Comment trouver le mot juste

Il existe deux types de dic­tion­naires recen­sant les mots d’une langue dans toute leur éten­due : les dic­tion­naires de syno­nymes et les thé­sau­rus. Les pre­miers sont clas­sés par mots, les seconds par thèmes – Le Thé­sau­rus. Dic­tion­naire des ana­lo­gies, de Larousse, est excellent.

La plu­part des dic­tion­naires de syno­nymes actuels, aus­si bons soient-ils, se « contentent », à chaque entrée, de pro­po­ser d’autres mots, sans expli­ca­tion des nuances entre eux. Or :

« Les dic­tion­naires de syno­nymes qui donnent des listes de mots ne sont pas inutiles […], ils per­mettent à la per­sonne qui écrit de choi­sir celui qui lui semble le meilleur dans une liste qu’elle n’a pas for­cé­ment en tête, mais en réa­li­té ils ne rendent ser­vice qu’à ceux qui connaissent déjà bien le sens des mots », écrit très jus­te­ment Jean Pru­vost, dans Le Dico des dic­tion­naires, p. 436.

Trou­ver le mot juste néces­site donc un dic­tion­naire de syno­ny­mie dis­tinc­tive.

Les dic­tion­naires de syno­ny­mie dis­tinc­tive voient le jour en France en 1718 sous la plume de [l’ab­bé Gabriel] Girard. Cette caté­go­rie de dic­tion­naire de syno­nymes est par­ti­cu­lière puisqu’elle se base sur le fait que la syno­ny­mie par­faite n’existe pas, et qu’il est du devoir du syno­ny­miste d’avertir le lec­teur sur les fautes à ne pas com­mettre lorsque l’on prend deux mots pour syno­nymes. En effet, d’après les syno­ny­mistes, l’emploi inadé­quat d’un terme amène à un manque de clar­té et de jus­tesse dans la langue. C’est pour­quoi Girard inti­tu­le­ra le pre­mier recueil de syno­nymes fran­çais La Jus­tesse de la langue fran­çaise. Après cet ouvrage, au moins 24 dic­tion­naires du même genre ver­ront le jour en France jusqu’en 1981 dont 21 aux xviiie et xixe siècles. Cette longue tra­di­tion lexi­co­gra­phique a lais­sé place à la syno­ny­mie cumu­la­tive, syno­ny­mie ne pre­nant pas en compte la dif­fé­rence de sens exis­tante entre les termes dits syno­nymes.

Source (PDF) : Alice Fer­ra­ra-Létur­gie, Étude contras­tive de la lexi­co­gra­phie syno­ny­mique dis­tinc­tive en France et en Europe aux xviiie et xixe siècles, Eur­alax, 2012, p. 502.

Le der­nier dic­tion­naire de syno­ny­mie dis­tinc­tive du xixe siècle, le Dic­tion­naire des syno­nymes de la langue fran­çaise, de Ben­ja­min Lafaye (1858), est dis­po­nible sur Gal­li­ca (édi­tion de 1884).

L’ou­vrage de 1981 auquel il est fait allu­sion ci-des­sus, le Dic­tion­naire Mara­bout des syno­nymes, de Georges Younes, que Jean Pru­vost juge « de grande qua­li­té1 », est bien sûr épui­sé, mais on le trouve faci­le­ment d’oc­ca­sion. « […] tan­tôt [il] pré­sente des syno­nymes clai­re­ment dis­tin­gués, tan­tôt [il] offre une simple liste de syno­nymes, mais avec d’excellents ren­vois », pré­cise Pruvost.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Dans le Dic­tion­naire de syno­nymes, nuances et contraires, aux édi­tions Le Robert, « 500 enca­drés mettent en regard près de 1 400 mots qui font sou­vent l’ob­jet d’a­mal­game ou de confu­sion », tel celui-ci :

Encadré distinguant "abdiquer, se démettre, renoncer" dans le "Dictionnaire de synonymes, nuances et contraires" du Robert

Une édi­tion de poche enri­chie a paru en juin 2020.

Mais ces enca­drés res­tent par­se­més dans les pages.

Dans les dix mille pages du célèbre Dic­tion­naire de la langue fran­çaise (1873-1874) de Lit­tré, on trouve de fré­quentes notices où le lexi­co­graphe situe le mot par rap­port à des cou­sins aux signi­fi­ca­tions proches. À l’en­trée suf­fi­sant, par exemple, on trouve la dis­tinc­tion entre suf­fi­sant, pré­somp­tueux et vain :

Entrée "suffisant" du Littré

Le Lit­tré est numé­ri­sé et dis­po­nible gra­tui­te­ment en ligne.

