Si vous êtes sensible à la grammaire — je suppose que la plupart de mes lecteurs le sont —, sans doute avez-vous remarqué, dans les journaux, à la radio ou à la télévision, que certains locuteurs ou auteurs emploient systématiquement participer de.
Ils semblent voir cette association verbe + préposition comme l’équivalent formel de participer à. Or, c’est inexact : si participer de relève bien de la langue soignée ou littéraire, les deux formes n’ont pas le même sens. L’Académie est formelle :
Le sens du verbe variera […] selon qu’il sera suivi de la préposition à ou de la préposition de. Participer à signifie « prendre part à une activité donnée », alors que participer de signifie « avoir une similitude de nature avec, relever de ». On se gardera bien de confondre ces différents sens.
Un échange de mails avec un lecteur de mon blog m’a fait découvrir l’existence d’un « tiret trois quarts de cadratin ». C’est peut-être un détail pour vous… (surtout si vous ne connaissez que le « tiret du 6 »). Pour moi, c’est une sorte d’hapax typographique. Ou un objet typographique mal identifié. Car je n’en avais jamais entendu parler !
Illustration tirée de la lettre de Jean Méron (2012), montrant les tirets de différentes longueurs, dont notre tiret trois quarts de cadratin, en rouge.
La chose aurait été employée à la fin du xixe siècle par l’Imprimerie nationale ou, du moins, elle en disposait dans ses casses1. Le chercheur Jean Méron2 l’évoque dans une lettre de 2012 (PDF). Il l’aurait lui-même découvert dans le Manuel à l’usage des élèves compositeurs (1887) de Jules Jouvin, sous-prote de la grande maison. Cet épais volume est l’ancêtre du Lexique des règles en usage à l’Imprimerie nationale3.
L’aspect cocasse de ma recherche, c’est que l’exemplaire de la BnF, reproduit sur Gallica, s’arrête à la page 34, alors que le tiret trois quarts de cadratin est mentionné, selon Jean Méron, aux pages 433-434. Heureusement, grâce à la diligence du service du patrimoine des Méjanes, les bibliothèques d’Aix-en-Provence, qui possèdent un exemplaire complet (460 pages), j’ai obtenu en quelques heures les deux pages en question.
L’ouvrage se termine en effet par une liste de vocabulaire, où l’on trouve le texte suivant :
MOINS, tiret long qui ordinairement sert à séparer des phrases ou à remplacer des mots qu’on juge inutile de répéter. Ainsi nommé parce qu’il a la force du moins employé en algèbre. Il existe des moins sur cadratin, sur demi-cadratin et sur trois quarts de cadratin.
Je rappelle que le cadratin est une unité de mesure de longueur correspondant à celle d’un M et de son approche. « Sur cadratin » doit être compris comme « fondu sur (un bloc d’un) cadratin », c’est-à-dire ayant la chasse d’un cadratin.
Eh bien, figurez-vous que le tiret trois quarts de cadratin, absent de tous les manuels typographiques que j’ai consultés dans ma vie, existe depuis 1993 dans l’Unicode (système de codage de caractères utilisé par les ordinateurs pour le stockage et l’échange de données textuelles), où il porte le nom de « barre horizontale » et le numéro U+2015.
En code HTML, on peut donc l’obtenir avec ― (mais aussi avec &horbar ou ―). Ce qui donne ceci (je l’ai entouré de ses cousins et lui ai appliqué la couleur rose).
— ― – -
On vit dans un monde incroyable : on ne peut pas employer les espaces fines où l’on veut, ni même les espaces insécables — si les codes existent, nombre de programmes, en particulier sur le Web, ne se soucient pas de les interpréter correctement4 —, mais il existe un numéro d’Unicode pour un tiret inconnu de tous. Cela signifie que quelqu’un le connaissait et a estimé utile de lui assurer un avenir. Mais qui ?
