, p. 269).

Même « avec un sin­gu­lier dis­tinct pho­né­ti­que­ment du plu­riel » (Gre­visse, § 993 g), on trouve aus­si bien Le gros public s’étonne tou­jours qu’un homme, sur un point, puisse être extra­va­gant, et sur tous les autres des plus nor­mal (Mon­ther­lant) que Je le tiens pour un écri­vain des plus moraux (A. France). 

Pour la GMF (voir sigles en bas de page), l’accord au sin­gu­lier est « spo­ra­dique ».

Quelle est la règle ?

Si l’on creuse la ques­tion, on se rend vite compte que la règle est diver­se­ment édic­tée par les gram­mai­riens et lexi­co­graphes. Lançons-nous. 

Chez Jouette, on trouve à plus : Un accueil des plus cor­diaux ou « avec la valeur de très », un accueil des plus cor­dial. Mais com­ment tran­cher ? Et dans l’en­ca­dré Le super­la­tif : « Après des plus […] l’ad­jec­tif se met au plu­riel si le sujet est net­te­ment déter­mi­né. […] Un accueil des plus cor­diaux. […] Si l’on trouve le sin­gu­lier dans ce cas, c’est contre l’A­ca­dé­mie. » Nous voi­là peu éclairés. 

Obser­va­teur de l’usage, Le Petit Robert dis­tingue tou­jours le super­la­tif rela­tif des plus – « par­mi les plus. Il n’est pas des plus malins. « c’é­tait quel­qu’un dont le com­merce était des plus aimables » (Cliff) » – de l’u­sage adver­bial : « Extrê­me­ment (adj. sou­vent au sing.). La situa­tion est des plus embar­ras­sante. »

Le Grand Robert, lui, ne traite le second cas qu’en remarque : Chez « cer­tains auteurs », quand l’expression des plus est prise « au sens de “au plus haut point”, l’ad­jec­tif rest[e] alors au sin­gu­lier s’il y a lieu. […] Ce spec­tacle est des plus immo­ral […]. » Une seconde remarque signale un cas par­ti­cu­lier : « Si l’ad­jec­tif se rap­porte à un pro­nom neutre, il reste géné­ra­le­ment au sin­gu­lier. »

Cette der­nière règle est plus affir­mée chez Hanse et Blam­pain (à adjec­tifs qua­li­fi­ca­tifs, 2.6) : « Il [l’adjectif] se met tou­jours au sin­gu­lier […] s’il se rap­porte à un pro­nom neutre : Il lui était des plus dif­fi­cile de s’abstenir. Cela est des plus natu­rel. » « C’est l’usage géné­ral et logique », com­mentent-ils. C’est aus­si « tout à fait logique pour Le Gre­visse de l’étudiant (De Boeck, 2018, p. 238). Ex. don­né : Ce n’est pas des plus facile.

Pas­sons à Giro­det, arbitre des élé­gances. « Que le nom soit au sin­gu­lier ou au plu­riel, l’adjectif se met nor­ma­le­ment au plu­riel et s’accorde en genre avec le nom : Ce pro­cé­dé est des plus légaux. Ces pro­cé­dés sont des plus légaux. Cette femme est des plus belles. Ces femmes sont des plus belles. Voi­là une mai­son des plus élé­gantes. — En revanche, inva­ria­bi­li­té quand l’adjectif se rap­porte à un pro­nom neutre ou à un verbe : Cela n’est pas des plus facile. Il lui est des plus natu­rel de se conduire en galant homme. Connaître le secret du code n’était pas des plus compliqué. »

Même règle pour Péchoin et Dau­phin (Larousse) : « S’il se rap­porte à un verbe ou à un sujet neutre, l’adjectif reste inva­riable : Il n’est pas des plus facile d’arrêter de fumer. « Natu­rel­le­ment inva­riable », disait déjà Tho­mas (Larousse, 1956). 