En 1994, Duchesne et Leguay, pas­sion­nés par Lit­tré, ont réuni envi­ron deux cents de son mil­lier de notices2 et les ont enri­chies. La pre­mière édi­tion de leur livre s’ap­pe­lait La Nuance. Dic­tion­naire des sub­ti­li­tés du fran­çais (Larousse, 351 p.).

Couverture du livre "Surpris ou étonné ? Nuances et subtilités des mots de la langue française" de Duchesne et Leguay

La der­nière, qui s’in­ti­tule Sur­pris ou éton­né ? Nuances et sub­ti­li­tés des mots de la langue fran­çaise, date de 2005, mais elle est aus­si épui­sée. On peut la trou­ver d’occasion.

Der­nière solu­tion, et non des moindres : le logi­ciel Anti­dote – qui annonce « 1 000 000 de syno­nymes, hypo­nymes et hyper­onymes ». Exemple ci-des­sous : les syno­nymes du verbe nuan­cer. Quand on clique sur l’un des syno­nymes, sa défi­ni­tion appa­raît dans la colonne de droite. En pas­sant d’une défi­ni­tion à l’autre, on peut se faire une idée pré­cise des dif­fé­rents syno­nymes et trou­ver celui qui convient.

Écran du logiciel Antidote présentant les synonymes du verbe nuancer
Cap­ture d’é­cran du dic­tion­naire des syno­nymes du logi­ciel Antidote

Enfin, pour une pre­mière approche, on peut se tour­ner vers Trou­vez le mot juste d’An­dré Rou­ge­rie (Hatier, 1976, réédi­té plu­sieurs fois). Cette bro­chure de tra­vaux pra­tiques pro­pose de s’exer­cer à dis­tin­guer les syno­nymes selon leur sens, leur carac­tère péjo­ra­tif, leur degré et leur niveau de langue.

☞ Voir aus­si Syno­nymes imparfaits


“Avant que j’oublie”, d’Anne Pauly

Anne Pauly, Avant que j'oublie, prix Livre Inter 2020

Pre­mier roman, excellent, d’une secré­taire de rédac­tion et cor­rec­trice, métier qui ne l’empêche pas de prendre des liber­tés – créa­tives – avec la ponc­tua­tion et, bien sûr, avec la langue. L’au­trice m’a séduit et ému. Ce récit d’un deuil est plein de vie. Ci-des­sous, le seul pas­sage où elle évoque sa situa­tion pro­fes­sion­nelle, « à Issy-les-Mou­li­neaux, du nine to five sans congés ni RTT payé en droits d’au­teur » (p. 92).

Le len­de­main, il m’a télé­pho­né vers 15 heures. C’é­tait pas nor­mal qu’il m’ap­pelle en pleine après-midi. Mes col­lègues étaient au cou­rant de la situa­tion mais  l’af­faire ne les concer­nait pas direc­te­ment, cha­cun vaquait, casque sur les oreilles, à ses occu­pa­tions. Je ne vou­lais pas débal­ler mon cha­grin en plein open space. Ma fonc­tion, subal­terne, qui consis­tait à édi­ter des papiers sur des drames fami­liaux et des dis­pa­ri­tions mys­té­rieuses, et que venaient régu­liè­re­ment ponc­tuer des pages « Vie pra­tique », me ran­geait déjà, dans cette entre­prise pour­tant « fami­liale », du côté des inca­pables et des pas­sifs. Une crise de larmes inopi­née, même jus­ti­fiée, m’au­rait fait perdre le peu de cré­dit que j’a­vais gagné à m’é­ner­ver sur le bon emploi des adverbes et des points-vir­gules. J’ai sau­ve­gar­dé les pré­cieuses cor­rec­tions effec­tuées sur « Cinq astuces pour un chat en bonne san­té » et j’ai cou­ru dans les toi­lettes pour pou­voir décro­cher à temps. […]

Anne Pau­ly, Avant que j’ou­blie, Ver­dier, 2019, p. 68-69.

Synonymes imparfaits

« Il n’y a pas de syno­nymes. Il n’y a que des mots néces­saires, et le bon écri­vain les connaît. »
— Jules Renard

« Leçons d’é­cri­ture et de lec­ture », éd. du Son­neur, 2009.

Syno­nyme ne signi­fie pas « de même sens » mais « de même nom ».

