« Comment enrichir son vocabulaire » est une question qui revient périodiquement sur les réseaux sociaux, comme Quora, généralement avec deux adverbes : « rapidement » et « durablement ».
La réponse évidente, c’est lire. C’est en effet en côtoyant les mots qu’on les acquiert. L’avantage de la lecture par rapport au son (radio, podcasts) ou à l’image (télévision, YouTube), c’est de les voir écrits, et donc d’acquérir en même temps leur orthographe. Sans compter, bien sûr, les autres avantages de la lecture !
Mais comment peut-on accélérer cette acquisition ? Il existe pour cela un certain nombre de livres.
J’en ai sélectionné quatre (parmi ceux destinés aux adultes francophones), plus ou moins austères, classés du plus récent au plus ancien (liens vers les fiches des éditeurs).
Vocabulaire (Nathan, 2001) ou l’équivalent chez Hachette (« Bled », 2021).
Quatre livres pour enrichir rapidement son vocabulaire.
Je ne les ai pas étudiés personnellement. Chacun pourra choisir, d’après les fiches, celui qui semble lui convenir le mieux.
Pour que l’acquisition de mots nouveaux soit durable, il faut les utiliser. Les placer rapidement dans la conversation ou dans un texte après les avoir appris, puis les maintenir vivants, actifs, au fil du temps. C’est ce qu’on appelle la réactivation ou la consolidation, essentielle dans tout apprentissage.
C’est un vieux débat chez les correcteurs. Certains sont rassurés par le caractère légèrement plus normatif du Petit Larousse, et se tournent plus volontiers vers lui en cas de litige. Sans doute sont-ils aussi, plus ou moins consciemment, attachés à la tradition. 1905 (Larousse) contre 1967 (Robert) : un bon demi-siècle sépare la première publication de ces deux références (la maison Larousse remonte même à 1852).
Petit Larousse illustré, édition de 1905.
Contrairement au Dictionnaire de l’Académie française, qui « cherchait à préserver en l’état la langue française telle qu’elle devrait être écrite et parlée1 », nos deux dictionnaires en un volume ont visé, chacun à sa manière, à « décrire une langue telle qu’elle est écrite et parlée dans toute sa diversité2 ».
La vraie différence entre les deux, c’est que le Petit Larousse est un dictionnaire encyclopédique illustré en un volume, alors que le Petit Robert est un dictionnaire de langue française uniquement (le volume de noms propres, actualisé moins souvent, est vendu séparément). À nombre de mots similaire (environ 60 000), les entrées du Robert sont donc bien plus détaillées que celles du Larousse.
D’ailleurs, ils « revendiquent des cibles légèrement différentes. Le premier évoque volontiers un public assez jeune, avec une cible très scolaire. Tandis que le second préfère évoquer un lectorat de “professionnels de l’écrit”, comme les traducteurs, les journalistes, les rédacteurs, les agences de communication ou de marketing3. »
La concision du Petit Larousse peut cependant plaire à certains professionnels : « Il est parfaitement lisible et propose des définitions plus concises ; pour nous, c’est un excellent instrument de travail, souligne Jean-Pierre Colignon, [alors] chef du service des correcteurs du Monde. En revanche, le secteur de l’édition littéraire préférera certainement le Robert4. »
Le Petit Robert 2023.
Mais elle est souvent un obstacle :
« […] Si vous recherchez le sens d’un mot que vous découvrez pour la première fois, il est possible que vous restiez dans le flou après avoir consulté Larousse. Alors que chez Robert, vous trouverez sa prononciation en phonétique, l’étymologie, les différents sens du terme assortis de plusieurs exemples, des emplois tirés de la littérature, des synonymes et même des antonymes », détaille la correctrice Muriel Gilbert5.
C’était aussi l’avis de Jean-Pierre Leroux, grand réviseur québécois : du Robert il vantait le « haut degré de précision, de concision, d’élégance6 ».
Un dictionnaire de gauche ?
« [Le Petit Larousse] C’est le dictionnaire des gens rigoureux qui aiment les choses stables. Ses lecteurs n’ont pas le culte de la nouveauté […] », écrivait Le Figaro en 20107.
