Coupures “malsonnantes”, décence et conséquences

Avez-vous déjà enten­du par­ler du CONCUVIT1 (ou CONCUBITE2) ? Il s’agit d’une règle connue des pro­fes­sion­nels de l’imprimerie et de l’édition, en par­ti­cu­lier des cor­rec­teurs, qui doivent veiller à son appli­ca­tion. Règle de bien­séance plu­tôt que de typo­gra­phie, si bien que les auteurs des codes typo­gra­phiques ne la men­tionnent pas tous et que, par­mi eux, seuls Lacroux et Gué­ry osent don­ner son nom familier. 

Cette règle recom­mande d’éviter les cou­pures (appe­lées aus­si divi­sions) de mots en fin ou, plus rare­ment, en début de ligne géné­ra­le­ment qua­li­fiées de « mal­son­nantes » dans les codes typo.

Ain­si, Coli­gnon écrit (à l’en­trée « Cou­pures en fin de ligne ») :

« On évite, même si les mœurs ont évo­lué, les cou­pures “mal­hon­nêtes”, cho­quantes, mal­son­nantes, qui peuvent entraî­ner des signi­fi­ca­tions péjo­ra­tives… :

« … alors qu’arrivait le grand cul/
tiva­teur

« Ce met­teur en scène pro­pose ici une pièce très cul/
turelle

« Le chef de l’État voit en chaque Fran­çais un con/
tri­buable à pres­ser comme un citron
. »

De même, le Ramat-Mul­ler signale : 

« J’ai mal occu/
pé ma jeu­nesse
 »

Et Gué­ry déconseille :

« Le géné­ral s’était fait pré­sen­ter les cons/
crits qui arri­vaient à la caserne.
 
« Il était angois­sé à l’idée d’une mort su/
bite qui lui appa­rais­sait…
 »

Lais­ser une telle cou­pure était encore plus ris­qué à l’époque de la com­po­si­tion au plomb, où la seconde ligne pou­vait dis­pa­raître pour une rai­son quelconque. 

Un procès et un licenciement

Mau­rice Rajs­fus, que j’ai déjà cité (voir Deux belles blagues faites au cor­rec­teur par le typo­graphe), raconte (p. 74-75) : 

« Une fois, dans un potin mon­dain, il était ques­tion d’une célèbre dan­seuse étoile qui devait par­ti­ci­per à une fête de cha­ri­té en aban­don­nant son cachet. Cette infor­ma­tion brève, banale à la limite, était ain­si conçue :

« … Made­moi­selle X. prê­te­ra son gra­cieux con
cour
s.

« Durant le mon­tage, la seconde ligne dis­pa­rut. Ce bour­don se ter­mi­na par un pro­cès bien pari­sien, et le licen­cie­ment du jour­na­liste res­pon­sable de la rubrique. »

Qu’on soit ou non « bégueule », comme le dit Lacroux, il vaut mieux évi­ter ces cou­pures, ne serait-ce que pour se pré­ser­ver de telles conséquences. 

Pour les réfé­rences des auteurs cités, voir Qui crée les codes typographiques ?


  1. Ceux qui igno­re­raient le mot vit peuvent consul­ter le Larousse.
  2. Ou encore CONCUVI. Voir la Vitrine lin­guis­tique.