Le Dic­tion­naire his­to­rique de la langue fran­çaise d’A­lain Rey (éd. Le Robert) nous éclaire (j’ai rac­cour­ci la notule) :

Le mot syno­nyme est emprun­té au bas latin gram­ma­ti­cal syno­ny­mum, ce der­nier repre­nant le grec sunô­nu­mos « de même nom que ». Chez Aris­tote, la notion concerne des noms dont le sens est lié par un genre com­mun, mais qui ont des sens dif­fé­rents ; ain­si, vert et rouge par rap­port à cou­leur.

À l’é­poque clas­sique et sur­tout à par­tir du xviiie siècle, la notion, par refus de l’ap­proxi­ma­tion et du cumul, évo­lue vers l’idée moderne de « mot de même sens qu’un autre, mais pou­vant dif­fé­rer par un autre aspect : conno­ta­tions, valeur expres­sive, etc. ».

Les défi­ni­tions que les prin­ci­paux dic­tion­naires donnent du mot syno­nyme prennent en compte, diver­se­ment, le fait que les syno­nymes ne sont jamais parfaits :

Le Petit Robert : « Se dit de mots ou d’ex­pres­sions qui ont une signi­fi­ca­tion très voi­sine et, à la limite, le même sens. »

Larousse : « Se dit de termes que l’on peut sub­sti­tuer l’un à l’autre dans un énon­cé sans chan­ger le sens de celui-ci. »

Le Robert ajoute :

Les syno­nymes par­faits n’existent qu’abs­trai­te­ment, hors usage. […] Syno­nymes dis­tin­gués par une dif­fé­rence d’in­ten­si­té (fati­gué, épui­sé ; aimer, ado­rer), d’emploi ou d’af­fec­ta­tion (salaire, trai­te­ment, appoin­te­ments), de niveau social ou sty­lis­tique (ennuyer, embê­ter voi­ture, bagnole). Syno­nymes par­tiels (maga­zine, syno­nyme de revue, seule­ment quand ce mot désigne un périodique).

« des syno­nymes comme redou­ter, craindre, avoir peur n’ont de valeur propre que par leur oppo­si­tion ; si redou­ter n’exis­tait pas, tout son conte­nu irait à ses concur­rents » (Saus­sure).

© 2019 Dic­tion­naires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française

☞ Voir aus­si Com­ment trou­ver le mot juste

Espacement de la ponctuation en français

Pour mon métier, j’ai lu quan­ti­té de manuels de typo­gra­phie, et jamais je n’ai lu d’ex­pli­ca­tion sur l’o­ri­gine de l’es­pa­ce­ment des signes de ponc­tua­tion. Ce que décrivent les codes typo­gra­phiques est sim­ple­ment l’état actuel de l’u­sage fran­çais.

Mais il a varié, comme on peut le com­prendre ici ou là.

« Jadis, la vir­gule était pré­cé­dée d’“une” espace. Cette règle est tom­bée en désué­tude », nous dit Jacques Drillon1.

Cette évo­lu­tion est détaillée par Jean-Pierre Lacroux :

Les anciens typo­graphes étaient plus souples que les modernes. Ils savaient jouer avec les espaces liées à la ponctuation.

Lefevre 1883 : « On met une espace d’un point avant la vir­gule, le point-vir­gule, le point d’exclamation et le point d’interrogation, si la ligne où ils se trouvent est espa­cée ordi­nai­re­ment ; mais si elle est plus ser­rée, on se dis­pense d’en mettre avant la vir­gule, sur­tout lorsqu’elle est pré­cé­dée d’une lettre de forme ronde. Le contraire a lieu, c’est-à-dire que l’on peut aug­men­ter l’espace d’un demi-point avant ces diverses ponc­tua­tions, et sur­tout avant les points d’exclamation et d’interrogation, si la ligne est espa­cée plus lar­ge­ment. On ne met pas d’espace avant le point qui ter­mine une phrase, ni avant le point abré­via­tif, ni avant les points sus­pen­sifs. »

La vir­gule a per­du son espace éven­tuelle. Resquies­cat in pace ! En revanche, rien n’interdit de conti­nuer à faire varier les espaces qui pré­cèdent le point-vir­gule, le point d’exclamation et le point d’interrogation. Aujourd’hui, rares sont les com­po­si­teurs qui se donnent la peine de modi­fier au coup par coup les espaces insé­cables fixes qui pré­cèdent la ponc­tua­tion haute. Dom­mage, car de très légères modi­fi­ca­tions — qua­si imper­cep­tibles — peuvent éli­mi­ner des cou­pures ou amé­lio­rer l’espace jus­ti­fiante d’une ligne donnée.

