« On n’est pas bon correcteur de soi-même. » C’est un principe assez connu, en tout cas des correcteurs et des écrivains. Pourtant, je m’en sors plutôt bien – j’espère que vous serez d’ailleurs d’accord avec cette déclaration affirmation immodeste ! Comment est-ce que je m’y prends ?
J’ai mis en place un processus très assez simple. Le premier jet, je le rédige en texte brut (dans TextEdit, sur Mac). Sans autre enrichissement que l’italique ou les guillemets, selon la destination du texte. J’utilise toujours la même police à empattements, qui m’assure une familiarité avec la silhouette des mots. Le correcteur de saisie m’assure, lui, contre les fautes de frappe, puisqu’un mot mal écrit sera aussitôt souligné de pointillés rouges.
Je lance ensuite le correcteur Antidote, notamment pour placer les espaces insécables. Le cas échéant Si nécessaire, j’applique les suggestions qu’il me fait.
Puis je copie-colle ce texte dans l’éditeur de destination : le CMS WordPress de mon blog, le modèle module de post sur LinkedIn, etc., où j’effectue quelques ajustements. Cela donne déjà un regard différent sur le texte. Je n’invente rien : il est établi que modifier la police ou la couleur d’un texte aide à se rafraîchir son l’œil. C’est souvent à ce moment-là que je me rends compte d’ remarque avoir tapé un mot pour un autre – ma plus grosse faiblesse en la matière. (Sans tricher, vous voyez barrés dans ce texte les mots que j’ai dû remplacer ou supprimer.)
On peut aussi « laisser reposer » le texte quelques heures, une nuit, voire plusieurs jours. C’est idéal pour le retrouver avec un regard plus frais.
Je suis bien placé pour savoir que ce processus ne remplace vaut pas une relecture professionnelle – qui pouvait aurait pu, notamment, d’ m’apporter des suggestions stylistiques –, mais le plus risqué est évité.
Enfin, je publie le texte. Quasi systématiquement, je découvre alors des détails qui me déplaisent et que je corrige aussitôt, autant de fois que nécessaire.
Enfin, Je relis beaucoup, à toutes les étapes, avant et après publication.
Rien de révolutionnaire, mais c’est efficace.
C’est plutôt sur le fond que je suis parfois pris de doutes. Auquel cas je demande à un ou deux confrères de confiance ce qu’ils en pensent. (Raphaël, Nelson, merci de votre disponibilité !)
Un article1 lu hier, datant de 2009, évoquait le tarif des indépendants publié par l’Arci [Association romande des correctrices et correcteurs d’imprimerie], qui laisserait, disait-il, « les correctrices et correcteurs de France métropolitaine […] bien étonnés ». Après l’avoir découvert, je dirais même qu’il les laisserait songeurs — « Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux ».
Depuis 2009, ce tarif a même largement augmenté, alors qu’en France j’entends évoquer la même fourchette depuis vingt ans. Voici ce que disait l’auteur (j’ai mis à jour les données chiffrées) :
« La correction, en France métropolitaine, relève désormais davantage du savoir survivre que du savoir-vivre. Ce tarif de l’Arci se fonde […] sur un tarif horaire de [70 à 90] francs suisses pour des textes corrigibles au rythme de lecture angoissée2 de 15 000 signes par heure. Soit [l’équivalent en euros3 de ou à l’heure. Plus de quatre fois ce que des bac+5 survivant de la correction de ce côté du Léman […] facturent généralement, hélas. »
« Pour un travail de difficulté moyenne, le tarif horaire minimum des indépendants se monte entre CHF 70.–/h à 90.–/h. Pour du texte de magazine grand public issu d’un secrétariat de rédaction, le rythme de lecture est généralement de 15 000 signes par heure.
« Quant aux travaux plus complexes, il est nécessaire de déterminer le nombre de signes à l’heure. Sur la base du fichier électronique ou des sorties imprimante du texte à corriger, un devis sera soumis au client.
