Tout correcteur expérimenté a sans doute en réserve le récit d’un jour où il s’est montré trop hardi, trop sûr de lui, ce qui lui a valu de commettre une erreur… qu’on n’a pas manqué de lui faire remarquer, vu qu’il a pour fonction de corriger les erreurs des autres. En voici une, racontée du point de vue de l’auteur.
« Les articles que j’ai écrits sur lui et sur son œuvre [Paul Corteville, qui a créé une école de dressage de chiens guides d’aveugles], grâce au tirage important du journal (quatre millions de lecteurs), l’ont rendu célèbre du jour au lendemain : il est passé plusieurs fois sur le petit écran ; il a reçu des distinctions honorifiques ; les partis politiques ont sollicité son adhésion et dans les rues de sa petite ville du Nord : Wasquehal, il est désormais : “l’homme-des-chiens-qui-passe-dans-le-journal”.
« Tout cela n’a modifié en rien son comportement. Je suis bien placé pour dire que c’est tout à fait exceptionnel. « Exceptionnel comme le titre de mon premier “papier”, comme l’on dit dans le métier. « C’était le suivant : “Cet homme fait cent vingt mille kilomètres à pied en vingt ans pour dresser des chiens d’aveugles.”
« Cent vingt mille kilomètres, trois fois le tour de la terre ! Cela a semblé absurde au correcteur du journal lui-même qui a rectifié d’office et ramené le chiffre à douze mille kilomètres, ce qui était beaucoup plus vraisemblable.
« Par chance, ce soir-là, je passais au “marbre” et faisais rétablir le chiffre initial : le calcul était exact, je l’avais refait plusieurs fois pour bien m’en convaincre.
« Pour dresser un chien, il faut marcher cinq heures et parcourir vingt à vingt[-]cinq kilomètres chaque jour, pendant trois ou quatre mois. Cela fait deux mille kilomètres par chien. M. Corteville en a dressé 60. Il suffit de faire la multiplication : les cent vingt mille kilomètres sont là.
« Le plus extraordinaire est que M. Corteville lui-même en fut surpris, encore qu’il n’y attachât pas une telle importance : “À la longue, dit[-]il, ça finit par faire beaucoup.” »
Albert Plécy, Les Chiens du bon monsieur Corteville, La Table ronde, 1973.
École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, Paris 4e. Carte postale, s.d.
À la suite de mes recherches sur les premières correctrices apparaissant dans les annonces d’emploi (1884-1941), je découvre l’existence d’une école primaire supérieure de jeunes filles, dont certaines élèves pourront devenir correctrices. Trois extraits de journaux permettent d’en brosser un tableau assez précis. Cet établissement est aujourd’hui le lycée Sophie-Germain, nom de baptême que l’école a reçu dès 1888.
Plaque de l’école.
« L’école primaire supérieure de jeunes filles de la rue de Jouy [Paris 4e] mérite une mention spéciale. Fondée il y a dix-huit mois [en 1882], dirigée par une femme de grand talent, Mme Blanche Chegaray, cette école rend des services inappréciables, et bientôt, du reste, la Ville en ouvrira une deuxième, exactement semblable, rue des Martyrs.
« Les jeunes filles y sont admises seulement au concours, et lorsqu’elles sortent de l’établissement, après avoir satisfait aux examens — examens des plus sérieux, — elles sont aptes à entrer dans les postes et télégraphes. à être correctrices d’imprimerie, premières dans des maisons de couture, etc. Indépendamment de cela, elles sont dressées aux soins du ménage, et le blanchissage des dentelles, la confection du linge et des vêtements, la cuisine leur sont enseignés par d’habiles professeurs. En un mot, à l’école de la rue de Jouy, les jeunes filles reçoivent une instruction solide et on leur apprend aussi à être de vrai[e]s femmes. […] » — Gil Blas, 4 août 1884
Conditions d’admission et personnel enseignant
« La durée des études est fixée à quatre années : trois années d’études normales et une année d’études complémentaires.
« L’école est gratuite ; elle ne reçoit que des élèves externes.
« Les élèves sont admises à la suite d’un concours. Les jeunes filles qui doivent atteindre l’âge de douze ans révolus au 1er octobre, et qui n’ont pas dépassé à la même date l’âge de quatorze ans, sont seules admises à participer à ce concours.
« Pour le premier concours, devant avoir lieu au moment de l’ouverture de l’école, les jeunes filles devront avoir atteint l’âge de douze ans révolus au 1er janvier 1882. […]
« Le personnel de l’école est ainsi composé : « Une surveillante générale faisant fonctions d’économe, au traitement de 3,400 à 5,000 francs. « Des maîtresses adjointes, chargées de la surveillance des études, des fonctions de répétitrices et pouvant être appelées en outre à faire certains cours, au traitement, de 2,400 à 3,600 fr. « Des professeurs, hommes ou femmes, pour l’enseignement du français et de la lecture, des langues vivantes (anglais et allemand), de l’écriture, de l’arithmétique, de la tenue des livres, de l’histoire et de la géographie, des sciences physiques et naturelles, de la géométrie pratique et du dessin linéaire, de la coupe et de la couture, de la gymnastique, du chant, et en deuxième et troisième année seulement, de la morale, de notions d’économie politique, de législation et d’économie domestique. » — L’Unité nationale, 28 mars 1882
Épreuves du concours
« Le concours comprend des épreuves écrites et des épreuves orales : « 1o Epreuves écrites : Orthographe et écriture. — Arithmétique et applications pratiques de la géométrie. — Dessin linéaire. — Dessin d’ornement. — (La dictée d’orthographe sert d’épreuve d’écriture) ; « 2o Epreuves orales : Histoire de France. — Géographie. — Arithmétique. — Instruction morale et civique.
« Les épreuves écrites sont éliminatoires.
« Nota. — Le conseil municipal de Paris a décidé, en principe, la création, dans chacune des écoles primaires supérieures, d’un certain nombre de bourses d’entretien destinées à venir en aide aux familles qui n’auraient pas les ressources nécessaires pour entretenir leurs enfants pendant la durée des études d’enseignement primaire supérieur. » — La Réforme, 9 octobre 1882
École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, grand amphithéâtre. Carte postale, s.d.