Cette règle n’est entrée dans le Dic­tion­naire de l’Académie qu’à la der­nière édi­tion : « L’adjectif se met au sin­gu­lier lorsque le sujet est un pro­nom neutre ou un infi­ni­tif. Cela est des plus vrai­sem­blable. Se conduire ain­si me semble des plus cavalier. »

Tout cela est bien compliqué ! 

Qu’est-ce qui explique cette exception ? 

« Quand des plus se rap­porte à un pro­nom neutre ou à un infi­ni­tif, il ne peut s’analyser comme équi­valent de par­mi les plus (et impli­quer l’ellipse d’un nom expri­mé aupa­ra­vant) » (Gre­visse).
Lire est des plus agréable. 

« Dans ce cas, le plu­riel est un peu sur­pre­nant, mais il se trouve pour­tant. » 
Trou­ver un coin pai­sible n’y est pas des plus faciles (Eche­noz, Je m’en vais, p. 11).

Mais reve­nons au choix du Monde qui a moti­vé ce billet… Point de pro­nom neutre ni d’infinitif, dans leur phrase, mais un groupe nomi­nal, un roman gra­phique

Péchoin et Dau­phin (Larousse) contestent ce choix : « REM. Cer­tains gram­mai­riens, voyant en des plus un super­la­tif, sans idée de plu­riel, ont pré­co­ni­sé une per­sonne des plus brillante, sans s (= une per­sonne brillante au plus haut point). Cette règle peu logique n’est plus sui­vie aujourd’hui. »

Tho­mas (Larousse, 1956), dont ils se sont ins­pi­rés, le reje­tait déjà :

« L’adjectif qui suit des plus (des moins, des mieux) se met en géné­ral au plu­riel, l’usage ayant écar­té les sub­ti­li­tés oppo­sées par les lin­guistes, qui n’admettaient que le sin­gu­lier. […]
Cer­tains ont esti­mé que des plus ame­nait un super­la­tif, et que par consé­quent il n’y avait pas de plu­riel dans l’idée : un homme des plus loyal était un homme loyal au plus haut point, le plus loyal pos­sible, extrê­me­ment loyal, etc. “Mais ce n’est pas la règle la plus sui­vie ni la plus logique” (Larousse du XXe s. [1928-1933]). »

Alors, on fait quoi ? 

La locu­tion des plus fait par­tie des « formes […] deve­nues inana­ly­sables » (GGF). Elle est deve­nue « une locu­tion adver­biale inten­sive » (GMF). « […] ori­gi­nai­re­ment super­la­tif rela­tif […] [elle] sert sim­ple­ment à expri­mer un haut degré […] (Gre­visse). 

Ce qui devrait être « nor­ma­le­ment au plu­riel » pour Giro­det se trouve donc au sin­gu­lier dans Le Monde. « Peu logique » et contraire à l’usage pour les auteurs de Larousse, aus­si bien dans les années 1930 qu’aujourd’hui, ce choix est tou­jours sui­vi par certains. 

Il me semble lire là plu­tôt une évo­lu­tion de l’analyse gram­ma­ti­cale qu’une résis­tance de puristes.

On le constate à l’Académie. En 1935 (8e éd. de son dic­tion­naire), des plus n’était encore, pour elle, qu’un super­la­tif rela­tif : « Par­mi les plus. Il est des plus dif­fi­ciles. Ce tra­vail est des plus déli­cats. » Aujourd’hui, elle inter­prète de plus uni­que­ment comme « très, énor­mé­ment », et laisse le choix de l’accord : « Ce per­son­nage est des plus far­fe­lus. Cette affaire est des plus banales ou des plus banale. »

Quel que soit votre choix, j’espère que vous aurez trou­vé dans cet article les argu­ments pour le justifier. 


GMF : Gram­maire métho­dique du fran­çais, PUF, 7e éd., 2018, p. 621 — GGF = Grande gram­maire du fran­çais, ver­sion numé­rique, ch. VIII, 7.1.3.