L’ar­ri­vée de l’in­for­ma­tique dans l’é­di­tion a sim­pli­fié les usages ; celle d’In­ter­net les a bous­cu­lés, comme le note Jean-Pierre Colignon :

Comme le point d’in­ter­ro­ga­tion, le point d’ex­cla­ma­tion doit, en prin­cipe, être pré­cé­dé d’une espace fine et sui­vi d’une espace forte. Dans la réa­li­té, si le second espa­ce­ment est res­pec­té, l’es­pace fine, elle, dis­pa­raît sou­vent, ou bien cède la place à une espace plus ou moins moyenne, en fonc­tion des blancs à répar­tir dans la ligne par la per­sonne, écri­vain, jour­na­liste, secré­taire d’é­di­tion, secré­taire de rédac­tion, qui fait la sai­sie du texte2.

Les com­po­si­teurs de texte « à l’an­cienne » ayant qua­si­ment dis­pa­ru, bien peu de pro­fes­sion­nels de l’é­di­tion ont connais­sance de règles comme celle édic­tée par Charles Gouriou :

Le point-vir­gule (;), le point d’ex­cla­ma­tion (!) et le point d’in­ter­ro­ga­tion (?) sont sépa­rés du mot pré­cé­dent par une espace variable selon les corps et les carac­tères : elle est de 2 points au moins (on peut se régler sur 1/3 de cadra­tin)3.

(On note­ra qu’il pour­rait y avoir débat entre Coli­gnon et Gou­riou, car une espace fine fait un point (Lacroux), alors que « 2 points au moins » est « une espace plus ou moins moyenne ».)

N.B. : Comme il n’existe pas un code typo­gra­phique unique auquel se réfé­rer, l’es­pa­ce­ment de la ponc­tua­tion peut varier, même entre pro­fes­sion­nels. Par exemple, cer­tains font pré­cé­der le deux-points d’une espace forte (règle la plus cou­rante en France) ; d’autres pré­fèrent une fine, notam­ment les Belges et les Suisses.

☞ Voir aus­si Qui crée les codes typographiques ?


Des fautes dans le dictionnaire ?

Le Dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie fran­çaise contient une « erreur » célèbre depuis sa 8e édi­tion (1935) : nénu­phar. Le ph ne se jus­ti­fie pas éty­mo­lo­gi­que­ment, le mot venant de l’a­rabe nînû­far. Les sept édi­tions pré­cé­dentes l’é­cri­vaient nénu­far – comme l’ont fait Bal­zac et Proust. Depuis 1990, la gra­phie nénu­far est à nou­veau admise par l’Académie.

Faute d’or­tho­graphe et dic­tion­naire sont deux notions qu’il faut abso­lu­ment dis­cu­ter en avant-propos.

L’or­tho­graphe fran­çaise n’a été « fixée » qu’au xviie siècle et n’a, mal­gré tout, jamais ces­sé d’é­vo­luer. L’a­ga­ce­ment devant le non-res­pect de l’or­tho­graphe ne com­mence vrai­ment qu’au xixe siècle et il faut attendre 1936 pour que Paul Valé­ry écrive : « L’or­tho­graphe est deve­nue le cri­té­rium de la belle édu­ca­tion1. »

Dic­tion­naire, lui, est un mot géné­rique qui recouvre des réa­li­tés variées : dic­tion­naire de langue ou ency­clo­pé­dique, géné­ral ou spé­cia­li­sé, mono­lingue ou bilingue, d’ap­pren­tis­sage, etc., le tout avec des qua­li­tés variables, car les grandes mai­sons d’é­di­tion comme Le Robert et Larousse ne sont pas seules sur le marché.

Comme toute entre­prise humaine, un dic­tion­naire ne peut être par­fait. Même rédi­gé et cor­ri­gé par les mai­sons d’é­di­tion pré­ci­tées, il contient ici ou là une erreur, au moins une incohérence.

Les inco­hé­rences se retrouvent aus­si entre les dif­fé­rents dic­tion­naires, les lexi­co­graphes fai­sant des choix, non seule­ment de mots, mais aus­si d’or­tho­graphe. Depuis 1990, notam­ment, les rec­ti­fi­ca­tions ortho­gra­phiques sont trai­tées dif­fé­rem­ment d’une mai­son à l’autre :

Ain­si quand pour paraître et abîme, les lexi­co­graphes du Dic­tion­naire Hachette pro­posent la variante sans accent cir­con­flexe, dans le même temps en 2005, il n’en est pas fait men­tion dans le Petit Robert et le Petit Larousse (Pru­vost, 2006, p. 168).

Jean Pru­vost rap­pelle aus­si que :

[…] dans le Petit Larousse 2006, on pro­po­sait faseyer, fasier ou fasiller « en par­lant d’une voile », ou encore fakir ou faquir, autant de variantes qui ont dis­pa­ru, seule la pre­mière forme ayant sur­vé­cu (p. 167).