Précisons toutefois que la dernière version de l’Unicode contient 149 813 caractères et que la catégorie « Ponctuation de type tiret5 », à elle seule, contient 25 entrées, dont les tirets double et triple cadratin, tout aussi inconnus de la tradition.
Et que viendrait faire ce tiret entre son cousin demi-cadratin et son autre cousin cadratin ? (Le trait d’union mesurant un quart de cadratin.) D’après le site Dispoclavier.com6, il aurait pour fonction d’indiquer un changement d’interlocuteur dans les dialogues ou d’introduire une citation (je n’ai pas trouvé trace de ce dernier usage, mais on peut le concevoir), en concurrence avec ses cousins. Son utilité est donc toute relative, mais abondance de biens ne nuit pas.
Dans un précédent article, j’avais évoqué une guéguerre opposant, par ouvrages interposés, deux correcteurs à propos du tiret long.
Avec le tiret trois quarts de cadratin7, je termine le tour de la famille.
Allez, non, un petit dernier pour la route : James Felici (2003) signale aux graphistes les plus pointus :
Le quatrième type de tiret, le tiret numérique, est disponible uniquement dans quelques rares polices. En principe, il possède la longueur du trait d’union, mais il est plus maigre et placé plus haut ; on l’utilise de préférence pour indiquer des plages de chiffres8.
Là, la famille devrait être au complet.
Aujourd’hui, dans son tableau des signes de ponctuation (p. 149), le Lexique ne montre qu’un « tiret (moins) », qui a la longueur d’un cadratin, alors que tout le texte du livre emploie le tiret demi-cadratin. Certains observateurs n’ont pas manqué de le souligner défavorablement. ↩︎
La seule autre mention que je trouve, à ce jour, de la longueur « trois quarts de cadratin », c’est à propos des espaces dans le Traité de la typographie d’Henri Fournier (3e éd., 1870, p. 110) : « Les espaces équivalentes à trois quarts de cadratin sont les plus fortes dont on doive se servir pour une justification ordinaire. » Règle répétée, une seule fois, dans La Typologie-Tucker du 15 août 1886 (n° 194, vol. 4, p. 524). ↩︎
Le Manuel complet de typographie, Peachpit Press, 2003, p. 204. ↩︎
Les passionnés de typographie connaissent les articles de Jean Méron, chercheur indépendant. Son site n’avait pas été mis à jour depuis février 2021.
Né en 1948, il est mort le 18 janvier 2022, à l’âge de 73 ans.
C’est la liste de diffusion Typographie de l’Inria, dont il était membre, qui l’a annoncé, dans un message du 3 janvier 2023, que je n’ai découvert qu’aujourd’hui :
Grand polémiqueur devant l’Éternel, Jean Méron nous a quittés sur la pointe des pieds après un dernier combat contre la mérule1… Les membres de cette liste se souviennent des discussions homériques qui épiçaient les fils…
Érudit touche-à-tout, Jean s’était illustré par une abondante littérature sur la typographie, son histoire et sur le foisonnement de ses règles parfois contradictoires. Après des études en psychologie, il explore la composition et le bien écrire, sujets, qu’à son habitude, il approfondira jusqu’à les épuiser. Il n’écrira, en revanche, jamais, la grammaire raisonnée dont il rêvait, comme tant d’autres…
Ses derniers mois, il les passa comme conseiller municipal dans sa commune de Guémené-sur-Scorff [Morbihan] et quelques photos nous le montrent, presque hilare, lors des réunions politiques. Jean est parti en janvier 2022, et c’est en raison d’un long silence inhabituel dont nous cherchâmes le motif, que nous apprîmes la nouvelle.
De haut en bas et de gauche à droite : guillemets français (en chevrons doubles), guillemets en chevrons simples, signes mathématiques de comparaison et crochets triangulaires.
Nota : Cet article assez long regroupe des considérations sur des signes peu connus, mais cousins des guillemets français. Il ne s’agit pas, à strictement parler, d’une leçon d’orthotypographie.