« Le tarif aux mille signes peut faire l’objet d’une “échelle de complexité”, par exemple :
100 % : tarif de base, pas trop de corrections, uniformisation usuelle ;
90 % : réimpression, texte particulièrement bien écrit ;
110 % : nombreuses uniformisations ou vérifications ;
120 % : termes scientifiques ou jargon technique, beaucoup de notes4. »
À 25 euros l’heure, on rêve beaucoup moins — « adieu veau, vache, cochon, couvée ».
PS – Aussitôt publié, fini de rêver ! Une consœur m’informe en ces termes : « Ces tarifs sont dits indicatifs. Bien rares à ma connaissance sont celles et ceux qui parviennent à les faire appliquer, ou même à s’en approcher. Le métier, de ce point de vue, n’est guère mieux considéré en Suisse qu’en France. La comparaison avec les tarifs français pousse à la baisse (même si ce n’est pas un correcteur français qui est finalement choisi, la comparaison suffit à faire accepter des tarifs – bien – plus bas que ceux préconisés par l’Arci, laquelle n’a guère de poids dans cette affaire). Et n’oublions pas un coût de la vie très différent5… »
Si vous êtes correcteur ou si vous lisez ce qu’ils publient, vous connaissez le mot orthotypographie ou, du moins, vous l’avez croisé. Il règne un certain flou autour de sa définition, de ce qui relève ou non de cette notion. Certains professionnels, lorsqu’ils parlent de correction orthotypographique, y incluent la grammaire6, voire, quand elle est « approfondie », la cohérence du récit et la réécriture7 !
Le terme orthotypographie ne figure pas dans les dictionnaires de référence (Larousse, Robert, Académie, TLF). Pour Cordial, c’est le « domaine couvrant l’ensemble des corrections de fautes, par l’association de l’orthographe et de la typographie ».
Le Wiktionnaire est plus précis et en propose deux acceptions :
« (Typographie)Ensemble des règles qui permettent d’écrire de façon correcte qui recoupe l’orthographe et les règles typographiques (utilisation des majuscules et des minuscules, des espacements, de la ponctuation, de l’italique, etc.).
Discipline ayant pour objet l’étude de cet ensemble, de son évolution, des ouvrages tels que codes, marches, manuels de bon usage, des pratiques de la correction et de la révision des textes et de celles et ceux qui en font profession. »
Mais la lecture de l’article de Wikipédia consacré à cette notion, au-delà du premier paragraphe, montre que les choses sont plus complexes.
La typographie « au sens large » est, rappelons-le, la « mise en forme de l’écrit8 ». Selon ses racines grecques, l’orthotypographie serait donc la typographie correcte. C’est dans ce sens que Jérôme Hornschuch a créé le terme orthotypographia (en latin) en 1608, dans ce qui est considéré comme le premier manuel du correcteur – lire mon article.
Plus près de nous, la linguiste et historienne de l’orthographe française Nina Catach (1923-1997) a repris le terme, en l’identifiant à une « orthographe typographique9 », incluant la ponctuation et l’« aspect tout extérieur » du texte, c’est-à-dire sa mise en page10.
Pour le correcteur et typographe Jean-Pierre Lacroux, orthotypographie est plutôt un mot-valise (à l’instar d’auto-école) :
« “Orthotypographie” est un beau néologisme. Sa formation, fort différente de celle d’orthotypographia […], ne doit rien à la préfixation. C’est un mot-valise subtil : ortho[graphe] + typographie. Il est parfait pour désigner l’armada des prescriptions à la fois orthographiques et typographiques, par exemple celles qui concernent l’écriture des titres d’œuvres11. »
« De fait, écrit Wikipédia, le terme correspond à une intersection (nécessairement) floue entre orthographe et typographie », mais « reste […] en attente d’une définition précise ».
