Vous êtes sans doute, comme moi, confronté à des en région(s), en caisse (du magasin) ou en mairie. Nos ouvrages de référence sont quasi silencieux sur ce phénomène récent.
Il faut ratisser le Grevisse (§ 1050) pour une maigre récolte :
« Avec un nom, en s’emploie moins librement que dans. Il se trouve surtout dans des expressions plus ou moins figées (quoiqu’il y en ait de récentes) et son régime est souvent sans déterminant (surtout sans article défini). »
Le mot « récentes » est suivi d’une remarque dans la marge : « Il y a aussi une certaine mode. » Avec les exemples suivants : à la radio, à la télévision, sur le plateau disparaissent au profit de en radio, en télévision, en plateau.
Cette « mode » est confirmée par Le Robert :
« Rem. On observe une tendance au remplacement de diverses prép. par en : servir en salle, danser en boîte, ascension en glace, etc. »
On trouve aussi dans Hanse et Blampain :
« On dira couramment : Il travaille à l’usine, dans une usine, dans cette usine. Mais on dit aussi, en songeant moins à telle usine déterminée : Il travaille en usine, comme on dit travailler en chambre (mais travailler à domicile). […] »
J’ai longtemps cherché une explication à ma gêne devant certaines constructions plus que d’autres – d’autant qu’un de mes clients refuse que je touche à ses en marchés publics et en marchés privés.
Dans un livre de la linguiste Marina Yaguello 1, j’ai fini par trouver ceci :
Le texte se poursuit ainsi :
« […] c’est là une évolution parfaitement conforme aux structures de la langue. Les locuteurs ont le sentiment, justifié, que en + groupe nominal sans article (car là est sa singularité fondamentale par rapport à dans et à) est le marqueur incontesté de la valeur générique, conceptualisante, autrement dit de la notion opposée à l’occurrence, telle que la référence à un lieu défini. Les autres marqueurs – dans et à – ayant des emplois ambigus.
« […] Ce mouvement de généralisation s’étend chaque jour un peu plus ; sont attestés aujourd’hui des emplois tels que en caisse (du magasin), en sortie (d’autoroute), en station, etc., et même en shampooing (entendu chez un coiffeur).
« En + groupe nominal sans article semble cependant s’étendre au-delà même de sa valeur générique comme en témoignent quelques exemples récents :
“Vous déjeunerez sur l’île d’Arz en front de mer” (en remplace sur).
“Vous participerez à une régale en baie” (en remplace dans). (prospectus d’agence de voyages)
“Paiement en sortie. Conservez votre ticket” (en remplace à). (ticket d’autoroute)
“Après l’échec du déménagement de Paris 7 à Bercy-Expo en rive droite…” (en remplace sur). (Le Monde, 25 sept. 1996)
« Mon sentiment est que dans ces trois exemples en + GN opère une sorte de qualification du prédicat et ne renvoie pas simplement à une localisation comme le feraient dans, à ou sur. Il y a peut-être aussi chez certains locuteurs une recherche d’élégance. En effet, devant les noms de lieu, en au lieu de à ou dans connote une certaine préciosité (passer ses vacances en Périgord au lieu de dans le Périgord). »
Bien sûr, l’Académie refuse cette évolution :
« On rappellera donc que, s’il est parfaitement possible de mettre des fruits ou des livres en caisse ou en caisses, ou de faire pousser des lauriers, des orangers en caisse, c’est à la caisse que l’on passe quand il s’agit de régler ses achats. D’autre part, si certains tours un peu désuets comme en l’église, en la cathédrale sont encore en usage, on évitera les formes comme en mairie ou en préfecture..»
À chacun de nous, correcteurs, de décider, selon le contexte de travail, où nous plaçons le curseur.
P.-S. : En 2013, la revue Langue française a consacré un numéro complet à la préposition en. Je vous y renvoie si le sujet vous passionne – je ne suis pas sûr d’en lire les 136 pages…