Après avoir épluché les annonces d’emploi, j’ai eu l’idée de faire de même pour les annonces de mariage et de décès. J’y ai ajouté les éventuelles distinctions hors médaille du travail.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Correctrice de langues étrangères dés. mar. riche pas banal. S’abst. d’écr. si pas riche. Bouleau, Bill. Tuberculeux, 0.914.561. Bur. 84. (La Lanterne, 11 février 1904)
1907 — Par décret du ministre de l’instruction publique, en date du 23 novembre, Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie, à Tours, a été nommée officier d’académie [il s’agit des Palmes académiques1]. C’est avec plaisir que nous enregistrons cette nomination, pleinement justifiée par les services rendus. Nous adressons à notre aimable collaboratrice nos bien cordiales félicitations. (L’Union libérale, 26 décembre)
Le Journal officiel publie les nominations suivantes : […] Au grade d’officier d’académie : Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie à Tours. (L’Union libérale, 30 décembre)
1908 — Eugène-Auguste-Jules Cornilleau, clerc d’avoué, rue Saint-Vincent, et Blanche-Victorine Terrier, correctrice d’imprimerie, rue Saint-Vincent. (L’Ouest-Éclair (Rennes), 6 août (promesse), L’Avenir de la Mayenne, 9 août (promesse) et 23 août ; La Gazette de Château-Gontier, 27 août)
1908 — Georges-Jean-Alexandre Cornemillot, agent de détaxe, et Marie-Louis Bonnardot, correctrice au Bien Public. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 27 août)
1908 — Isidore-Eugène Denancé, employé de bureau, à Meudon (Seine-et-Oise), et Anaïs-Augustine-Joséphine Dubois, correctrice typographe, rue des Lavanderies. (L’Avenir de la Mayenne, 11 octobre)
1917 — Décès — Marie Françoise Masserot, célibataire, 30 ans, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine. (L’Écho de la Mayenne, 8 avril, et La Mayenne, 11 avril)
1924 — Gaston Eiehacker, rentier, rue de la Gare, et Valentine Gourrault, correctrice d’imprimerie, rue de la Gare. (La Mayenne, 4 mai)
1925 — Gustave-Georges Vasseur [ou Vaseux, selon les annonces], maréchal des logis au 4e escadron du train (T.E.M.) au Mans, et Marie-Louise-Jeanny Bathilde Morin, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine (à Laval). (La Mayenne, 16 et 20 septembre, 4 octobre ; L’Avenir de la Mayenne, 20 septembre)
1926 — Georges-Victor-Marie Mercier, chauffeur d’autos, rue Ambroise-Gestière, et Suzanne-Mathilde-Victorine Foucoin, correctrice d’imprimerie, rue Ambroise-Gestière. (La Mayenne, 23 mai (bans), La Mayenne, 15 juin, et L’Avenir de la Mayenne, 20 juin)
1928 — Georges Terrier, graveur-typographe, à Nantes, et Denise-Solange Jean, correctrice d’imprimerie, rue Basse-des-Bouchers, 16. (La Mayenne, 18 et 22 juillet)
1930 — Robert-François Hamon, ajusteur, 31, boulevard de Tours, et Jeanne Ozouf, correctrice d’imprimerie, 26 [parfois 21], rue de Chapelle. (La Mayenne, 10 août (promesse), et L’Avenir de la Mayenne, 3 et 7 septembre)
1930 — Cormerais Armand, artiste lyrique, rue Banasterie, 10 et Guirand Marie, correctrice d’imprimerie, rue Banasterie, 10. (Le Radical de Vaucluse, 29 octobre)
1932 — Henri Surnom, boulanger à Issoudun, et Germaine-Elisabeth Aubrun, correctrice monotypiste à Saint-Amand-Montrond (Cher). (La Dépêche du Berry, 31 juillet)
1934 — Ourmières, Jean, gendarme à la 17e légion, avec Moine, Jeanne, correctrice d’imprimerie. (L’Auvergnat de Paris, 27 janvier 1934)
1934 — Cochet Daniel-Raoul-Camille, mécanicien, et Venot Gilberte-Jeannine, correctrice, tous deux à Vendôme. (L’Écho du Centre, 23 mars)
1937 — Emile Goussin, clerc d’avoué, rue Duguesclin, et Jeanne Allain, correctrice d’imprimerie, rue Paul-Lintier. (La Mayenne, 26 janvier)
1938 — Fernand Genest, commis du trésor, à Flers, et Marthe Durckel, correctrice d’imprimerie, place Gambetta. (La Mayenne, 17 avril)
1941 — Décès de Germaine Sillon, épouse Humberjean, correctrice d’imprimerie, 60 ans, 9, rue des Vergelesses, domiciliée 21, rue Félix-Trutat. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 16 juillet)
« À l’époque il n’y avait pas beaucoup de femmes dans les imprimeries », a déclaré la correctrice Annick Béjean, entrée dans la presse parisienne en 1979 (☞ lire son témoignage). Comment retrouver les traces de ces exceptions ? Comment saisir l’existence des premières femmes embauchées comme correctrices professionnelles, avant que la société en général et le monde typographique en particulier les accueillent plus volontiers ?
Grâce à RetroNews, le site de presse de la BnF, j’ai pu interroger 2 000 journaux français de 1631 à 1950. J’ai sondé, avec un heureux succès, les annonces d’emploi (offres et demandes). J’ai exhumé quelques lauréates de la médaille du travail. Les correctrices au travail apparaissent aussi dans quelques extraits de procès et à travers des personnages de feuilleton. Peu à peu, ces femmes reviennent à la lumière.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Au bas de la page, j’ai ajouté mes premiers commentaires.
Annonces d’emploi, articles judiciaires et feuilletons
1884 — AGENCE Saint-Julien, maison fondée en 1859 : ventes et achats de fonds de commerce, recouvrements de créances, etc. 9, place d’Aquitaine. Mme Lataste, directrice et correctrice du journal la Liberté, de Paris. (La Petite Gironde, 3 juillet)
1886 — Une dame désire entrer dans une imprimerie en qualité de correctrice. Ecr., L. P., poste restante, 50, rue Bonaparte. (Le Mot d’ordre, 15 octobre)
1887 — On demande une correctrice d’épreuves d’imprimerie. S’ad. Mme Jaudoin, 65, bd Arago. (Le Mot d’ordre et L’Écho de Paris, 17 avril)
1888 — Me MORILLOT, défenseur de Robert. — Ni l’espoir du gain, car, outre son traitement, sa femme apporte encore au ménage 3,500 francs, qu’elle gagne comme correctrice d’imprimerie. (Pierre-Émile Robert, ex-agent de la police de sûreté, jugé pour usurpation de fonctions, arrestation illégale et violation de domicile, tribunal correctionnelle de la Seine, 8e chambre, présidence de M. Gillet, audience du 6 décembre 1888, Le Droit, 7 décembre)
Annonce de l’Imprimerie picarde, 1889
1889 — ON DEMANDE / Des Apprenties / COMPOSITRICES / de 13 à 18 ans / Travail agréable et lucratif / ATELIER PARTICULIER / On gagne de suite / (Il n’est pas exigé de contrat) / ET POUR / CORRECTRICE / une jeune fille ayant le brevet élémentaire. / A l’Imprimerie Picarde / 71, Rue du Lycée, 71, Amiens (Le Progrès de la Somme, 13 janvier)
1889 — Dame veuve diplômée demande emploi de correctrice dans une imprimerie. C. R., 10, avenue de Tourelle, St-Mandé. (Le Radical, 20 avril)