Je n’entre pas davantage dans les subtilités définitionnelles du terme et je renvoie à l’article complet le lecteur qui souhaiterait en savoir davantage. J’en retiendrai seulement ce paragraphe :
« L’orthotypographie se distingue […] du simple respect de la norme orthographique et grammaticale commun à l’ensemble des productions écrites (y compris les productions courantes). Son but est d’appliquer des normes ortho- et typo-graphiques applicables à l’édition “composée” qui participent à la compréhension visuelle d’un texte structuré, qu’il s’agisse d’impression sur papier ou de mise en ligne. »
Autrement dit, l’orthotypographie, ce seraient les règles à suivre pour qu’un texte imprimé ou numérique soit conforme à un certain « bon usage », qui, selon Lacroux (ibid.), « n’est pas celui des écrivains mais celui des livres (de toute nature). […] il ne s’agit ici ni de la syntaxe ni de l’orthographe, mais de balivernes, telles que la ponctuation ou l’emploi des majuscules, que la plupart des auteurs ont toujours négligées et abandonnées avec empressement au bas peuple des ateliers. »
Bien que ses contours restent à préciser, l’orthotypographie est pratiquée chaque jour, aussi bien par les professionnels de l’édition que par les particuliers.
À l’époque de l’imprimerie traditionnelle, explique le professeur Jacques Poitou (ibid.), « la typographie était l’affaire exclusive des typographes ». Avec l’arrivée de la dactylographie (« dans les bureaux vers la fin du xixe siècle, dans le courant du xxe siècle chez les particuliers »), les possibilités d’enrichissement du texte étaient limitées. Mais avec l’arrivée de la PAO, « le possesseur d’un ordinateur, d’un logiciel de traitement de texte et d’une imprimante a les moyens techniques de produire des documents de qualité. Il a même à sa disposition bien plus de moyens (notamment de polices) que les imprimeurs auraient pu en rêver. » Or, « la mise en forme et la mise en page du texte ne sont généralement pas objet d’enseignement ». Pourtant, bien publier s’apprend.
« Depuis que la “typographie” est morte13, écrit encore Lacroux (ibid.), les codes typographiques sont devenus indispensables. » Avec les automobiles, « quand tout le monde circule vite, il vaut mieux prendre des précautions » (à savoir créer le Code de la route). De même, « quand n’importe qui imprime », il faut des règles communes.
Le « succès public14 » d’un ouvrage comme le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale montre que des particuliers et des professionnels hors du domaine de l’édition ont encore le souci de produire des documents – imprimés ou numériques – de qualité et que, selon la jolie formule de Lacroux, « la chaleur du plomb n’a pas fini d’irradier la langue écrite ».
Si le travail du correcteur se voit surtout quand il échoue, il est bon de rappeler qu’il réussit le plus souvent. En voici quelques exemples.
« [Grâce au correcteur] Vous n’avez pas lu […] dans ce titre de une, qu’une idée avait été “couronnée d’insuccès”. Ni cet entrefilet selon lequel “on ne traite pas des lois, mais de l’esprit des loirs”. Vous n’avez pas lu qu’à ce moment de la séance, l’un des individus présents “s’est levé comme un seul homme”. Non plus que les artistes associés à un projet dont il était question “réaliseront une œuvre chacun, avec la participation d’enfants qui seront mises aux enchères à 14 h”. Et si l’on remonte à quelques années, l’une de mes préférées a toujours été la fois où quelqu’un avait tenu à remettre “l’église au milieu du virage”… »
Quel est le lien entre Charles Baudelaire, Albert Camus, René Goscinny, Alexandre Vialatte et Paul Léautaud15 ? Ils ont tous été secrétaires de rédaction.
Mais quelle est cette profession, méconnue du grand public comme des étudiants en journalisme ? Métier de l’ombre comme celui de correcteur, sur lequel je m’exprime si souvent.
« Le terme de “secrétaire” s’emploie ici dans son sens ancien qui désigne une personne employée dans un bureau et chargée de l’organisation. […] Un ou une secrétaire de rédaction est, dans la presse écrite, un ou une journaliste dont la fonction est de travailler à la lisibilité des textes qui vont être publiés. […] On a coutume de dire que l’enquêteur rédige l’article brut tandis que le secrétaire de rédaction rédige la page imprimée » — Wikipédia.
