Premier roman, excellent, d’une secrétaire de rédaction et correctrice, métier qui ne l’empêche pas de prendre des libertés – créatives – avec la ponctuation et, bien sûr, avec la langue. L’autrice m’a séduit et ému. Ce récit d’un deuil est plein de vie. Ci-dessous, le seul passage où elle évoque sa situation professionnelle, « à Issy-les-Moulineaux, du nine to five sans congés ni RTT payé en droits d’auteur » (p. 92).
Le lendemain, il m’a téléphoné vers 15 heures. C’était pas normal qu’il m’appelle en pleine après-midi. Mes collègues étaient au courant de la situation mais l’affaire ne les concernait pas directement, chacun vaquait, casque sur les oreilles, à ses occupations. Je ne voulais pas déballer mon chagrin en plein open space. Ma fonction, subalterne, qui consistait à éditer des papiers sur des drames familiaux et des disparitions mystérieuses, et que venaient régulièrement ponctuer des pages « Vie pratique », me rangeait déjà, dans cette entreprise pourtant « familiale », du côté des incapables et des passifs. Une crise de larmes inopinée, même justifiée, m’aurait fait perdre le peu de crédit que j’avais gagné à m’énerver sur le bon emploi des adverbes et des points-virgules. J’ai sauvegardé les précieuses corrections effectuées sur « Cinq astuces pour un chat en bonne santé » et j’ai couru dans les toilettes pour pouvoir décrocher à temps. […]
Anne Pauly, Avant que j’oublie, Verdier, 2019, p. 68-69.