“Le Correcteur”, de Marco Lodoli

"Le Correcteur" de Marco Lodoli

« Dans le peu de temps libre qu’il lui res­tait, après avoir expur­gé son énième livre, Fan­ti­no se bala­dait dans la ville en scru­tant les affiches et les enseignes des maga­sins, les ins­crip­tions sur les murs. Il n’était pas content tant qu’il n’avait pas trou­vé une erreur, même petite, même insi­gni­fiante et ridi­cule : pour chaque quar­tier, il se conten­tait d’une apos­trophe oubliée, d’une petite vir­gule. Alors il ren­trait chez lui et disait : ça suf­fit pour aujourd’hui. Mais ensuite, une fois au lit, sa manie le repre­nait, alors il ral­lu­mait la lumière et il com­men­çait à éplu­cher les annuaires du télé­phone, cin­quante, soixante colonnes à chaque fois. Il lui fut facile de com­prendre que Mon­sieur Maria­ni Par­lo était en réa­li­té Maria­ni Car­lo. Qui­conque doté d’un peu de patience pou­vait sai­sir cela. Il lui fal­lut un peu plus de métier pour loca­li­ser le numé­ro de télé­phone erro­né d’une ali­men­ta­tion : il ne pou­vait pas com­men­cer par sept, dans cette zone-là de la ville. Cela devait être un cinq : le matin, il appe­la le maga­sin pour véri­fier son hypo­thèse. Il com­man­da une bou­teille de vin rouge très coté et la but au gou­lot, en se féli­ci­tant dans son for intérieur. »

"Boccacce" de Marco Lodoli

Extrait de la nou­velle « Le Cor­rec­teur », de Mar­co Lodo­li, dans Boc­cacce, tra­duit de l’italien par Lise Cha­puis et Dino Nes­su­no, illus­tra­tions d’Alban Cau­mont, L’Arbre ven­geur, 2007, p. 49-52.

Il n’y a que les roman­ciers pour ima­gi­ner un cor­rec­teur infaillible. J’en connais au moins un autre en lit­té­ra­ture : le « Pro­fes­sore » de George Stei­ner, dans Épreuves (voir le résu­mé dans ma sélec­tion « Le cor­rec­teur, per­son­nage lit­té­raire »). Curieu­se­ment, lui aus­si italien.

Dans la vraie vie, je n’en ai pas connu. Par contre, il est vrai que nous sommes nom­breux à avoir du mal à décro­cher, comme le raconte aus­si Muriel Gil­bert, dans Au bon­heur des fautes.

Fan­ti­no et le Pro­fes­sore sont liés par un point com­mun. Un triste constat : « Que d’im­pré­ci­sions dans le grand livre du monde, […] et quelle souf­france de ne pou­voir les corriger. »