La fiche de l’Onisep décrit assez précisément la variété des tâches :
« […] Travaillant surtout en bout de chaîne, il se charge de la vérification et de la mise en forme de l’information. Sous la direction du rédacteur en chef, il veille à la hiérarchisation des infos (articles, photos, etc.). Il presse les rédacteurs retardataires, puis relit attentivement leurs sujets, à l’affût de la moindre erreur : structure de l’article, style, fautes d’orthographe ou de syntaxe. Critique, il veille à la clarté et à la cohérence du propos. Il peut remanier un article mal construit, couper un papier trop long pour tenir dans la page montée ou, au contraire, l’allonger. Il s’occupe aussi des titres, des légendes, plus globalement de tout ce qui peut relancer l’attention du lecteur. En collaboration avec le graphiste, parfois seul, il veille à la mise en pages et suit la phase de fabrication. Doté d’une parfaite orthographe et d’une solide culture générale, le secrétaire de rédaction maîtrise les logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) type XPress ou InDesign. »
Une fonction souvent externalisée
Mais la fonction évolue, comme partout :
« […] il arrive de plus en plus souvent que ce rôle soit attribué à un prestataire externe, appelé SR freelance (ou […] indépendant). Particulièrement quand les entreprises n’ont pas de besoins suffisants en interne pour une embauche à temps plein, ou qu’elles n’en ont pas les moyens. […] Son travail est d’autant plus approfondi que son client va lui demander de réaliser toutes les missions qui lui incombent, à l’étape de relecture finale. Il […] travaille souvent sous pression pour rendre son travail dans les délais impartis et garantir la qualité de la publication confiée » — Corévi16.
« Dans leur relecture d’article, les secrétaires de rédaction doivent se poser toutes les questions que se posera le lectorat, et surtout trouver la réponse à toutes celles que le lectorat ne doit pas se poser (imprécisions, incohérences, invraisemblances, etc.). En tant qu’ultimes journalistes à intervenir sur le journal, c’est la responsabilité des secrétaires de rédaction qui est engagée si un titre ou une photo ne correspond pas à un article, ou si une légende photo contient le nom d’une autre personnalité que celle qui est représentée » — Wikipédia.
« Le but de notre métier, explique Camille, c’est de faire en sorte que tous soient satisfaits du résultat final. Il faut se mettre à la place du rédacteur, corriger ses fautes en respectant son style, reprendre sans déformer, apporter des précisions lorsqu’il en manque, et veiller à produire un article clair et lisible pour le lectorat. C’est un ouvrage de dentellière : il faut reprendre, dénouer les nœuds, raccommoder, sans que rien ne puisse se voir » — Est-Actu17.
À lire en complément, une longue enquête, un éloge lyrique et un roman satirique :
Mon parcours en mots-clés fait état de mes études de psychologie sociale, mais ne dit rien de la transition vers le métier de correcteur. Laissez-moi vous raconter cela.
À 18 ans, bac en poche, ne sachant pas quoi faire, je m’inscris en psychologie, simplement parce qu’au lycée le cours de philo sur la psychanalyse m’a passionné. Je découvre la psychologie sociale, j’adore ça, mais surtout, au fil des années, l’analyse du discours, la pragmatique, les actes de langage…
1984. Apple lance le premier Macintosh. Séduit, mon père me propose d’en acheter un. Je découvre le traitement de texte WISIWYG.
1987. Je soutiens mon mémoire de maîtrise (aujourd’hui M1), avec un document relié, à impression laser. « Oh ! c’est beau. Comment tu as fait ça ? » Mon directeur de recherche me parle plus de la forme du document que de son contenu. L’année suivante, il me propose un contrat avec l’université pour m’occuper de l’édition des actes d’un colloque qu’il organise.
Il s’agit de recueillir, corriger et mettre en forme les différentes contributions au colloque, qui seront publiées dans deux numéros de la revue de linguistique de l’université, Verbum. Travailler sur le fond et la forme d’un texte, voilà qui me plaît : j’ai trouvé ma voie.