Inversement, « lors de la parution du premier Petit Robert, […] le Nouvel Observateur d’alors, par la plume du critique Michel Cournot, s’exclamait, de manière assez réductrice, mais chaleureuse : “Enfin, un dictionnaire de gauche !” », a raconté Alain Rey8.
Aujourd’hui, Géraldine Moinard, directrice de la rédaction des Éditions Le Robert, présente son produit phare en ces termes :
« Dictionnaire moderne, inscrit dans son époque, il rend compte mieux que nul autre des évolutions passionnantes d’une langue française résolument vivante. Parce que le Petit Robert est « un observatoire, pas un conservatoire » (selon la formule d’Alain Rey), il reflète le français dans toute sa diversité, sans négliger les mots des régions et de la francophonie, les mots familiers et les anglicismes9. »
Un des mots nouveaux du Petit Robert 2023.
« Ce parti pris, parfois politiquement incorrect, est considéré comme une dérive par la maison rivale qui, arguant de sa tradition et des responsabilités liées à sa large diffusion internationale, préfère témoigner de davantage de retenue, écrivait Le Monde en 1999. “Il ne faut pas égarer le lecteur. Si nous intégrons dans le Larousse le verbe niquer, nous n’avons pas besoin de citer l’expression nique ta mère, contrairement au Robert”, fait malicieusement remarquer Michel Legrain [alors directeur général adjoint de Larousse], qui laisse à d’autres le soin de “présenter la langue dans tous ses états” et préfère rassurer son lectorat plutôt que le flatter10. »
Cela va-t-il, chez Larousse, jusqu’à la pudibonderie ? Nos confrères du Monde se sont récemment posé la question.
Un manifeste contre le “bon usage”
Présente depuis la première édition (1967) et remaniée pour la dernière fois, à ce jour, en 2017, la préface du Petit Robert affirme clairement sa position par rapport à la norme. En voici les extraits pertinents :
« Le Petit Robert, dès sa naissance, suscita un vif intérêt chez les lecteurs qui, à côté du bon usage garanti par les grands auteurs, retrouvaient leur emploi quotidien du français dans ce qu’il avait de plus actuel et même de plus familier. […] L’accueil fait à la langue courante familière constituait […] une hardiesse qui bousculait la tradition. »
Le Petit Robert « refus[e] l’autocensure d’une norme rigoureuse – il incombe au Dictionnaire de l’Académie française de remplir ce rôle. »
Le dernier paragraphe, ajouté par Alain Rey pour les cinquante ans (2017), soit dix ans après son essai contre le purisme11, est un véritable manifeste contre la notion de « bon usage ». En voici la seconde partie.
Au-delà de la fonction de référence, ce dictionnaire mène un combat contre la pensée unique et l’expression appauvrie. […] Ce dictionnaire souhaite réagir contre une attitude nourrie d’une idéologie, celle d’une norme supérieure pour une élite, dans une population ainsi hiérarchisée, et dont les usages, lorsqu’ils se distinguent de ce “bon usage”, ne suscitent que mépris, dérision ou rejet. Le “bon usage” convenait peut-être à l’Ancien Régime, mais demande sérieuse révision, et ce sont plusieurs usages, plus ou moins licites et que personne ne peut juger “bons” ou “mauvais”, qui forment la réalité d’une langue. L’idéologie de l’élite, des couches supérieures, ignore superbement ou juge sévèrement, dans l’ignorance têtue du réel social, tout autre usage que le sien. Au contraire, le Petit Robert est ouvert à la diversité, à la communication plurielle ; il veut combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes. Le français le mérite.
Chacun jugera si cette déclaration d’intention et, surtout, le résultat qui en découle lui conviennent.
Dictionnaire de mes années de lycée et d’université, le Petit Robert est resté le compagnon du correcteur que je suis devenu. « Un outil puissant qui aide à écrire et à penser », comme l’a déclaré Charles Bimbenet, directeur général du Robert12.