« Vicieu­se­ment », Pru­vost évoque dans un autre ouvrage2 les pre­miers dic­tion­naires de réfé­rence pour l’or­tho­graphe fran­çaise, celui de Riche­let (1680) et celui de Fure­tière (1690).

Riche­let écrit orto­graphe et orto­gra­phïe, tan­dis que Fure­tière défi­nit ortho­gra­phier comme « Escrire cor­rec­te­ment, & selon les loix de la Grammaire ».

C’é­tait l’é­poque où l’or­tho­graphe offi­cielle res­sem­blait à cela :

Début de la pré­face de la pre­mière édi­tion du Dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie fran­çaise (1694).

Poin­ter telle ou telle faute d’or­tho­graphe dans un dic­tion­naire contem­po­rain n’au­rait donc pas beau­coup d’in­té­rêt, « chaque période de l’his­toire moderne [ayant] son ortho­graphe » (Pru­vost, 2014, p. 354).


Ce français qui n’en finit plus de mourir

Toute langue vivante évo­lue constam­ment. Le fran­çais ne fait pas excep­tion. Ses chan­ge­ments pas­sionnent les Fran­çais. Cer­tains se contentent de les obser­ver, d’autres les critiquent.

Depuis que j’ai fait du fran­çais mon métier, j’ai vu défiler :

  • Le fran­çais écor­ché, 1987 (P.-V. Ber­thier et J.-P. Colignon) ;
  • Ce fran­çais qu’on mal­mène, 1991 (P.-V. Ber­thier et J.-P. Colignon) ;
  • Petit manuel du fran­çais mal­trai­té, 2002 (Pierre Bénard) ;
  • Le fran­çais mal-t-à-pro­pos, 2007 (Pierre Merle, qui a publié qua­si­ment un livre sur l’é­tat du fran­çais par an entre 1986 et 2012) ;
  • Défense et illus­tra­tion de la langue fran­çaise aujourd’­hui, 2013 (col­lec­tif) ;
  • De quel amour bles­sée. Réflexions sur la langue fran­çaise, 2014 (Alain Borer) ;
  • Langue fran­çaise : arrê­tez le mas­sacre !, 2014 (Jean Maillet) ;
  • Langue fran­çaise : le mas­sacre conti­nue !, 2016 (Jean Maillet) ;
  • C’est le fran­çais qu’on assas­sine, 2017 (Jean‑Paul Brighelli) ;
  • Le fran­çais a-t-il per­du sa langue ?, 2018 (dir. Éric Fottorino),

et j’en passe…

Mais ce n’est pas nou­veau. La pre­mière Défense et illus­tra­tion de la langue fran­çaise, écrite par Joa­chim du Bel­lay, date de 1549 !

Coquilles dans “Madame Bovary”

Pierre-Louis Rey com­mente Madame Bova­ry de Gus­tave Flau­bert, Folio, Gal­li­mard, 1996, p. 44.

Madame Bova­ry paraît chez Michel Lévy en deux volumes, en avril 1857, dans une édi­tion qui souffre de nom­breuses coquilles et de plu­sieurs cou­pures pra­ti­quées dans la Revue de Paris [où le roman a d’a­bord paru en six par­ties]. Les quinze mille exem­plaires ini­tia­le­ment pré­vus s’é­tant aus­si­tôt ven­dus, en par­tie grâce au scan­dale pro­vo­qué par le pro­cès, Michel Lévy pro­cède au cours de la même année à deux autres tirages. Tous les tirages sui­vants, y com­pris l’é­di­tion en un volume de 1862, com­por­te­ront de nom­breuses fautes. Il faut attendre l’é­di­tion don­née par Char­pen­tier en 1873 pour par­ve­nir à un texte satis­fai­sant. Revue par Flau­bert et appe­lée « édi­tion défi­ni­tive », elle ser­vi­ra de base à toutes les édi­tions cri­tiques ultérieures.

Dans l’é­di­tion de mes 16 ans (au Livre de Poche), que je viens de relire, j’ai rele­vé une dizaine de coquilles…

Ressources en ligne sur la langue française

La page La biblio­thèque du cor­rec­teur de mon site recense déjà logi­ciels de cor­rec­tion et dic­tion­naires en ligne. Voi­ci quelques res­sources complémentaires. 

bannière Vitrine linguistique

Déve­lop­pée par l’Office qué­bé­cois de la langue fran­çaise, la Vitrine lin­guis­tique est uti­li­sée par nombre de cor­rec­teurs fran­çais. « Un accès rapide et unique pour obte­nir des réponses à vos ques­tions sur la langue fran­çaise, des rubriques lin­guis­tiques et des cen­taines de mil­liers de termes et de définitions. »

Par­ler fran­çais. Richesse et dif­fi­cul­tés de la langue française

Ce site « réper­to­rie les prin­ci­pales dif­fi­cul­tés de la langue fran­çaise, les bizar­re­ries sur les­quelles il vous arrive par­fois d’hé­si­ter et les fautes les plus courantes ».