J’hésite cependant à tout abandonner, je tiens encore deux ans : DEA (M2 aujourd’hui), séminaire de recherche ; je ne me vois toujours pas psychologue professionnel… Je me renseigne sur les métiers de l’édition et de la presse. Puis, profitant du départ de ma meilleure amie, je suis le mouvement : je quitte la fac, m’inscris à l’ANPE (Pôle emploi aujourd’hui), suis un stage de PAO et cherche un premier boulot… Un an plus tard, j’entre dans une agence de presse.
Voilà comment ma vie professionnelle a basculé.
« Je me suis formé tout seul au métier de correcteur ; en passant mes journées à compter les poissons, je m’étais aiguisé le regard et j’avais acquis la rigueur nécessaire. »
Les entretiens avec des correcteurs sont rares. En voici un, de 2018, trouvé par hasard sur le site Ricochet. Il est particulièrement long (huit pages imprimées) et sera instructif pour les correcteurs débutants ou les personnes s’intéressant au métier.
« Didier Mounié est correcteur aux éditions Milan à Toulouse depuis 1997. Il enseigne également la correction aux étudiants en édition à l’université Toulouse Jean-Jaurès depuis 2004. Enfin, il est l’auteur de quelques livres pour enfants. »
Extrait :
« Pour être un bon correcteur, être bon en français ne suffit pas. Il faut également connaître la typographie, avoir une solide culture générale, sans cesse douter et se remettre en question, faire preuve de vigilance, de minutie et de rigueur ; cela ne signifie pas qu’il faut être rigide. Être correcteur, c’est souvent faire un compromis entre les règles, la ligne de la maison d’édition et les désirs de l’auteur. Il faut avoir un certain coup d’œil pour remarquer les erreurs ; c’est quelque chose qui se travaille. »
Didier Mounié est notamment interrogé sur sa spécialité, la correction en littérature jeunesse.
À compléter par le récent entretien en vidéo (4 min 30 s) entre Véronique de Launay et Fontaine O Livres.
D’autres témoignages sont à lire sur le blog Croquefeuille.
« J’utilise souvent dans mes romans un verbe dont la forme à l’infinitif est tout à fait inhabituelle : se fiche. “Se fiche de ce qu’on en pense”, par exemple. Chaque fois que j’utilise ce verbe à l’infinitif, les réviseurs me le corrigent en ajoutant un r à la fin. Correction que je refuse toujours, arguant du fait que se fiche est bien un infinitif. Mais, invariablement, la correction revient avec opiniâtreté au fil des révisions… et avec une non moindre opiniâtreté je la refuse.
Pourtant, reportez-vous au Bescherelle (et au Robert, d’ailleurs) : se fiche y figure bel et bien, même si la forme se ficher, moins employée, est également donnée. »
— Laurent Chabin, auteur, sur le site Bescherelle.
Grevisse explique (§ 835) : « Ficher, quand il sert d’équivalent euphémique, dans la langue familière, au verbe trivial foutre, prend souvent une forme spéciale à l’infinitif et au participe passé : fiche, fichu. »
Exemples (§ 806) : « Qu’est-ce que tu viens fiche ici ? (M. de Saint Pierre, Écrivains, IV.) — Était-ce pour se fiche de moi ? (Montherl., Le chaos et la nuit, p. 39.) »
Penser aussi à envoyer quelqu’un se faire fiche, j’en ai rien à fiche ou encore se fiche dedans (se tromper).
À rapprocher d’un autre infinitif insolite, bien moins connu : courre, celui qui a donné chasse à courre.
« Comment enrichir son vocabulaire » est une question qui revient périodiquement sur les réseaux sociaux, comme Quora, généralement avec deux adverbes : « rapidement » et « durablement ».
La réponse évidente, c’est lire. C’est en effet en côtoyant les mots qu’on les acquiert. L’avantage de la lecture par rapport au son (radio, podcasts) ou à l’image (télévision, YouTube), c’est de les voir écrits, et donc d’acquérir en même temps leur orthographe. Sans compter, bien sûr, les autres avantages de la lecture !