Pour ma part, j’adhère à l’avis d’Alain Rey :
« Sans image – pari ambitieux, au xxie siècle –, moins encyclopédique mais plus culturel et philologique, historique, littéraire, il s’adresse à un autre public que le Petit Larousse. […] Les deux ouvrages sont parallèles, complémentaires, et la “guerre” évoquée est strictement commerciale13. »
Pourquoi « choisir entre l’hiver et l’été14 » quand on peut bénéficier des deux ?
Je n’ai jamais corrigé d’ouvrages de mathématiques ni de physique-chimie, mais, bien sûr, il arrive que les textes qu’on me confie comportent des formules chimiques ou des expressions algébriques, dont je dois garantir la lisibilité. Il y a là une source d’erreur qui peut avoir des conséquences fâcheuses.
J’ai notamment vu transformer des symboles minuscules en majuscules, ce qui en change radicalement le sens. Le kilo (k) en Kelvin (K), le gramme (g) en giga (G). À un éditeur qui avait choisi de passer tous les titres en capitales, j’ai dû signaler que cela ne l’autorisait pas à transformer le cobalt (Co) en oxyde de carbone (CO).
Il y a quelques jours, je racontais la disparition du trait d’union au nom de la simplification dactylographique. Le « tiret du 6 » a, en effet, fusionné trait d’union et signe moins. C’est ce dernier que je vais maintenant évoquer, car sa quasi-disparition est plus problématique que celle de son « cousin ».
Le site communautaire 24 jours du Web, déjà mentionné dans mon précédent article, en parlait, bien sûr :
« Le signe moins […] n’est pas directement accessible sur nos claviers. Même les claviers étendus qui proposent un pavé numérique n’offrent qu’une duplication du “trait d’union et signe moins”. Ce symbole mathématique est pourtant différent graphiquement et sémantiquement des autres. Sa hauteur lui permet d’être parfaitement aligné avec son opérateur opposé, le + ; et sa largeur est proche du tiers de cadratin. Sa largeur est également identique aux signes plus et égal, afin d’offrir de meilleurs alignements verticaux […] »
J’ajouterai une autre comparaison (en police Bodoni), très parlante :
De gauche à droite, trait d’union, tiret demi-cadratin, signe moins et signe plus en Bodoni. Le signe moins est différent en largeur, en épaisseur et surtout en hauteur.
Autre problème, jamais mentionné : dans certaines polices, le trait d’union n’a rien d’un tiret rectiligne. Exemples ci-dessous en Jenson et en Novarese (police avec laquelle j’ai longtemps travaillé).
Trait d’union dans les polices Jenson (à gauche) et Novarese.
Quel scientifique accepterait d’exprimer la négativité avec une sorte de tilde, lequel a une autre signification dans sa discipline ?
Enfin, dans le signe « plus ou moins » (±), les deux signes associés ne sont-ils pas de même largeur ? Il y a donc là une incohérence.
Typographie soignée
Sur un blog, qu’il est inutile de nommer, j’ai lu : « En bonne typographie, c’est ce signe [le trait d’union] qui est employé comme “signe moins” dans la transcription mathématique. » Peut-on vraiment parler de « bonne typographie » ?
Il ne faut pas confondre les contraintes pratiques et la théorie.
Pour moi, le correcteur doit mettre en œuvre la meilleure typographie possible ou, du moins, être capable de le faire sur demande. Il faut pour cela la connaître. C’est à cela que servira ce billet.
Les codes et manuels typographiques décrivent les usages différenciés du trait d’union et des tirets (cadratin et demi-cadratin). La plupart oublient de mentionner quel signe il faut employer pour écrire un nombre négatif ! Ce n’est souvent qu’en tombant sur un exemple qu’on en déduit le choix de l’auteur. Et on trouve de tout : ainsi, chez Gouriou (p. 80), un tiret cadratin suivi d’une espace (sous — 20 degrés).
Autre source d’étonnement : la nette distinction qu’ils font entre composition mathématique (par exemple, Imprimerie nationale, p. 115) et composition ordinaire. Peut-on, sans risque, les séparer aussi nettement ? Comme je l’ai déjà dit plus haut, les textes courants peuvent comporter des formules algébriques, qui doivent être relues avec attention par le correcteur professionnel.