1893 — Attendu qu’en fait, il est reconnu que l’appelant a, le 25 décembre 1893, jour de fête légale et à l’heure énoncée par le procès-verbal, employé treize filles majeures comme compositrices et une fille majeure comme correctrice dans l’atelier de son imprimerie ; […] Attendu que le travail de la correctrice consiste surtout à vérifier l’identité du manuscrit avec l’imprimé[,] à rectifier les erreurs matérielles telles que le renversement des lettres, que c’est exceptionnellement qu’elle accomplit une œuvre purement intellectuelle pour résoudre des difficultés qui se présentent sur l’orthographe, la ponctuation, les dates ; que le caractère industriel prédomine dans la tâche confiée à l’ouvrière chargée de la correction des compositions typographiques ; […] En conséquence le condamne : 1o à quatorze amendes de 1 franc chacune pour avoir fait travailler quatorze filles majeures après neuf heures du soir ; 2o à quatorze amendes de 1 franc pour avoir fait travailler ces mêmes filles majeures un jour de fête légale reconnue par la loi, soit en tout vingt-huit amendes de 1 franc chacune et aux dépens liquidés à 15 fr. 45, outre le coût du présent jugement ; fixe au minimum de la loi la durée de la contrainte par corps. (Police correctionnelle, tribunal de Saint-Etienne, présidence de M. Gast, audience du 28 avril 1894, La Loi, 12 août 1894)
1895 — Correctrice connaiss. bien la lect. et le tierçage est demandée p. gde impr., pl. stable Journal A.B.17. (Le Journal, 9 février)
1895 — ON DEMANDE / UNE / CORRECTRICE / A l’imprimerie WATON, / à Bellevue. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 juillet)
Annonce de l’Imprimerie Waton, 1897
1897 — BONNE CORRECTRICE / est demandée / à l’Imprimerie WATON (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 29 et 30 septembre, 20 octobre)
1898 — On demande bonne correctrice typographe, emploi sérieux et rémunérateur. Références exigées. — G. M. H., Journal. (Le Journal, 12 février)
1899 — P.-S. — J’écrivais, il y a huit jours, dans mon Supplément : « Il fallut toute la courtoisie de mon interlocuteur (il s’agissait d’une conversation, en wagon, avec un officier) et tout mon désir de ne pas froisser un homme convaincu, pour, etc., etc. On a imprimé : « et tout mon désir de ne pas favoriser ; je prie ceux de mes lecteurs qui ont ouvert de grands yeux, de rétablir le texte, et je conjure la correctrice d’avoir pitié d’une malheureuse chemineaude qui ne peut corriger ses épreuves. (La Fronde, 17 juin)
1903 — CORRECTRICE imprimerie, b. réf., d. pl. M.D.P., post. rest., r. Pierre-Guérin (16e) (Le Matin, 19 et 23 février)
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT et Cie / JEUNE FILLE, instruite et sérieuse, est demandée pour apprendre le métier de correctrice. (L’Union libérale, 23 avril)
Annonce de l’Imprimerie Arrault et Cie, 1904.
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie / ON DEMANDE / UNE CORRECTRICE (L’Union libérale, 29 octobre).
1908 — ON DEMANDE un correcteur ou une correctrice à l’Imprimerie E. Arrault et Cie. (L’Union libérale, 29 et 30 octobre)
1909 — Médailles d’honneur du travail1 (argent, vingt ans). — Mlles Ther Rosalie, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault, à Tours ; Ther Joséphine, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault à Tours ; […] (L’Union libérale, 16 août)
1910 — DEMOISELLE TRÈS SÉRIEUSE, diplômée enseignement, désire emploi comme correctrice d’imprimerie. Ferait recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections. Pourrait aussi s’occuper de contentieux. — S’adresser à Mme Barin à l’Action. (L’Action, 4 août)
1910 — ANCIENNE correctrice d’anglais et d’espagnol dans une grande imprimerie parisienne, connaissant en outre la sténographie et la machine à écrire, et ayant été employée à l’expédition d’un journal, demande situation à Paris ou en province ; se contenterait de conditions modestes. Ecrire aux bureaux du journal. (L’Univers, nombreux passages de décembre 1910 à juillet 1911)
1911 — J.f. 23 a., correctrice, dem. pl. ch. imp. ou édit. b. réf. parle angl. Zabaska, 64 r. du Rocher (Le Journal, 13 mai)
1911 — [Béthel] Le président passe enfin au dernier fait qui est reproché au jeune typographe : le détournement de la mineure Suzanne Pinteau [15 ans]. — Je ne l’ai pas enlevée, au sens propre du mot, répond Chagnoux. Son père s’était remarié. Elle vivait chez sa belle-mère et travaillait comme correctrice à l’imprimerie Cerf où j’étais employé. Je lui avais conseillé de rester dans sa famille jusqu’au jour où je l’épouserai. Elle m’a suivi volontairement. (L’Indépendant rémois, 30 août)
1912 — Demoiselle, 35 ans, correctrice plusieurs années même imprimerie, cherche situation similaire : secrétaire, dame de compagnie. S’adresser au bureau du journal. (La Mode illustrée, 7 avril)
1912 — Bne correctrice [?]em. empl. dans imprimerie. Sér. réf. Devalière, 5, r. Edgar-Quinet, Montrouge. (Le Journal, 28 août)
1912 — Jeune fille, 22 ans, ayant été correctrice d’imprimerie, cherche place analogue, comptabilité ou écritures. (La Mayenne, 22 et 29 décembre 1912 ; 5 janvier 1913)
1914 — J’ai un mot pour une imprimerie où je puis faire un remplacement, comme correctrice ; c’est la vie assurée pour quelque temps, et quelle vie ! Cette perspective ne m’a pourtant pas désarçonnée. Je demeure le pied à l’étrier, mais pour l’avoir senti glisser — oh ! un rien — j’ai perdu un peu de ma belle confiance. Bah ! l’espoir renaîtra, à la première éclaircie. Il faut laisser se dissiper ce léger nuage. (feuilleton « Le Retour des choses », Henriette Devers, dans L’Homme libre, 11 juillet)
1914 — Jne fem. dirigeant imprimerie belge dut quitter suite occup. all. dem. place correctrice, emploi simil. ou vend. R.L., 8, Théophile-Gautier. (Le Journal, 17 octobre)
1915 — J. FILLE instr., sténodactylo, correctrice journal, cherche emploi. Donne leçons st.-dactylo. Prix modérés. (Le Phare de la Loire, 15 octobre)
1919 — ON DEMANDE bons typos, metteur en page, correcteur ou correctrice connaissant si possible l’anglais et l’italien, imprimerie Ged, 4, rue Paradis. (Le Petit Provençal, 25 avril)
1921 — Imprimerie Lang, 75, rue Championnet, Paris, demande correctrice. Offres et référ. par écrit. (Le Journal, 11 mars)
1921 — ON DEMANDE Correcteur ou correctrice, blessé ou veuve de guerre, connaissant parfaitement le français, pour service de cinq à six heures par jour. — S’adresser au bureau du journal. (Le Nord maritime, 17 octobre)
1922 — On demande bon correcteur ou correctrice pour imprimerie Paris. Ecrire avec référ. et prétentions à Fanon, 3, rue d’Orainville, Athis-Mons (S.-et-Oise). (L’Intransigeant, 28 septembre)
1922 — On demande bonne correctrice d’épreuves. S’adr. av. références, de 9 à 10 h., Imprimerie, 20, r. Turgot (9e (L’Intransigeant, 9 octobre)
1923 — Médaille du travail (argent) — Mlle Seguin Marie-Catherine-Alphonsine, ouvrière correctrice dans la maison Paul Féron-Vrau, imprimeur de la « Bonne Presse », à Aiguiperse. (Courrier du Puy-de-Dôme, 8 avril)
1923 — Procès du renvoi injustifié de Rirette Maitrejean, correctrice d’imprimerie (article à venir).
