« À Genevieve, mon amour, ma muse, ma correctrice, ma relectrice, ma dialoguiste, ma claviste, celle qui me supporte dans les bons comme dans les moins bons moments, qui ramasse ce que j’échappe, qui me consacre un temps fou et qui s’oublie trop souvent à mon profit. Ton nom mériterait de figurer sur la couverture de ce livre autant que le mien1. »
Ils ne sont plus rares, aujourd’hui, les auteurs qui remercient (comme Martin Michaud, ci-dessus), dans leurs livres, une parente ou une compagne pour les bons soins qu’elles ont portés à leurs écrits.
Balzac aurait pu faire de même pour sa sœur cadette, Laure, et surtout Lamartine, dont l’épouse dévouée, Elisa, s’est épuisée pour la gloire du poète.
Surtout connue pour avoir protégé la mémoire de son frère en publiant une biographie de ce dernier après sa mort2, Laure Surville (1800-1871) ne s’est pas arrêtée à ce rôle, apprend-on dans La Plume du 1er septembre 19003.
« Comment oublier […] cette sœur du poète, qui savait être, selon les heures, enjouée ou sérieuse, que Balzac emmenait un soir au bal de l’Opéra, et qui une autre fois travaillait avec lui à ses livres, la collaboratrice de ses premiers romans, la correctrice des derniers, à qui il recommandait ainsi son Médecin de campagne : « Dis-moi tous les endroits qui te sembleront mauvais, et mets les grands pots dans les petits, c’est-à-dire : si une chose peut être dite en une ligne au lieu de deux, essaie de faire la phrase. »
Édith Marois, docteure ès lettres, chercheuse à l’université François Rabelais de Tours, fournit quelques précisions4 :
« Si Laure Surville n’est pas entrée dans la postérité en tant qu’écrivaine, sa collaboration, même modeste, même simplement consultative, à l’œuvre de son frère est attestée par leur correspondance. En octobre 1833, peu de temps avant la publication du Médecin de campagne, Honoré sollicite ses remarques : “corrige bien le Médecin ou plutôt dis-moi tous les endroits qui te sembleront mauvais et mets les grands pots dans les petits, c’est-à-dire si une chose peut être dite en une ligne au lieu de deux, essaie de faire la phrase5”. L’année suivante, il la remercie de sa lettre sur La Recherche de l’Absolu tout en réfutant les critiques qu’elle exprime : “merci des éloges […] je me suis tout bêtement attendri de ta phrase. Tu as, je crois, tort pour les trois pages que tu trouves de trop, car elles ont des ramifications avec l’histoire. […] Ta lettre est la 1ère félicitation que j’ai reçue de l’Absolu6”, mais là encore, le livre est déjà imprimé et diffusé… »
On trouvera peut-être d’autres informations sur Laure Surville, correctrice de son frère, dans l’ouvrage de Christine Planté, La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Presses universitaires de Lyon, 2015.
On en sait davantage sur Elisa (ou Marianne) de Lamartine (1790-1863), artiste peintre et sculptrice française d’origine britannique : elle s’est usé la santé à corriger les épreuves de son poète de mari, Alphonse.
« Mme de Lamartine, correctrice d’épreuves. — M. Henri Guillemin, dans le Mercure de France, nous apporte — d’après des documents inédits réunis par M. Camille Latreille mort avant d’avoir pu les utiliser — de précieux renseignements sur la vie conjugale de Lamartine et sa femme, que M. Guillemin appelle “la troisième Elvire”. Mme de Lamartine fut une épouse parfaite, exclusivement dévouée à son mari et aux travaux duquel elle apporta une discrète collaboration généralement peu connue.
« Voici à ce propos ce qu’elle écrit, dans une lettre de 1846, adressée à son beau-frère, M. de Montherol :
“M. Furne, l’éditeur, est venu de Paris sur le bruit que les Girondins étaient finis, et il a emporté la permission de mettre trois volumes sous presse en janvier, pour paraître en mars, à peu près.
« C’est à Paris que le travail des épreuves va être terrible pour moi. Je vais être en lutte continuelle pour obtenir des corrections, dont je n’obtiendrai pas le quart. Mais chaque mot gagné sera une victoire, dont il n’y aura que moi qui sache la bataille et le péril. Vous savez qu’il n’aime pas à corriger ni le sens, ni les phrases, ni même les mots. Il écrit d’abondance, abondance miraculeuse, mais qui aurait besoin d’être coordonnée. Les épithètes vont au delà de la pensée. Le public les prend au pied de la lettre, en bien et en mal. Une chose qui n’a qu’un bon côté est sublime ; celle qui n’a qu’un côté mauvais est anathématisée. Le public n’y met pas le correctif, et blâme l’auteur. Je passerai un mauvais hiver. (Inédit.)” » — Journal des débats politiques et littéraires, 3 août 1934, p. 2.
Dans des lettres à Charles Alexandre (1821-1890), secrétaire de Lamartine, Elisa évoque notamment « le long travail de correction des épreuves de son mari dont elle revoie [sic] les textes », selon le libraire en autographes et manuscrits Emmanuel Lorient, sur son site, Traces écrites. Extraits.
« M. de L. parle de partir le 25, lundi de la semaine qui vient. J’espère avoir fait les corrections au moins pour l’exemplaire que je garde et j’espère aussi être mieux portante pour écrire plus nettement celles que je donnerai à l’imprimeur. Il me faudra bien quelqu’un à Paris pour revoir les épreuves qui seront très difficiles à tirer. Mais il faudrait quelqu’un aussi poète que vous et aussi minutieux que le grammairien. Je ne pourrais pas confier à lui une épreuve[,] il en ferait de la très mauvaise prose […] » [1862].
« […] Un jour à Monceaux j’ai eu la chance de voir avec lui une épreuve. Je suis tombée sur un mot, un seul, qui était des plus fâcheux. Je le lui ai dit. Il en est convenu et j’ai substitué une épithète exacte et sans inconvénient. Je lui ai fait observer que je lui rendais service ! Mais il continue la même chose, et ce n’est que de loin en loin que je puis entrevoir par hasard, ou par supercherie quelque chose. C’est si fort une volonté de sa part qu’il donne ses épreuves à porter tout de suite à Jean, au lieu de les donner le soir à un commis qui passe devant l’imprimerie. J’en suis désolée. Si je pouvais seulement causer avec lui sur ce qu’il écrit, je le convaincrais souvent de l’inconvénient de mots qui lui sont échappés […] » [sans date].
« Passez sur la terrasse déserte, devant la façade du château paisible, la paix n’y est pas. Un drame intime s’agite dans l’intérieur. Dans cette grande chambre aux murs tapissés de rosiers grimpants, desséchés, une femme est dans la tristesse. Elle a fait sa prière du matin, elle a demandé à Dieu la force des sacrifices. Comme ses rosiers sans fleurs, son âme est sans espérances. Elle travaille, sa plume active corrige des épreuves, écrit des lettres », raconte Charles Alexandre dans Madame de Lamartine (Dentu, 1887, p. 207).