La Langue française

« […] une équipe de rédac­teurs pas­sion­nés qui publie chaque jour des articles sur l’or­tho­graphe, la lit­té­ra­ture fran­çaise, la lin­guis­tique, les expres­sions francophones… »

Aca­dé­mie française

Outre son Dic­tion­naire, on peut consul­ter ses Ques­tions de langue et sa rubrique Dire, ne pas dire.

bannière Dire, ne pas dire

France Terme

Site consa­cré aux termes recom­man­dés par la Com­mis­sion d’en­ri­chis­se­ment de la langue fran­çaise et publiés au Jour­nal offi­ciel de la Répu­blique française.

Ortho­net

Créé par le Conseil inter­na­tio­nal de la langue fran­çaise (Paris), Ortho­net a pour prin­cipe de « trai­ter toutes les ques­tions sur la langue fran­çaise, faci­li­ter son emploi, résoudre les dif­fi­cul­tés que ren­contrent les usa­gers, fran­co­phones ou non, sur­tout dans l’écrit, les faire béné­fi­cier de notre expé­rience et d’une docu­men­ta­tion sans cesse améliorée ».

André Raci­cot : Au cœur du fran­çais. Page « dédiée à tous ceux qui ont à cœur l’épanouissement de la langue fran­çaise », et le compte X asso­cié.

Enquêtes lin­guis­tiques de Druide, l’é­di­teur du logi­ciel Anti­dote, et Chro­niques Gre­visse de Jean-Chris­tophe Pel­lat, « réflexions sur les usages de la langue fran­çaise dans tous ses états : lit­té­raires, his­to­riques et contemporains ».

Série « L’en­vers des mots » du site The Conver­sa­tion, « réa­li­sée avec le sou­tien de la Délé­ga­tion géné­rale à la langue fran­çaise et aux langues de France du minis­tère de la Culture ». 

Chro­nique (payante) Vous avez de ces mots, de la lin­guiste Anne Cathe­rine Simon (à la suite de Michel Fran­card, voir son compte X), dans Le Soir (Bel­gique).

Lettre d’in­for­ma­tion (payante) « Sur le bout des langues », de Michel Fel­tin-Palas, « consa­crée au fran­çais, aux langues de France et plus lar­ge­ment à la défense de la diver­si­té cultu­relle », sur le site de L’Ex­press.

Les Édi­tions Le Robert publient des tweets et tiennent le blog Dis-moi Robert. On pour­ra suivre aus­si, tou­jours sur X, le compte Bes­che­relle Offi­ciel.

Blog La Gram­maire de Fora­tor, sérieux, voire aus­tère, avec des posi­tions radi­cales, mais inté­res­sant pour les passionnés.

logo Parler comme jamais

Archives du pod­cast Par­ler comme jamais (et son compte X), où la lin­guiste Laé­lia Véron, autrice avec Maria Can­dea du livre Le fran­çais est à nous !, « s’interroge[ait] sur les lan­gages et leurs usages, sur ce qu’ils disent de nous ». 

Compte Tum­blr Je révise mon fran­çais grâce à la presse (à ses fautes, plu­tôt). « Rap­pel de règles d’or­tho­graphe et de gram­maire, par le ser­vice docu­men­ta­tion de l’É­cole supé­rieure de jour­na­lisme de Lille. »

Deux cor­rec­teurs du Monde.fr, désor­mais retrai­tés, nous font pro­fi­ter de leurs réflexions sur leur blog, Langue sauce piquante, et sur X, avec le compte Le Monde correct.

bannière Langue sauce piquante

Le blog de gram­maire Choux de Siam était inté­res­sant. Il est tou­jours en ligne, mais à l’ar­rêt depuis deux ans.

Pen­ser aus­si aux nom­breuses res­sources recen­sées par Lexi­lo­gos.

Article mis à jour le 10 octobre 2023.

Comment choisir un dictionnaire

Il existe des dic­tion­naires pour tous les besoins (mono­lingues, bilingues, par domaines d’ac­ti­vi­té…). La Mai­son du dic­tion­naire en a fait une spécialité.