1925 — Jeune fille, au courant rech. bibliogr., bonne correctrice épreuves, cherche emploi secrétaire dactylo. Connaît le russe. Mlle Cheinisse, 19, avenue d’Orléans, à Paris. (La Journée industrielle, 11 décembre)
1928 — CORRECTRICE épreuves imprimerie. Se prés. 4 à 6 h. Imp. Universelle, 48, r. Claude-Vellefaux. (L’Intransigeant, 10 janvier)
1929 — CORRECTEUR / ou CORRECTRICE / demandé par l’Imprimerie Darantière, rue Paul-Cabet, 13, Dijon (Le Progrès de la Côte-d’Or, 25 et 28 avril)
1929 — URGENT / Correcteur ou Correctrice, / connaissances générales et anglais, / Dactylographe habile, / pour être utilisée au clavier de machine à composer, demandés à l’Imprimerie Darantière, 13, rue Paul-Cabet, Dijon. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 28 juillet)
1930 — Médaille du travail (vermeil, trente ans) — Mlle Groslier, correctrice à l’Imprimerie Clerc, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 1er août)
1932 — On demande jeune femme 20-25 ans, possédant brevet élémentaire pour emploi aide-correctrice. Ecrire avant se présenter / à l’Imprimerie DRAEGER, / 46, rue de Bagneux, Montrouge. (Le Journal, 28 mai)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mme Augonnet, née Vanier Marie-Alice-Antoinette, ex-correctrice à l’imprimerie Bussière, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 28 juillet)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mlle Allimand (Marie-Madeleine-Jeanne), correctrice à la Société anonyme de l’imprimerie Théolier, à St-Etienne. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 31 juillet)
1932 — Da. con. l’assurance meill. réf. d. pl. jour ou 1/2 ch. courtier, ou correctrice p. éd. art. g.d.l. Ecr. P.R. N° 8277, P.A., 25, rue Royale. (Paris-soir, 20 octobre)
1933 — Dem. place correctrice pr impression franç. ou étrang. Ecr. Irène Pesté, 43, Bd. St-Martin 3e. (Paris-soir, 29 novembre)
1936 — Médaille du travail (argent) — Mlle Charvet (Berthe), correctrice à l’imprimerie de Sceaux, à Sceaux. (Journal officiel de la République française, 16 janvier)
1936 — ON dem. une correctrice et des ouvrières estampeuses de clichés. S’ad. S.I.P., 21, r. Montsouris. (L’Intransigeant, 22 mars)
1938 — Bonne correctrice rapide pour journaux et trav. imprimerie. Place stab. Ecr. réf. prétent. M. Fabre, ab. POP, 121, r. Lafayette. (Paris-soir, 19 octobre)
1938 — Dame typographe et correctrice dem. empl. 2 ou 3 jrs p. semaine. Ecr. No 7765. Paris-soir (Paris-soir, 17 novembre)
1941 — Je terminais à peine ma fastidieuse besogne de correctrice, interrompus [sic] seulement par l’absorption rapide de deux sandwiches, que Mme Jehanne d’Irounac revint de ses agapes littéraires, rouge et congestionnée sous son fard candide. (feuilleton « Le Pirate », Alex Berry, Le Réveil du Nord, 12 avril)
Premiers enseignements de ces données
On peut être embauchée dès 15 ans, avec pour tout bagage le brevet élémentaire (qui deviendra le BEPC en 1947), être employée surtout pour comparer l’épreuve à la copie (être « aide-correctrice » ou « ouvrière correctrice »), comme être diplômée, maîtriser des langues étrangères, et proposer ses services pour des « recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections ».
En 1904, l’Imprimerie Arrault et Cie, à Tours, cherche exclusivement une correctrice et se déclare prête à la former. Sténodactylo, préposée aux écritures, voire dame de compagnie, sont, pour certaines de ces femmes, des « emplois similaires ».
L’histoire s’invite dans ces situations professionnelles : en 1914, une directrice d’imprimerie a fui l’occupation allemande ; en 1921, on embauche une veuve de guerre…
Les deux demoiselles, Rosalie et Joséphine Ther, à qui on remet en 1909 la médaille d’honneur du Travail ont donc déjà vingt ans de métier, ce qui date leur entrée dans l’imprimerie à 1889.
Enfin, quelles impressions de ce métier les correctrices des feuilletons ont-elles ? « Quelle vie ! » (1914) ou « fastidieuse besogne » (1941).
Portrait de Louis Ganderax, Revue de Paris, 1910.
Le 12 février 1940, dans le quotidien Le Temps, le journaliste et écrivain Émile Henriot rend hommage à son ami Louis Ganderax (1855-1940), ancien directeur de la Revue de Paris et fin correcteur.
Un correcteur
« Un homme vient de mourir, aussi discret qu’il a vécu, qui depuis vingt ans s’était en sage chastement retiré du monde, et dont, par le fait de la guerre, le départ a passé inaperçu, alors qu’en d’autres temps sa nécrologie aurait fait longuement florès dans les gazettes littéraires. Précisément à cause de la guerre, où toutes les valeurs françaises méritent d’être mises en vedette, il nous faut donner le souvenir de l’amitié à cet être rare, très peu connu du grand public, mais à qui les écrivains durent beaucoup, qui s’appelait Louis Ganderax.
« Quand on aura dit, d’abord, qu’il fut l’exécuteur testamentaire d’Henri Meilhac — le Meilhac de la Vie parisienne et de Froufrou, avec lequel il avait même collaboré et fait représenter Pépa sur la scène du Théâtre-Français, — on aura situé dans le temps ce charmant et solide esprit d’un autre âge. Le situer dans la production littéraire de cet âge sera un peu plus difficile, car, bien qu’il ait assez écrit, Ganderax ne faisait guère figure de producteur. D’anciens lecteurs de la Revue des Deux Mondes se souviennent peut-être encore qu’il y tint, une dizaine d’années, la rubrique de la critique dramatique avec autant de goût que d’autorité, et qu’il l’abandonna un jour (en 1888, soyons précis) pour une raison qui paraîtra aujourd’hui extraordinaire. C’est qu’à cette date Ganderax, ayant écrit une ou deux pièces de théâtre, se fit un cas de conscience d’être à la fois auteur et critique, et décida que le fait d’être lui-même appelé à être jugé lui ôtait toute qualité pour juger autrui. On avait de ces scrupules autrefois. Celui-ci suffira pour faire apprécier le galant homme.