Mais comment peut-on accélérer cette acquisition ? Il existe pour cela un certain nombre de livres.
J’en ai sélectionné quatre (parmi ceux destinés aux adultes francophones), plus ou moins austères, classés du plus récent au plus ancien (liens vers les fiches des éditeurs).
Vocabulaire (Nathan, 2001) ou l’équivalent chez Hachette (« Bled », 2021).
Je ne les ai pas étudiés personnellement. Chacun pourra choisir, d’après les fiches, celui qui semble lui convenir le mieux.
Pour que l’acquisition de mots nouveaux soit durable, il faut les utiliser. Les placer rapidement dans la conversation ou dans un texte après les avoir appris, puis les maintenir vivants, actifs, au fil du temps. C’est ce qu’on appelle la réactivation ou la consolidation, essentielle dans tout apprentissage.
C’est un vieux débat chez les correcteurs. Certains sont rassurés par le caractère légèrement plus normatif du Petit Larousse, et se tournent plus volontiers vers lui en cas de litige. Sans doute sont-ils aussi, plus ou moins consciemment, attachés à la tradition. 1905 (Larousse) contre 1967 (Robert) : un bon demi-siècle sépare la première publication de ces deux références (la maison Larousse remonte même à 1852).
Petit Larousse illustré, édition de 1905.
Contrairement au Dictionnaire de l’Académie française, qui « cherchait à préserver en l’état la langue française telle qu’elle devrait être écrite et parlée18 », nos deux dictionnaires en un volume ont visé, chacun à sa manière, à « décrire une langue telle qu’elle est écrite et parlée dans toute sa diversité19 ».
La vraie différence entre les deux, c’est que le Petit Larousse est un dictionnaire encyclopédique illustré en un volume, alors que le Petit Robert est un dictionnaire de langue française uniquement (le volume de noms propres, actualisé moins souvent, est vendu séparément). À nombre de mots similaire (environ 60 000), les entrées du Robert sont donc bien plus détaillées que celles du Larousse.
D’ailleurs, ils « revendiquent des cibles légèrement différentes. Le premier évoque volontiers un public assez jeune, avec une cible très scolaire. Tandis que le second préfère évoquer un lectorat de “professionnels de l’écrit”, comme les traducteurs, les journalistes, les rédacteurs, les agences de communication ou de marketing20. »
La concision du Petit Larousse peut cependant plaire à certains professionnels : « Il est parfaitement lisible et propose des définitions plus concises ; pour nous, c’est un excellent instrument de travail, souligne Jean-Pierre Colignon, [alors] chef du service des correcteurs du Monde. En revanche, le secteur de l’édition littéraire préférera certainement le Robert21. »
Le Petit Robert 2023.
Mais elle est souvent un obstacle :
« […] Si vous recherchez le sens d’un mot que vous découvrez pour la première fois, il est possible que vous restiez dans le flou après avoir consulté Larousse. Alors que chez Robert, vous trouverez sa prononciation en phonétique, l’étymologie, les différents sens du terme assortis de plusieurs exemples, des emplois tirés de la littérature, des synonymes et même des antonymes », détaille la correctrice Muriel Gilbert22.
C’était aussi l’avis de Jean-Pierre Leroux, grand réviseur québécois : du Robert il vantait le « haut degré de précision, de concision, d’élégance23 ».
Un dictionnaire de gauche ?
« [Le Petit Larousse] C’est le dictionnaire des gens rigoureux qui aiment les choses stables. Ses lecteurs n’ont pas le culte de la nouveauté […] », écrivait Le Figaro en 201024.
Inversement, « lors de la parution du premier Petit Robert, […] le Nouvel Observateur d’alors, par la plume du critique Michel Cournot, s’exclamait, de manière assez réductrice, mais chaleureuse : “Enfin, un dictionnaire de gauche !” », a raconté Alain Rey25.