Pour les réfé­rences qui ne sont pas don­nées ici, voir La biblio­thèque du cor­rec­teur.

“Faites emmerdant”, ou la rigueur journalistique selon Adrien Hébrard

À pro­pos du style jour­na­lis­tique, deux cita­tions his­to­riques sont res­tées célèbres. 

Georges Clemenceau, atelier Nadar, sans date.
Georges Cle­men­ceau, ate­lier Nadar, s.d.

La pre­mière est due à Georges Cle­men­ceau, alors rédac­teur en chef (1903-1906) de L’Aurore. Plu­sieurs variantes cir­culent, mais il s’agissait sans doute d’une cir­cu­laire adres­sée aux rédac­teurs du jour­nal, for­mu­lée ainsi : 

« Faites des phrases courtes.
Vous ne devez pas oublier qu’une phrase se com­pose d’un sujet, d’un verbe et d’un com­plé­ment
Ceux qui vou­dront user d’un adjec­tif pas­se­ront me voir dans mon bureau
Ceux qui emploie­ront un adverbe seront fou­tus à la porte. »

Cle­men­ceau avait son franc par­ler. Par­mi les nom­breuses cita­tions qu’il nous a lais­sées, celle-ci est par­ti­cu­liè­re­ment savou­reuse : « Don­nez-moi qua­rante trous du cul et je vous fais une Aca­dé­mie fran­çaise. » On voit que la « vieille dame du quai Conti » était déjà tenue en haute estime !

“Le Temps”, fruit d’une volonté de sérieux et de qualité

L’autre phrase sou­vent citée à pro­pos de l’écriture jour­na­lis­tique est due à Adrien Hébrard. Qui ça ? 

« Adrien Hébrard [1833-1914] s’efface der­rière son œuvre et les his­to­riens contem­po­rains doivent se conten­ter de quelques ren­sei­gne­ments signa­lé­tiques » (J.-G. Padio­leau1). S’il fut long­temps séna­teur de la Haute-Garonne (1879-1897), il n’est mon­té qu’une fois à la tri­bune. On sait aus­si que, doué en affaires, il inves­tit dans les tra­vaux publics, l’élec­tri­ci­té, le télé­phone, la métal­lur­gie, et mou­rut très riche (Wiki­pé­dia). 

Sur­tout, pour ce qui nous concerne ici, il diri­gea le quo­ti­dien Le Temps de 1871 à sa mort, en 1914, et en fit une puis­sance poli­tique et financière. 

En 1861, en lan­çant Le Temps, Auguste Nefft­zer en avait annon­cé le prin­cipe direc­teur : « De la mis­sion d’éducation publique que nous assi­gnons à la presse, notre pro­gramme découle tout natu­rel­le­ment. […] nous devrons nous atta­cher à sol­li­ci­ter le libre rai­son­ne­ment de nos conci­toyens et […] nous cher­che­rons moins à leur incul­quer une opi­nion toute faite qu’à les mettre en état de s’en for­mer par eux-mêmes » (P. Éve­no2).

Sérieux et qua­li­té étaient donc au programme. 

Dix ans plus tard, Nefft­zer lais­sa la direc­tion du jour­nal au rédac­teur en chef Adrien Hébrard, dont le mot d’ordre fut plus suc­cinct : « Sur­tout, faites emmerdant ! »

« Expres­sion d’une recherche presque manié­rée de l’aus­té­ri­té, mais aus­si réac­tion salu­taire contre la vul­ga­ri­té ou la faci­li­té des nou­veaux grands de la presse quo­ti­dienne (Le Petit Pari­sien, Le Jour­nal) et le sen­sa­tion­na­lisme agres­sif et dif­fa­ma­toire du Matin […] »  (Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis3).

Peut-être était-ce aus­si « pour inci­ter sa rédac­tion à creu­ser les sujets au risque de déplaire, sans crainte de las­ser » (O. Maniette4).