« Il aimait les lettres à la passion ; il les servit à sa manière… »
« Son mérite est autre, pourtant. Louis Ganderax était devenu, dans les années 90, directeur de la Revue de Paris. Il n’y écrivit point, que je sache, pas plus que Buloz et Vallette, ces deux autres grands directeurs de revue, n’écrivirent dans leur Revue des Deux Mondes ou dans leur Mercure. Le rôle de directeur d’un important périodique littéraire est ailleurs que dans la production littéraire personnelle. Il consiste à chercher les talents pour les imposer au public, à les exciter, à les conseiller. Et dans ce rôle Louis Ganderax fut incomparable. Il aimait les lettres à la passion ; il les servit à sa manière, et ce qu’il accomplit, dans ses quinze ou vingt ans de direction, à la Revue de Paris, dont il fit la maison de France, de Loti, de Lemaître, de Barrès, d’Abel Hermant, d’Henri de Régnier, de Boylesve, de d’Annunzio, de Gérard d’Houville et de la comtesse de Noailles, sans compter de plus jeunes débutants, porte témoignage de son discernement et de son goût. Mais ce goût ne l’incitait pas seulement à choisir ; il sut en outre le mettre au service de ceux mêmes qu’il avait choisis ; et les plus illustres, et les plus accomplis même dans leur art, il fut pour eux, dans la coulisse, le collaborateur le plus actif, le plus désintéressé, le plus vigilant, en s’instituant leur correcteur. Car aucun de ceux qu’il avait acceptés dans son équipe ne recevait jamais la moindre épreuve d’imprimerie de la Revue, qu’il s’agît d’un roman, d’un conte, d’un article, qui ne fût, dès le premier état (on appelle cela un placard), criblée, constellée, zébrée, rayée en tous sens de soulignures, de points d’interrogation, de renvois et de corrections proposées, toutes fondées sur l’euphonie, la propriété des termes, la justesse du sens, la grammaire, l’horreur des répétitions de mots et de la fréquence des tours, et autres malfaçons d’écriture, qui échappent parfois au plus judicieux écrivain et au plus raffiné styliste…
« Il portait au génie le don qu’il avait de la correction »
« Ganderax était né correcteur. Il y aurait, pour un bibliophile lettré, une jolie collection à former, des épreuves si voluptueusement corrigées de sa main, parfaites leçons de bien dire. Il portait au génie le don qu’il avait de la correction et l’art d’apercevoir, à quatre pages d’intervalle, une consonance douteuse, une redondance, un doublement d’effet, une identité de timbre ou de couleur. Jusque dans l’intérieur d’un mot ou d’un composé, son œil et son oreille sourcilleuse (eût-il admis qu’une oreille pût être sourcilleuse ?) trouvaient un sujet de chagrin ; et je me souviens de la joie lyrique que mettait Mme de Noailles à montrer telle épreuve qu’elle avait reçue du redoutable Ganderax, où il avait souligné plusieurs fois d’une plume indignée ces simples mots Afrique équatoriale dont le « friquequa » lui paraissait intolérable à entendre et seulement à lire. Ganderax aurait, à cet égard, repris le sévère Malherbe lui-même, qui a écrit quelque part « comparable à la flamme », sans s’aviser que « parablalafla » est une horreur pour quiconque a l’oreille délicate et le tympan fin… Il est possible que le scrupuleux Ganderax ait parfois un peu exagéré le sentiment qu’il avait de l’euphonie ; mais si galant homme et si spirituel qu’il était, sans fanatisme d’aucune sorte, il lui suffisait d’avoir signalé à ses auteurs leurs bourdes, pataquès ou cacophonies, et suggéré le synonyme ou l’équivalent ; et il n’obligeait personne à accepter d’autorité les corrections qu’il « proposait ». Il en proposa même un jour, je crois bien, à Anatole France, dont il était l’ami. Et France, qui le tutoyait de longue date, poussa ce jour-là le tutoiement jusqu’à l’énergie militaire, en lui retournant ses épreuves corrigées, avec un deleatur sur les « corrections proposées », accompagnées de cette remarque : « Tu as raison, mais je t’.….. ! » — J’imagine que, pour toute vengeance, Ganderax dut se contenter de mettre un point d’interjection en face de ce verbe incorrect.
Émile Henriot, vers 1930.
« Jeux raffinés, goût délicieux, cas de conscience d’autrefois ! Comme tout cela doit paraître périmé à nos scribouilleurs d’aujourd’hui, qui tiennent l’imparfait du subjonctif pour une pose, et l’accord des temps pour une ridicule convention ! — N’empêche que c’est Louis Ganderax qui avait raison, en mainteneur et juge du meilleur parler de chez nous. Beaucoup de ceux qui ont travaillé avec lui ont gardé un souvenir affectueux et reconnaissant de ses souriantes sévérités. En leur épargnant bien des fautes, il leur a, sinon appris, du moins rappelé ce que c’était que l’art d’écrire : à la fois pour soi-même un choix ; et pour qui vous lit, une politesse.
C’est une friandise que je vous propose aujourd’hui, un entrefilet trouvé dans le Figaro du 22 mars 1878. Vous donnera-t-il un peu de gaieté ? C’est mon but, en tout cas.
Le Figaro, 22 mars 1878.
Introduite en seconde position dans le Dictionnaire de l’Académie en 1798, l’orthographe gaîté est donc admise en 1878, date de l’article du Figaro, mais la première, gaieté, est la seule que l’Académie emploie dans ses définitions depuis 1740 : « Avoir de la gaieté. Perdre toute sa gaieté. Reprendre sa gaieté. Montrer de la gaieté. Témoigner une grande gaieté. Il est d’une gaieté folle. Il a de la gaieté dans l’esprit. »
Ces messieurs les correcteurs suivaient donc la préférence de l’Académie.
Précédemment (1694, 1714), l’Académie écrivait gayeté – prononcé en trois syllabes, comme on le voit dans ces vers :
« Mais je vous avouerai que cette gayeté Surprend au dépourvu toute ma fermeté » — Molière, Don Garcie de Navarre ou le Prince jaloux (1661), V, 6.
Ensuite, elle écrira gaieté seul (1718, 1762), choix auquel elle reviendra en 1935.
L’édition actuelle du Dictionnaire de l’Académie conserve la seule gaieté, mais précise en bas de définition : « On trouve aussi gaîté » et « Peut s’écrire gaité, selon les rectifications orthographiques de 1990 ».
Dans les faits, gaieté reste nettement majoritaire, gaîté ne se rencontre plus que dans des noms propres (théâtre de la Gaîté) ; gaité n’a pas encore pris.
Ajoutons, pour le plaisir, qu’en 1878 les gaietés désignaient aussi « des paroles ou des actions folâtres que disent ou que font les jeunes personnes ».
Je vous souhaite donc, en ce dimanche, d’avoir de la gaieté ou de faire de petites gaietés.
PS – Les correcteurs auront noté, au passage, que la confusion mise à/au jour avait déjà cours.
25e congrès de l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, Rennes, 31 mai 1936, L’Ouest-Éclair (édition de Rennes), ce même jour.
C’est avec une certaine émotion que j’ai découvert cette « photo de famille ». Elle rend leur visage aux membres du 25e congrès de l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, à Rennes, le 31 mai 1936, dont le président est alors E. Grenet (successeur de Théotiste Lefèvre1, qui officia jusqu’en 1921, et de A. Geoffrois).