Chacun sait que les guillemets dits « français1 » sont des signes en chevrons doubles, « » (motif qui évoque aussi, chez nous, le logo de Citroën). Ils « apparaissent à partir de la fin du xviiie siècle et deviennent majoritaires vers la fin du xixe siècle » (Wikipédia2).
On les oppose aux guillemets dits « anglais », en apostrophes simples, ‘ ’, ou doubles, “ ”.
Guillemets et citations
De nos jours, en France, les guillemets en chevrons doubles sont d’usage majoritaire pour délimiter les citations — même s’il existe d’autres possibilités (italique, corps inférieur, etc.3) moins employées.
Dans le cas où un texte comprend une citation et une sous-citation enchâssée dans la première, l’usage le plus courant, aujourd’hui, est d’employer les guillemets français pour la citation et les guillemets anglais pour la sous-citation. Chaque citation est close par son guillemet fermant.
Introduction : « Citation : “Sous-citation.”»
C’est, notamment, le choix de Louis Guéry4 (qui a formé des générations de journalistes). Par contre, l’Imprimerie nationale — pour qui les guillemets anglais doivent n’être employés qu’« exceptionnellement » dans un texte français — enchâsse les guillemets français et précise : « Si les deux citations se terminent ensemble, on ne composera qu’un guillemet fermant5 » :
Et La Fontaine de conclure l’anecdote qu’il rapporte sur son inspirateur : « Cette raillerie plut au marchand. Il acheta notre Phrygien trois oboles et dit en riant : « Les dieux soient loués ! Je n’ai pas fait grand acquisition, à la vérité ; aussi n’ai-je pas déboursé grand argent. »
« Exemple particulièrement curieux », note l’utilisateur Marcel sur Disposition de clavier bépo6, car « si le texte continue, on aura du mal à savoir qui parle, de La Fontaine ou du narrateur ».
Guillemets en chevrons simples
Pour encadrer une sous-citation, d’autres signes seraient possibles, mais ils sont ignorés par la plupart des manuels typographiques français — de même qu’au Québec7. Il s’agit des chevrons simples. (Ils sont espacés comme les guillemets ordinaires.)
C’est pourtant ce que préconisent les typographes romands8 :
Lorsque, à l’intérieur d’une citation, s’en présente une deuxième, nous préconisons l’usage de guillemets simples ‹ › pour signaler celle-ci. […] Lorsqu’un mot entre guillemets se trouve à la fin d’une citation, le guillemet fermant se confond avec le guillemet final : […] Le sélectionneur de l’équipe nationale affirme : « Les hommes que nous avons choisis sont tous des ‹ battants. »9
Pour la graphiste et typographe Muriel Paris, « profiter de l’existence, dans les polices de caractères, des signes doubles et signes simples », c’est « choisir la sobriété »10.
Le typographe Jan Tschichold (1902-1974) prônait, lui, l’ordre inverse :
Je préfère la manière suivante : ‹ – « » – › , de même que je donne la préférence aux guillemets simples de cette forme : ‹ › 11.
Des guillemets d’ironie spécifiques
Outre l’avantage de la cohérence graphique entre chevrons doubles et simples, cet emploi présenterait celui de réserver aux guillemets anglais le rôle que, spontanément, nombre d’auteurs leur donnent, celui de guillemets d’ironie.
Ex. : Il m’a dit : « Je ne suis pas “n’importe qui”. »
Les guillemets d’ironie, dits aussi guillemets ironiques, désignent une utilisation particulière des guillemets pour indiquer que le terme ou l’expression mis en exergue n’a pas sa signification littérale ou habituelle et n’est pas nécessairement cité d’une autre source. Les guillemets d’ironie marquent la distance, l’ironie, le mépris que l’auteur veut montrer vis-à-vis de ce qu’il cite. Ils ont un pouvoir de distanciation et indiquent les réserves de l’auteur par rapport à un mot ou à une expression (Wikipédia12).