Quo­ti­dien répu­bli­cain et conser­va­teur, Le Temps se sabor­da pen­dant la Seconde Guerre mon­diale, le 30 novembre 1942. « Ses locaux réqui­si­tion­nés et son maté­riel sai­si à la Libé­ra­tion per­mettent le lan­ce­ment le 18 décembre 1944 du Monde qui le rem­place comme organe de réfé­rence » (BNF5).

« Long­temps, Le Monde a été l’hé­ri­tier [du] jan­sé­nisme [d’Adrien Hébrard]. Plus per­sonne n’é­tait là pour enjoindre de “faire emmer­dant”, mais le style mai­son refu­sait toute fri­vo­li­té. Du gris par­tout, du gris à satié­té. Telle était la norme dans les années 1950 et 1960 » (Le Monde6).

Aujourd’­hui, « Faites des phrases courtes » reste de bon conseil. « Faites emmer­dant », je suis moins sûr.

☞ Lire aus­si Apprendre à écrire un article de presse.


Le rire, ça fait “ah ah” ou “ha ha” ?

Pho­to de Pixa­bay, Pexels.

Com­ment riez-vous par écrit ? Faites-vous « ah ah » ou « ha ha » ?

D’a­près un article de Libé­ra­tion en 2019, il y aurait débat sur la ques­tion. Il leur semble alors, « après une enquête toute sub­jec­tive », que « ah ah » est plus fréquent. 

Pour­tant, le quo­ti­dien explique que les deux ono­ma­to­pées sont admises, aus­si bien par l’A­ca­dé­mie que par le Robert. 

Mais entre « Ah ! ah ! ah ! que c’est drôle ! » et « Ha ! ha ! ha ! comme c’est drôle ! », selon l’A­ca­dé­mie, il y aurait une nuance d’af­fec­ta­tion. Avec « ha ha », on fait plus sem­blant de rire qu’on ne rit vraiment.

Pour ce qui est de la ponc­tua­tion, vous avez le choix entre « Ah ! ah ! ah ! » et « Ah, ah, ah ! » (J’ai une pré­fé­rence pour la seconde option, plus légère.)

Vous pou­vez aus­si faire « hi hi » si ça vous chante. Par contre, « hé hé » sert plu­tôt à « mar­quer une sorte d’adhésion gour­mande, de com­pli­ci­té, par­fois railleuse ou iro­nique » (Acad.). « Hé, hé, je ne dis pas non. » – à ne pas confondre avec « eh eh », qui « exprime un sous-enten­du, géné­ra­le­ment iro­nique ou grivois ». 

Quant à « ho ho », c’est une exclu­si­vi­té du père Noël.

Rire en ligne, c’est tout un art !


Entrées du Dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie : ah ah ; ha ha ; hi hi ; hé hé ; eh eh.

Le “calendrier de l’avent”, une tradition majuscule

Calen­drier de l’avent « Céleste » de Ladu­rée.

1er décembre, pre­mier jour de l’avent et, bien sûr, défilent, sur les réseaux sociaux et ailleurs, billets et articles sur­fant sur le « calen­drier de l’avent » ou, plus sou­vent, « de l’Avent ». Pour­quoi cette hési­ta­tion graphique ? 

Ancien­ne­ment advent (vers 1119), avent vient du latin chré­tien adven­tus (« arri­vée, avè­ne­ment ») et désigne la « période de l’année litur­gique de quatre semaines qui pré­cède et pré­pare la fête de Noël » (Larousse).

Un calen­drier de l’avent est une boîte « com­pre­nant vingt-quatre volets à ouvrir chaque jour, du 1er décembre à Noël, pour décou­vrir une frian­dise, une sur­prise » (Robert).

Dans un cas comme dans l’autre, la minus­cule s’impose. 