E. Grenet, dans L’Ouest-Éclair (Rennes), 31 mai 1936.
Fondée à Perpignan, en 1897, par Joachim Comet (1856-1921), cette collectivité a connu plusieurs noms2. En 1905, elle « compte […] plus de 500 membres […] [et] a pour but la défense des intérêts professionnels et matériels de ses membres ; c’est une société de secours mutuels, de prévoyance et d’assurance pour le cas d’invalidité et pour la vieillesse3 ». En janvier 1921, elle avait « un effectif de 750 membres environ, dont 300 correcteurs au plus », écrit L.-E. Brossard4.
Concours Delmas, 1909.
Concrètement, on sait, par exemple, que le congrès de Toulouse, en 1904, « s’est principalement occupé des offices de placement ; de la division rationnelle de la Société amicale des protes et correcteurs en sections régionales [d’abord au nombre de sept, elles seront quatorze à partir de 1911] ; du contrat d’apprentissage et du concours Delmas5. « Une intéressante question, celle de la “cotisation-décès” en faveur de la famille des membres actifs de la société qui viendraient à mourir, a été résolue dans un sens nettement mutualiste. « Le congrès s’est occupé aussi de la question des retraites et a formulé ses réponses au questionnaire relatif au rapport Taudou6, présenté à Lyon en 19037. »
Des comptes rendus peu informatifs
S’ils sont assez nombreux dans la presse, les comptes rendus des banquets annuels et congrès de correcteurs sont généralement ennuyeux : ils déroulent de longues listes d’intervenants, tout le monde se remercie et se congratule. Sont souvent présents le maire de la ville et quelques conseillers municipaux, un ou plusieurs maîtres imprimeurs locaux, éventuellement un directeur de journal. Dans la presse régionale, on trouve des passages de ce genre :
« Au dessert, le président de la section, M. F. Riou, le visage rayonnant, se lève et se défendant tout d’abord de vouloir faire un discours, salua en excellents termes les dames et les amicalistes présents, puis résuma notre programme de solidarité, de mutualité et de prévoyance sociale. […] Puis, gagné par la chaleur communicative, chacun y alla de sa romance ou de son monologue, et après une sortie familiale vers Saint-Laurent l’on revint trinquer à la santé des présents et… des absents8. »
On a tous les détails de l’organisation des journées ; on sait dans quel bon restaurant tout ce beau monde a déjeuné (mais pas de quoi, hélas !) ; on nous dit que les discours, nombreux, ont été très applaudis, mais on en apprend peu sur les questions débattues. À croire qu’il s’agit surtout de se régaler…
Une blague du Figaro, 28 mai 1912.
J’ai tout de même appris que le congrès de Saint-Étienne, du 15 mai 1910, « s’est occupé de la situation précaire des correcteurs, souvent moins rétribués que les typos. Une nouvelle intervention aura lieu auprès des syndicats des Maîtres imprimeurs, en les priant de prendre en considération les vœux qui leur seront soumis à nouveau. Ces vœux visent à la fois les salaires, la considération due aux correcteurs, les locaux malsains dans lesquels ils travaillent9. »
Et qu’en 1926, « le Congrès […] a adopté un vœu demandant huit jours de congé payé par an pour les correcteurs et les chefs de service […]10 ». Il faudra attendre encore un peu…
Se fédérer, une nécessité
Dès 1880, dans l’annonce d’un banquet annuel de correcteurs au Palais-Royal (Paris), présidé par Eugène Boutmy11, on peut découvrir le bienfait de telles rencontres :
« L’invitation s’adresse, non-seulement aux membres de la société, mais encore et surtout aux correcteurs qui n’en font pas partie. Les correcteurs n’ont que de rares relations ; ils se connaissent dans une imprimerie, et encore ! La réunion annuelle a pour but de faire connaître, et par conséquent apprécier à tous, la nécessité du groupement12. »
Des sujets abordés lors de ce « superbe banquet [qui] réunissait […] un grand nombre des membres de la Société des correcteurs de Paris », on sait ceci :
« M. E. Massard a insisté sur la nécessité d’établir une solidarité étroite entre les compositeurs et les correcteurs, et manifesté le désir de voir tous les correcteurs se grouper pour faire cesser l’exploitation dont ils sont l’objet. Ces travailleurs salariés ont besoin de leur appui mutuel pour triompher des injustices dont ils sont journellement victimes de la part des maîtres imprimeurs. « Le délégué de la Société typographique a répondu que les compositeurs syndiqués seront prochainement invités à n’accepter dans leurs ateliers que des correcteurs également syndiqués. Le président a pris acte de cette importante déclaration13. […] »
La saveur des « actualités » du passé
Contraint de « couvrir » l’évènement, le rédacteur du journal local tire parfois bravement à la ligne pour remplir ses colonnes. Ainsi, quand les congressistes de Rennes, en 1936, partent visiter le Mont-Saint-Michel, la plume se fait lyrique :
« Les cars roulent, maintenant, sur la digue, entre des sables de traîtrise, et encore frisés de la caresse du flot. Entre Tombelaine et le Mont, une procession lilliputienne, croix d’or, faisant en tête un point lumineux, s’avance. Le Mont-Saint-Michel ! tout le monde descend ! et c’est l’entrée de la caravane par la Bavolle, la Cour du Lion, le boulevard, et enfin cette rampe pittoresque, aux maisons rapprochées, comme à la casbah, avec ses cuivreries de Villedieu, qui sont bien un peu mauresques ! Elles tintin[n]abulent aux échop[p]es, sous le toucher curieux. Les invites sont pressantes, le succès de l’omelette renommée est le secret de chaque hostellerie et de partout on vous promet vue sur la mer, du haut de la terrasse. […]14 »
Les congressistes de Rennes, en 1936. Cœur de l’image (la partie la plus nette).
Pour la bonne bouche, j’ai retenu deux autres passages de ces articles compassés. À lire avec l’intonation des speakers de l’époque.
1904 — « Dimanche, jour de Pâques, la section bordelaise de l’Association amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de province a célébré son banquet annuel, auquel — gracieuse innovation — les dames ajoutaient le charme de leur présence. Comme par le passé, l’hôtel Gobineau justifia sa renommée si légitimement acquise, et ses hôtes, toujours fidèles, trouvèrent le fin menu qui leur fut servi en harmonie avec l’élégance de la table15. »
1907 — « À midi, une surprise attendait les excursionnistes à l’hôtel Bellevue, dont — entre parenthèses — le Vatel se surpassa. […] Delumeau, directeur de la Société vinicole blayaise ; Patrouillet et Brunette, imprimeurs à Blaye, […] prévenaient qu’ils se faisaient représenter à ce dîner intime par d’excellentes caisses de vin vieux. Aussi, quand vint l’instant de déboucher ces vénérables flacons, ce fut un feu croisé de toasts où les remerci[e]ments les plus chaleureux allèrent aux généreux donateurs, aux organisateurs aussi. « Enfin, l’heure sonna du retour, et — après un court et merveilleux voyage — celle, suprême, de la dislocation. Ce fut le seul nuage de ces deux belles journées, — bien vite dissipé par l’espérance de l’au-revoir prochain, au Congrès général de Nantes16. »
Ces folles agapes nous paraissent bien lointaines…
« L’Amicale des “Protes” Stéphanois donnait dimanche son banquet annuel », Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 8 juillet 1936. Cette fois, les épouses étaient conviées.