Employer le même signe pour deux usages différents dans le même contexte est contraire à la recherche de lisibilité maximale, vers quoi doit tendre l’orthotypographie :
[…] cette mode selon laquelle les mêmes guillemets servent tantôt pour marquer une citation ou un terme cité, tantôt un terme critiquable dont on met en question la signification habituelle, n’a-t-elle pas tout pour fâcher celles et ceux d’entre nous qui aiment la rigueur plutôt que l’ambiguïté ? […] Pour la clarté du discours écrit, il est recommandable d’utiliser les ‹ … › pour les citations de deuxième niveau, et de réserver les “…” aux guillemets d’ironie s’il convient d’en mettre. En voyant des “…”, la lectrice et le lecteur peuvent se rendre compte immédiatement que ce n’est pas donné comme une citation. Effet à éviter donc à l’intérieur des citations, sauf si la personne citée aurait mis des guillemets d’ironie à l’écrit (« Marcel », toujours13).
D’autres chevrons simples
D’un point de vue graphique, les guillemets en chevrons simples sont en concurrence avec d’autres, les signes mathématiques de comparaison (inférieur à, <, et supérieur à, >).
J’évoque là des usages méconnus des non-professionnels de l’édition.
On peut utiliser les chevrons simples (sans espaces intérieures) pour entourer une adresse de site. Si l’adresse termine la phrase, on met un point final après le chevron simple fermant. Mon site est le suivant : <www.ramat.ca>. […] Le chevron fermant (avec espaces) est utilisé pour décrire les opérations informatiques. Accueil > Insérer > Forme > Rectangles (Pour dessiner un rectangle dans Word.)
On emploie également le signe supérieur à, >, dans les « fils d’ariane », c’est-à-dire les chemins d’accès à une page Web15.
Ex. : Pour savoir quels ouvrages je recommande aux correcteurs, voir mon site > Accueil > La bibliothèque du correcteur.
Dans son « Que sais-je ? » sur La Ponctuation16, Nina Catach a employé ces mêmes chevrons pour citer des signes de ponctuation. Ex. : <“ ”> (elle cite les guillemets anglais).
Un domaine particulier : la philologie
Un usage encore plus spécifique ne concerne que la philologie.
En philologie, pour l’édition scientifique d’un texte, le chevron marque généralement les mots ou groupes de mots ajoutés dans le texte par conjecture. Les lacunes peuvent également être indiquées par un groupe de trois astérisques entourées par des chevrons (<***>). — Wikipédia17.
Lorsqu’on emploie les chevrons pour signifier la suppression de mots [par l’auteur du texte étudié, et non par l’éditeur], on les appelle aussi crochets de restitution — Vitrine linguistique18.
Les chevrons sont aussi employés en linguistique pour marquer la parenté entre deux mots (amare > aimer)19 ou « pour indiquer les graphèmes ou les transcriptions graphiques20 ».
Une découverte : les crochets triangulaires
Enfin, il faut mentionner les crochets triangulaires, encore plus rares, dont j’ai découvert l’existence dans la Grammaire typographique (1952) de Jules Denis21.
Dans les éditions philologiques de textes, on indique parfois entre parenthèses, ( ), les lettres ou les mots que l’éditeur considére comme devant être omis, et entre crochets, [ ], les lettres ou les mots qu’il ajoute au document reproduit. Un autre procédé consiste à employer, dans ce genre de travaux, deux sortes de crochets ; les crochets droits, [ ], enfermant des lettres ou des mots existant dans les manuscrits, mais qui sont à exclure ; les crochets triangulaires ⟨ ⟩, enfermant des lettres ou des mots ne figurant dans aucun manuscrit, mais qui sont rétablis par conjecture.
Chevrons simples enchâssés : de l’extérieur vers l’intérieur, guillemets simples, signes mathématiques de comparaison et crochets triangulaires.