En ce qui concerne les dic­tion­naires géné­raux, posez-vous les ques­tions sui­vantes. Voulez-vous :

  • un dic­tion­naire d’ap­pren­tis­sage (col­lège, lycée, étudiant) ?
  • un dic­tion­naire de langue fran­çaise pour tout public ?
  • un dic­tion­naire ency­clo­pé­dique avec des illustrations ?
  • un dic­tion­naire com­por­tant le plus de mots possible ?

Les édi­tions Larousse et les édi­tions Le Robert pro­posent un vaste choix de dic­tion­naires selon vos besoins. (Il existe d’autres mai­sons d’é­di­tion, mais celles-ci sont les plus célèbres.)

Un bon dic­tion­naire de langue fran­çaise doit, pour chaque mot, vous don­ner l’é­ty­mo­lo­gie, la pro­non­cia­tion, les dif­fé­rentes signi­fi­ca­tions illus­trées d’exemples et de cita­tions, les expres­sions et les locu­tions où il figure, les syno­nymes et contraires.

Un dic­tion­naire dit illus­tré est un dic­tion­naire ency­clo­pé­dique : il mêle noms com­muns (langue fran­çaise) et noms propres (savoir et culture). Comme le mot l’in­dique, il com­porte des illus­tra­tions en cou­leurs : cartes, des­sins, pho­to­gra­phies, sché­mas et planches.

Les mots petit et grand sont une indi­ca­tion du nombre de mots. Par exemple, 60 000 mots dans Le Petit Robert, 100 000 dans Le Grand Robert, deux dic­tion­naires de langue fran­çaise (non encyclopédiques).

À noter : Le Petit Larousse est un dic­tion­naire ency­clo­pé­dique en un volume, alors que Le Petit Robert est en deux volumes (ils s’a­chètent sépa­ré­ment) : un de langue fran­çaise, un de noms propres. Les défi­ni­tions du Robert sont donc plus détaillées que celles du Larousse.

☞ Voir aus­si Petit Larousse ou Petit Robert ?

Si vous pen­sez ache­ter un dic­tion­naire impri­mé et avez des pro­blèmes de vue, prê­tez atten­tion à la typo­gra­phie. Dans les gros dic­tion­naires, les carac­tères sont par­fois petits. Il vaut mieux les feuille­ter en librai­rie avant de les acheter.

Dictionnaires en ligne

Larousse met gra­tui­te­ment à dis­po­si­tion son dic­tion­naire, son ency­clo­pé­die et son dic­tion­naire des dif­fi­cul­tés (inté­gré aux entrées du dictionnaire).

Le Robert pro­pose, lui, des abon­ne­ments annuels à ses dic­tion­naires. Depuis peu, un Dico en ligne, plus suc­cinct, est pro­po­sé gratuitement.

Le Tré­sor de la langue fran­çaise infor­ma­ti­sé est gra­tuit – mais il n’est plus mis à jour depuis 1994.

Tous trois pro­posent aus­si des appli­ca­tions pour iPhone et Android.

Le Dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie fran­çaise est éga­le­ment gratuit.

Per­son­nel­le­ment, ayant besoin de dic­tion­naires de langue fran­çaise tou­jours actua­li­sés et aus­si pré­cis que pos­sible, j’ai opté pour Le Grand Robert en ligne par abon­ne­ment. Il per­met des recherches avancées.

☞ Voir aus­si ma biblio­thèque du cor­rec­teur.

Il existe d’autres dic­tion­naires en ligne, plus anciens, comme le célèbre Lit­tré. Ils gardent leur inté­rêt, mais le fran­çais étant une langue vivante, seul un dic­tion­naire récent four­nit les mots qu’on ren­contre dans la presse et dans la lit­té­ra­ture contemporaine.

De savoureux portraits de correcteurs

Correcteur dans une gravure du XVIe siècle

Un des por­traits de cor­rec­teurs les plus connus dans notre milieu est sans doute l’ar­ché­type, peu flat­teur, des­si­né par l’un des nôtres, Eugène Bout­my, en 1866.