Le 27 juin 1908, dans son supplément littéraire, Le Figaro publiait une nouvelle inédite de Jacques des Gachons (1868-1945), intitulée La Coquille. J’en reproduis un large extrait.
Récemment installé en banlieue de Paris, le narrateur est intrigué par une des villas de son quartier et par son propriétaire. Le soir, avant de rentrer chez lui, il observe son voisin, et ses curieuses habitudes de lecture, à travers la fenêtre éclairée de son salon.
« […] La Coquille, quel joli nom pour la maison d’un sage ! […] On m’avait dit le nom de l’hôte de la Coquille, Isidore Bonin. Sans doute, s’il avait écrit, l’avait-il fait sous un pseudonyme. Mais qu’importait ce mystère. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas le passé, c’était le présent, c’était la villa la Coquille.
« […] M. Isidore Bonin lit. Il lit gravement, les doigts le long de sa belle barbe blanche. On sent qu’à mesure qu’il avance dans sa lecture, le plaisir, comme un philtre, pénètre en lui ; parfois, il hoche la tête à petits coups approbateurs ; d’autrefois [sic], le visage illuminé, il saisit un crayon, souligne un passage, ajoute une croix en marge, puis il jette les bras en l’air et il rit, il rit. J’entends son rire de l’allée où je marche à petits pas peureux. M. Isidore Bonin, parfois, rit trop fort. Cela me contrarie un peu. Il est peu de livres qui procurent un si gros éclat de rire et M. Bonin rit très souvent.
« M. Bonin est méthodique. À huit heures, il allume sa pipe et se carre un peu plus dans son fauteuil. Sans doute, il rumine la nourriture intellectuelle qu’il vient de mâcher page à page. Il ferme les yeux et remue la tête de gauche à droite et de droite à gauche, vivement, avec une sorte de sourire. Ah ! il ne laisse pas le suc des livres s’échapper de lui à mesure qu’il lui arrive : il le retient, le retourne, le savoure ; il le fait sien.
« La pipe achevée, il reprend son crayon, feuillette le livre terminé et reporte au commencement du tome le numéro des pages annotées. Parfois, il n’y résiste pas et lit, tout haut, à sa femme, qui, d’avance, approuve un des passages particulièrement intéressant. La citation se termine d’ordinaire par une pantomime que je n’ai jamais bien comprise. Il compte avec ses doigts, jusqu’à cinq, parfois jusqu’à neuf, devient grave, hausse les épaules, reste un moment immobile, puis il esquisse un geste d’irresponsabilité et laisse le sourire chassé revenir dans ses yeux.
« C’est cette petite scène finale qui, renouvelée, m’intrigua tellement que je fus bientôt mordu par le désir de faire la connaissance de cet homme qui trouvait tant de plaisir dans les livres. »
N’y tenant plus, le narrateur cherche le moyen de pénétrer chez son voisin. Une question de voirie fait l’affaire.
« […] — Excusez-moi, monsieur, de vous avoir dérangé, lui dis-je. Je n’aurais garde d’abuser de vos précieux moments. Moi aussi je vis parmi les livres et je sais combien l’on aime peu à voir violer leur bonne retraite. II faut plaindre ceux dont le logis n’est pas tapissé de ces chers amis… D’un coup d’œil circulaire, je caressai les six rangées de reliures… — Sans doute, sans doute, murmura le vieillard, un peu confus. — Les livres sont immortels. Ils ne meurent jamais que d’accident… Il nous en vient des temps les plus reculés… Il en est qui vivront peut-être des milliers de siècles après nous… Ce sont les fruits de l’homme et de Dieu… — Sans doute, sans doute… Je continuai mon dithyrambe, pour me mettre à l’unisson des sentiments de cet homme. — Que vous êtes heureux, de baigner votre vieillesse dans leur éternelle jouvence. Pardonnez-moi mon indiscrétion, mais j’ai vu, en passant, le soir, devant votre maison, que vous aimiez les livres… Enfin, je me tais. Le vieux bibliophile put placer un mot : — Ah ! oui, monsieur, j’aime les livres. J’en ai tant fait, pendant quarante années… — Mais qui donc êtes-vous, mon cher maître ? murmurai-je ému soudain à cette déclaration. — Voici ma rangée, dit-il, penché vers le second rayon de sa bibliothèque. Ils ne sont pas tous là. Ma maison serait trop petite pour les contenir tous ! Mais ce sont, en quelque sorte, mes préférés, ceux auxquels j’ai pu apporter tous mes soins. Du doigt, il guida mes regards et je lus sur les dos alignés : « Victor Cherbuliez, Edmond About, Louis Enault, Francis Wey, Ouida… » Le vieillard, sans doute, se moquait de moi. Je me mis à rire. — Tous ne sont pas à votre goût, peut-être, s’empressa-t-il d’ajouter. Moi, j’ai mes raisons… Quelle désillusion ! Mon voisin était fou ! Je crus devoir flatter sa manie. J’avisai quelques ouvrages récents qui formaient une pile sur la table. Il y avait des romans de Bazin, de Loti, de Rod… — Vos dernières œuvres, sans doute ? — Oh ! non, monsieur, répondit-il, j’ai cessé tout travail. Mais on ne quitte pas les livres du jour au lendemain. J’achète les derniers romans pour rester au courant des travaux de mes confrères. Et, soit dit entre nous, tout ce qui paraît ne vaut pas tripette. Ça ne tient pas debout !… — Vous êtes sévère. — Je suis clairvoyant. De mon temps, monsieur, on était consciencieux. Ce n’était pas là le propos d’un insensé. — Combien je suis de votre avis ! dis-je, pris à son accent sincère. — On ne sait plus écrire. Les points, les accents, les virgules, les lettres majuscules, l’orthographe, la syntaxe, on ignore tout. Aujourd’hui, on lit en courant, pourquoi n’écrirait-on pas de même ? Il y a des exceptions, certes. Quelques ouvrages de luxe sont présentables. Il y a des maisons honorables qui restent dans la bonne tradition. Mais ouvrez un peu ceci, et cela. Il me tendit un roman de Paul Adam, un livre de nouvelles de Jean Lorrain. — C’est tellement exécrable, monsieur, que cela en devient délicieux. C’est un régal. Tout ce rayon est consacré à mes trouvailles en ce genre. Jetez un œil sur ce volume de vers. Je pris le livre dans mes mains et l’ouvris, pour ne point désobliger mon hôte. En marge, au crayon, s’alignaient une file ininterrompue de corrections : vers faux, orthographe inhabituelle, lettre transposée, lettre d’un corps différent du reste du poème, pagination erronée, titre courant omis, déléatur, etc.