On notera que les crochets choisis par Jules Denis, correcteur de l’imprimerie Georges Thone à Liège, ont une forme différente à la fois des guillemets en chevrons simples et des signes de comparaison. Ce sont, eux aussi, des signes mathématiques :
Les deux chevrons ⟨ ⟩ sont utilisés pour noter le produit scalaire, ou pour annoncer une présentation d’un groupe finiment engendré » — Wikipédia22.
Dans le cas précis — rarissime, je le rappelle — où un correcteur serait amené à relire des travaux philologiques employant des chevrons simples, je lui conseillerais de privilégier ces crochets triangulaires, car graphiquement ils s’apparient mieux avec les crochets carrés que les chevrons mathématiques. Précisons toutefois qu’ils sont disponibles dans peu de polices (pour mes illustrations, j’ai utilisé Apple Symbols).
Cet article a été recommandé dans Design fax (lettre professionnelle sur l’actualité du design français), no 1315, 25 mars 2024.
Article mis à jour le 22 mars 2024.
On les dit aussi « typographiques », par opposition aux guillemets dactylographiques ou droits. ↩︎
« Histoire », art. « Guillemet », Wikipédia. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
Voir Lexique des règles en usage à l’Imprimerie nationale, Imprimerie nationale, 2022, p. 49. Pour les autres usages des guillemets, se référer aux manuels habituels. ↩︎
Dictionnaire des règles typographiques, 5e éd., ediSens, 2019, p. 238. ↩︎
Lexique des règles en usage à l’Imprimerie nationale, op. cit., p. 51. ↩︎
« Si la citation principale est encadrée de guillemets français (« »), la meilleure façon d’indiquer la citation interne est de l’encadrer de guillemets anglais (“ ”). » — « 7.2.6 Citation double », Le Guide du rédacteur, TERMIUM Plus. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
Guide du typographe, 7e éd., Groupe de Lausanne de l’Association suisse des typographes, 2015, § 610, p. 99. — En France, cet usage relève de choix singuliers. En 2022, lors d’une discussion dans la liste de diffusion Typographie de l’Inria, Benoît Launay, directeur artistique au CNRS, écrit : « Personnellement, j’apprécie ces guilles et m’en sert dans les publications du CNRS que je réalise. » Jacques Melot lui répond : « Il est évident que ces guillemets simples qui n’ont pas d’usage en français vont évoquer une sorte de balisage destiné à un effet spécial comme lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention du lecteur sur le texte en tant que tel dans une production didactique par exemple, c’est-à-dire avoir un effet de ralentissement sur la lecture, irritant sans aucun doute une partie appréciable des lecteurs. C’est tout bonnement antirédactionnel ! » — Le chercheur indépendant Jean Méron (mort en 2022 — voir mon article) les utilisait aussi dans ses textes. Sur le sujet, on lira d’ailleurs, avec profit, son article « En question : le grammaire typographique — Les guillemets », du 14 juin 1999, dont un PDF est disponible sur le site de la Liste Typographie. ↩︎
Pour simplifier ma démonstration, je ne conserve volontairement que le second exemple. La rupture de parité des guillemets, renforcée par leur différence graphique, est perturbante pour le correcteur français. ↩︎
Le Petit Manuel de composition typographique, version 3, autoédité, 2021, p. 77. ↩︎
Jan Tschichold, Livre et typographie, trad. de l’allemand par Nicole Casanova, Allia, 2018, p. 125. ↩︎
« Guillemets d’ironie », art. « Guillemet », Wikipédia, cité. Leur nom anglais est scare quotes. Ils ont été inventés par l’Américaine Elisabeth Anscombe en 1956. — « History », art. « Scare Quotes », Wikipedia (EN). Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
« Usage philologique », art « Chevron (typographie) », Wikipédia. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
« Chevrons », Vitrine linguistique, art. cité. J’ai écarté la précision qui suit : « Certains éditeurs préfèrent employer les crochets ; cependant, si on opte pour ce signe, il faut expliquer qu’il s’agit d’un mot qui avait été supprimé par l’auteur, et non d’un ajout de l’éditeur, puisqu’on emploie généralement les crochets pour encadrer les commentaires et les modifications apportées par l’éditeur. » — Jacques Drillon fait une remarque équivalente (Traité de la ponctuation française, Gallimard, 1991, p. 280-281). ↩︎
On y trouve notamment un texte intitulé « Travail éditorial et diffusion imprimée des textes » (pages 130 à 143), signé par Louise Amazan, conservatrice, chargée des collections du xvie siècle. Nous sommes heureux qu’il évoque le rôle fondamental des correcteurs.
