Voltaire, piètre correcteur d’épreuves

Il est assez cocasse que la cer­ti­fi­ca­tion de com­pé­tence en ortho­graphe en vogue ait choi­si de se bap­ti­ser du nom de Vol­taire, car si l’auteur de Can­dide est recon­nu comme l’un de nos meilleurs écri­vains, son ortho­graphe n’était pas fameuse — mais cela était alors assez cou­rant1 — et il était, par ailleurs, un piètre cor­rec­teur d’épreuves. Cela dit, Molière n’au­rait pas été un meilleur choix2.

Mau­rice Quen­tin de La Tour, Por­trait de Vol­taire, 1735, pas­tel. © David Bordes – Centre des monu­ments nationaux.

Une chose qu’on a pu consta­ter [dans ses lettres], c’est une ortho­graphe défec­tueuse. Mais, en France, à cette date, et let­trés et gens du monde étaient éga­le­ment peu sou­cieux de cette sorte de cor­rec­tion ; et, bien que l’on parle sou­vent de « l’or­tho­graphe de Vol­taire3 », Vol­taire n’en avait guère plus que ses contem­po­rains, petits et grands, comme il est facile de s’en assu­rer par le simple exa­men de ses lettres auto­graphes4.

En effet, dans un de ses articles, un cor­rec­teur de l’Im­pri­me­rie natio­nale en donne un exemple :

Voi­ci un échan­tillon de l’orthographe de Vol­taire dans une de ses lettres : cham­be­lan, nou­vau, touttes, nou­rit, sou­hait­té, bau­coup, ramaux, le fonds de mon cœur, etc., etc., et tous les verbes sans dis­tinc­tion de l’indicatif et du sub­jonc­tif ; à pré­po­si­tion comme a verbe. » Et notez que Vol­taire a écrit d’assez nom­breuses obser­va­tions sur la langue5.

Wiki­pé­dia nous apprend que : 

À Paris, il peut comp­ter sur une équipe de fidèles, en pre­mier lieu d’Alembert, futur secré­taire de l’A­ca­dé­mie fran­çaise, dont les rela­tions mon­daines et lit­té­raires lui sont de pré­cieux atouts, et qui n’hésite pas à le mettre en garde ou à cor­ri­ger ses erreurs […].

« Un auteur est peu propre à cor­ri­ger les feuilles de ses propres ouvrages : il lit tou­jours comme il a écrit et non comme il est impri­mé » — Voltaire.

Quant à ses capa­ci­tés de cor­rec­teur d’é­preuves, Vol­taire en a recon­nu la fai­blesse dans des lettres à son secré­taire, Cosi­mo Ales­san­dro Col­li­ni, en juin 1734 : 

Cosino Alessandro Collini
Cosi­mo Ales­san­dro Col­li­ni, secré­taire de Voltaire.

Vol­taire était en route pour se rendre à l’abbaye de Senones [Vosges]. Il m’a­vait char­gé de lui faire par­ve­nir les épreuves des Annales de l’Em­pire, avant le tirage. Mais il était mau­vais cor­rec­teur d’im­pri­me­rie ; il l’a­voue lui-même un peu plus bas.

9 juin — « En pas­sant par Saint-Dié, je cor­rige la feuille ; je la ren­voie ; je recom­mande à M. Coli­ni les lacunes de Venise : il aura la bon­té de faire mettre un g au lieu du c. Et ces che­va­liers, qui sortent de son pays ; on peut d’un son faire aisé­ment un leur. […] »

23 juin — « […] Il est bien triste que je ne puisse cor­ri­ger la pré­face qui court les champs ; il n’y a qu’à attendre. A-t-on cor­ri­gé à la main les deux fautes essen­tielles qui sont dans le corps du livre ? […] »

24 juin — « Al fine ò rice­vu­to il gran pac­chet­to6 ; je garde la demi-feuille, ou pour mieux dire la feuille entière impri­mée. Je n’y ai trou­vé de fautes que les miennes ; vous cor­ri­gez les épreuves bien mieux que moi ; cor­ri­gez donc le reste sans que je m’en mêle et que M. Schœp­flin7 fasse d’ailleurs comme il l’en­ten­dra […]8 »

Peut-être la cer­ti­fi­ca­tion Vol­taire a-t-elle sur­tout rete­nu, outre la célé­bri­té de l’auteur, le fait qu’il fut, tout de même, le cor­rec­teur de Fré­dé­ric II de Prusse. Un cor­rec­teur de style, sans doute, plus que d’orthographe. 

Pen­dant deux heures de la mati­née, Vol­taire res­tait auprès de Fré­dé­ric, dont il cor­ri­geait les ouvrages, ne man­quant point de louer vive­ment ce qu’il y ren­con­trait de bon, effa­çant d’une main légère ce qui bles­sait la gram­maire ou la rhé­to­rique.
Cette fonc­tion de cor­rec­teur royal était, à vrai dire, l’at­tache offi­cielle de Vol­taire. En l’ap­pe­lant auprès de lui, Fré­dé­ric avait sans doute eu pour pre­mier mobile la gloire de fixer à sa cour un génie célèbre dans toute l’Eu­rope ; mais il n’a­vait pas été non plus insen­sible à l’i­dée de faire émon­der sa prose et ses vers par le plus grand écri­vain du siècle. Pour celui-ci, cet exer­cice péda­go­gique n’é­tait pas une besogne de nature bien rele­vée. Il s’en dégoû­ta vite quand les pre­miers enchan­te­ments du début furent pas­sés, et il mit une cer­taine négli­gence à revoir les écrits du roi.
Passe encore à la rigueur pour la prose ou la poé­sie royale ; mais les amis, les géné­raux de Fré­dé­ric, venaient aus­si deman­der à l’au­teur de la Hen­riade de cor­ri­ger leurs mémoires. C’est à une prière de ce genre faite par le géné­ral Man­stein, que Vol­taire répon­dit dans un moment de mau­vaise humeur :
« J’ai le linge sale de votre roi à blan­chir, il faut que le vôtre attende9. »

Un modeste cor­rec­teur d’imprimerie n’aurait pu se per­mettre un tel comportement. 


Bibliographie commentée

C’est avec plai­sir que je recon­nais ce que je dois aux auteurs, cher­cheurs, archi­vistes, biblio­thé­caires, web­mas­ters et autres, dont le tra­vail m’a per­mis de mener mes recherches. Cette liste est sélec­tive et ne suit aucune norme. Ce sont des notes per­son­nelles. J’ai cité nombre d’autres sources au fil de mes articles.

Histoire de la correction 

Les auteurs sont peu nom­breux, mais ils existent. 

Louis-Emma­nuel Bros­sard (1870-1939), Le Cor­rec­teur typo­graphe. Essai his­to­rique, docu­men­taire et tech­nique, Tours, Impri­me­rie E. Arrault et Cie, 1924.

Cor­rec­teur puis direc­teur d’une impri­me­rie, il a syn­thé­ti­sé, en son temps, tout ce qu’on avait écrit avant lui sur le sujet. Un siècle plus tard, je pour­suis dans la même voie. 

Antho­ny Graf­ton (né en 1950, uni­ver­si­té de Princeton)

J’ai, pour l’ins­tant, seule­ment pico­ré dans ses ouvrages éru­dits sui­vants (il en a écrit d’autres, notam­ment Les Ori­gines tra­giques de l’é­ru­di­tion. Une his­toire de la note en bas de page, trad. par Pierre-Antoine Fabre, « La Librai­rie du xxie siècle », Seuil, 1998) :

Anthony Grafton, "The Culture of Correction in Renaissance Europe"

Per­cy Simp­son (1865-1962), Proof-rea­ding in the Six­teenth, Seven­teenth and Eigh­teenth Cen­tu­ries, Oxford Uni­ver­si­ty Press, 1935 ; rééd. avec un avant-pro­pos de Har­ry Car­ter, 1970. Le pre­mier livre sur la ques­tion (que j’ai encore à lire).

Histoire du livre et de l’édition

Frédéric Barbier, "Histoire du livre en Occident"

Fré­dé­ric Bar­bier (1952-2023), His­toire du livre en Occi­dent, 3e éd., Armand Colin, 2020.

Lucien Febvre (1878-1956) et Hen­ri-Jean Mar­tin (1924-2007), L’Apparition du livre, Albin Michel, 1958, 1971, 1999. Ouvrage fon­da­teur de l’his­toire du livre en France.

Les deux livres ci-des­sus sont les pre­miers avec les­quels j’ai enta­mé ce voyage.

Roger Char­tier (né en 1945) et Hen­ri-Jean Mar­tin, His­toire de l’édition fran­çaise, en quatre tomes de 800 pages cha­cun, Cercle de la librai­rie, 1983-1986 ; rééd. Fayard, 1989-1991. Sur­tout pour Jeanne Vey­rin-For­rer (1919-2010), « Fabri­quer un livre au xvie siècle », dans le tome I ; et Jacques Rych­ner (1941-2017), « Le tra­vail de l’atelier », dans le tome II.

Yann Sor­det (né en 1971) et sa pas­sion­nante His­toire du livre et de l’édition. Pro­duc­tion et cir­cu­la­tion, formes et muta­tions, « L’Évolution de l’humanité », Albin Michel, 2021 (☞ lire mon article).

Phi­lippe Minard (né en 1961), Typo­graphes des Lumières, sui­vi des « Anec­dotes typo­gra­phiques » de Nico­las Contat (1762), « Époques », Champ Val­lon, 1989.

Jean-Fran­çois Gil­mont (1934-2020), Le Livre et ses secrets, Droz-UCL, 2003.

Rémi Jimenes
Rémi Jimenes.

Rémi Jimenes (Tours, CNRS-CESR)  et son site per­son­nel. Par­mi son abon­dante pro­duc­tion, je retiens sur­tout, pour mon sujet : 

Marie-Cécile Bou­ju (IDHES), qui tra­vaille notam­ment sur l’his­toire des indus­tries du livre. J’ai cité cer­tains de ses tra­vaux dans plu­sieurs de mes articles.

Domi­nique Var­ry (né en 1956), dont les pages per­son­nelles (sur le site de l’Ens­sib) m’ont fait décou­vrir qu’il exis­tait une his­toire de la cor­rec­tion (Simp­son, Graf­ton) et un manuel du cor­rec­teur de 1608, Ortho­ty­po­gra­phia. Dis­po­nible en PDF (gra­tuit), un livre qu’il a diri­gé : 50 ans d’histoire du livre : 1958-2008, Vil­leur­banne, Presses de l’Enssib, 2014.

Jean-Yves Mol­lier (né en 1947), His­toire des libraires et de la librai­rie, Impri­me­rie natio­nale Édi­tions, 2021 ; Une autre his­toire de l’édition fran­çaise, 2015.

Edmond Wer­det (1793-1870), dont l’His­toire du livre en France depuis les temps les plus recu­lés jusqu’en 1789 (Paris, 1861-1864, 5 vol.) m’a révé­lé le Témoi­gnage de M. Dutri­pon, cor­rec­teur d’é­preuves, 1861.

Roger Dédame (1933-2018), pour son livre Les Arti­sans de l’écrit. Des ori­gines à l’ère du numé­rique (« Rivages des Xan­tons », Les Indes savantes, 2009). 

La revue His­toire et civi­li­sa­tion du livre (éd. Librai­rie Droz), fon­dée en 2005 par Fré­dé­ric Bar­bier et dont Yann Sor­det est rédac­teur en chef depuis 2015.

Histoire sociale des correcteurs

Pierre Lagrue et Silvio Matteucci, "La Corporation des correcteurs et le livre"

Pierre Lagrue et Sil­vio Mat­teuc­ci, La Cor­po­ra­tion des cor­rec­teurs et le Livre (un abé­cé­daire inat­ten­du), L’Harmattan, 2017.

Guillaume Goutte, Cor­rec­teurs et cor­rec­trices, entre pres­tige et pré­ca­ri­té, Liber­ta­lia, 2021.

Vani­na, 35 ans de cor­rec­tions sans mau­vais trai­te­ments, Acra­tie, 2011.

Isa­belle Repi­ton et Pierre Cas­sen, « Touche pas au plomb ! » Mémoire des der­niers typo­graphes de la presse pari­sienne, Le Temps des cerises, 2008.

HistoLivre

His­to­Livre, bul­le­tin de l’Ins­ti­tut d’his­toire sociale CGT du Livre pari­sien, depuis mars 2009.

☞ Voir aus­si « Témoi­gnages et bio­gra­phies de cor­rec­teurs » dans La biblio­thèque du cor­rec­teur.

Vocabulaire du métier 

Eugène Bout­my (1828-19??), Dic­tion­naire de l’argot des typo­graphes, aug­men­té d’une his­toire des typo­graphes au xixe siècle et d’un choix de coquilles célèbres, Le Mot et le Reste, nou­velle éd., 2019.

David Alliot, "Chier dans le cassetin aux apostrophes"

David Alliot, Chier dans le cas­se­tin aux apos­trophes … et autres tré­sors du vert lan­gage des enfants de Guten­berg, éd. Horay, 2004.

Émile Chau­tard (1864-1939), Glos­saire typo­gra­phique, com­pre­nant les mots clas­siques, ceux du lan­gage ouvrier consa­crés par l’usage, comme les nou­veaux qui le seront demain, avec les poé­sies & chan­sons du métier, l’ensemble pré­sen­té par René-Louis Doyon, éd. refon­due, cor­ri­gée et aug­men­tée, « Ancien­ne­tés », Plein Chant, 2021.

Eric Dussert, Christian Laucou, "Du corps à l'ouvrage"

Éric Dus­sert (né en 1967) et Chris­tian Lau­cou (né en 1951), Du corps à l’ouvrage. Les mots du livre, La Table ronde, 2004.

