Je n’ai jamais corrigé d’ouvrages de mathématiques ni de physique-chimie, mais, bien sûr, il arrive que les textes qu’on me confie comportent des formules chimiques ou des expressions algébriques, dont je dois garantir la lisibilité. Il y a là une source d’erreur qui peut avoir des conséquences fâcheuses.
J’ai notamment vu transformer des symboles minuscules en majuscules, ce qui en change radicalement le sens. Le kilo (k) en Kelvin (K), le gramme (g) en giga (G). À un éditeur qui avait choisi de passer tous les titres en capitales, j’ai dû signaler que cela ne l’autorisait pas à transformer le cobalt (Co) en oxyde de carbone (CO).
Il y a quelques jours, je racontais la disparition du trait d’union au nom de la simplification dactylographique. Le « tiret du 6 » a, en effet, fusionné trait d’union et signe moins. C’est ce dernier que je vais maintenant évoquer, car sa quasi-disparition est plus problématique que celle de son « cousin ».
Le site communautaire 24 jours du Web, déjà mentionné dans mon précédent article, en parlait, bien sûr :
« Le signe moins […] n’est pas directement accessible sur nos claviers. Même les claviers étendus qui proposent un pavé numérique n’offrent qu’une duplication du “trait d’union et signe moins”.
Ce symbole mathématique est pourtant différent graphiquement et sémantiquement des autres.
Sa hauteur lui permet d’être parfaitement aligné avec son opérateur opposé, le + ; et sa largeur est proche du tiers de cadratin. Sa largeur est également identique aux signes plus et égal, afin d’offrir de meilleurs alignements verticaux […] »
On ne saurait mieux dire.
J’ajouterai une autre comparaison (en police Bodoni), très parlante :
Autre problème, jamais mentionné : dans certaines polices, le trait d’union n’a rien d’un tiret rectiligne. Exemples ci-dessous en Jenson et en Novarese (police avec laquelle j’ai longtemps travaillé).
Quel scientifique accepterait d’exprimer la négativité avec une sorte de tilde, lequel a une autre signification dans sa discipline ?
Enfin, dans le signe « plus ou moins » (±), les deux signes associés ne sont-ils pas de même largeur ? Il y a donc là une incohérence.
Typographie soignée
Sur un blog, qu’il est inutile de nommer, j’ai lu : « En bonne typographie, c’est ce signe [le trait d’union] qui est employé comme “signe moins” dans la transcription mathématique. » Peut-on vraiment parler de « bonne typographie » ?
Il ne faut pas confondre les contraintes pratiques et la théorie.
Pour moi, le correcteur doit mettre en œuvre la meilleure typographie possible ou, du moins, être capable de le faire sur demande. Il faut pour cela la connaître. C’est à cela que servira ce billet.
Les codes et manuels typographiques décrivent les usages différenciés du trait d’union et des tirets (cadratin et demi-cadratin). La plupart oublient de mentionner quel signe il faut employer pour écrire un nombre négatif ! Ce n’est souvent qu’en tombant sur un exemple qu’on en déduit le choix de l’auteur. Et on trouve de tout : ainsi, chez Gouriou (p. 80), un tiret cadratin suivi d’une espace (sous — 20 degrés).
Autre source d’étonnement : la nette distinction qu’ils font entre composition mathématique (par exemple, Imprimerie nationale, p. 115) et composition ordinaire. Peut-on, sans risque, les séparer aussi nettement ? Comme je l’ai déjà dit plus haut, les textes courants peuvent comporter des formules algébriques, qui doivent être relues avec attention par le correcteur professionnel.
Or, inverser la valeur d’un nombre n’a rien d’anodin. Peut-on accepter si facilement de représenter cette opération par un signe étriqué, de moitié moins large qu’un chiffre ?
S’en émouvoir, ce n’est pas être puriste. C’est avoir le souci de la lisibilité. C’est aussi chercher à maintenir vivant l’art de la typographie.
Même Jean-Pierre Colignon parle du signe moins au passé : « […] le vrai “moins” était un signe intermédiaire entre le tiret et le trait d’union, faisant les deux tiers ou les trois quarts du vrai tiret. Ce rôle est joué aujourd’hui par le trait d’union […]1 »
Un correcteur digne de ce nom ne confondrait pas la lettre minuscule x et la croix de multiplication (×), ni le prime (a′) et l’apostrophe (a’). Pourquoi devrait-il confondre trait d’union (ou tiret) et signe moins, en laissant libre cours à une prétendue « norme » ?
Aspect pratique
Bref, quand les codes typo parlent de l’écriture des nombres négatifs, ils recommandent généralement le trait d’union. Voir Colignon (déjà cité) ou Ramat-Muller (p. 83). Pour ma part, je le trouve trop petit et je lui préfère le tiret demi-cadratin, à l’instar du typographe Bruno Bernard2.
L’emploi du signe moins, qui reste recommandable en typographie soignée, présente trois difficultés :
1) Il n’est pas accessible au clavier directement. Il faut soit taper son Unicode (U-2212), soit aller le chercher dans les glyphes, parmi les signes mathématiques.
2) Il n’existe pas dans certaines polices, comme la Garamond de mon Mac.
3) Conséquence du 2 : si on travaille sur un texte qui aura plusieurs destinations, par exemple une publication imprimée et une en ligne, on ne peut prendre le risque d’employer un signe qui, potentiellement, disparaîtra du texte. Il faut au moins vérifier que cela est sans danger.
Ces restrictions mises à part, le signe moins reste disponible.
Et l’espacement ?
Pour faire le tour complet de la question, je donne les règles d’espacement du signe moins (difficiles à trouver), évidemment valables si vous utilisez à sa place le trait d’union ou le tiret :
« Un nombre négatif est écrit sans espace séparateur après le signe moins » — Wikipédia3. Inversement, toutes les opérations algébriques s’écrivent avec une espace avant et après le signe. En effet, en mathématiques, on distingue le cas où le signe moins est un opérateur unaire (–1) et celui où il est un opérateur binaire (3 – 1). Pour plus d’information, lire le PDF Règles françaises de typographie mathématique d’Alexandre André.
Même s’il n’en a pas l’usage au quotidien, le correcteur doit au moins connaître l’existence du signe moins et ses propriétés, pour l’employer quand cela est nécessaire. Cela ne me paraît pas follement réactionnaire, simplement rigoureux.
Pour les références des auteurs cités, voir La bibliothèque du correcteur.
NB – N’étant pas mathématicien, j’ai pu manquer de précision dans mes explications. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me le signaler.
- Dictionnaire orthotypographique moderne, CFPF, 2019, s.v. tiret (le), tirets (les). Voir aussi Un point, c’est tout !, p. 108 : « […] la négation est, dans l’usage, indiquée soit par un trait d’union [« il faisait bien -30 °C ce matin-là, à Jougne »], soit – mais c’est plus rare – par un signe spécial dont la longueur équivaut aux trois quarts ou aux deux tiers d’un tiret. »
- On trouve la même recommandation en anglais : « In practice, most computer users type the hyphen-minus in place of the minus sign, compare −5 (minus sign) and -5 (hyphen-minus). If the minus sign is not available, I recommend to use the en-dash instead, compare “6 – 5” (en-dash) and “6 - 5” (hyphen-minus, too short). Note : Most programming languages require the user to use the hyphen-minus sign in place of a minus. » — Jakub Marian’s Language learning, science & art.
- Voir aussi la Vitrine linguistique.