Si, depuis l’Antiquité1, tout texte copié a besoin d’être vérifié, l’avènement de l’imprimerie multiplie le risque d’erreurs par son principe même : en typographie au plomb, un livre est constitué de centaines de milliers de caractères, assemblés à la main. Le tirage reproduit mécaniquement les erreurs oubliées (à la presse à bras, on atteignait déjà le millier d’exemplaires).
À la Renaissance, la concurrence entre imprimeurs-libraires obligeait à veiller à la qualité de la production. Les premiers correcteurs d’imprimerie2 intervenaient dans l’édition de textes anciens (on parlerait aujourd’hui d’éditeurs critiques). Ils relisaient les manuscrits confiés à l’atelier et en préparaient la copie, y ajoutant parfois un index, en plus des premiers signes de ponctuation. Enfin, ils corrigeaient une succession d’épreuves — première, seconde et tierce — afin d’éliminer les coquilles. On sait que même le grand Érasme s’est plié à cette dernière tâche.
Parvenaient-ils, pour autant, à un résultat parfait ?
« En réalité, les correcteurs, souvent blâmés par les auteurs, sont tenus à une exigence de rentabilité et doivent fournir une quantité de travail telle qu’il leur est impossible de venir à bout de toutes les incorrections du texte. »
Être soumis à des délais intenables, c’est ce dont se plaignent encore souvent, et à juste titre, les correctrices et correcteurs d’aujourd’hui.
L’Invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste. Sous la direction de Gennaro Toscano et Jean-Marc Chatelain.Relié, 264 pages, 150 illustrations.
Vue du spectacle Authentique de David Castello-Lopes (2024) et couverture du livre Les Vraies Gens de Guillaume Meurice (JC Lattès, 2022).
Photo 1, écran vu, hier soir à Metz, dans le spectacle Authentique de David Castello-Lopes (que je n’ai pas aimé, mais c’est un autre sujet). Dommage. Il y a pourtant des humoristes qui connaissent la règle (ou qui ont un bon correcteur), comme Guillaume Meurice (photo 2).
La règle est la suivante (Dictionnaire de l’Académie française, s.v. gens) :
« […] lorsque gens est immédiatement précédé d’un adjectif possédant une forme féminine distincte de celle du masculin, cet adjectif s’accorde au féminin ; cependant, cet accord n’est pas étendu aux autres éléments de la phrase, sauf pour les adjectifs tout et quel. Instruits par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneux. Toutes les vieilles gens ; tous les habiles gens. Quelles sottes gens ! »
DONC : De vraies gens.
MAIS :
« La règle ne s’applique pas lorsque gens est suivi d’un complément introduit par de et désignant une qualité, une profession, un état ; dans ce cas, l’accord se fait toujours au masculin. Les vrais gens de cœur. De nombreux gens de lettres. »
Ainsi, on peut composer cette phrase mnémotechnique : Toutes les vraies gens ne sont pas bons. Seuls les vrais gens de cœur le sont tous.
J’admets que c’est une distinction subtile (et appelée à disparaître).
Au fil de mes lectures, je viens de découvrir une anecdote à propos du procès intenté à Flaubert pour Madame Bovary, jugés pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ».