Ber­nard Voyenne (1920-2003), Glos­saire des termes de presse, Centre de for­ma­tion des jour­na­listes, 1967. 

René Comte et André Per­nin, Lexique des indus­tries gra­phiques, éd. de la revue Carac­tères, Com­pa­gnie fran­çaise d’éditions, 1963.

Orthotypographie

Jacques André & Christian Laucou, "Histoire de l'écriture typographique. Le XIXe siècle français"

Jacques André (né en 1938), son site Deux ou trois choses en typo­gra­phie ou autres… et, pour les pages consa­crées aux manuels typo­gra­phiques, His­toire de l’é­cri­ture typo­gra­phique. Le xixe siècle fran­çais, coécrit avec Chris­tian Lau­cou (Ate­lier Per­rous­seaux, 2013).

Jean Méron, cher­cheur, spé­cia­liste de typo­gra­phie et de langue française.

Les auteurs de manuels typo­gra­phiques du xixe siècle (article à venir).

Les auteurs de codes typo­gra­phiques (voir mon article).

Syndicalisme 

J’ai peu abor­dé cette ques­tion, qui est com­plexe et a été très bien trai­tée par d’autres. Aux auteurs cités plus haut, dans « His­toire sociale des cor­rec­teurs », j’ajouterai :

Yves Blon­deau, Le Syn­di­cat des cor­rec­teurs de Paris et de la région pari­sienne, 1881-1973, sup­plé­ment au Bul­le­tin des cor­rec­teurs, no 99, Syn­di­cat des cor­rec­teurs, 1973.

Roger Dédame, Une his­toire des syn­di­cats du livre… ou les ava­tars du cor­po­ra­tisme dans la Cgt, « Rivages des Xan­tons », Les Indes savantes, 2010.

Site du syn­di­cat actuel : cgt-correcteurs.fr.

Dictionnaires et autres 

Éric Hazan, Pour abou­tir à un livre. Entre­tiens avec Ernest Moret, La Fabrique édi­tions, 2016.

Dic­tion­naire ency­clo­pé­dique du livre, sous la direc­tion de Pas­cal Fou­ché, Daniel Péchoin et Phi­lippe Schu­wer ; et la res­pon­sa­bi­li­té scien­ti­fique de Pas­cal Fou­ché, Jean-Domi­nique Mel­lot, Alain Nave [et al.], 3 tomes et un index géné­ral, Paris, éd. du Cercle de la librai­rie, 2002, 2005 et 2011. Une somme impres­sion­nante d’érudition.

Dic­tion­naire ency­clo­pé­dique du livre.

Marc Com­bier et Yvette Pesez (dir.), Ency­clo­pé­die de la chose impri­mée du papier @ l’écran, Retz, 1999.

Jean-Claude Fau­douas, Dic­tion­naire des grands noms de la chose impri­mée, Retz, 1991.

Sitographie 

La Biblio­thèque natio­nale de France (BnF), son cata­logue géné­ral, sa biblio­thèque numé­rique Gal­li­ca, son site de presse Retro­news et son site cultu­rel Les Essen­tiels.

Le musée de l’Imprimerie et de la Com­mu­ni­ca­tion gra­phique de Lyon, son cata­logue (héber­gé par le site de la BM de Lyon) et Nume­lyo, la biblio­thèque numé­rique de Lyon. 

Les col­lec­tions numé­ri­sées des biblio­thèques patri­mo­niales de Paris.

Site par­ti­cu­lier de la biblio­thèque patri­mo­niale de l’école Estienne.

☞ Voir aus­si Mon par­cours de recherche biblio­gra­phique.

La radio France Culture, sur­tout quand elle traite du cor­rec­teur, de typo­gra­phie ou d’his­toire du livre (que ferais-je sans mots-clés ?). 

☞ Voir aus­si Res­sources en ligne sur la langue fran­çaise

Le correcteur antique, qu’en savons-nous ?

Le Scribe accrou­pi, du musée du Louvre. Source : Louvre.fr.

On peut légi­ti­me­ment sup­po­ser que le métier de cor­rec­teur est presque aus­si vieux que l’écriture. « Le jour où le copiste était né, le cor­rec­teur avait paru ; sitôt qu’une ligne, qu’une page avait été écrite, elle avait dû être lue », affirme Louis-Emma­nuel Bros­sard (1924)1. Mais qu’en savons-nous exac­te­ment ? On ne peut pas dire que les livres d’histoire soient très bavards sur la ques­tion… En com­plé­tant la par­tie his­to­rique de l’es­sai de Bros­sard par des lec­tures de tra­vaux récents, j’ai fini par ras­sem­bler de quoi rédi­ger cet article. 

Notons, avant d’al­ler plus loin, que de nom­breux manus­crits anciens pré­sentent des traces de cor­rec­tion, ce qui ne signi­fie pas néces­sai­re­ment qu’un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel les a relus. En effet, il faut dis­tin­guer la fonc­tion de cor­rec­tion du métier de cor­rec­teur. Les phi­lo­logues emploient par­fois le terme de « cor­rec­teur antique » (ou médié­val, selon la période) pour dési­gner la main qui a tra­cé des signes de cor­rec­tion2, sans for­cé­ment inter­ro­ger le sta­tut de son pro­prié­taire (il peut s’a­gir d’un lec­teur ayant anno­té son exemplaire).

Manus­crit byzan­tin des pièces d’Eu­ri­pide, pro­ba­ble­ment du xie s. « Une seconde main médié­vale pré­sente des variantes mar­gi­nales ou inter­li­néaires » (Vanes­sa Des­claux, « Euri­pide mss grec 2713 », L’An­ti­qui­té à la BnF, 1er juin 2018). Source : Gallica/BnF.

Cepen­dant, « l’é­cri­ture, consi­dé­rée comme un métier manuel, était dans l’an­ti­qui­té3 une affaire de pro­fes­sion­nels (esclaves ou affran­chis)4 ». Même s’ils ne rece­vaient pas de salaire, c’é­tait bien leur état.

Égypte ancienne

Il y a 4 500 ans, des ouvriers (lapi­cides) ont gra­vé sur des parois de pierre les plus anciens écrits reli­gieux du monde. Il s’agit des Textes des pyra­mides, la somme des concep­tions funé­raires des Égyp­tiens de l’Ancien Empire. Il semble que le texte de base ait été un ori­gi­nal sur papy­rus, auquel on a com­pa­ré la copie. 

Une fois le texte hié­ro­gly­phique gra­vé, un scribe a pro­cé­dé à une relec­ture du texte. Il a signa­lé les erreurs aux sculp­teurs en ins­cri­vant les modi­fi­ca­tions à appor­ter avec de la pein­ture noire ou rouge (☞ voir aus­si Cor­ri­ger en rouge, une pra­tique antique). Les textes de la pyra­mide d’Ou­nas pré­sentent ain­si 163 modi­fi­ca­tions [… Elles] vont d’un seul signe hié­ro­gly­phique à des pas­sages entiers […]. On a pro­cé­dé à la cor­rec­tion, à l’in­ver­sion, à la sup­pres­sion ou à l’in­ser­tion d’un signe hié­ro­gly­phique ; à l’in­ser­tion ou à la sup­pres­sion d’un mot ou d’une phrase ou à la sub­sti­tu­tion d’un mot à un autre.
[…] lors­qu’il a fal­lu chan­ger le texte, les anciens hié­ro­glyphes ont été cachés par une couche de plâtre, puis le nou­veau texte a été gra­vé par-des­sus5

C’est la plus ancienne men­tion de l’intervention d’un cor­rec­teur que j’aie lue à ce jour6. Une belle découverte.

Grèce antique 

« Chez les Grecs, une même per­sonne, tour à tour copiste (biblio­gra­phus), relieur (biblio­pe­gus) et mar­chand (biblio­phi­la), assu­mait la confec­tion ain­si que la vente des manus­crits » (Bros­sard, op. cit., p. 19). 

On sait qu’il exis­tait en Grèce antique des cor­rec­teurs ou dior­thote, par­fois fran­ci­sés en dior­thontes. Les cor­rec­tions (ou dior­thoses7, du grec ancien διόρθωσις, diór­thô­sis, « rec­ti­fi­ca­tion, redres­se­ment ») les plus célèbres sont celles des œuvres d’Homère et de Pla­ton. Il s’agit alors plu­tôt d’é­di­tions cri­tiques que du tra­vail habi­tuel d’un cor­rec­teur. Pour plus d’informations, consulter :

Antimaque de Colophon
Anti­maque de Colo­phon, un des dior­thote d’Homère.

Sur la cor­rec­tion telle que pra­ti­quée par les dior­thote, voir plus bas « Signes de cor­rec­tion dans l’An­ti­qui­té ».

Rome antique 

L’ex­po­sé de Bros­sard donne davan­tage d’in­for­ma­tions sur la librai­rie dans la capi­tale de l’Em­pire romain. 

École romaine. Stèle du iie s., retrou­vée à Trier, Alle­magne. Source : « Lire et écrire dans la Rome antique », La Toge et le Glaive, 19 jan­vier 2014.

On sait qu’à Rome nombre de copistes tenaient en même temps bou­tique de libraires ; ils étaient dési­gnés sous le nom de libra­rii […]. La plu­part d’entre eux étaient des affran­chis ou des étran­gers ; ils ven­daient pour leur compte les tra­vaux qu’ils avaient minu­tieu­se­ment et lon­gue­ment trans­crits. […]
Les copistes qui se livraient à la trans­crip­tion des ouvrages anciens étaient dési­gnés du nom par­ti­cu­lier d’anti­qua­rii […].

Par­mi ces libraires de l’an­cienne Rome l’his­toire a sur­tout conser­vé le sou­ve­nir des frères Socio [sic, Sosii], qui furent les édi­teurs d’Horace (65-8 av. J.-C), et de Pom­po­nius Alliais [Pom­po­nius Élien ou Aelia­nus], l’a­mi de Cicé­ron (106-43 av. J.-C.) et le plus grand libraire de l’é­poque. D’a­près Cor­ne­lius Nepos [ou Cor­né­lius Népos], ces mar­chands avaient à leur ser­vice un nombre éle­vé de lec­teurs, d’é­cri­vains, de cor­rec­teurs, de relieurs, […] avec les­quels ils pou­vaient, en un temps rela­ti­ve­ment court, repro­duire un manus­crit à plu­sieurs mil­liers d’exemplaires.

Au milieu d’un pro­fond silence, le lec­teur dic­tait le texte aux copistes : esclaves de condi­tion, sou­vent éle­vés et ins­truits à grands frais, ceux-ci étaient d’ha­biles écri­vains qui, pour toute rému­né­ra­tion, rece­vaient la nour­ri­ture, le loge­ment et l’entretien […].

[La copie ache­vée,] le par­che­min était alors confié au cor­rec­teur, gram­ma­rien ou édi­teur de pro­fes­sion, char­gé de revi­ser le texte, de rec­ti­fier les inter­pré­ta­tions erro­nées du lec­teur et de cor­ri­ger les fautes du copiste8.

Selon René Ménard (1883), « le nom du cor­rec­teur figu­rait avec celui de l’au­teur9 ». J’ai l’in­tui­tion que cette géné­ra­li­sa­tion pour­rait être nuan­cée. Il est vrai que les nom­breux livres antiques qui nous ont été trans­mis par copie médié­vale portent une sous­crip­tion chré­tienne. Or, explique Wiki­pé­dia, « c’é­tait un bref appen­dice, qui décri­vait quand le livre avait été reco­pié, et qui l’a­vait relu pour s’as­su­rer de sa confor­mi­té. Ce type de sous­crip­tion était pro­ba­ble­ment usuel aus­si avant les temps chré­tiens, au moins pour les livres de valeur. Il témoi­gnait de l’o­ri­gine et de l’exac­ti­tude de la copie. » Néan­moins, là encore, il ne s’a­git pas néces­sai­re­ment d’un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel10.

Signes de correction dans l’Antiquité

Sur la pra­tique même de la cor­rec­tion, d’autres détails inté­res­sants sont four­nis par un texte de Daniel Delattre (direc­teur de recherche émé­rite CNRS-IRHT), à pro­pos de la biblio­thèque des Papy­rus, à Her­cu­la­num (Ita­lie), où furent retrou­vés de nom­breux textes, notam­ment de phi­lo­so­phie grecque (Lucrèce, Épi­cure, Phi­lo­mène de Gada­ra). Un cours col­lec­tif en ligne, Le Livre de l’Antiquité à la Renais­sance, dont il a écrit une par­tie, com­plète ce qui suit (les notes pré­cisent la source des dif­fé­rents extraits) :

Les rou­leaux conser­vés dans la biblio­thèque d’Her­cu­la­num sont géné­ra­le­ment soi­gnés et ont été relus avec atten­tion et cor­ri­gés par le scribe lui-même, par­fois aus­si par un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel (un dior­thô­tès). Des inter­ven­tions nom­breuses en témoignent, qui sou­vent sont faites avec un égal sou­ci de lisi­bi­li­té et de dis­cré­tion11

[…] cela [la relec­ture par un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel] était pro­ba­ble­ment de règle dans les ate­liers de librai­rie, par exemple celui d’At­ti­cus, ami et édi­teur de Cicé­ron12.

« J’ai lais­sé pas­ser une erreur énorme. J’ai confon­du les noms d’A­ris­to­phane et d’Eu­po­lis. Est-ce que tu as moyen de faire cor­ri­ger les copies déjà mises en circulation ? »

Cicé­ron à son ami et édi­teur Atti­cus13.

En quoi les inter­ven­tions du cor­rec­teur consistaient-elles ?

