Si vous êtes correcteur ou si vous lisez ce qu’ils publient, vous connaissez le mot orthotypographie ou, du moins, vous l’avez croisé. Il règne un certain flou autour de sa définition, de ce qui relève ou non de cette notion. Certains professionnels, lorsqu’ils parlent de correction orthotypographique, y incluent la grammaire1, voire, quand elle est « approfondie », la cohérence du récit et la réécriture2 !
Le terme orthotypographie ne figure pas dans les dictionnaires de référence (Larousse, Robert, Académie, TLF). Pour Cordial, c’est le « domaine couvrant l’ensemble des corrections de fautes, par l’association de l’orthographe et de la typographie ».
Le Wiktionnaire est plus précis et en propose deux acceptions :
- « (Typographie) Ensemble des règles qui permettent d’écrire de façon correcte qui recoupe l’orthographe et les règles typographiques (utilisation des majuscules et des minuscules, des espacements, de la ponctuation, de l’italique, etc.).
- Discipline ayant pour objet l’étude de cet ensemble, de son évolution, des ouvrages tels que codes, marches, manuels de bon usage, des pratiques de la correction et de la révision des textes et de celles et ceux qui en font profession. »
Mais la lecture de l’article de Wikipédia consacré à cette notion, au-delà du premier paragraphe, montre que les choses sont plus complexes.
La typographie « au sens large » est, rappelons-le, la « mise en forme de l’écrit3 ». Selon ses racines grecques, l’orthotypographie serait donc la typographie correcte. C’est dans ce sens que Jérôme Hornschuch a créé le terme orthotypographia (en latin) en 1608, dans ce qui est considéré comme le premier manuel du correcteur – lire mon article.
Plus près de nous, la linguiste et historienne de l’orthographe française Nina Catach (1923-1997) a repris le terme, en l’identifiant à une « orthographe typographique4 », incluant la ponctuation et l’« aspect tout extérieur » du texte, c’est-à-dire sa mise en page5.
Pour le correcteur et typographe Jean-Pierre Lacroux, orthotypographie est plutôt un mot-valise (à l’instar d’auto-école) :
« “Orthotypographie” est un beau néologisme. Sa formation, fort différente de celle d’orthotypographia […], ne doit rien à la préfixation. C’est un mot-valise subtil : ortho[graphe] + typographie. Il est parfait pour désigner l’armada des prescriptions à la fois orthographiques et typographiques, par exemple celles qui concernent l’écriture des titres d’œuvres6. »
« De fait, écrit Wikipédia, le terme correspond à une intersection (nécessairement) floue entre orthographe et typographie », mais « reste […] en attente d’une définition précise ».
Je n’entre pas davantage dans les subtilités définitionnelles du terme et je renvoie à l’article complet le lecteur qui souhaiterait en savoir davantage. J’en retiendrai seulement ce paragraphe :
« L’orthotypographie se distingue […] du simple respect de la norme orthographique et grammaticale commun à l’ensemble des productions écrites (y compris les productions courantes). Son but est d’appliquer des normes ortho- et typo-graphiques applicables à l’édition “composée” qui participent à la compréhension visuelle d’un texte structuré, qu’il s’agisse d’impression sur papier ou de mise en ligne. »
Autrement dit, l’orthotypographie, ce seraient les règles à suivre pour qu’un texte imprimé ou numérique soit conforme à un certain « bon usage », qui, selon Lacroux (ibid.), « n’est pas celui des écrivains mais celui des livres (de toute nature). […] il ne s’agit ici ni de la syntaxe ni de l’orthographe, mais de balivernes, telles que la ponctuation ou l’emploi des majuscules, que la plupart des auteurs ont toujours négligées et abandonnées avec empressement au bas peuple des ateliers. »
« En somme, tout ce qui entoure le mot7. »
L’orthotypographie, un besoin actuel pour tous
Bien que ses contours restent à préciser, l’orthotypographie est pratiquée chaque jour, aussi bien par les professionnels de l’édition que par les particuliers.
À l’époque de l’imprimerie traditionnelle, explique le professeur Jacques Poitou (ibid.), « la typographie était l’affaire exclusive des typographes ». Avec l’arrivée de la dactylographie (« dans les bureaux vers la fin du xixe siècle, dans le courant du xxe siècle chez les particuliers »), les possibilités d’enrichissement du texte étaient limitées. Mais avec l’arrivée de la PAO, « le possesseur d’un ordinateur, d’un logiciel de traitement de texte et d’une imprimante a les moyens techniques de produire des documents de qualité. Il a même à sa disposition bien plus de moyens (notamment de polices) que les imprimeurs auraient pu en rêver. » Or, « la mise en forme et la mise en page du texte ne sont généralement pas objet d’enseignement ». Pourtant, bien publier s’apprend.
« Depuis que la “typographie” est morte8, écrit encore Lacroux (ibid.), les codes typographiques sont devenus indispensables. » Avec les automobiles, « quand tout le monde circule vite, il vaut mieux prendre des précautions » (à savoir créer le Code de la route). De même, « quand n’importe qui imprime », il faut des règles communes.
Le « succès public9 » d’un ouvrage comme le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale montre que des particuliers et des professionnels hors du domaine de l’édition ont encore le souci de produire des documents – imprimés ou numériques – de qualité et que, selon la jolie formule de Lacroux, « la chaleur du plomb n’a pas fini d’irradier la langue écrite ».
☞ Lire aussi, notamment, Qui crée les codes typographiques ? et Ce que la PAO a changé au métier de correcteur.