« Crème de la magistrature, le procureur impérial Pinard voulait que fussent infligés à Flaubert deux ans de prison. S’il réussira quelques mois plus tard à faire condamner le Baudelaire des Fleurs du mal, mal défendu et d’une famille moins éminente, il devra ici se contenter de prononcer un blâme sévère, sans pouvoir empêcher l’acquittement en février 1857. Ni le succès public de l’œuvre, mesurable à la bonne trentaine d’articles publiés en deux ans et à l’appui notoire des quatre écrivains cardinaux du temps : Sainte-Beuve, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly et George Sand. Il ne pourra interdire les nombreux tirages du roman, la réintégration des pages dont La Revue de Paris avait demandé la suppression lors de la parution initiale en feuilleton : six livraisons au dernier trimestre 1856, pour lesquelles Du Camp avait exigé l’élagage de nombreux passages jugés longs, inutiles et, bien qu’il ne l’avouât pas, moralement sensibles. On alla jusqu’à proposer les services d’un correcteur professionnel à un Flaubert aussi pantelant que résistant, frais déduits de ses droits d’auteur. »
Il s’agit là, visiblement, d’un correcteur au service de la censure, et non d’un correcteur d’épreuves. Je ne connaissais pas cette histoire. Peut-être Michel Winock la mentionne-t-il dans sa biographie de Flaubert ?
Photogramme d’une des scènes du Nom de la rose situées dans le scriptorium.
J’ai revu hier au cinéma1Le Nom de la rose, film de Jean-Jacques Annaud, d’après le roman d’Umberto Eco. L’enquête de Guillaume de Baskerville (Sean Connery), sur une série de morts suspectes, tourne autour du scriptorium, l’atelier de confection des manuscrits. Pour ce monastère de légende, abritant la plus grande bibliothèque d’Europe, il fallait qu’il soit de vastes dimensions. Ces scènes intérieures ont été tournées à l’abbaye d’Eberbach, en Allemagne.
Sur la photo, au fond, debout, on aperçoit frère Malachie de Hildesheim (Volker Prechtel), le moine bibliothécaire, également nommé armarius. C’est généralement l’armarius qui faisait office de correcteur. « […] il répartit les tâches, contrôle le travail, corrige les fautes pour que la copie soit fidèle. Il veille également à approvisionner en matériel l’atelier », précise l’académie d’Orléans-Tours.
En 1986, année de sortie du film, je l’ignorais. Je ne savais pas non plus que j’allais quitter mes études de psychologie pour devenir correcteur2. Évidemment, j’étais encore plus loin d’imaginer que, bien des années après, je m’intéresserais à l’histoire de mon métier et à l’histoire du livre en général.
La vie a plus d’imagination que nous, dit-on.
Frère Malachie de Hildesheim (Volker Prechtel), le moine bibliothécaire.
« Le 21 février 2024, une version restaurée en 4K d’après le négatif original sort sur les écrans français. » — Wikipédia. ↩︎
Dans un article de 2016 paru dans la NRF, Michel Crépu évoque « la Correspondance échangée entre Marcel Proust et Jacques Rivière entre 1914 et 1922 (Gallimard), c’est-à-dire au moment même où la Recherche trouve sa forme définitive ». Il commente :
« On peut dire, sans exagérer, que c’est à la sainte patience de Rivière que l’on doit de lire aujourd’hui la Recherche. Suivre le dédale des recommandations, des repentirs de l’illustre écrivain, c’est un peu comme s’enfoncer dans la jungle de Bornéo sans avoir prévu de boussole. […] Il n’est guère que Joyce pour avoir surpassé Proust dans l’art de rendre cinglé le pauvre correcteur. […]
« Tout cela n’aurait aucun intérêt, ou ne concernerait que les scientifiques de la génétique textuelle si au contraire on ne se trouvait embarqué dans un voyage qui est le voyage même de la littérature. C’est parce que Proust réécrit à Rivière la millième correction d’épreuves (en lui demandant de considérer qu’il ne s’agit là que d’un « manuscrit » – crise cardiaque) que la Recherche devient ce vaisseau inimaginable et propre à enchanter le cœur humain. »
Marcel Proust et Jacques Rivière, Correspondance(1914-1922). Édition de Philip Kolb. Préface de Jean Mouton. Nouv. éd. augm. et corr. Coll. Blanche, Gallimard, 1976.