La plu­part des cor­rec­tions sont faites dans l’in­ter­ligne qui pré­cède la ligne fau­tive, et en carac­tères plus petits14. Les prin­cipes de cor­rec­tion sont simples : quand une ou plu­sieurs lettres erro­nées sont à sup­pri­mer, on les exponc­tue, c’est-à-dire qu’un point noir est pla­cé au-des­sus de la (ou des) lettre(s) à annu­ler ; dans cer­tains cas, la lettre est sim­ple­ment bif­fée. Si la lettre est à rem­pla­cer par une autre, le point est rem­pla­cé par la nou­velle lettre, cen­trée au-des­sus de la lettre erro­née (quel­que­fois, le scribe réécrit direc­te­ment sur cette der­nière). Si une lettre a été omise, elle est tra­cée dans l’in­ter­ligne à che­val au-des­sus des deux lettres entre les­quelles il faut l’in­sé­rer. Dans cer­tains cas, si c’est une ligne entière qui a été omise par le copiste, elle est ajou­tée de la même manière dans l’in­ter­ligne, le début étant pla­cé au-des­sus du point d’in­ser­tion dans la ligne à com­plé­ter. En revanche, si ce qui est à rajou­ter est trop long, on peut trou­ver, déta­ché en marge gauche, un signe du type « ancre » (flèche oblique mon­tante ou des­cen­dante, selon que l’a­jout est repor­té dans la marge supé­rieure ou infé­rieure), un trait oblique ou encore une « diplè simple » [un che­vron], qui ont alors leur cor­res­pon­dant dans l’une des deux marges, devant ce qui a été omis15.

Source : Daniel Delattre-Laurent Capron, CD-Rom Les Sources docu­men­taires du Livre IV des Com­men­taires sur la musique de Phi­lo­dème (réa­li­sa­tion : Ins­ti­tut de Papy­ro­lo­gie de la Sor­bonne – uni­ver­si­té de la Sor­bonne, Paris IV), Paris, 2007.

Manuscrits orientaux  

J’ai trou­vé peu d’informations sur la cor­rec­tion antique hors du monde gré­co-romain16. Je ne trai­te­rai donc que le cas des manus­crits arabes — où la notion de texte ori­gi­nal était consi­dé­rée dif­fé­rem­ment qu’en Occi­dent —, sur les­quels j’ai été infor­mé par un article de Chris­tine Jungen : 

[…] dans le monde arabe et musul­man[,] la copie manus­crite […] a consti­tué le mode prin­ci­pal de trans­mis­sion des textes jus­qu’au milieu du xixe siècle, voire au-delà. […] Exé­cu­tées par des copistes pro­fes­sion­nels, par des let­trés ou par des étu­diants, les copies pro­duites se sin­gu­la­risent par leur matière [… mais] éga­le­ment par leur conte­nu […]. Chaque copie est un exem­plaire unique, qui, au-delà des dif­fé­rences de ver­sion, par­fois infimes, entre copies d’un même texte, peut éga­le­ment dif­fé­rer de ses copies « parentes » soit par l’ajout d’une intro­duc­tion ou de com­men­taires in tex­to par le copiste ou le com­man­di­taire de la copie, soit par l’introduction de marques de véri­fi­ca­tion ou de confir­ma­tion (effec­tuées lors de la copie ou de lec­tures publiques). À ces inter­ven­tions s’ajoutent les anno­ta­tions por­tées en marge par les lec­teurs. Sans cesse amen­dé et cor­ri­gé au fil des copies et des lec­tures (dont témoignent les mul­tiples marques de véri­fi­ca­tion, d’audition et de cor­rec­tion que portent les manus­crits), le kitâb, le « livre », s’est long­temps défi­ni, dans sa tra­di­tion manus­crite, comme un sup­port d’écriture mou­vant et dyna­mique appe­lé à être sans cesse modi­fié au cours des pra­tiques let­trées17.

Double page extraite du Livre de Siba­wayh, manus­crit de la BnF. 

De telles cor­rec­tions ont été étu­diées par Gene­viève Hum­bert sur un manus­crit trou­vé à Milan du Livre de Siba­wayh (Kitâb Sîba­wayh), un trai­té de gram­maire arabe (dont la BnF pos­sède un manus­crit copié à quatre mains).

Le Kitâb de Sîba­way­hi fut rédi­gé au iie/viiie siècle. Bien que l’au­teur soit consi­dé­ré comme l’un des plus grands gram­mai­riens arabes, on ne connaît rien de sa bio­gra­phie, ce qui est bien illus­tré par le simple fait que même la date de sa mort est située dans une “four­chette” qui peut aller de 160-161/776-777 à 194/809-810. La même incer­ti­tude se trouve autour du Kitâb18.

Pour plus d’in­for­ma­tions, on peut lire Gene­viève Hum­bert, Les Voies de la trans­mis­sion du Kitâb de Sîba­way­hi, Stu­dies in Semi­tic Lan­guages and Lin­guis­tics, XX, Lei­den, E. J. Brill, 1995, en par­ti­cu­lier « Le tra­vail du cor­rec­teur et la bana­li­sa­tion d’un texte », p. 172-176 (pages en libre accès dans l’a­per­çu sur Google Livres).

Bonus : corriger sur tablette de cire

Styles. Illus­tra­tion dans Le Livre d’Al­bert Cim, p. 65.

Les tablettes de cire « sont des sup­ports d’é­cri­ture effa­çables […] et réuti­li­sables, connus depuis la haute anti­qui­té et qui ont été uti­li­sés jus­qu’au milieu du xixe siècle » (Wiki­pé­dia). Dans sa somme, Le Livre (1905), Albert Cim dévoile que, tels cer­tains de nos crayons de papier équi­pés d’une gomme, le style com­por­tait un embout de correction.

Le style, qui ser­vait à écrire sur les tablettes de cire, « était un petit ins­tru­ment d’os, de fer, de cuivre ou d’argent, long de quatre à cinq pouces, mince, effi­lé et poin­tu à l’une de ses extré­mi­tés, tan­dis que l’autre, assez forte, était apla­tie… La pointe tra­çait l’écriture sur la cire, et, si l’on avait une lettre ou un mot à cor­ri­ger ou à effa­cer, on retour­nait le style et l’on employait l’extrémité apla­tie pour faire dis­pa­raître la lettre ou le mot réprou­vé, pour rendre unie, dans cet endroit, la sur­face de la cire, et pou­voir sub­sti­tuer un autre mot à celui qu’on venait d’effacer. L’expression ver­tere sty­lum, retour­ner le style, pas­sait en pro­verbe chez les Romains pour dire cor­ri­ger un ouvrage19 […]. »

Autres sources consultées :

☞ Article à venir : Le cor­rec­teur médiéval.


Correcteurs et correctrices célèbres

Cor­ne­lius Kiliaan (1528/1530 – 1607), cor­rec­teur chez Chris­tophe Plan­tin pen­dant cin­quante ans. Source : musée More­tus-Plan­tin.

Au fil de mes recherches, j’ai croi­sé nombre de per­sonnes citées comme ayant exer­cé, au moins un temps, le métier de cor­rec­teur. Cer­tains noms reve­naient sans cesse, d’autres étaient plus rares, ce qui m’a inci­té à ouvrir un fichier spé­ci­fique pour m’en sou­ve­nir. Voi­ci donc le Hall of Fame des cor­rec­teurs. Cette liste ne pré­tend pas, bien sûr, à l’exhaustivité et reste sus­cep­tible d’ajouts, de pré­ci­sions et aus­si de sug­ges­tions bien­ve­nues. 
NB — Les cita­tions sont par­fois cou­pées abrup­te­ment quand je n’ai eu accès qu’à un extrait de la page.

Les antiques

Antimaque de Colophon
Anti­maque de Colophon.

Anti­maque de Colo­phon ou de Cla­ros (400-348 av. J.-C.)

« Poète et gram­mai­rien grec contem­po­rain des guerres médiques. Ses œuvres sont aujourd’­hui per­dues : on en pos­sède seule­ment quelques frag­ments » (Wiki­pé­dia).
« Anti­maque de Colo­phon, poète lui-même, est, je crois, le plus ancien dior­thonte [ou dior­thôte], dont le tra­vail, du moins en par­tie, soit arri­vé jus­qu’à nous » (Jean-Bap­tiste Dugas-Mont­bel, His­toire des poé­sies homé­riques, 1831, p. 78).

Zéno­dote (330-260 av. J.-C.)

« Mis au rang des pre­miers dior­thôte, c’est-à-dire des cor­rec­teurs, grâce à son impor­tante pro­duc­tion d’é­di­tions cri­tiques des textes homé­riques » (Wiki­pé­dia).

Les glorieux ancêtres

Constam­ment cités, au long du xixe siècle, par­mi les pre­miers « cor­rec­teurs », même si la cor­rec­tion d’é­preuves ne consti­tuait qu’une petite par­tie de leur acti­vi­té. Clas­sés par date de naissance.

Janus Las­ca­ris (1445-1535)

Éru­dit grec de la Renaissance.

Johann Fro­ben (1460-1527)

Impri­meur et édi­teur bâlois. « Un livre où il y a des fautes n’est pas un livre » (cité par J.-B. Prod­homme dans cet article).

Josse Bade (1461 ou 1462 – 1535)

Impri­meur et libraire ayant prin­ci­pa­le­ment exer­cé en France, d’a­bord à Lyon puis à Paris. « […] après avoir pro­fes­sé avec tant de dis­tinc­tion les belles-lettres à Lyon, fut cor­rec­teur chez Trech­sel, dont il devint le gendre […] » (Larousse).

Erasme
Érasme.

Érasme (1466?-1536)

Cha­noine régu­lier de Saint-Augus­tin, phi­lo­sophe, huma­niste et théo­lo­gien néer­lan­dais. « Érasme l’é­nonce en 1505 dans sa pré­face aux Adno­ta­tiones de Loren­zo Val­la : la per­fec­tion du texte écrit est une des ambi­tions les plus hautes ; elle impose une vigi­lance d’autant plus exi­geante que “l’imprimerie […] répand aus­si­tôt une faute unique en mille exem­plaires […]”. Ain­si, l’hu­ma­niste sera sou­vent un homme qui tra­vaille au cœur de l’a­te­lier typo­gra­phique » (Yann Sor­det, p. 290, voir mon article). 

Mar­cus Musu­rus (1470-1517)

Hel­lé­niste et huma­niste d’o­ri­gine grecque. 

Jean Trech­sel (14..-1498)

Impri­meur-libraire, gra­veur et fon­deur de carac­tères, ori­gi­naire d’Al­le­magne, pro­ba­ble­ment de Mayence.

Geof­froy Tory (1485-1533)

« Impri­meur-libraire, éga­le­ment édi­teur huma­niste, tra­duc­teur, des­si­na­teur, peintre, enlu­mi­neur, gra­veur, fon­deur de carac­tères et relieur fran­çais. Il est l’un des intro­duc­teurs des carac­tères romains en France et l’un des pre­miers réfor­ma­teurs de l’or­tho­graphe fran­çaise » (Wiki­pé­dia). Cor­rec­teur d’Hen­ri Estienne (Bros­sard).

Sébas­tien Gryphe (1492-1556)

Sebas­tia­nus Gry­phius en latin, de son vrai nom Sebas­tian Greyff. Impri­meur-libraire français.

Zacha­rie Kal­lier­gis (actif de 1499 à 1524)

Copiste de manus­crits, pion­nier de l’im­pri­me­rie pour la langue grecque. 

Étienne Dolet (1509-1546)

Phi­lo­logue éru­dit et impri­meur, cor­rec­teur et lec­teur d’é­preuves (chez Sébas­tien Gryphe, à Lyon, en 1534). Brû­lé vif avec ses livres, place Mau­bert à Paris (Uni­ver­sa­lis).

Michel Ser­vet (1511-1553)

Cor­rec­teur typo­graphe, méde­cin, arche­vêque. Brû­lé comme héré­tique (Uni­ver­sa­lis).

Cornelius Kiliaan
Cor­ne­lius Kiliaan.

Cor­ne­lius Kiliaan (1528/1530 – 1607)

De son vrai nom, Cor­ne­lis Abts van Kiele. Poète, his­to­rien, lexi­co­graphe, lin­guiste, tra­duc­teur néer­lan­dais.
« Après ses études, il a trou­vé un emploi dans l’im­pri­me­rie récem­ment fon­dée par Chris­tophe Plan­tin, impri­me­rie qui se déve­lop­pe­ra jus­qu’à deve­nir la plus impor­tante d’Eu­rope à cette époque. Il a com­men­cé au bas de l’é­chelle en tant que typo­graphe et impri­meur, mais il a été pro­mu pre­mier assis­tant en 1558. Plan­tin avait mani­fes­te­ment confiance dans les qua­li­tés de Kiliaan car en 1565, il a été nom­mé cor­rec­teur d’é­preuves, une fonc­tion rému­né­ra­trice réser­vée alors aux éru­dits » (Wiki­pé­dia).
« Kiliaan a tra­vaillé pen­dant 50 ans en tant que cor­rec­teur chez Plan­tin. Ce veuf vivait avec ses trois enfants dans la mai­son située sur la place du Vri­j­dag­markt. Lorsque Plan­tin émet le sou­hait d’éditer un dic­tion­naire tra­duc­tif néer­lan­dais, il pense aus­si­tôt à faire appel à son cor­rec­teur. Les dic­tion­naires vont désor­mais rem­plir toute la vie de Kiliaan » (musée More­tus-Plan­tin).
« Kilian peut être consi­dé­ré comme le phé­nix des cor­rec­teurs morts et vivants. Il savait que la cor­rec­tion est à l’art typo­gra­phique, sui­vant l’heu­reuse expres­sion d’Hen­ri Estienne, ce que l’âme est au corps humain ; elle lui donne l’être et la vie » (Léon Degeorge, La Mai­son Plan­tin à Anvers, Impr. Félix Cal­le­waert père (Bruxelles), 1877).