« Un nuage à l’horizon se déchira, et je vis clair dans la villa de la Coquille. J’étais chez un vieux correcteur en retraite. Il ne lisait pas, le soir, sous la lampe[,] il épelait. Il collectionnait les coquilles[.] […] »
Je reproduis ci-dessous un texte publié en une du quotidien La Démocratie (Paris), le 17 avril 1914, sous le titre de rubrique « Libres propos ».
« S’il est homme critiqué, c’est bien le correcteur, celui qui s’est donné dans sa vie, la très fâcheuse mission de corriger dans une toute petite pièce donnée comme l’on donne une aumône, les inévitables « coquilles » si généreusement distribuées par les typographes. Sa besogne est aride, parfois amère : sous la blanche lumière d’une lampe, il parcourt de ses yeux fatigués des épreuves plus ou moins lisibles ; un doigt de sa main gauche fixé sur la copie de l’auteur, suit la succession ininterrompue des lignes et le fil d’Ariane d’une pensée dont le reflet est parfois rebelle et dont la continuité s’interrompt soudain sous le fâcheux effet d’un quelconque distraction.
« Derrière l’humble personne de ce travailleur modeste, les linotypes chantent leur monotone mélopée : elle n’a rien d’harmonieux cette succession de bruits qui imite à s’y méprendre le cliquetis de fantastiques cisailles qui s’agiteraient dans le vide : une désagréable odeur de plomb fondu s’attarde dans l’atmosphère de l’atelier : les lampes électriques projettent sur les machines et sur les gens le brillant reflet de leur impassible clarté. Obstinément penché sur les placards que le prote transmet avec une désespérante régularité, le correcteur examine soigneusement les lignes rigides, fixe les lettres, surveille une ponctuation capricieuse et veille avec un soin jaloux à ce que rien ne défigure la pensée d’un auteur inconnu.
« Ô l’obscure tâche !
« Les connaissances de ce paria des ateliers de typographie doivent être assez étendues pour qu’elles puissent facilement embrasser tous les domaines de l’intellectualité : un dictionnaire est le compagnon fidèle et discret, le précieux arbitre qui résout tous les conflits entre l’orthodoxie et la syntaxe : la patience est la vertu nécessaire et son rôle est d’autant plus ingrat qu’elle doit s’exercer en des heures de fièvre et de surmenage, alors que la pensée devance avec une inquiétude fébrile une plume trop rétive et trop lente à son gré.
« […] le correcteur à ses rares instants de loisirs voit les formes du journal s’emplir… » DR.
« La monotomie [sic] apparente des heures sombre dans le souci de ne point retarder le labeur des typographes : aussi, est-ce d’un œil bienveillant que le correcteur à ses rares instants de loisirs voit les formes du journal s’emplir : les lignes s’ajoutent aux lignes[,] les paragraphes aux paragraphes, les colonnes aux colonnes : une masse uniformément noire donne à ces heures une de ces joies que des profanes ne soupçonnent point : nous n’aurions jamais cru que le plomb, ce vil et populaire métal, pût éveiller d’aussi douces émotions…
« Dans la solitude de ton bureau, travaille petit correcteur : obstine-toi avec amour sur l’ingrate tâche et songe à ceux qui, le lendemain, liront ce journal sur lequel tes yeux se sont si patiemment attardés : songe à tout cela, songe au bien que pourront faire dans les âmes les lignes corrigées par toi, et dis-toi que ton humble travail a contribué à reproduire avec le plus de fidélité possible, la pensée de ceux qui se sont consacrés au rude apostolat de la plume.
« On tire une épreuve de ce premier jet (comme la création spirituelle, la création mécanique implique des retouches) et on transmet cette épreuve aux correcteurs. Penchés sous des faisceaux de lumière, comme des artisans sous la lampe, les correcteurs confrontent l’épreuve qu’ils viennent de recevoir avec le texte original. Confrontent. Il faudrait écrire : reconstituent. Gloire à eux qui arrivent à faire parler les pattes de mouches, à découvrir des clartés dans des textes plus impénétrables que les énigmes du Sphinx… Consciencieusement, ils redressent les petites entorses à l’orthographe, ils restituent au papier les paragraphes oubliés et — confessons-le — souvent ils redonnent un sens à la pensée de l’auteur qui a écrit trop vite et oublié le verbe qui asseyait la phrase… La tâche accomplie, ils redonnent l’épreuve au chef prote.
« Après cette retouche, ce filtrage supplémentaire, voici le “papier” avec son titre dans sa forme définitive. Il quitte la réunion [sic, rédaction ?] pour gagner le marbre. Le marbre est une longue table d’acier (elle était de marbre dans les anciennes imprimeries) sur laquelle on “monte” les pages. Les articles, revus et corrigés, se groupent près des formes, ces cadres d’acier qui épousent la “forme” des pages et retrouvent, clichées, les photographies que le secrétaire de rédaction a choisies pour illustrer ses articles. Les articles sportifs sont ainsi rassemblés près de la forme des sports… Les articles de tête, près de la forme de la “une” : la première page.
Les secrétaires de rédaction composent les pages
« Les secrétaires de rédaction — chacun responsable d’une page — sont à leur poste devant leur forme… Et le montage commence… Disposant ses clichés, ses titres gras ou maigres, selon l’importance qu’il leur assigne en indiquant leurs caractères, le secrétaire, lentement, élabore son chef-d’œuvre. Il essaye de faire chanter tout cet univers qu’on lui a apporté, de donner une forme harmonieuse à ces lourdes colonnes de plomb, de composer un poème vivant avec des lignes, des filets, des traits pleins. Il a prévu une maquette.
« Les négociations de M. Eden sur deux colonnes, en tête. Bon. Mais, à la dernière minute, M. Spaak ne sera pas reçu par M. Eden. Toutes les négociations de M. Eden, subitement, perdent de leur importance. Et deux colonnes en tête, c’est beaucoup trop… La maquette — toute une soirée de réflexion et de composition — ne tient plus… M. Eden a tout gâché.
« — Vite ! très vite ! — l’heure inexorable du premier train qui doit emporter l’édition approche — il faut improviser une autre maquette. Et souvent, grâce à une trouvaille de dernière heure, la page se présentera dans sa perfection, équilibrée comme la raison, heureuse comme la ligne du Temple antique, dans la lumière bleue de l’Acropole…
« — Vite une morasse ! Un peu d’encre, une feuille blanche. Quelques coups de brosse énergiques. Voici à la lettre, le premier tirage : l’exemplaire no 1. Le secrétaire de rédaction contemple cette morasse comme la fille bien-aimée de ses efforts et de sa pensée. Il la scrute du regard pour voir si elle est digne de lui, si une erreur, dans un titre ou dans une légende, ne l’obligerait pas demain à la renier…
« Tout va bien. Ce titre est clair comme une aurore. Celui en “romain”, sur un papier relatif à l’Italie, apparaît massif et ordonné, comme un défilé de chemises noires. C’est parfait. En avant ! — Chariot ! Déjà, voici que s’avance, en grinçant, poussée par des bras musclés, cette petite table d’acier que le secrétaire de rédaction accueille toujours avec le sourire, car elle emporte son œuvre… annonce sa libération. »
René Armand, « Une journée au “Petit Journal” », Le Petit Journal, 1er février 1938, p. 1-2.