Le logi­ciel Anti­dote pré­cise :
« Comme c’est toute une période qui est dési­gnée par le mot avent et non pas un jour de fête unique, il est recom­man­dé de l’écrire avec une minus­cule, comme pour le nom du carême ou du rama­dan. La gra­phie Avent, avec une majus­cule, est déconseillée. »

On peut le véri­fier dans les dic­tion­naires sui­vants : Robert, Jouette, Giro­det, Dour­non, Lit­tré ; dans les ency­clo­pé­dies Uni­ver­sa­lis et Wiki­pé­dia, ain­si que dans la Vitrine lin­guis­tique (Qué­bec).

Seul Larousse (et le TLFI) main­tient la majus­cule. Est-ce pour « bien dis­tin­guer l’Avent, temps de la litur­gie catho­lique qui pré­cède Noël, de la pré­po­si­tion avant » ? L’argument me paraît mince. 

Même le dic­tion­naire de la si conser­va­trice Aca­dé­mie a aban­don­né la majus­cule depuis son édi­tion de 1835.

Pour­tant, cette tra­di­tion – de la majus­cule – a la vie dure.

Avent dans calen­drier de l’avent serait-il per­çu comme le « nom spé­ci­fique », sur le modèle de minis­tère de l’Économie ? S’agit-il de l’expression d’une défé­rence à l’égard de la reli­gion ? Ou encore d’un exemple de la « majus­cu­lite » commerciale ?

J’avoue que l’explication m’échappe. Les hypo­thèses sont les bienvenues. 

NB – La plu­part des sources men­tion­nées ici figurent dans La biblio­thèque du cor­rec­teur.

Le Bled, souvenir d’enfance de nombreux correcteurs

"Premières leçons d'orthographe", d'Edouard et Odette Bled
Pre­mières leçons d’or­tho­graphe, d’É­douard et Odette Bled, 1965.

J’i­gnore dans quel manuel les éco­liers d’au­jourd’­hui apprennent les règles d’or­tho­graphe et de gram­maire, mais pour ceux de ma géné­ra­tion, c’é­tait un fameux livre blanc et bleu, le Bled. Nous pro­non­cions conscien­cieu­se­ment le d final, et voi­ci que, cin­quante ans plus tard, je découvre dans Wiki­pé­dia qu’on pro­nonce « blé1 ».

Un article du JDD Maga­zine2, où l’on peut enfin iden­ti­fier « E. & O. » — Édouard (1899-1996) et Odette (1906-1991) — et décou­vrir le sym­pa­thique visage de ces deux ins­ti­tu­teurs, me donne l’oc­ca­sion d’une petite séquence nos­tal­gie. J’en publie quelques extraits.

« Les mots étaient des amis qui me contaient des his­toires. Quand j’en décou­vrais un nou­veau, je le notais sur un petit car­net. » — Édouard Bled

À l’école, les époux Bled cherchent de nou­velles façons d’enseigner et d’aider les élèves à apprendre. Et ils pro­fitent des vacances pour tra­vailler sur une nou­velle péda­go­gie. Leurs méthodes com­mencent à intri­guer : des ins­pec­teurs viennent même visi­ter leurs classes pour obser­ver leurs façons de faire. En 1937, ils entament la rédac­tion de leur pre­mier livre. […] 

Automne 1941. Le couple pré­sente une pre­mière ver­sion de son manus­crit à Hachette. « Votre ouvrage est une nou­veau­té péda­go­gique qui a rete­nu notre atten­tion, leur dit-on. Mais le papier est contin­gen­té et réser­vé aux titres déjà exis­tants. D’autre part, ce qui nous inté­resse, c’est une col­lec­tion qui cou­vri­rait toute la sco­la­ri­té. Êtes-vous prêts à vous lan­cer dans un tel tra­vail ? » Édouard et Odette répondent oui d’une seule voix, sans même avoir pris le temps de se concerter.