Frie­drich Syl­burg (1536-1596)

Phi­lo­logue alle­mand. « […] à par­tir de 1582, il se voue tout entier à la révi­sion et à la cor­rec­tion des anciens auteurs grecs et latins. Jusqu’en 1591, il tra­vaille chez l’imprimeur Wechel à Franc­fort-sur-le-Main, ensuite il passe à Hei­del­berg, auprès de Com­me­lin, et est nom­mé biblio­thé­caire de l’université » (Wiki­pé­dia). Cité par Larousse.

Fran­çois Rav­len­ghien (1539-1597)

Fran­cis­cus Raphe­len­gius en latin, aus­si connu comme Fran­çois Raphe­leng, né en Flandres, orien­ta­liste, lin­guiste et impri­meur de la Renais­sance. « […] aima mieux res­ter cor­rec­teur chez Plan­tin que d’aller occu­per à Cam­bridge la chaire de pro­fes­seur de grec, à laquelle son mérite l’avait appe­lé […] » (Larousse). Plan­tin dont il a épou­sé Mar­gue­rite, la fille aînée (Wiki­pé­dia).

Juste Lipse (1547-1606)

Ius­tus Lip­sius en latin, de son nom d’o­ri­gine Joost Lips. Phi­lo­logue et huma­niste qui vécut dans ce qui était alors les Pays-Bas espa­gnols et aujourd’­hui la Belgique.

D’autres noms sont cités par L.-E. Bros­sard, Le Cor­rec­teur typo­graphe, 1924.

Les écrivains, les journalistes et quelques autres 

Maniant la plume, ils l’ont mise au ser­vice de la cor­rec­tion, sou­vent le temps de se faire un nom. Clas­sés par date de naissance.

François Rabelais
Rabe­lais.

Fran­çois Rabe­lais (1483 ou 1494 – 1553)

Écri­vain fran­çais huma­niste de la Renais­sance. Cor­rec­teur chez Sébas­tien Gryphe, à Lyon, dans les années 1530.

Claude Gou­di­mel (1520?-1572)

Com­po­si­teur fran­çais. Mou­rut à Lyon, vic­time des mas­sacres de la Saint-Bar­thé­le­my. « Fut asso­cié à l’é­di­teur Nico­las Du Che­min comme cor­rec­teur (1551) » (Uni­ver­sa­lis).
La BnF pos­sède un texte de Fran­çois Lesure inti­tu­lé « Claude Gou­di­mel, étu­diant, cor­rec­teur et édi­teur pari­sien », Musi­ca dis­ci­pli­na, II, nos 3-4, Rome, 1948 (non consulté).

Hen­ri Estienne (1528/1530 – 1598)

Impri­meur, phi­lo­logue, hel­lé­niste et huma­niste fran­çais, fils de l’im­pri­meur Robert Estienne. « Ado­les­cent, il avait com­men­cé à cor­ri­ger les textes grecs, en tra­vaillant avec son père sur les épreuves d’une magni­fique édi­tion de Denys d’Ha­li­car­nasse, un exemple impres­sion­nant des “grecs du roi” que Robert publia en 1547 » (Antho­ny Graf­ton, « Les cor­rec­teurs d’im­pri­me­rie et les textes clas­siques », dans Des Alexan­dries I. Du livre au texte (dir. Luce Giard et Chris­tian Jacob), BnF, 2001, p. 427).

Félix Plat­ter (1536-1614)

Méde­cin et bio­lo­giste suisse, cor­rec­teur d’im­pri­me­rie à Bâle (Uni­ver­sa­lis).

Gior­da­no Bru­no (1548-1600)

Frère domi­ni­cain et phi­lo­sophe napo­li­tain, brû­lé vif pour athéisme et héré­sie. « […] à Genève, […] il […] sur­vit comme cor­rec­teur d’im­pri­me­rie » (Le Monde, 17 février 2000). 

Guy Patin (1601-1672)

Méde­cin et épis­to­lier fran­çais. « Brouillé avec sa famille pour son refus d’entrer dans la car­rière ecclé­sias­tique, il se livra à l’étude de la méde­cine et, comme il était dépour­vu de res­sources, il se fit cor­rec­teur d’imprimerie (aux dires de Théo­phraste Renau­dot et de Pierre Bayle) » (Wiki­pé­dia).

Ben­ja­min Frank­lin (1706 -1790)

Impri­meur, écri­vain, phy­si­cien, diplo­mate américain.

Fran­çois-Joa­chim de Pierre de Ber­nis (1715 -1794)

Diplo­mate, homme de lettres et pré­lat fran­çais qui fut ambas­sa­deur à Venise (1752-1755), ministre d’É­tat (1757), secré­taire d’É­tat des Affaires étran­gères (1757-1758) et enfin char­gé d’af­faires auprès du Saint-Siège (1769-1791). « […] ma famille se rap­pelle encore l’abbé de Ber­nis, qui lisait des épreuves chez mon bis­aïeul Fran­çois Didot » (Ambroise Fir­min-Didot, dans son dis­cours d’installation comme pré­sident hono­raire de la Socié­té des cor­rec­teurs, le 1er novembre 1866).

Restif de La Bretonne
Res­tif de La Bretonne.

Nico­las Edme Res­tif de La Bre­tonne (1734-1806)

Écri­vain fran­çais. « À Paris, il devient “prote” et cor­rec­teur dans diverses impri­me­ries, dont l’Im­pri­me­rie royale du Louvre » (Gérard Blan­chard, « Res­tif de La Bre­tonne : typo­graphe et écri­vain », Com­mu­ni­ca­tion et lan­gages, no 30, 1976, p. 65). Il raconte ces années dans sa vaste auto­bio­gra­phie, Mon­sieur Nico­las, ou le Cœur humain dévoi­lé.

Fran­çois-René de Cha­teau­briand (1768-1848)

Écri­vain, mémo­ria­liste et homme poli­tique fran­çais. « L’a­ca­dé­mi­cien Charles Nodier fut cor­rec­teur d’im­pri­me­rie. Cha­teau­briand occu­pa le même emploi à Londres où la tour­mente révo­lu­tion­naire l’a­vait jeté dénué de toutes res­sources » (note de la chan­son Embau­chés sous l’ai­mable loi / Du grand saint Jean Porte-Latine, 1858).

Charles Nodier (1780-1844)

Écri­vain, roman­cier et aca­dé­mi­cien fran­çais. « En août 1809, il entra en rela­tions avec l’é­cri­vain anglais Her­bert Croft et Lady Mary Hamil­ton, ins­tal­lés à Amiens. Deve­nu leur secré­taire le 3 sep­tembre, il réa­li­sa pour eux de fas­ti­dieux tra­vaux de copie lit­té­raire et de cor­rec­tion d’é­preuves, jus­qu’à leur ruine, en juin 1810 » (Wiki­pé­dia).

Pierre-Jean de Béran­ger (1780-1857) 

Chan­son­nier fran­çais. « Béran­ger se pré­sente à ma mémoire » (Ambroise Fir­min-Didot, dans son dis­cours d’installation comme pré­sident hono­raire de la Socié­té des cor­rec­teurs, le 1er novembre 1866).

Johann Frie­drich Düb­ner (1802-1867)

Phi­lo­logue alle­mand, « vient dès 1832 se fixer à Paris, où il prend une part active à tous les grands tra­vaux de la librai­rie Fir­min Didot (The­sau­rus lin­guæ græcæCol­lec­tion grecque-latine) » (Wiki­pé­dia). Cité par Larousse.

Fran­çois Buloz (1803-1877)

Patron de presse fran­çais, direc­teur de la Revue des Deux-Mondes. « Fils de culti­va­teurs, chi­miste de for­ma­tion, Fran­çois Buloz est d’a­bord prote d’im­pri­me­rie, puis com­po­si­teur d’im­pri­me­rie et cor­rec­teur » (Wiki­pé­dia).

Proudhon
Prou­dhon.

Pierre-Joseph Prou­dhon (1809-1865)

Polé­miste, jour­na­liste, éco­no­miste, phi­lo­sophe, poli­tique et socio­logue fran­çais.
« Il avait com­men­cé cor­rec­teur avant d’ap­prendre le métier de com­po­si­teur, ain­si que l’in­diquent les dates. M. Mil­liet (aujourd’­hui rédac­teur du Jour­nal de I’Ain), qui était, en 1829, prote d’im­pri­me­rie a Besan­çon, dans la mai­son où […] »
« Prou­dhon, ser­vi par son acti­vi­té, son savoir, était vite deve­nu cor­rec­teur à la mai­son Gau­thier, qui avait alors en chan­tier une édi­tion latine de la Vie des Saints, accom­pa­gnée de notes éga­le­ment latines. […] » (Daniel Halé­vy, La Vie de Prou­dhon, 1809-1847, 1948).

Karl Mül­ler (1813-1894)

Phi­lo­logue hel­lé­niste alle­mand, « connu pour la qua­li­té de ses nom­breuses édi­tions de textes en grec ancien et leurs tra­duc­tions en latin » (Wiki­pé­dia). Cité par Larousse.

Paul Féval (1816-1887)

Roman­cier fran­çais. « Son œuvre abon­dante, com­po­sée de plus de 70 romans popu­laires édi­tés en feuille­ton et de près de 70 nou­velles […] eut un suc­cès consi­dé­rable de son vivant, éga­lant celles d’Honoré de Bal­zac et d’Alexandre Dumas » (Wiki­pé­dia). Cor­rec­teur au Nou­vel­liste (Uni­ver­sa­lis).

Jules Ber­ge­ret (1831-1905)

Per­son­na­li­té mili­taire de la Com­mune de Paris. « Après avoir quit­té l’armée, il est d’a­bord gar­çon d’é­cu­rie à Saint-Ger­main puis il devient cor­rec­teur d’imprimerie et typo­graphe » (Wiki­pé­dia).

Arthur Ranc (1831-1908)

Jour­na­liste et essayiste poli­tique, répu­bli­cain anti­clé­ri­cal franc-maçon et révo­lu­tion­naire fran­çais. « Cor­rec­teur à L’Opinion natio­nale, il col­la­bo­ra à La Rue (1er juin 1867 – 11 jan­vier 1868) de Jules Val­lès (de qui il fut proche et qui le men­tionne dans Le Bache­lier sous le nom de Roc — Ranc signi­fiant en occi­tan roc ou rocher), au Réveil de Charles Deles­cluze, au Diable à Quatre (1868), à La Cloche (1869) » (Mai­tron).

Léo Fran­kel (1844-1896)

Mili­tant syn­di­ca­liste et socia­liste hon­grois d’o­ri­gine juive. Prend une part active à la Com­mune de Paris de 1871. Ouvrier d’or­fè­vre­rie, cor­rec­teur puis jour­na­liste (BM Lyon).

Léon Bloy
Léon Bloy.

Léon Bloy (1846-1917)

Roman­cier et essayiste fran­çais. « Après la guerre, il revient habi­ter la rue Rous­se­let et reprend auprès de son vieux maître [Jules Bar­bey d’Au­re­vil­ly] les fonc­tions de secré­taire et de cor­rec­teur d’é­preuves, qu’il par­ta­geait avec M. Lan­dry » (L’A­go­ra).

Alfred Bru­neau (1857-1934)

Com­po­si­teur, chef d’or­chestre et cri­tique fran­çais. « Il tra­vaille comme cor­rec­teur chez l’é­di­teur de musique Georges Hart­mann » (Uni­ver­sa­lis).

Timbre à l'effigie de Charles Péguy
Timbre à l’ef­fi­gie de Charles Péguy.

Charles Péguy (1873-1914)

Écri­vain, poète, essayiste et offi­cier de réserve fran­çais.
« Mon cher Péguy
« Les Tha­raud [les frères Jean et Jérôme Tha­raud] me disent que vous êtes un peu souf­frant, que vous vous êtes trop fati­gué. Cela me peine. Il n’est pas pos­sible en effet que vous conti­nuiez ce métier de cor­rec­teur d’épreuves, qui est le plus tuant de tous, et sur­tout que vous y met­tiez cette appli­ca­tion exces­sive. Il vaut mieux que quelques fautes typo­gra­phiques se glissent dans les Cahiers [de la Quin­zaine, 1900-1914, revue bimen­suelle fon­dée et diri­gée par Péguy], et que vous alliez bien : les chefs-d’œuvres clas­siques n’ont rien per­du aux coquilles qui émaillent leurs pre­mières édi­tions » (Romain Rol­land [?], Cahiers Romain Rol­land, vol. 22, 1948).
« Péguy y était un maître Jacques, tour à tour édi­teur, ven­deur, cor­rec­teur d’épreuves, comp­table et par­fois typo­graphe » (André Sua­rès, La Condot­tiere de la beau­té, De Neder­landsche Boe­khan­del, 1954, p. 10).
« Il s’est usé les yeux sur les épreuves. Pen­dant long­temps, il a cor­ri­gé lui-même et mis en pages tous les livres qu’il publiait. Cor­rec­teur achar­né, il fai­sait la chasse aux lettres cas­sées, à l’œil dou­teux, aux vir­gules sans pointe » (Alexandre Mil­le­rand, André Sua­rès, Charles Péguy : sa vie, son œuvre et son enga­ge­ment, éd. Homme et Lit­té­ra­ture, 2021).

Pierre Monatte
Pierre Monatte.

Pierre Monatte (1881-1960)

« Cor­rec­teur d’im­pri­me­rie et mili­tant fran­çais. Figure majeure du syn­di­ca­lisme, il est l’un des res­pon­sables de la CGT au début du xxe siècle » (Wiki­pé­dia). Cor­rec­teur de presse, L’Époque, La Liber­té du temps, France-Soir, rue Réau­mur. En jan­vier 1908, il entre comme cor­rec­teur à l’imprimerie confé­dé­rale de la CGT.

Pierre Mac Orlan (1882-1970)

Pierre Mac Orlan
Pierre Mac Orlan.

