Quels noms de marque doivent garder leur majuscule ?

Les cor­rec­teurs s’interrogent sou­vent sur la néces­si­té de conser­ver la capi­tale ini­tiale aux noms de marque dépo­sée. Tel mot est-il « une marque de fabrique, choi­sie par l’inventeur ou le fabri­cant et léga­le­ment dépo­sée » ou appar­tient-il aux noms de marque « si répan­dus qu’ils sont deve­nus de véri­tables noms communs » ?

Le pre­mier « reste inva­riable, sera com­po­sé en romain avec une capi­tale ini­tiale (des fer­me­tures Éclair, cinq Fri­gi­daire) », tan­dis que les seconds, « on les com­pose natu­rel­le­ment en romain, en bas de casse et éven­tuel­le­ment avec la marque du plu­riel (trois die­sels, quatre jeeps, du nylon, six pou­belles) » (Impri­me­rie natio­nale1).

Or cer­tains noms dépo­sés sont « ten­dan­ciel­le­ment noms propres au regard de leur usage tech­nique, ten­dan­ciel­le­ment noms com­muns dans l’u­sage cou­rant2 », sur­tout quand ils viennent « com­bler un vide lexi­cal3 ».

Au rang des noms désor­mais com­muns, Gre­visse4 cite aspi­rine, klaxon et… fri­gi­daire, aujourd’­hui lexi­ca­li­sé (et même abré­gé en fri­go) et par­tout cité. Péda­lo a per­du toute valeur et Durit est deve­nu durite5. Le Guide du typo­graphe (romand) leur adjoint brow­ning, colt, inter­net, kalach­ni­kov, laval­lière, lino­type, mas­si­cot, mini­tel, natel, net, pou­belle, stet­son, web et zep­pe­lin6. Le guide d’Antidote nomme moby­lette – « tou­te­fois décon­seillé dans un registre sur­veillé, où l’on pré­fè­re­ra le syno­nyme qui convient ». Outre fri­gi­daire, Wiki­pé­dia énu­mère klee­nex, scotch, zodiac, kar­cher, sta­bi­lo, bic ou encore walk­man. Comme nous allons le voir, cette der­nière liste est audacieuse. 

Pousser un caddie dans un roman

S’il se pose dans tous les textes, le pro­blème du res­pect des noms de marque est par­ti­cu­liè­re­ment pré­oc­cu­pant en lit­té­ra­ture. Dans un roman, quand un per­son­nage dit cad­die ou coton-tige, c’est pour lui un nom com­mun ; il ne pense pas Cad­die® ni Coton-Tige®, pas plus que cha­riot de super­mar­ché ni bâton­net oua­té

Entre autres exemples de cet usage lit­té­raire, on peut citer Annie Ernaux7 : 

Le cad­die que j’ai pris à l’entrée du niveau 2 roule mal. Je m’aperçois qu’il est enfon­cé sur un côté, la chaîne qui sert à l’attacher à un autre cad­die a été arra­chée. C’est un cad­die qui a dû voya­ger hors du par­king, ser­vir à démé­na­ger ou jouer aux autos tam­pon­neuses, etc. C’est fou tout ce qu’on peut faire sans doute avec un cad­die. Je ne com­prends pas pour­quoi on ne les emprunte pas plus, pour un euro c’est une affaire.

L’auteur ou le cor­rec­teur peut-il pour autant refu­ser leur majus­cule à toutes les marques pas­sées dans le voca­bu­laire cou­rant ? Les entre­prises voient-elles dans la perte de leur majus­cule une consé­cra­tion, une « source de péren­ni­sa­tion lexi­cale8 » ? Non, cer­taines refusent l’antonomase et « se battent pour défendre leur marque, jus­qu’aux limites du rai­son­nable9 ».

Risque de déchéance de la marque

En la matière, l’exemple de Cad­die, pré­ci­té, est assez connu10. De même, ceux des marques Bic et Mec­ca­no11. Des confrères m’ont racon­té avoir été témoins de pres­sions de la part des marques Post-It, Scotch (y com­pris contre les déri­vés scot­cher et scot­chant) et For­mule 1 (auto­mo­bile). Pour­quoi tant d’insistance ? 

« En France, selon l’article L. 714-6 du Code de la pro­prié­té intel­lec­tuelle [CPI], le titu­laire d’une marque encourt la déchéance de ses droits sur cette marque deve­nue de son fait l’ex­pres­sion usuelle dans le com­merce des pro­duits et ser­vices cou­verts par cette marque. C’est à ce titre que les pro­prié­taires de cer­taines de ces marques refusent toute uti­li­sa­tion géné­rique de ces mots. » […]
Il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de faute à l’u­sage de ces noms, et le choix est lais­sé à l’au­teur selon le niveau lin­guis­tique de son écrit, sauf quand le pro­prié­taire de la marque s’est clai­re­ment oppo­sé à cet usage12.

Prudence face à des marques combatives

La pru­dence s’im­pose donc, « par­ti­cu­liè­re­ment dans les textes de nature com­mer­ciale13 » et les « écrits nor­més et tech­niques14 ». Voi­là qui est contrai­gnant, car il serait inté­res­sant de pou­voir « s’ajuster au contexte et pré­ci­ser l’intention ».