Après signa­ture du contrat, en mai 1945, « […] le couple publie­ra plu­sieurs ver­sions de son manuel. Qui se ven­dra à plu­sieurs dizaines de mil­lions d’exemplaires – et se vend encore. »

Édouard et Odette Bled, ins­ti­tu­teurs. Archives muni­ci­pales de Saint-Maur. Source : fiche Mai­tron d’É­douard Bled.

Apprendre à écrire un article de presse

Hédi Kaddour, "Inventer sa phrase", ediSens, 2021

Qu’est-ce qu’un bon article de presse ? Com­ment ça marche ? Com­ment trans­mettre l’information brute tout en sus­ci­tant l’intérêt ? Com­ment don­ner à voir, à entendre, à sen­tir ? Com­ment réus­sir une attaque, une relance, une chute ? Quel est le poids d’un on, d’un déjà ou d’un impar­fait ? Com­ment émou­voir sans sor­tir les vio­lons ? Pour­quoi les cli­chés sont-ils impor­tants dans la rubrique faits divers ? Qu’est-ce que l’écriture « froide » et l’écriture « sèche » ? Com­ment un rédac­teur peut-il faire pas­ser un choix poli­tique pour le seul pos­sible, en diri­geant les regards ailleurs ? Com­ment un autre peut-il s’exprimer sur une affaire en cours sans craindre d’être atta­qué pour atteinte à la pré­somp­tion d’innocence ? 

Dans ce petit livre, lumi­neux d’intelligence, sans jar­gon aucun, Hédi Kad­dour répond à toutes ces ques­tions et à beau­coup d’autres. 

Une lec­ture que je recom­mande chau­de­ment pour apprendre à écrire des articles… ou à mieux les lire.

Pré­sen­ta­tion de l’éditeur : 

« Un sujet, un verbe, un com­plé­ment. Et pour les adjec­tifs, vous vien­drez me voir ». Telle est la consigne que les rédac­teurs en chef sont cen­sés don­ner aux jeunes jour­na­listes débu­tants. La bonne phrase du jour­na­liste fait, en effet, pen­ser au coup de pin­ceau de l’aquarelliste : pas le temps de lécher la besogne, car le soleil va dis­pa­raître ; pas le temps d’un retour, car on ne ferait que diluer ; pas non plus trente-six choses à déployer, car il n’y a qu’un angle de prise de vue. Dans ce guide, l’auteur se sai­sit d’une phrase, de quelques lignes d’un para­graphe parues dans la presse, les décor­tique, les ana­lyse, les cri­tique pour mon­trer com­ment ils répondent ou non aux exi­gences de l’écriture jour­na­lis­tique. Une invi­ta­tion à amé­lio­rer son style, à inven­ter sa phrase. »

Hédi Kad­dour est, par ailleurs, l’au­teur d’un gros roman, fort remar­qué en 2005, Wal­ten­berg, qui figure dans ma – trop longue – liste de lec­tures à venir.

☞ Pour d’autres réfé­rences, voir La biblio­thèque du cor­rec­teur.

Hédi Kad­dour, Inven­ter sa phrase, 2e éd., edi­Sens, 2021, 128 p.

Corriger un édito : attention, danger !

faux éditorial (illustration)

« Pour­quoi un tel article n’a-t-il pas été cor­ri­gé, repei­gné ? Aucun jour­nal ne manque de com­pé­tence au point de ne pas dis­po­ser d’un secré­taire de rédac­tion capable de voir qu’il y a là quelque chose de mena­çant pour l’i­mage même du jour­nal, pour la “une” où figure cet édi­to­rial. Mais la grosse dif­fi­cul­té avec l’é­di­to­rial, c’est que per­sonne n’ose y tou­cher. Texte poli­tique par excel­lence, il ne sau­rait pas­ser à la relec­ture, ni se faire reprendre pour cause de bêtise ou de confu­sion sty­lis­tique. Celui qui l’é­crit jouit d’une cer­taine forme de pou­voir, et affirme ce pou­voir en écri­vant. 
Si l’é­di­to­rial est le lieu même grâce auquel le lec­teur peut s’i­den­ti­fier à son jour­nal, on se demande dans quel mépris l’au­teur tient son public, pour lui des­ti­ner une telle bouillie. […] »