C’est bien connu : le correcteur doit douter de tout1. Encore faut-il qu’on lui en laisse le temps, ce qui est rare. Il doit donc se reposer sur une excellente connaissance de la langue2 et sur une culture générale aussi vaste que possible.
Tout est bon pour se cultiver : lire, bien sûr (journaux, livres, sites Internet…), regarder des documentaires (à la télévision ou au cinéma), écouter la radio, visiter des expositions, discuter avec des gens…
La culture générale, c’est surtout avoir la curiosité constamment en éveil.
Dans chaque domaine du savoir, on trouve des ouvrages équivalents, par exemple le grand classique Histoire de la musique d’Émile Vuillermoz (Le Livre de Poche, 1977) ou Une brève histoire du cinéma (1895-2020), de Martin Barnier et Laurent Jullier (Pluriel, 2021).
Sur les questions les plus actuelles, on peut ajouter le Dictionnaire du temps présent, dirigé par Yves Charles Zarka et Christian Godin (éd. du Cerf, 2022).
L’accès à la culture est plus aisé que jamais
Il n’a jamais été si facile ni si bon marché de se cultiver. – Je peux en parler, j’avais déjà 30 ans quand est apparu Internet.
Une bonne part des livres et des documents imprimés tombés dans le domaine public sont accessibles gratuitement en ligne, par exemple sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France, une mine inépuisable (voir aussi Wikisource). On peut les télécharger et les garder à vie.
Avec le comparateur de prix Chasse aux livres, on trouve facilement des livres – récents comme plus anciens – d’occasion.
Les encyclopédies sont toutes en ligne et accessibles soit gratuitement, soit pour une somme modique (voir mon article).
Une grande proportion, la totalité pour certains titres, des articles des journaux et des revues sont gratuits en ligne. Pour moi, le quotidien de référence reste Le Monde. En complément, il est intéressant de consulter The Conversation, regard d’universitaires sur l’actualité. Je suis aussi l’actualité des revues de sciences humaines sur Cairn.info.
Le podcasting permet aujourd’hui d’écouter les émissions de radio quand on le souhaite. Je recommande particulièrement France Culture, qui traite de tous les domaines du savoir et offre des éclairages historiques, philosophiques, sociologiques ou autres sur l’actualité.
Podcasts à la une du site de France Culture, le jour où j’ai rédigé cet article.
On peut écouter quasiment toute la musique du monde sur YouTube, ou pour environ 10 euros par mois (la moitié du prix d’un CD) sur les plateformes de streaming comme Spotify ou Apple Music.
De même, les plateformes de SVOD permettent, pour quelques euros par mois, de voir des milliers de films, y compris des films rares dont, avant Internet, nous devions attendre une programmation dans un cinéma d’art et essai ou une cinémathèque – si nous habitions une grande ville – pour espérer les voir. Mes préférées sont La Cinetek et UniversCiné.
Pièces de théâtre et concerts sont diffusés gratuitement par nombre de sites, dont la Culturebox de France Télévisions. Pour le classique et le jazz, je regarde Mezzo.
Enfin, si l’on entend souvent dire qu’« il n’y a rien à la télé », on trouve des programmes de grande qualité sur des chaînes comme Arte, France 5 ou Histoire TV.
PS — Je sais qu’il existe aussi des chaînes YouTube intéressantes, mais comme je n’en suis aucune en particulier, je préfère renvoyer à la sélection proposée par Sherpas.