Écri­vain fran­çais. Cor­rec­teur à La Dépêche de Rouen de 1901 à 1905 (éd. Sillages).

Jacques Mari­tain (1882-1973)

Phi­lo­sophe et théo­lo­gien catho­lique fran­çais. « Péguy et Jacques Mari­tain s’en­ten­dirent tout de suite à mer­veille : on sait que Péguy prit même un moment ce der­nier comme col­la­bo­ra­teur, en tant que révi­seur et cor­rec­teur atti­tré des Cahiers [de la Quin­zaine] […] » (Georges Cat­taui, Péguy, témoin du tem­po­rel chré­tien, 1964). 

Anton Webern (1883-1945)

Com­po­si­teur et chef d’or­chestre autri­chien. « […] exer­cer l’humble métier de cor­rec­teur d’épreuves dans une grande mai­son d’édition musi­cale vien­noise. Aus­si bien cette obs­cu­ri­té conve­nait-elle à son extrême modes­tie et à son appa­rente absence d’ambition (André Hodeir, La Musique étran­gère contem­po­raine, « Que sais-je ? », no 631, PUF, 1954, p. 60).

Francis Carco
Fran­cis Carco.

Fran­cis Car­co (1886-1958)

Écri­vain, poète, jour­na­liste et paro­lier fran­çais. « Car­co entra dès lors comme lec­teur et cor­rec­teur-typo­graphe à la Belle Édi­tion de Fran­cois Ber­nouard, située rue Dupuy­tren, où chaque col­la­bo­ra­teur allait à son tour action­ner une presse à bras gémis­sante et d’an­tique modèle (Emma­nuel Aeger­ter, Pierre Labra­che­rie, Au temps de Guillaume Apol­li­naire, Jul­liard, 1945).

Louis Lecoin (1888-1971)

Mili­tant paci­fiste et anar­chiste fran­çais. « Louis Lecoin était issu d’une famille très pauvre, de parents illet­trés : il ne pos­sé­dait lui-même qu’un cer­ti­fi­cat d’é­tudes pri­maires. Il devint cor­rec­teur d’im­pri­me­rie après avoir exer­cé les pro­fes­sions de manœuvre, jar­di­nier, cimen­tier et avoir été aus­si men­diant » (Wiki­pé­dia).

Pierre Rever­dy (1889-1960)

Poète fran­çais. « 1912 — Il gagne modes­te­ment sa vie comme cor­rec­teur d’im­pri­me­rie rue Fal­guière. Il assure le secré­ta­riat de rédac­tion du bul­le­tin de la Sec­tion d’or, dont la paru­tion s’in­ter­rompt après le pre­mier numé­ro » (Jean-Bap­tiste Para, Pierre Rever­dy, Cultu­res­france, minis­tère des Affaires étran­gères, 2006, p. 80).

Iou­ri Tynia­nov (1894-1943)

Écri­vain russe, spé­cia­liste de l’histoire de la lit­té­ra­ture russe du début du xixe siècle. Cher­cheur, ensei­gnant, tra­duc­teur, cor­rec­teur (Uni­ver­sa­lis).

Ser­gueï Essé­nine (1895-1925)

Poète russe. « En 1913, il tra­vaille comme cor­rec­teur à Mos­cou » (Uni­ver­sa­lis).

André Breton
André Bre­ton.

André Bre­ton (1896-1966) 

Poète et écri­vain fran­çais, prin­ci­pal ani­ma­teur et théo­ri­cien du sur­réa­lisme.
« “[…] de vous recom­man­der un jeune homme dont la situa­tion me touche et auquel vous pour­rez peut-être don­ner les moyens d’é­chap­per aux plus graves dif­fi­cul­tés. Il est étu­diant en méde­cine et s’oc­cupe pas­sion­né­ment de lit­té­ra­ture.” Le jeune homme est André Bre­ton, qui a déci­dé d’ar­rê­ter ses études pour se livrer à son exclu­sive pas­sion, et à qui son père a cou­pé les vivres. Le père a pris contact avec Valé­ry, qui a ten­té de le cal­mer et veut aider le jeune poète à se débrouiller jus­qu’à ce que sa situa­tion s’é­clair­cisse. Paul­han l’en­gage comme cor­rec­teur. » (Denis Ber­tho­let, Paul Valé­ry, Plon, 1995).
« André Bre­ton, cor­rec­teur, vrai­ment cor­rec­teur, au sens cor­rec­teur d’imprimerie, d’un Du côté de Guer­mantes, dont il monte les “pape­roles” en sem­blant pas­ser à côté de l’immensité de l’entreprise. » (Ber­nard-Hen­ri Lévy, « Les mots de Sartre. Le jour où Proust et Joyce se sont ren­con­trés. La mort de Fran­çois Bau­dot », Le Point, 11 mai 2010).

Marie Cana­vag­gia (1896-1976)

Tra­duc­trice pro­fes­sion­nelle fran­çaise et, pen­dant vingt-cinq ans, secré­taire lit­té­raire de Louis-Fer­di­nand Céline, dont elle cor­ri­gea les épreuves. Lire le détail de sa col­la­bo­ra­tion avec Céline sur Wikipédia. 

Phi­lippe Sou­pault (1897-1990)

Écri­vain, poète et jour­na­liste fran­çais, cofon­da­teur du sur­réa­lisme. « Esti­mé par Valé­ry et Gide, il est enga­gé comme cor­rec­teur à la N.R.F. » (Ber­nard Mor­li­no, Phi­lippe Sou­pault, 1986).

May Pic­que­ray (1898-1983)

May Picqueray
May Pic­que­ray.

Mili­tante anar­cho-syn­di­ca­liste et anti­mi­li­ta­riste liber­taire fran­çaise. « May Pic­que­ray a été une des figures du syn­di­cat des cor­rec­teurs. Elle fut notam­ment cor­rec­trice à Ce Soir, Libé­ra­tion et pen­dant vingt ans, au Canard enchaî­né » (Wiki­pé­dia).
« Quand les com­mu­nistes prirent le contrôle de la Fédé­ra­tion des métaux, May Pic­que­ray aban­don­na son tra­vail et par­tit en pro­vince où elle tra­vailla comme rédac­trice et cor­rec­trice dans un jour­nal régio­nal. […] Deve­nue cor­rec­trice à la Libé­ra­tion, d’abord à l’Imprimerie du Crois­sant, puis au jour­nal Libre Soir Express, elle fut admise le 1er octobre 1945 au syn­di­cat CGT des cor­rec­teurs qui ne comp­tait alors que 4 ou 5 femmes. À la dis­pa­ri­tion du jour­nal, elle obtint avec une de ses cama­rades, devant le conseil des prud­hommes, un mois d’indemnité de licen­cie­ment, ce qui ne s’était encore jamais vu. Le juge­ment fit juris­pru­dence. Elle fut ensuite cor­rec­trice au Canard enchaî­né » (Mai­tron).

Jean-Joseph Rabea­ri­ve­lo (1901 ou 1903 – 1937)

Né Joseph-Casi­mir Rabe, pre­mier écri­vain mal­gache d’ex­pres­sion fran­çaise, consi­dé­ré comme une figure lit­té­raire majeure à Mada­gas­car et en Afrique. « 1924 : Il devient cor­rec­teur à l’Im­pri­me­rie de l’I­me­ri­na et y tra­vaille béné­vo­le­ment les deux pre­mières années. Il gar­de­ra ce tra­vail jus­qu’à sa mort mal­gré une maigre paie. L’im­pri­me­rie de l’I­me­ri­na publie­ra cepen­dant plu­sieurs de ses ouvrages en tirage limi­té » (Wiki­pé­dia).

Gus­tav Fröh­lich (1902-1987)

Acteur, réa­li­sa­teur et scé­na­riste alle­mand. « À l’âge de gagner sa vie, il retour­na aux envi­rons de Hanovre et entra à la rédac­tion d’un tout petit jour­nal, dans une toute petite ville de la région. Il y était à la fois rédac­teur, cri­tique théâ­tral, cor­rec­teur, publi­ciste, gui­che­tier, et, pour tout ce tra­vail, il gagnait 35 marks par mois » (Ciné­monde, no 77, 10 avril 1930).

Pas­cal Pia (1903-1979)

Poète et jour­na­liste fran­çais. « Pour vivre, il est cor­rec­teur d’im­pri­me­rie et tra­vaille chez un agent de change » (Uni­ver­sa­lis).

Hen­ri Calet (1904-1956)

Écri­vain, jour­na­liste, homme de radio fran­çais, huma­niste et liber­taire. « Après ses études, il exer­ça divers petits métiers : clerc d’huis­sier, employé, etc. Il fut aus­si cor­rec­teur d’im­pri­me­rie » (Hen­ri Calet, Fièvre des pol­ders, « L’I­ma­gi­naire », Gal­li­mard, 2018).

Isaac Bashe­vis Sin­ger (1904-1991)

Écri­vain juif polo­nais natu­ra­li­sé amé­ri­cain.
« Ce poème fut publié dans l’heb­do­ma­daire lit­té­raire Lite­ra­rishe ble­ter (Les pages lit­té­raires) le 4 sep­tembre 1936. […], à cette époque, Isaac Bashe­vis Sin­ger n’é­tait déjà plus le cor­rec­teur de ce maga­zine qui parut sans inter­rup­tion de 1924 à 1939 et était le plus impor­tant maga­zine lit­té­raire en yid­dish de Pologne » (Ben­ny Mer, Smot­shè : bio­gra­phie d’une rue juive de Var­so­vie, L’Antilope, 2021).
« À la fin des années 1920, il vit tou­jours à Var­so­vie et ses pre­miers écrits ne le satis­font pas.[…] Il vit de très peu, pra­ti­que­ment de rien, cor­rec­teur d’épreuves dans tel ou tel jour­nal qui accepte de temps en temps de publier un de ses textes, pigé misé­ra­ble­ment » (Le Monde, 26 juillet 1991).

Eugène Iones­co (1909-1994)

Dra­ma­turge et écri­vain rou­ma­no-fran­çais. « Après la guerre, à Paris, il gagne sa vie comme cor­rec­teur dans une mai­son d’é­di­tions admi­nis­tra­tives » (Uni­ver­sa­lis).
« Eugène Iones­co est embau­ché comme débar­deur chez Ripo­lin, mais sa science de l’or­tho­graphe lui per­met d’être agréé par les Édi­tions tech­niques au titre de cor­rec­teur d’é­preuves » (Le Monde, 26 jan­vier 1996).
« […] pour les Iones­co, la fin des années qua­rante est bien le temps des vaches maigres. L’heure est au tra­vail. […] Voi­ci l’exilé rou­main cor­rec­teur d’épreuves, chez Durieu, rue Séguier. La tâche consiste en une relec­ture méti­cu­leuse des publi­ca­tions juri­diques […] que la mai­son édite, et qu’il s’agit de net­toyer de leurs incor­rec­tions ortho­gra­phiques et syn­taxiques avant paru­tion. De sep­tembre 1948 jusqu’au milieu des années cin­quante, Eugène Iones­co s’appliquera à détec­ter toutes les sco­ries qui peuvent pol­luer un texte. Il y gagne­ra une fami­lia­ri­té renou­ve­lée avec les mots. La charge est lourde, mais, tra­vaillant vite, l’œil en éveil, le cor­rec­teur Iones­co obtien­dra de ne paraître au bureau que le matin, empor­tant à domi­cile le reli­quat des pages à relire, et consa­crant son loi­sir à ses propres tra­vaux lit­té­raires. À par­tir de 1952, ce plein temps fera place à un mi-temps (9 heures/13 heures). Iones­co n’a pas détes­té ce moment de sa vie. En 1978, dans sa conver­sa­tion avec P. Sol­lers et P.A. Bou­tang, il déclare : “J’étais, entre 45 et 50 [en fait entre 1948 et 1955 (?)] un petit employé dans une mai­son d’édition juri­dique… Et je regrette main­te­nant de ne pas être res­té petit employé. Je n’aurais rien écrit, je ne serais pas entré dans ce bruit, dans ce chaos, dans cette noto­rié­té, et je pren­drais main­te­nant ma retraite.” » (André Le Gall, Iones­co, Flam­ma­rion, 2009, cité par un com­men­taire du blog Langue sauce piquante, du Monde, 6 novembre 2016).

Georges Brassens

Georges Bras­sens (1921-1981)

Auteur-com­po­si­teur-inter­prète fran­çais.
☞ Voir Georges Bras­sens, cor­rec­teur du Liber­taire.

José Sara­ma­go (1922-2010)

Écri­vain et jour­na­liste por­tu­gais.
« Loin de se can­ton­ner à un seul métier, il fut éga­le­ment des­si­na­teur indus­triel, puis cor­rec­teur d’épreuves, édi­teur, lan­çant en 1947 son tout pre­mier roman, Terre du péché, ins­pi­ré de sa région natale » (André Lavoie, « Faut-il relire… José Sara­ma­go ? », Le Devoir, 29 juillet 2023).
« Dans His­toire du siège de Lis­bonne (Histó­ria do cer­co de Lis­boa, 1989), roman dans le roman, un cor­rec­teur inverse le cours de l’His­toire lors du siège de Lis­bonne afin de trou­ver un sens à son exis­tence » (Wiki­pé­dia).
☞ Voir Le cor­rec­teur, per­son­nage lit­té­raire.

Jean-Claude Bris­ville (1922-2014)

Écri­vain fran­çais, dra­ma­turge, roman­cier et auteur pour la jeu­nesse. Lec­teur-cor­rec­teur chez Hachette de 1951 à 1958 (Who’s Who in France).

Wal­ter Lewi­no (1924-2003)

Écri­vain et jour­na­liste fran­çais. « D’abord mousse dans la marine mar­chande et peintre en bâti­ment puis cor­rec­teur dans une impri­me­rie […] » (Wiki­pé­dia).