« Le cor­rec­teur, par son carac­tère et la nature de ses fonc­tions, est iso­lé, timide, sans rap­ports avec ses confrères, sup­por­té plu­tôt qu’admis dans l’atelier typo­gra­phique. Le patron voit sou­vent en lui une non-valeur, puisque son salaire est pré­le­vé sur les étoffes ; le prote, la plu­part du temps, dimi­nue le plus pos­sible l’importance de ses fonc­tions. Aus­si, et nous avons le regret de le dire, le réduit le plus obs­cur et le plus mal­sain de l’atelier est d’ordinaire l’asile où on le confine. C’est là que, pen­dant de longues heures, il se livre silen­cieu­se­ment à la recherche des coquilles, heu­reux quand il n’est pas trou­blé dans sa tâche ingrate par les exi­gences incroyables de ceux qui exé­cutent ou dirigent le tra­vail. Et pour­tant, qu’est-ce que le cor­rec­teur ? D’ordinaire un déclas­sé, un trans­fuge de l’Université ou du sémi­naire, une épave de la lit­té­ra­ture ou du jour­na­lisme, et que les cir­cons­tances ont fait moi­tié homme de lettres, moi­tié ouvrier. Aujourd’hui, sans doute, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a dix ans. Un élé­ment jeune, plus éner­gique, est venu s’adjoindre aux hommes timides1. »

Publiée un siècle plus tard, La Cage de verre (1971) est, pour cer­tains, l’un des romans les plus tristes de Georges Sime­non. En tout cas, Émile Virieu est l’un des per­son­nages les plus gris clair de la littérature ! 

Il n’avait pas de traits bien défi­nis. Les lignes étaient molles et l’arête du nez n’était pas mar­quée. Quant à ses yeux sombres, ils étaient gros et saillants, sans expres­sion. C’était presque tou­jours ses yeux que les gens regar­daient et il les soup­çon­nait de res­sen­tir une sorte de malaise.
Il s’habillait sans appor­ter à sa toi­lette la moindre coquet­te­rie. Il était tou­jours vêtu de sombre, comme s’il vou­lait se faire remar­quer le moins pos­sible, et pour­tant, dans la rue, il y avait des pas­sants pour se retour­ner sur lui. Il ne savait pas pour­quoi. C’était une ques­tion qu’il se posait depuis son enfance. Il avait l’impression de ne pas être comme les autres et il lui arri­vait de raser les murs2.

Le cor­rec­teur décrit par A.‑T. Bre­ton en 1843 a plus d’al­lure, proche de celle d’un poète roman­tique, mais reste un loser.

Si vous avez quel­que­fois dépas­sé les limites de la ban­lieue, et pous­sé vos explo­ra­tions jus­qu’aux prés Saint-Ger­vais, à Romain­ville, au bois de Bou­logne, à Gen­tilly, au bois de Vin­cennes, vous n’a­vez pas été sans ren­con­trer quelque per­son­nage de vingt-cinq à trente ans, à la démarche grave, mais quelque peu étu­diée, aux che­veux longs et bou­clés avec soin, habit noir d’une coupe anté­rieure d’un an à la mode du jour, pan­ta­lon idem, bottes selon le temps, le tout d’une pro­pre­té irré­pro­chable, cra­vate mise avec goût, et tenant à la main un livre dont il paraît dévo­rer la sub­stance : c’est le cor­rec­teur cos­mo­po­lite aux limites de son uni­vers, le Cor­rec­teur au début de sa car­rière, dis­til­lant avec feu sa sève juvé­nile sur le trai­té de la ponc­tua­tion de Lequien, ou le jar­din des racines grecques de Claude Lan­ce­lot. Tel est ce néo­phyte de l’art : esclave de l’é­tude ou de l’am­bi­tion qu’elle lui sug­gère, trop pour être si peu, trop peu pour être quelque chose, sa vie n’est que labeur et décep­tion3.

Pour nous par­ler de l’His­toire « impos­sible à cor­ri­ger », George Stei­ner, lui, a ima­gi­né un cor­rec­teur mythique, le Pro­fes­sore, infaillible, même quand on lui sou­met les docu­ments les plus ardus.

Depuis trente ans et plus, un maître dans sa spé­cia­li­té. Le plus rapide, le plus pré­cis des révi­seurs et des cor­rec­teurs d’im­pri­me­rie de toute la ville, voire de toute la pro­vince. Tra­vaillant sept nuits sur sept, de la tom­bée du jour jus­qu’à l’aube. Afin que docu­ments offi­ciels, actes de vente, avis finan­ciers, contrats, cota­tions en bourse paraissent le matin, irré­pro­chables, exacts à la déci­male près. Il n’a­vait pas de rival dans l’art du scru­pule. […] Ses cor­rec­tions des épreuves de l’an­nuaire télé­pho­nique (bis­anuelles), des listes élec­to­rales, des registres du recen­se­ment et des pro­cès-ver­baux muni­ci­paux étaient légen­daires. Les ate­liers d’im­pri­me­rie, les archives natio­nales, les tri­bu­naux ses dis­pu­taient son labeur4. […]

Gra­vure tirée de la col­lec­tion du musée Plan­tin-More­tus, à Anvers.