Certains l’appellent « tiret du 6 », d’autres « (signe) moins », d’autres encore « trait d’union » – les typographes parlent, eux, de « division1 », plus rarement de « tiret quart de cadratin ». Mais la plupart ignorent sans doute, comme moi jusqu’à hier, qu’un tour de passe-partout a été opéré, dans le monde de l’ingénierie, à la fin du xixe siècle.
En cherchant autre chose, je lis ici : « Le tiret du 6 n’est pas un trait d’union ! » Je lis ailleurs : « Le “tiret du 6” n’a […] pas de valeur typographique. » Je découvre aussi que les développeurs informatiques l’appellent « trait d’union-signe moins » (hyphen-minus, en anglais). Me voilà troublé !
Un article d’un site communautaire (24 jours du Web, information confirmée par le Wikipédia anglais) m’a éclairé :
« Le signe - que vous connaissez tous est un des caractères les plus accessibles sur nos claviers. Il n’est malheureusement qu’un (pauvre) héritage de la dactylographie. En effet, il a été inventé pour remplacer deux signes distincts à la fois : le trait d’union et le signe moins. Ainsi les mécanismes des machines à écrire s’en trouvaient simplifiés. […]
Même si graphiquement les deux premiers signes sont bien identiques, ils n’ont en fait pas exactement le même sens. […]
Pour autant, l’usage du trait d’union étant très fréquent, et le véritable caractère bien plus difficile à obtenir, je vous recommande de ne pas vous montrer trop perfectionniste et de considérer le caractère “trait d’union et signe moins” comme un simple trait d’union. C’est un compromis qui semble acceptable tant sémantiquement que graphiquement. »
Je savais que, par simplicité – et ce, depuis l’invention de la machine à écrire –, le trait d’union était souvent employé comme signe moins, mais je pensais que seul ce signe mathématique avait disparu du clavier. J’ignorais que le vrai trait d’union (hyphen) avait, lui aussi, disparu !
Il n’existe quasiment plus que sous forme de référence chiffrée (U+2010), dans le standard mondial Unicode (le code du « trait d’union-signe moins » est U+002D). Il y a donc « confusion homoglyphique » des deux signes. Si, comme il est dit plus haut, il est « bien plus difficile à obtenir », c’est que ce code est laissé vide par nombre de polices numériques, telle la Garamond de mon Mac :
Je ne suis pas certain que la typographie y ait vraiment perdu quelque chose. D’éventuels spécialistes me détromperont. (Plus gênante est la difficulté d’employer le vrai signe moins – lire mon article.) Mais j’ai été surpris par cette révélation impromptue.
Au passage, j’ai découvert dans les profondeurs d’Unicode des tirets méconnus comme le trait d’union arménien (U+058A), le trait d’union double oblique (U+2E17) ou encore le trait d’union à tréma (U+2E1A). Ne me demandez pas à quoi ils servent… (Si vous le savez, vous pouvez m’écrire !)
Dorénavant, quand je me repencherai, dans mes codes typo2, sur les usages du « trait d’union », je saurai que le vrai, l’unique, a été enterré sans les honneurs, il y a quelque cent cinquante ans, et qu’un imposteur a pris sa place.
☞ Pour d’autres infos intéressantes, consulter la liste des articles.
Source illustration du haut : Astuto.
- Usage que combattait Jean-Pierre Lacroux, dans son Orthotypographie :
« Dans le monde typographique perdure un archaïsme : on nomme encore division le signe que les grammairiens d’aujourd’hui et le reste de la population appellent trait d’union. Cette particularité lexicale, source de confusion pour les non-initiés, ne mérite pas d’être maintenue. Il s’agit du même signe graphique : le trait d’union. Il suffit de couper un mot composé pour s’en convaincre : un sous-[marin.
Si l’union permanente d’un mot composé et la division occasionnelle d’un mot en fin de ligne sont des opérations très différentes (orthographe-typographie), les rôles qu’y joue le trait d’union n’ont rien d’antithétique : il divise certes le mot en fin de ligne, mais il indique surtout que la fraction qui le précède est unie à celle qui figure au début de la ligne suivante. Ce n’est pas une hache, c’est un maillon. Cessons donc de l’appeler “division”. » - Lire aussi Qui crée les codes typographiques ?