Pierre Deli­gny (1926-2005)

Ancien chef cor­rec­teur adjoint de l’Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis. Cor­rec­teur béné­vole de Georges Sime­non.
☞ Voir Georges Sime­non et ses cor­rec­teurs.

Doringe (19??-20??)

Hen­riette Blot, dite « Doringe », jour­na­liste et tra­duc­trice de l’an­glais en fran­çais. « Cor­rec­trice atti­trée » de Georges Sime­non.
☞ Voir Georges Sime­non et ses cor­rec­teurs.

Gilles Carle (1928-2009)

Gra­phiste plas­ti­cien, réa­li­sa­teur, scé­na­riste, mon­teur et pro­duc­teur qué­bé­cois. « Il sub­vient à ses besoins en exer­çant tous les métiers : il se fait lai­tier, camion­neur, dra­veur, bûche­ron, mineur, comp­table, des­si­na­teur, dan­seur, figu­rant et cor­rec­teur d’épreuve[s] selon les besoins du moment et les occa­sions qui se pré­sentent à lui » (L’A­go­ra).

Joan Didion (1934-2021)

Joan Didion
Joan Didion.

Roman­cière, jour­na­liste, essayiste et scé­na­riste amé­ri­caine. « Après des études de lit­té­ra­ture à l’u­ni­ver­si­té de Ber­ke­ley, elle part en 1956 pour la capi­tale cultu­relle de la côte est des Etats-Unis, où elle débute comme cor­rec­trice chez Vogue » (La Croix, 23 décembre 2021).

Mario Var­gas Llo­sa (né en 1936)

« Il suit des études à l’u­ni­ver­si­té San Mar­cos de Lima et s’exerce paral­lè­le­ment aux fonc­tions de cor­rec­teur et col­la­bo­ra­teur de revues lit­té­raires » (France Culture, 7 octobre 2010).

Jean-Luc Mélen­chon (né en 1951)

Homme poli­tique fran­çais. « Au pre­mier tri­mestre 1974, il est cor­rec­teur pour l’imprimerie Néo-Typo de Besan­çon puis tra­vaille quelques mois comme ouvrier dans une usine de l’hor­lo­ger Maty » (Wiki­pé­dia).

Véro­nique Oval­dé (née en 1972)

« J’ai […] tou­jours redou­té la pré­ca­ri­té maté­rielle. Alors je suis deve­nue fabri­cante, au Seuil, en même temps que pré­pa­ra­trice de copie et cor­rec­trice pour Chris­tian Bour­gois et Bal­land. Puis, plus tard, édi­trice. Sans jamais ces­ser d’écrire ! » (La Croix, 23 mars 2023).

Jus­tine Lévy (née en 1974)

Justine Lévy
Jus­tine Lévy.

Édi­trice et écri­vaine fran­çaise. « Après des études de phi­lo­so­phie, elle sera lec­trice et cor­rec­trice chez Cal­mann-Lévy, puis édi­trice aux édi­tions Stock » (Jean-Louis Beau­car­not, Fré­dé­ric Dumou­lin, Dic­tion­naire éton­nant des célé­bri­tés, 2015).

Correcteurs-poètes

Vivant ou sur­vi­vant de la cor­rec­tion, ils ont lais­sé une œuvre poétique.

Hégé­sippe Moreau (1810-1838)

Pierre-Jacques Roul­liot, dit « Hégé­sippe Moreau », écri­vain, poète et jour­na­liste fran­çais. Cor­rec­teur et typographe.

Eugène Orrit (1817-1843)

Poète roman­tique, cor­rec­teur typo­graphe. Mort de la tuber­cu­lose à 26 ans.

Buste d'André Lemoyne
Buste d’An­dré Lemoyne.

André Lemoyne (1822-1907)

Poète et roman­cier fran­çais. « Avo­cat au bar­reau de Paris en 1847, il fut suc­ces­si­ve­ment typo­graphe, cor­rec­teur, puis chef de publi­ci­té chez Didot de 1848 à 1877, date à laquelle il fut nom­mé biblio­thé­caire de l’É­cole des arts déco­ra­tifs » (Wiki­pé­dia).
☞ Voir André Lemoyne, un cor­rec­teur sta­tu­fié.

Anecdotes glanées ici ou là

Auteurs célèbres, eux n’ont pas exer­cé le métier de cor­rec­teur, et c’é­tait sans doute préférable.

Molière (1622-1673)

Jean-Bap­tiste Poque­lin, dit Molière, comé­dien et dra­ma­turge fran­çais. « […] cri­blées de fautes d’impression, au point qu’on a pro­cla­mé Molière le plus négligent cor­rec­teur d’épreuves de notre lit­té­ra­ture. Il avait cou­tume de dire, du reste, qu’il ne faut juger d’une pièce “qu’aux chan­delles” c’est-à-dire à la scène, et non sur sa lec­ture. Nul n’est moins “homme de lettres” que lui » (Alphonse de Par­vil­lez, M. Mon­ca­rey, M. L. Durand, Lit­té­ra­ture fran­çaise, vol. 1-4, 1952, p. 274).

Vale­ry Lar­baud (1881-1957)

Écri­vain, poète, roman­cier, essayiste et tra­duc­teur fran­çais. « Je suis un très mau­vais cor­rec­teur d’épreuves : je manque de patience, les pre­mières fautes que j’aperçois m’irritent, me décou­ragent, font que j’accomplis cette besogne fas­ti­dieuse avec moins d’attention que si je voyais qu’on a fait quelque effort pour impri­mer cor­rec­te­ment mon texte, et comme, en géné­ral, je le sais par cœur, il m’ar­rive de pas­ser dix fois près d’une coquille, — ô pages ! ô plages — sans la remar­quer : ma pen­sée a cor­ri­gé spon­ta­né­ment l’er­reur, m’a fait voir ce qui n’é­tait pas sur l’é­preuve » (« Lettre aux impri­meurs », Sous l’in­vo­ca­tion de saint Jérome, « Tel », Gal­li­mard, 1946, 1997, p. 297).

Je trai­te­rai sépa­ré­ment les cor­rec­teurs ayant écrit sur le métier ou rédi­gé un ouvrage de référence.

Article mis à jour le 20 sep­tembre 2023.

Étienne, dans “L’Épaisseur d’un cheveu”, de Claire Berest

J’avais repé­ré, par­mi les nou­veau­tés de la ren­trée lit­té­raire, le roman de Claire Berest, L’Épaisseur d’un che­veu (Albin Michel). D’un des deux pro­ta­go­nistes, Ouest-France écri­vait : « Étienne […], cor­rec­teur dans l’édition, obses­sion­nel, épris de Ver­laine, dis­si­mule ses pen­chants para­noïaques sous une rigueur socia­le­ment accep­table1. » Il est en fait « le seul et véri­table per­son­nage du livre », pré­ci­sait L’Éclaireur Fnac2.

Une consœur a lu ce roman et m’a gen­ti­ment trans­mis les pages où est évo­qué le métier (mer­ci Catherine !).

C’est après une pre­mière expé­rience en fac de lettres, alors qu’un ami lui a confié son manus­crit, cor­ri­gé « comme dans un corps-à-corps avec un ani­mal furieux et non domes­ti­qué », qu’Étienne a choi­si ce métier. 

Employé aux édi­tions de l’Instant fou, il se voit en « Homme réduit à un seul labeur : il en avait tant cor­ri­gé de manus­crits. Textes cochon­nés, truf­fés d’écueils, de pla­ti­tudes, par­se­més d’erreurs et de mal­adresses, il avait tant redres­sé, net­toyé, déman­te­lé, purifié. » 

Frus­tré de n’être que cor­rec­teur, et non édi­teur, il a per­du ses illu­sions de jeu­nesse d’intervenir dans le « des­tin de la lit­té­ra­ture fran­çaise » et regrette l’« imper­son­na­li­té pro­gres­sive impo­sée à sa fonc­tion » « Les cor­rec­teurs […] ne sont jamais nom­més dans les livres aux­quels ils ont contri­bué », de même que le sculp­teur fran­çais Daniel Druet qui ten­ta, dans un pro­cès, de se faire recon­naître cocréa­teur de cer­taines œuvres de l’artiste ita­lien Mau­ri­zio Cat­te­lan, pro­cès évo­qué dans le roman3.

La rigueur obses­sion­nelle d’É­tienne ne l’at­teint pas que dans le tra­vail : « […] il pre­nait du temps sur ses loi­sirs pour signa­ler les erreurs sys­té­ma­tiques qu’il rele­vait dans les revues ou à la radio, il fal­lait bien que quelqu’un s’en charge » (on pense à Fan­ti­no, le cor­rec­teur mis en scène par Mar­co Lodo­li, voir l’ex­trait que j’ai publié). Sa com­pagne lui reproche aus­si de clas­ser leur biblio­thèque par ordre alpha­bé­tique des titres d’ouvrages.

Mal­gré sa « sus­cep­ti­bi­li­té légen­daire », les édi­teurs recon­naissent qu’il abat « un tra­vail colos­sal » : « Il cor­ri­geait entre qua­rante et soixante manus­crits par an, sans comp­ter quelques dizaines de textes de pré­sen­ta­tion ou com­mu­ni­qués de presse […] ». Le rythme de tra­vail est évo­qué aus­si à un autre endroit : « […] il avait ce matin cor­ri­gé près de trente-cinq pages du manus­crit en cours, ce qui était un bon ren­de­ment car il était à la peine […] ».

Comme le Pro­fes­sore ima­gi­né par George Stei­ner (voir ma sélec­tion « Le cor­rec­teur, per­son­nage lit­té­raire »), Étienne est d’une effi­ca­ci­té redoutable : 

« Il ne lou­pait aucune coquille ni aucune faute d’orthographe. Il tra­quait en limier les répé­ti­tions, les inco­hé­rences, redon­dances, et toute rup­ture de rythme ou de registre non jus­ti­fiée. Chaque contexte his­to­rique, poli­tique, géo­gra­phique, chaque anec­dote réelle uti­li­sée dans un manus­crit était pas­sée au tamis de ses talents de cher­cheur maniaque et exhaus­tif. Il allait véri­fier si la men­tion des attri­buts d’une obs­cure espèce de planc­ton dans un roman était cor­recte ; et si l’au­teur par­lait du soleil qui régnait sur Paris le 17 avril 1684, il était capable de lui signi­fier qu’il en était déso­lé mais qu’il pleu­vait ce jour-là. Il était une machine4. »

Il est pour­tant trai­té avec peu d’égards : « Aux édi­tions de l’Instant fou, il par­ta­geait un coin de table chè­re­ment convoi­té, en alter­nance avec trois autres col­lègues dans un espace ouvert à tous les vents, qui ne lui offrait aucune intimité […] ».

Jusqu’ici, rien de très nou­veau dans la des­crip­tion lit­té­raire du métier. 

Plus ori­gi­nale est l’évocation du sta­tut social actuel du cor­rec­teur. Étienne est, en effet, « un des der­niers sala­riés d’une mai­son dans son sec­teur d’activité ». Un sta­tut « deve­nu une arlé­sienne dans le milieu, cela ne se pra­ti­quait plus ».

« Le reste des troupes était à son compte, les impé­ra­tifs bud­gé­taires de l’é­di­tion avaient guillo­ti­né les têtes des cor­rec­teurs, tous deve­nus autoen­tre­pre­neurs. Et depuis 2016 : micro-entre­pre­neurs ! Des êtres aux micro-aspi­ra­tions, avec de micro-bras et micro-cœurs, avaient tran­ché d’in­vi­sibles scribes de la loi Pinel5 […] Lui était fier d’être res­té sala­rié, d’a­voir résis­té. […] Depuis que les édi­tions de l’IF avaient été ache­tées par un grand groupe, les rumeurs malignes de nou­veaux amé­na­ge­ments suin­taient sans arrêt des cou­loirs. Mais il appar­te­nait à l’an­cienne école, […], celle qu’on ne débou­lonne pas avec faci­li­té. Il avait son bout de bureau et son salaire men­suel, il les garderait. »

Pro­blème pour Katia Roll­man, l’éditrice : « […] tu ne cor­riges pas les textes, tu les réécris entiè­re­ment. » Pour Étienne, c’est au nom de son « éthique pro­fes­sion­nelle » qu’il réécrit ces « navets illi­sibles sans inté­rêt ». Mais :

« […] s’il avait réel­le­ment réécrit le texte [il] n’au­rait rien gar­dé […]. Il aurait pris les quatre cent trente-deux pages de cet auteur fat nar­cis­sique insi­pide et sur­co­té et il aurait jeté ça dans la cuvette […] il n’a­vait insé­ré que cent cin­quante-sept post-it indis­pen­sables, il était res­té à sa place, il s’en était tenu à la réso­lu­tion de pro­blèmes mani­festes de syn­taxe – du niveau d’un enfant qui entre en CE1 – et avait ten­té de remé­dier LÉGÈREMENT à l’in­di­gence du vocabulaire. »

Claire Berest évoque alors l’arrivée de l’intelligence arti­fi­cielle dans le métier de l’édition :

« Sou­hai­te­raient-ils un appa­reil de cor­rec­tion auto­ma­tique pour le rem­pla­cer, une connec­tique sans états d’âme ni goût de l’ex­cel­lence ? Ils pour­raient tout aus­si bien créer une machine qui scan­ne­rait les textes comme des codes-barres, l’al­go­rithme lis­se­rait le bazar pour le trans­for­mer en un insi­pide brouet de mots creux. »

Sont même men­tion­nées les craintes sus­ci­tées par le modèle de lan­gage ChatGPT. « Comme s’il fal­lait craindre qu’une machine puisse être Kaf­ka ou Céline ! Insensé ! »

Le che­mi­ne­ment inté­rieur qui condui­ra Étienne au crime n’est pas sans rap­pe­ler celui d’É­mile Virieu, le cor­rec­teur de La Cage de verre (1971) de Georges Sime­non (voir « Le cor­rec­teur, per­son­nage lit­té­raire »).