J’en sais quelque chose : pour avoir osé cri­ti­quer la qua­li­té d’un édi­to, en arguant qu’il était « la porte d’en­trée de la revue », on m’a viré. Je crois aus­si que le direc­teur de la rédac­tion, qui en était l’au­teur, cher­chait déjà à faire l’é­co­no­mie d’un cor­rec­teur. C’é­tait il y a deux ans. 

Hédi Kad­dour, Inven­ter sa phrase, Vic­toires Édi­tions, 2007, p. 96. Rééd. edi­Sens, 2021.

Source de l’illus­tra­tion : Le blog de philippenoviant.com.

Pour en finir avec l’interdiction de “par contre”

Savez-vous qu’il existe en France des gens tel­le­ment sou­cieux de « pro­té­ger la pure­té de la langue fran­çaise » qu’ils estiment l’Académie dan­ge­reu­se­ment laxiste ? 

Récem­ment, sur Quo­ra, quelqu’un pré­ten­dait nous inter­dire d’employer par contre, par consé­quent et par extra­or­di­naire, selon lui « gram­ma­ti­ca­le­ment incorrects ». 

Je l’ai alors ren­voyé à l’avis de l’Académie, laquelle écrit : 

Loc. adv. Par consé­quent, par une suite logique. Vous l’avez pro­mis et, par consé­quent, vous y êtes obli­gé1.

Loc. adv. Par extra­or­di­naire, par excep­tion ou par une cir­cons­tance tout à fait inha­bi­tuelle, par hasard, par chance. Par extra­or­di­naire, j’étais sor­ti ce soir-là. C’est un men­teur fief­fé, mais, cette fois, par extra­or­di­naire, il a dit la véri­té2.

Par contre, en revanche, d’un autre côté, en contre­par­tie, en com­pen­sa­tion, à l’inverse.

Remarque : Condam­née par Lit­tré d’après une remarque de Vol­taire, la locu­tion adver­biale Par contre a été uti­li­sée par d’excellents auteurs fran­çais, de Sten­dhal à Mon­ther­lant, en pas­sant par Ana­tole France, Hen­ri de Régnier, André Gide, Mar­cel Proust, Jean Girau­doux, Georges Duha­mel, Georges Ber­na­nos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exu­pé­ry, etc. Elle ne peut donc être consi­dé­rée comme fau­tive, mais l’usage s’est éta­bli de la décon­seiller, chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est pos­sible3.

Pour ma part, j’écris par contre si je veux. Dans mes tra­vaux de cor­rec­teur, je ne le rem­place par en revanche que si l’éditeur l’exige. Le client est roi. 

Mais je ne peux m’empêcher de gar­der en tête l’excellent exemple d’André Gide : « Trou­ve­riez-vous décent qu’une femme vous dise : Oui, mon frère et mon mari sont reve­nus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai per­du mes deux fils ?4 »

« En effet, par contre marque une simple oppo­si­tion entre deux énon­cés, alors que en revanche et en com­pen­sa­tion, en plus de mar­quer l’opposition, intro­duisent nor­ma­le­ment un énon­cé pré­sen­tant un avan­tage. On peut donc dif­fi­ci­le­ment uti­li­ser ces locu­tions devant une pro­po­si­tion expri­mant un désa­van­tage ou un incon­vé­nient. Dans ce contexte, il est inutile de cher­cher à évi­ter la locu­tion par contre », détaille la Vitrine lin­guis­tique.

De même, je ne cor­rige plus le second accent d’évè­ne­ment, depuis que l’A­ca­dé­mie a enfin rec­ti­fié (soit dans la der­nière édi­tion de son dic­tion­naire5) une erreur qui a duré trois siècles6.