Or, inverser la valeur d’un nombre n’a rien d’anodin. Peut-on accepter si facilement de représenter cette opération par un signe étriqué, de moitié moins large qu’un chiffre ?
S’en émouvoir, ce n’est pas être puriste. C’est avoir le souci de la lisibilité. C’est aussi chercher à maintenir vivant l’art de la typographie.
Même Jean-Pierre Colignon parle du signe moins au passé : « […] le vrai “moins” était un signe intermédiaire entre le tiret et le trait d’union, faisant les deux tiers ou les trois quarts du vrai tiret. Ce rôle est joué aujourd’hui par le trait d’union […]15 »
Un correcteur digne de ce nom ne confondrait pas la lettre minuscule x et la croix de multiplication (×), ni le prime (a′) et l’apostrophe (a’). Pourquoi devrait-il confondre trait d’union (ou tiret) et signe moins, en laissant libre cours à une prétendue « norme » ?
Aspect pratique
Bref, quand les codes typo parlent de l’écriture des nombres négatifs, ils recommandent généralement le trait d’union. Voir Colignon (déjà cité) ou Ramat-Muller (p. 83). Pour ma part, je le trouve trop petit et je lui préfère le tiret demi-cadratin, à l’instar du typographe Bruno Bernard16.
L’emploi du signe moins, qui reste recommandable en typographie soignée, présente trois difficultés :
1) Il n’est pas accessible au clavier directement. Il faut soit taper son Unicode (U-2212), soit aller le chercher dans les glyphes, parmi les signes mathématiques.
2) Il n’existe pas dans certaines polices, comme la Garamond de mon Mac.
Le signe moins ne s’affiche pas dans la Garamond de mon ordinateur.
3) Conséquence du 2 : si on travaille sur un texte qui aura plusieurs destinations, par exemple une publication imprimée et une en ligne, on ne peut prendre le risque d’employer un signe qui, potentiellement, disparaîtra du texte. Il faut au moins vérifier que cela est sans danger.
Ces restrictions mises à part, le signe moins reste disponible.
Et l’espacement ?
Pour faire le tour complet de la question, je donne les règles d’espacement du signe moins (difficiles à trouver), évidemment valables si vous utilisez à sa place le trait d’union ou le tiret :
« Un nombre négatif est écrit sans espace séparateur après le signe moins » — Wikipédia17. Inversement, toutes les opérations algébriques s’écrivent avec une espace avant et après le signe. En effet, en mathématiques, on distingue le cas où le signe moins est un opérateur unaire (–1) et celui où il est un opérateur binaire (3 – 1). Pour plus d’information, lire le PDF Règles françaises de typographie mathématique d’Alexandre André.
Même s’il n’en a pas l’usage au quotidien, le correcteur doit au moins connaître l’existence du signe moins et ses propriétés, pour l’employer quand cela est nécessaire. Cela ne me paraît pas follement réactionnaire, simplement rigoureux.
Le sacre de Napoléon (ici, peint par J.-L. David, 1805-1807), décorum ou barnum impérial ?
Une phrase dans un récent entretien avec Thomas Jolly18 dans Le Monde a réveillé une réflexion qui traînait dans un coin de ma tête. Le metteur en scène racontait un souvenir d’enfance, à l’âge de six ans :
« Je lui explique [à sa prof de danse] que ce que nous faisons n’est pas assez beau, que l’endroit est moche. Moi, je voulais des tutus chatoyants, des dorures, un décorum fastueux, je voulais déjà monter Le Lac des cygnes, même si, à cette époque, je ne le connaissais pas ! »
Le mot décorum a, en effet, connu une évolution intéressante.
Le décorum (avec un article défini), c’est d’abord (1587) quelque chose qu’on respecte, qu’on observe, qu’on « garde » (en français du xviie s., voir Furetière) : l’ensemble des règles de bienséance.