Claire Berest, L’Épaisseur d’un che­veu, Albin Michel, 240 pages.


“Jean Gutemberg”, un cas de francisation d’un nom propre

Johannes Gutenberg
Johannes Guten­berg.

La gra­phie Jean Gutem­berg est une fran­ci­sa­tion de Johannes Guten­berg — comme Die­go Vélas­quez est celle de Die­go Veláz­quez. On la trouve encore sur cer­tains sites.

Rap­pe­lons que le vrai nom de l’in­ven­teur, en Europe, de l’im­pri­me­rie à carac­tères mobiles est Johannes Gens­fleisch zur Laden zum Guten­berg, « nom d’emprunt tiré de la mai­son que pos­sé­daient ses parents à Mayence et qui por­tait l’en­seigne Zum guten Berg (“à la bonne mon­tagne”) » (note de Wiki­pé­dia). 

Cette fran­ci­sa­tion suit la règle clas­sique énon­cée dans une note de Wiki­pé­dia :

« L’u­sage fran­çais veut que, devant les lettres m, b et p, à l’ex­cep­tion de quelques mots comme bon­bon, bon­bonne et embon­point, on emploie le m au lieu du n. »

Pour ten­ter de dater le chan­ge­ment de gra­phie en France, il fau­drait feuille­ter de vieux dic­tion­naires de noms propres. Dans mon Robert 2 de 1997, on trouve bien « Johannes Gens­fleisch, dit Gutenberg ».

Le res­pect de la gra­phie ori­gi­nelle des noms étran­gers fait débat sur Wiki­pé­dia1, au Sénat2 et chez les tra­duc­teurs3. Bru­no Dewaele, cham­pion d’or­tho­graphe, appelle à une uni­for­mi­sa­tion de nos dic­tion­naires4.

Dans son Dic­tion­naire d’or­tho­graphe et d’ex­pres­sion écrite, André Jouette (☞ voir mon article) pré­cise :

« Il règne une cer­taine inco­hé­rence dans notre adop­tion de noms propres étran­gers. […] Ne cher­chons pas de règle logique : selon les époques, l’u­sage s’est impo­sé. »

Gutenberg/Gutemberg, c’est un peu le même pro­blème que Beijing/Pékin5, Mumbai/Bombay6 ou Kolkata/Calcutta7.

Une inco­hé­rence qui a ame­né les pou­voirs publics à publier l’ar­rê­té du 4 novembre 1993 rela­tif à la ter­mi­no­lo­gie des noms d’É­tats et de capi­tales (Wiki­pé­dia), dont les pre­miers prin­cipes sont :

  1. La forme recom­man­dée pour la dési­gna­tion des pays et des capi­tales est la forme fran­çaise (exo­nyme) exis­tant du fait de tra­di­tions cultu­relles ou his­to­riques fran­co­phones établies.
  2. En l’ab­sence d’exo­nyme fran­çais attes­té, on emploie­ra la forme locale actuel­le­ment en usage. Pour les pays qui n’u­ti­lisent pas l’al­pha­bet latin, la gra­phie recom­man­dée est celle qui résulte d’une trans­lit­té­ra­tion ou d’une trans­crip­tion en carac­tères latins, conforme à la pho­né­tique française.
  3. Les noms de pays et de villes étant des noms propres, il est recom­man­dé de res­pec­ter la gra­phie locale en usage, trans­lit­té­rée ou non. On ne por­te­ra cepen­dant pas les signes dia­cri­tiques par­ti­cu­liers s’ils n’existent pas dans l’é­cri­ture du français.

☞ Voir aus­si Faut-il repro­duire les dia­cri­tiques étrangers ?

La ten­dance étant au res­pect des cultures étran­gères, Johannes Guten­berg ne devrait plus être fran­ci­sé. Et Miguel Cer­van­tès8, com­bien de temps encore gar­de­ra-il son accent grave en français ?


“Coquilles” de Léon-Paul Fargue, 1944

Léon-Paul Fargue dans son lit, par Gisèle Freund, en 1938.

« Un édi­teur digne de ce nom fait lire les épreuves, avant de les envoyer à l’auteur, dont après tout ce n’est pas le métier, par le cor­rec­teur de l’imprimerie, d’abord, et les fait lire par son cor­rec­teur par­ti­cu­lier1, ensuite, quand il ne les revoit pas lui‑même. Mais le cor­rec­teur, pour cause de défor­ma­tion pro­fes­sion­nelle, ne regarde qu’à la typo­gra­phie, tan­dis que vous ne regar­dez qu’au sens. Le cor­rec­teur sait tou­jours, par exemple, que Cle­men­ceau ne prend pas d’accent aigu sur l’e, mais il vous lais­se­ra pas­ser, sans sour­ciller, l’anachronisme le plus hon­teux, la cata­chrèse la plus vicieuse et le pata­quès le plus granuleux.

« Par­fois aus­si, et c’est là le plus dan­ge­reux, le cor­rec­teur se mêle de vous cor­ri­ger. Ce fut ce qui arri­va à La Fon­taine qui avait écrit : que la sage Minerve sor­tit tout armée de la cuisse de Jupi­ter. Le typo­graphe flai­ra l’erreur, et fit sor­tir la déesse de la cui­sine. Il y a aus­si la pêche au cacha­lot deve­nue la pêche au cho­co­lat, Albé­ric II pour Albé­ric Second, la pom­made contre la chute des che­vaux, et autres gentillesses…

« Je n’ai jamais don­né le bon à tirer d’un de mes livres sans trem­bler. Mais je n’en ai pas un sur deux qui soit exempt de sco­ries. Il arrive que l’on m’apporte quelque pla­quette à signer. Croyez‑vous que cela me fasse tou­jours plai­sir ? Je n’en pro­fite pas pour évo­quer les beaux jours de ma jeu­nesse. Je me sai­sis rageu­se­ment d’une plume et je com­mence par cor­ri­ger, pages 6, 8 ou 53, j’y vais natu­rel­le­ment “les yeux fer­més”, les insup­por­tables coquilles dont je devrais avoir la sagesse de me dire que je suis seul, sans doute, ou à peu près seul à les connaître, pour en souf­frir naïvement.

« Je pro­fite donc de l’occasion pour réta­blir, dans un de mes der­niers livres, Refuges, une phrase dont le cor­ri­gé n’avait pas été repor­té par moi sur les der­nières épreuves et qui m’empêche de dor­mir. Il faut lire, à la page 53, ligne 23 (si vous lisez…) : “Les formes d’une nuit qu’ils pour­raient se flat­ter d’avoir per­cée à jour” (etc.).

« Mais ne croyez‑vous pas que la matière de l’imprimerie fait des blagues et qu’il y a, comme dans Samuel But­ler, une révolte des machines ? Moi, je pres­sens des mee­tings : les carac­tères qui ne sont pas “de bonne com­po­si­tion” sortent de leurs com­pos­teurs, se groupent par affi­ni­tés et com­mencent à par­lo­ter : “Et toi ? On t’a cor­ri­gé ? Et tu as cédé ? grand lâche ! Moi, je saute !” Et il y a aus­si les loustics‑fantômes qui changent les marbres de place, comme les étu­diants far­ceurs du temps de Guy de la Faran­dole2 chan­geaient de porte les chaus­sures dans les hôtels.

« Mais il y a peut‑être aus­si une “reine” des carac­tères, comme il y a une reine des abeilles, des four­mis ou des termites… »

Extrait de Léon-Paul Fargue [1876-1947], « Coquilles », dans Lan­terne magique, Robert Laf­font, 1944 ; Seghers, 1982, p. 9-13.


Encyclopédies en ligne (pour changer de Wikipédia)

Quelques thèmes en page d’ac­cueil de l’Ency­clo­pé­die Larousse.

Le suc­cès de Wiki­pé­dia fait oublier les autres ency­clo­pé­dies en ligne. Pour­tant, elles n’ont rien per­du de leur intérêt. 

Per­son­nel­le­ment, dans mon tra­vail, j’utilise l’Ency­clo­pé­die Larousse, qui est gratuite.

Je suis aus­si abon­né à Uni­ver­sa­lis, une marque que les géné­ra­tions pré­cé­dentes n’ont sans doute pas oubliée :

« Ency­clopæ­dia Uni­ver­sa­lis déve­loppe et main­tient une poli­tique édi­to­riale très exi­geante, ce qui lui confère le sta­tut d’encyclopédie de réfé­rence. Depuis sa créa­tion, 8 000 auteurs spé­cia­listes de renom­mée inter­na­tio­nale, par­mi les­quels de très nom­breux uni­ver­si­taires tous choi­sis pour leur exper­tise, sont venus enri­chir et garan­tir la qua­li­té du fonds édi­to­rial de l’entreprise. »

J’en pro­fite pour men­tion­ner deux belles chro­no­lo­gies : la chro­no­lo­gie géné­rale de l’Inrap et celle des cou­rants pic­tu­raux par Histoiredelart.net.

Il existe d’autres ency­clo­pé­dies en ligne, en anglais, dont la célèbre Bri­tan­ni­ca, ou trai­tant d’un thème par­ti­cu­lier. Une sélec­tion est don­née sur le site HT Pra­tique.

Des ouvrages de réfé­rence plus anciens, numé­ri­sés, sont lis­tés sur Lexi­lo­gos.

L’Atelier du livre d’art de l’Imprimerie nationale

Ouverture de la série d'été de "La Voix du Nord" consacrée à l'Atelier du livre d'art et de l'estampe, à Flers-en-Escrebieux (Nord). Photo Ludovic Maillard.
Ouver­ture de la série d’é­té de La Voix du Nord consa­crée à l’A­te­lier du livre d’art et de l’es­tampe, à Flers-en-Escre­bieux (Nord). Pho­to Ludo­vic Maillard.

Cet été, le quo­ti­dien La Voix du Nord a réa­li­sé un repor­tage à l’Ate­lier du livre d’art et de l’estampe de l’Imprimerie natio­nale, à Flers-en-Escre­bieux (Nord), « à la décou­verte d’amoureux de la lettre qui per­pé­tuent les tech­niques ances­trales du livre impri­mé ». Excel­lente ini­tia­tive ! C’est une série en quatre volets (je donne la date de mise en ligne, mais les articles ont paru dans le jour­nal impri­mé du dimanche) :

Présentation du site

22 juillet — « Un joyau du patri­moine historique. »

https://www.lavoixdunord.fr/1355015/article/2023-07-22/l-atelier-du-livre-d-art-et-de-l-estampe-flers-en-escrebieux-un-patrimoine

« C’est ici, en 2014, qu’un patri­moine remar­quable de l’Imprimerie natio­nale (IN Groupe) a été démé­na­gé de la rue de la Conven­tion, à Paris, où se situait l’ancien siège. 

« L’Imprimerie natio­nale, ce n’est pas seule­ment la fabri­ca­tion des titres d’identité et pas­se­ports sécu­ri­sés (un autre site indus­triel situé à Flers depuis 1974), c’est aus­si ce musée vivant, ouvert ponc­tuel­le­ment aux visiteurs […].

« Ici, ce sont dix col­la­bo­ra­teurs, amou­reux de la lettre, gar­diens d’un savoir-faire unique et pas­sés maître en la matière, qui y tra­vaillent quotidiennement.

« […] deux ouvrages [des livres d’ar­tistes] sont réa­li­sés par an en une cin­quan­taine d’exemplaires numérotés. »

Le cabinet de poinçons

29 juillet — « Des pièces pres­ti­gieuses clas­sées monu­ments historiques. »

https://www.lavoixdunord.fr/1357304/article/2023-07-29/le-cabinet-des-poincons-le-tresor-de-l-atelier-du-livre-d-art-flers-en

« Sept carac­tères latins ain­si que des carac­tères orien­taux, repré­sen­tant plus de 65 langues au monde, sont exclu­sifs à l’Imprimerie nationale. »

Le fondeur de caractères

5 août — Phi­lippe Mérille, maître d’art.

https://www.lavoixdunord.fr/1359232/article/2023-08-05/un-des-uniques-fondeurs-de-caracteres-est-l-atelier-du-livre-d-art-flers

« Il est aujourd’hui l’un des der­niers en Europe à maî­tri­ser ce savoir. Le site de Flers est d’ailleurs l’une des der­nières fon­de­ries de carac­tères à fonctionner. »

Le compositeur-typographe

12 août — Fré­dé­ric Lepetz.

https://www.lavoixdunord.fr/1361466/article/2023-08-12/le-compositeur-typographe-musicien-de-la-lettre-l-atelier-du-livre-flers

Où est abor­dé suc­cinc­te­ment la correction.

Je reprends le texte du site offi­ciel, plus précis :

« Le tra­vail de cor­rec­tion consiste dans la pré­pa­ra­tion ortho­gra­phique des manus­crits, la lec­ture en pre­mière épreuve, en mise en pages, en bon à tirer, révi­sion de bon à tirer après impo­si­tion et tierce avant le tirage, avec une atten­tion por­tée sur l’é­tat du carac­tère en plomb.

Didier Barrière, correcteur à l'Imprimerie nationale
Didier Bar­rière, correcteur.

« C’est dans ces der­nières étapes que le contrôle du pla­ce­ment des textes et des cli­chés dans la page, la véri­fi­ca­tion des ali­gne­ments et des marges, du sui­vi des folios, du repé­rage rec­to-ver­so prennent autant d’im­por­tance que la lec­ture pro­pre­ment dite.