Que veut-on dire exac­te­ment et à qui se des­tine le pro­pos ?
Par exemple :
–  les moteurs Die­sel (avec majus­cule) per­met de mettre l’accent sur le fabri­cant ;
– mais les moteurs die­sel (sans majus­cule) semble tout à fait rece­vable dès lors que l’attention se porte sur le car­bu­rant uti­li­sé […] ;
la fibre nylon, voire la fibre en nylon, semble éga­le­ment tout à fait rece­vable dès lors que l’attention se porte sur la nature de la fibre plu­tôt que sur la marque Nylon pro­pre­ment dite ou le dépôt du bre­vet15.

Pour la plu­part des tra­vaux, notam­ment jour­na­lis­tiques et lit­té­raires, je déce­vrai donc ici mon lec­teur en ne four­nis­sant pas de réponse claire. Mais un chan­ge­ment récent dans la légis­la­tion doit être por­té à sa connaissance : 

[…] le CPI dis­pose désor­mais, en ver­tu de l’ordonnance du 13 novembre 2019 ren­trée déjà en vigueur, que « lorsque la repro­duc­tion d’une marque dans un dic­tion­naire, une ency­clo­pé­die ou un ouvrage de réfé­rence simi­laire, sous forme impri­mée ou élec­tro­nique, donne l’im­pres­sion qu’elle consti­tue le terme géné­rique dési­gnant les pro­duits ou les ser­vices pour les­quels elle est enre­gis­trée et que le titu­laire de la marque en fait la demande, l’é­di­teur indique sans délai et au plus tard lors de l’é­di­tion sui­vante si l’ou­vrage est impri­mé qu’il s’a­git d’une marque enre­gis­trée ».
[…] Autant dire qu’il vaut mieux pré­ve­nir que gué­rir et s’inquiéter de cela par anti­ci­pa­tion lors de la pré­pa­ra­tion du texte16


N. B. – Pour l’u­ti­li­sa­tion des signes ® et ™, voir l’ar­ticle de Wiki­pé­dia sur le droit des marques : « […] dans les pays de droit civil (tels que la France ou la Bel­gique), ils n’ont aucune valeur légale, tout comme le sym­bole de copy­right © pour les œuvres, bien qu’il soit cou­ram­ment employé pour indi­quer que celle-ci est sou­mise au droit d’au­teur. » Seul le pro­prié­taire a « inté­rêt à indi­quer au public le sta­tut de sa marque au moyen d’un tel sym­bole, qui sert aus­si de mise en garde aux éven­tuels concur­rents qui vou­draient adop­ter une marque iden­tique » (guide d’An­ti­dote, « ®, © et sym­boles appa­ren­tés »).


  1. Lexique des règles en usage à l’Im­pri­me­rie natio­nale, 2002, p. 106-107.
  2. Gérard Petit, « Le nom de marque dépo­sée : nom propre, nom com­mun et terme », Meta, 51(4), p. 701. 
  3. Mar­tin Mar­cienne, « L’o­no­mas­tique des marques et l’an­to­no­mase : ana­lyse dia­chro­nique et syn­chro­nique », in Nou­velle revue d’o­no­mas­tique, no 52, 2010, p. 281.
  4. Le Bon Usage, 16e éd., 2016, § 525.
  5. Wiki­pé­dia, art. nom de marque lexi­ca­li­sé.
  6. Édi­tion de 2000, p. 42.
  7. Regarde les lumières mon amour, Seuil, 2014, p. 54-55.
  8. M. Mar­cienne, art. cité, p. 277.
  9. « Com­ment Pas­quier a confis­qué le mot pitch », Les Échos, 13 février 2018.
  10. « La socié­té Cad­die inter­vient régu­liè­re­ment pour pro­tes­ter contre les usages impropres de ses marques et s’opposer à ce qu’elles soient uti­li­sées par anto­no­mase comme syno­nymes de cha­riot de super­mar­ché. Elle a notam­ment obte­nu la condam­na­tion de plu­sieurs jour­naux, comme Le Figa­ro ou Libé­ra­tion, pour avoir fait un tel usage de ce nom. » — Wiki­pé­dia, art. cha­riot de super­mar­ché.
  11. Emma­nuel Pier­rat, « Les marques citées dans les livres », Livres Heb­do, 10 jan­vier 2020. Voir aus­si Juliette Tal­lobre, « Affaire Mec­ca­no ou com­ment lut­ter contre la dégé­né­res­cence d’une marque ? », Vil­lage de la jus­tice, 3 août 2018.
  12. « Marque uti­li­sée comme nom », Plume-et-papier.com.
  13. Banque de dépan­nage lin­guis­tique, art. Marques de com­merce.
  14. G. Petit, art. cité, note 29, p. 704.
  15. Scri­ba, réponse du 7 jan­vier 2017, forum Ques­tion ortho­graphe Voltaire.
  16. E. Pier­rat, art. cité.