Aujourd’hui, Géraldine Moinard, directrice de la rédaction des Éditions Le Robert, présente son produit phare en ces termes :
« Dictionnaire moderne, inscrit dans son époque, il rend compte mieux que nul autre des évolutions passionnantes d’une langue française résolument vivante. Parce que le Petit Robert est « un observatoire, pas un conservatoire » (selon la formule d’Alain Rey), il reflète le français dans toute sa diversité, sans négliger les mots des régions et de la francophonie, les mots familiers et les anglicismes26. »
Un des mots nouveaux du Petit Robert 2023.
« Ce parti pris, parfois politiquement incorrect, est considéré comme une dérive par la maison rivale qui, arguant de sa tradition et des responsabilités liées à sa large diffusion internationale, préfère témoigner de davantage de retenue, écrivait Le Monde en 1999. “Il ne faut pas égarer le lecteur. Si nous intégrons dans le Larousse le verbe niquer, nous n’avons pas besoin de citer l’expression nique ta mère, contrairement au Robert”, fait malicieusement remarquer Michel Legrain [alors directeur général adjoint de Larousse], qui laisse à d’autres le soin de “présenter la langue dans tous ses états” et préfère rassurer son lectorat plutôt que le flatter27. »
Cela va-t-il, chez Larousse, jusqu’à la pudibonderie ? Nos confrères du Monde se sont récemment posé la question.
Un manifeste contre le “bon usage”
Présente depuis la première édition (1967) et remaniée pour la dernière fois, à ce jour, en 2017, la préface du Petit Robert affirme clairement sa position par rapport à la norme. En voici les extraits pertinents :
« Le Petit Robert, dès sa naissance, suscita un vif intérêt chez les lecteurs qui, à côté du bon usage garanti par les grands auteurs, retrouvaient leur emploi quotidien du français dans ce qu’il avait de plus actuel et même de plus familier. […] L’accueil fait à la langue courante familière constituait […] une hardiesse qui bousculait la tradition. »
Le Petit Robert « refus[e] l’autocensure d’une norme rigoureuse – il incombe au Dictionnaire de l’Académie française de remplir ce rôle. »
Le dernier paragraphe, ajouté par Alain Rey pour les cinquante ans (2017), soit dix ans après son essai contre le purisme28, est un véritable manifeste contre la notion de « bon usage ». En voici la seconde partie.
Au-delà de la fonction de référence, ce dictionnaire mène un combat contre la pensée unique et l’expression appauvrie. […] Ce dictionnaire souhaite réagir contre une attitude nourrie d’une idéologie, celle d’une norme supérieure pour une élite, dans une population ainsi hiérarchisée, et dont les usages, lorsqu’ils se distinguent de ce “bon usage”, ne suscitent que mépris, dérision ou rejet. Le “bon usage” convenait peut-être à l’Ancien Régime, mais demande sérieuse révision, et ce sont plusieurs usages, plus ou moins licites et que personne ne peut juger “bons” ou “mauvais”, qui forment la réalité d’une langue. L’idéologie de l’élite, des couches supérieures, ignore superbement ou juge sévèrement, dans l’ignorance têtue du réel social, tout autre usage que le sien. Au contraire, le Petit Robert est ouvert à la diversité, à la communication plurielle ; il veut combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes. Le français le mérite.
Chacun jugera si cette déclaration d’intention et, surtout, le résultat qui en découle lui conviennent.
Dictionnaire de mes années de lycée et d’université, le Petit Robert est resté le compagnon du correcteur que je suis devenu. « Un outil puissant qui aide à écrire et à penser », comme l’a déclaré Charles Bimbenet, directeur général du Robert29.
Pour ma part, j’adhère à l’avis d’Alain Rey :
« Sans image – pari ambitieux, au xxie siècle –, moins encyclopédique mais plus culturel et philologique, historique, littéraire, il s’adresse à un autre public que le Petit Larousse. […] Les deux ouvrages sont parallèles, complémentaires, et la “guerre” évoquée est strictement commerciale30. »
Pourquoi « choisir entre l’hiver et l’été31 » quand on peut bénéficier des deux ?