« L’atelier du Livre d’art et de l’Estampe est l’une des der­nières impri­me­ries en France à dis­po­ser d’un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel de haut niveau, Didier Bar­rière, qui exerce en tant que tel depuis plus de trente ans. »

Né en 1956, Didier Bar­rière « est à la fois cor­rec­teur d’imprimerie et res­pon­sable d’une petite biblio­thèque his­to­rique à Paris. Son inté­rêt pour le livre en tant qu’objet total, notam­ment pour les curio­si­tés lit­té­raires et typo­gra­phiques, l’a pous­sé à exhu­mer des textes inso­lites qui ont fait l’objet de publi­ca­tion dans des ouvrages », notam­ment dans Un cor­rec­teur fou à l’Imprimerie royale : Nico­las Cirier (éd. des Cendres, 1987), que je cite dans La biblio­thèque du cor­rec­teur. Il a aus­si évo­qué, avec le pho­to­graphe Oli­vier Doual, la mémoire du site pari­sien de l’Im­pri­me­rie natio­nale dans Sou­ve­nirs brouillés d’un palais typo­gra­phique (éd. des Cendres, 2010). Lire son por­trait sur le site des Édi­tions de l’Arbre ven­geur, dont j’ai tiré l’ex­trait précédent. 

Enfin, la bibliothèque historique

19 août — https://www.lavoixdunord.fr/1363454/article/2023-08-19/l-incroyable-bibliotheque-historique-de-l-atelier-du-livre-d-art-flers-en

« En plus du cabi­net des poin­çons […], l’Imprimerie natio­nale pos­sède une biblio­thèque his­to­rique, riche d’environ 35 000 volumes du xvie siècle à nos jours dont cer­tains sont consul­tables sur place. »

« Éric Nunes, biblio­thé­caire et cor­rec­teur typo­graphe, passe ses jour­nées au milieu de livres excep­tion­nels. Il a aus­si en charge la numé­ri­sa­tion de la bilio­thèque et des plus belles pièces. Comme L’Imitation du Christ, le pre­mier ouvrage impri­mé sur les presses de l’Imprimerie royale, fon­dée en 1640 par Riche­lieu, deve­nue par la suite Impri­me­rie nationale. »

Les recherches per­son­nelles d’É­ric Nunes sur l’histoire de l’imprimerie sont dis­po­nibles sur son site, Car­net du lab.

Un nou­vel ate­lier-musée, de 5 700 m2, devrait ouvrir à Douai en 2026.

Pour plus de détails sur l’A­te­lier du livre et de l’es­tampe, consul­tez le site offi­ciel.

☞ Voir aus­si Vincent Auger, un des der­niers typo­graphes fran­çais.

Pourquoi le correcteur est-il un “déclassé” ? (1884)

Le terme est sou­vent acco­lé au cor­rec­teur dans les textes de la fin du xixe siècle et au début du sui­vant1. Il me semble, à ce stade de mes recherches, que c’est Eugène Bout­my qui l’a lan­cé en 1866 (voir De savou­reux por­traits de cor­rec­teurs). Mais pour­quoi, au juste, dire que le cor­rec­teur est un déclas­sé ? J’ai eu l’heu­reuse sur­prise de trou­ver une expli­ca­tion détaillée, argu­men­tée, dans une série d’ar­ticles, en sept par­ties, « La cor­rec­tion typo­gra­phique », publiée par la revue La Typo­lo­gie-Tucker2 en 1884. Il n’est pas signé en tête ni en fin de colonne, mais une note à la pre­mière par­tie nous apprend qu’il a été « com­mu­ni­qué par M. F. Mariage, cor­rec­teur atta­ché à la librai­rie Hachette et Cie, de Londres, suc­cur­sale de la grande mai­son de Paris ». Les extraits ci-des­sous — que j’ai légè­re­ment réor­ga­ni­sés, pour plus de lisi­bi­li­té — pro­viennent des pre­mière et troi­sième par­ties (nos 166 et 168, 15 avril et 15 juin 1884).

“Des manœuvres de la littérature”

On n’ap­prend pas à être cor­rec­teur, mais on le devient par la force des choses. En géné­ral, le cor­rec­teur est un déclas­sé qui a fait de bonnes études et le plus sou­vent a échoué dans le jour­na­lisme ou la lit­té­ra­ture3.

Après avoir ten­té d’é­crire, il en est réduit à cor­ri­ger et à polir les œuvres d’é­cri­vains qui, plus capables ou seule­ment plus heu­reux que lui, ont eu la chance de trou­ver un éditeur.

[…] Nous n’a­vons pas actuel­le­ment le rang qui nous est acquis par l’ins­truc­tion et le talent : nous sommes des déclas­sés, puisque nous n’a­vons pas d’autre mot pour expri­mer que nous ne sommes pas consi­dé­rés comme appar­te­nant à cette classe de gens de lettres ou de science dont nous sommes les plus utiles auxi­liaires, nous que l’on consi­dère comme les manœuvres de la littérature !

[…] De l’homme de science, de l’é­ru­dit modeste on a fait un ouvrier sur l’ha­bi­le­té duquel on compte… tout en évi­tant de lui accor­der le salaire auquel son ins­truc­tion, son talent et son tra­vail lui donnent droit. Oui, nous le crions hau­te­ment : le cor­rec­teur est déclas­sé, déchu

Celui qui devient cor­rec­teur — comme nous le deve­nons tous : par la force des évé­ne­ments — celui-là est un déclas­sé, un dévoyé — si vous pré­fé­rez ce mot — qu’on n’a pas su com­prendre et qui, dans l’ombre, fera la répu­ta­tion de gens qui sou­vent auront moins que lui de génie, d’é­ru­di­tion et d’intelligence.

“Moitié chien, moitié loup”

Il est déclas­sé parce qu’il quitte une posi­tion sociale clas­sée pour entrer dans notre cor­po­ra­tion inqua­li­fiée, puisque le cor­rec­teur tient aujourd’­hui le milieu entre l’ou­vrier et l’é­cri­vain : moi­tié chien, moi­tié loup ; et c’est d’au­tant plus absurde que la plu­part des cor­rec­teurs n’ont qu’une connais­sance théo­rique de l’art typo­gra­phique, et que ceux qui, comme nous, ont jadis levé la lettre ont per­du la dex­té­ri­té de main que la pra­tique donne, et seraient par consé­quent, pour la plu­part, inca­pables de se remettre à la casse, où ils ne pour­raient plus gagner leur vie.

Il est dévoyé parce qu’il est sor­ti de la voie où l’é­du­ca­tion ou la nais­sance, ou bien la for­tune l’a­vaient pla­cé pour accep­ter cette situa­tion vague de cor­rec­teur, qui ne lui pro­met aucune amé­lio­ra­tion de son sort.

Nous ne sommes plus au temps où Fran­çois Ier atten­dait patiem­ment pour lui par­ler que Robert Estienne eût ter­mi­né la lec­ture d’une épreuve.

De nos jours, appren­tis et com­po­si­teurs viennent nous inter­rompre à chaque moment pour une cause ou pour l’autre…, ne com­pre­nant pas que nous osions quel­que­fois nous en formaliser.

Ce n’est plus main­te­nant qu’un impri­meur écri­rait, comme Jean Lam­bert dans le Livre de l’I­mi­ta­tion, trans­la­té4 de latin en fran­çois (Paris, 1493, in-4o) :

« Laquelle trans­la­cion a esté dili­gem­ment cor­ri­gée sus l’o­ri­gi­nal. Pour­quoy vous qui en icel­luy livre lyrés vueillés prier nostre Sei­gneur pour le salut du cor­rec­teur5. »

Actuel­le­ment, on paye un cor­rec­teur à l’heure ou à la jour­née comme un ouvrier, et on le ren­voie aus­si faci­le­ment sans tenir compte de la dose d’in­tel­li­gence qu’il a dépen­sée pour l’hon­neur de l’im­pri­me­rie qui l’oc­cupe, et on ne lui en sait aucun gré, car il a reçu le salaire de son travail.

S’il est trop vieux, on s’en débar­rasse comme d’une machine inutile… sans s’in­quié­ter de ce qu’il devien­dra ensuite.

Quelles éco­no­mies pour­raient-ils réa­li­ser sur un salaire à peine suf­fi­sant pour empê­cher leur famille, quel­que­fois nom­breuse, de mou­rir de faim ?

F. Mariage demande aux impri­meurs « s’ils ne trou­ve­raient pas plus avan­ta­geux d’al­louer à leurs cor­rec­teurs des appoin­te­ments fixes […] leur per­met­tant de vivre dans une hono­rable médio­cri­té ».

Éloge des “déclassés” par l’un d’entre eux

La force de son texte excite la plume d’« un déclas­sé » (il signe ain­si), qui exprime ses « légers dis­sen­ti­ments » dans une lettre du 20 mai (publiée en juin) :

[…] Mal­gré ce titre de « déclas­sés » qui froisse un peu notre amour-propre, nous avouons, en toute fran­chise, qu’il ne nous déplaît pas trop d’ap­par­te­nir à cette minus­cule cor­po­ra­tion, pour ain­si dire noyée dans la grande famille typographique. 

Par “inexpérience de la vie” ou “mille vicissitudes”

[…] Sont-ils véri­ta­ble­ment des déclas­sés ces pro­fes­seurs qui, refu­sant de cour­ber la tête sous le des­po­tisme de l’empire, ont bri­sé une car­rière où de brillantes espé­rances les atten­daient et sont venus deman­der un amer mor­ceau de pain à la typo­gra­phie pour res­ter fidèles à leurs convic­tions poli­tiques ? Était-il un déclas­sé ce ban­quier, si connu de la typo­gra­phie pari­sienne, lorsque, dans un élan sublime de patrio­tisme, il vidait entiè­re­ment sa caisse, équi­pait un bataillon de mobiles et mar­chait har­di­ment à leur tête pour chas­ser l’en­ne­mi dont la botte san­glante fou­lait depuis trop long­temps le sol de la patrie ? Mérite-t-il le nom de déclas­sé cet homme qui, après s’être quelque temps ber­cé de la douce illu­sion de se faire un nom dans le jour­na­lisme ou la lit­té­ra­ture, est venu cou­ra­geu­se­ment prendre rang dans la classe des tra­vailleurs d’où peut-être il n’au­rait jamais dû sor­tir ? Mérite-t-il le nom de déclas­sé ce com­mer­çant que les rigueurs d’une for­tune incons­tante et aveugle ont jeté sur la place de Paris dénué de toute res­source, mais libre de tout enga­ge­ment envers ses créan­ciers ? Serait-ce parce que ces hommes, ayant appar­te­nu à des pro­fes­sions diverses, ont deman­dé à un tra­vail déjà pénible en lui-même le pain que leur a fait perdre ou l’i­nex­pé­rience de la vie ou les mille vicis­si­tudes au sein des­quelles se débat notre socié­té moderne, qu’il faut tout exprès créer, pour les dési­gner, un mot que l’A­ca­dé­mie a rayé de son Dic­tion­naire6 ? Nous ne le pen­sons pas : la fidé­li­té aux convic­tions et l’hon­nê­te­té dans le mal­heur, loin de rabais­ser l’homme au rang de déclas­sé, nous ont tou­jours paru être la vraie carac­té­ris­tique de l’homme de cœur, de l’âme bien née et bien trem­pée. Nous sommes nous-même convain­cu que ce mot de déclas­sé a glis­sé sous la plume de M. Mariage, comme il glisse trop sou­vent sous la plume d’é­cri­vains qui ne connaissent pas ou connaissent mal notre cor­po­ra­tion ; nous n’au­rions donc pas rele­vé cette légère pec­ca­dille si ce qua­li­fi­ca­tif ne nous avait paru bles­ser pro­fon­dé­ment la loi de la jus­tice et accré­di­ter une fausse idée qui, par plus d’un côté, res­semble à un préjugé. 

“À vous, ô Correcteurs, de vous faire reclasser”

F. Mariage réagit à son tour dans son article sui­vant (no 169, 15 juillet 1884), reve­nant sur son rêve — déjà expri­mé dans son troi­sième article — « d’unir tous les cor­rec­teurs de France en une sorte de socié­té scien­ti­fique qu’on appel­le­rait, par exemple, Aca­dé­mie Typo­gra­phique (ou des Cor­rec­teurs) ». J’au­rai l’oc­ca­sion d’en reparler.

[…] on vou­drait que nous rétrac­tas­sions le mot de déclas­sé ! — Ah ! bien, non, par exemple, car ce n’est pas nous qui le pro­non­çons, mais bien l’his­toire impla­cable qui nous le jette à la face !

À vous, ô Cor­rec­teurs, de vous grou­per et de vous faire reclas­ser ; c’est bien facile, il me semble : un seul effort de volon­té suffit.

Que MM. Dam­buyant et Bout­my7 reçoivent vos adhé­sions, et ils auront vite for­mé le noyau de cette Aca­dé­mie Typo­gra­phique qui doit, à notre humble avis, nous rame­ner au bon temps des Érasme, des Las­ca­ris, des Lipse et autres cor­rec­teurs qui se fai­saient un titre de gloire de leur profession.

Car nous serons un corps savant ayant auto­ri­té pour impo­ser nos justes aspi­ra­tions, et alors nous élè­ve­rons le niveau de l’art typo­gra­phique en France par nos tra­vaux hono­ra­ble­ment rétri­bués et d’au­tant plus soi­gneu­se­ment exé­cu­tés que nous aurons le cœur plus joyeux et l’âme plus tran­quille, puisque notre situa­tion pré­sente sera amé­lio­rée et que nous serons cer­tains de l’avenir.

Seul, un cor­rec­teur ne peut rien, mais que l’A­ca­dé­mie compte seule­ment cent membres, et nous prou­ve­rons, à l’a­van­tage des impri­me­ries et des impri­meurs, comme au nôtre, que l’u­nion fait la force.