C’est aussi, plus spécialement, à partir de 1889, l’apparat officiel, autrement appelé « étiquette, protocole ou cérémonial », tel celui qu’a mis en scène pour sa propre gloire Napoléon Ier.
Mais, entre-temps, nous dit Alain Rey19, « il a développé, probablement sous l’influence du groupe de décor, décorer, le sens de “ce qui orne, pare” (1835). Il prend alors la valeur péjorative de “luxe ostentatoire”. »
La date donnée par Alain Rey correspond au Père Goriot de Balzac, cité par le TLF : « Nous avons une cuisinière et un domestique, il faut garder le décorum, papa est baron. »
Il s’agit toujours de « ce qui convient », mais en matière de signes extérieurs d’appartenance à une classe : employer des domestiques, porter certains vêtements20 comme habiter un lieu « qui en jette ». Habitude bien française, à en croire un élève de David, Étienne-Jean Delécluze : « On retrouve partout ces habitudes de faire tout avec apparat, ce besoin de jeter de la poudre aux yeux, que l’on déguise sous le nom de bienséance, de décence, de décorum » (Journal, 1827, cité par le TLF).
Le décorum, comme l’apparat (du latin apparatus « préparatifs »), c’est un tout. On comprend aisément que le « décorum royal », notamment, regroupe un ensemble de signes, y compris une décoration fastueuse. — D’ailleurs, l’étiquette, de son côté, désigne à la fois le cérémonial, « ce qui marque quelqu’un et le classe » et… le prix des choses !
Un décor qui impressionne
Concernant le décor seulement, il faut noter que décorum a désigné son aspect fastueux (le décorum d’un hall d’entrée) avant de désigner le décor lui-même (Il y avait des plantes vertes, des tapis rouges, un buffet somptueux, tout un décorum).
Pour Larousse, dont je tire les deux exemples précités, c’est un « emploi courant mais impropre ». Le dictionnaire recommande de « n’utiliser le mot qu’au sens de “bienséance, étiquette” ». Antidote se cantonne encore à ce dernier sens.
Dans sa dernière édition, l’Académie, elle, admet une extension de sens, qu’elle ne discute pas : « A souvent le sens d’Apparat.S’entourer d’un grand décorum.Il a le goût du décorum. »
À la différence du petit, le Grand Robert enregistre, lui, le sens péjoratif de « décor très soigné, pompeux », avec une citation du Hussard sur le toit, de Giono (1951) : « Ils contournaient une succession de petites collines toutes plus gentilles les unes que les autres. Chaque détour les emmenait dans des perspectives où il n’était question que de pins espacés autour de bosquets rutilants en un décorum que le premier venu aurait trouvé royal. »
Passons sur le pléonasme « décorum faste » de Thomas Jolly, forme d’insistance assez courante à l’oral. Par contre, on ne peut trop définir si son décorum résume « des tutus chatoyants, des dorures » (le clinquant) ou leur ajoute un décor grandiose.
En effet, dans la presse et la communication d’aujourd’hui, quand le décor impressionne, il devient aisément décorum. Le mot est en vogue – tout pour barnum, d’ailleurs, au sens de « tapage ». Cela tient à la tendance à employer des « grands mots ». Et quoi de mieux qu’un mot sonnant latin ?
Évolution des graphies decorum et décorum dans Ngram Viewer. Si la seconde prend son essor vers 1820, sa progression est très nette depuis la fin des années 1970.
Voir le titre de cette exposition parisienne de 2014 : « Decorum - Tapis et tapisseries d’artistes ». Aussi belles soient-elles, ces œuvres ne constituent pas proprement un décorum – et le texte de présentation ne fournit pas de justification de ce terme.
Voir aussi cet exemple tiré de Libération, parmi d’autres répertoriés dans le DVLF, dictionnaire participatif : « Ce décorum reproduit l’ambiance sonore d’une salle de cinéma THX, quand les tricératops de Jurassic Park déboulent dans le dos du spectateur. »
Le décorum ne devrait pas (n’aurait pas dû) perdre son sens d’origine pour prendre celui, plus commun, de « décor », encore moins celui de « décoration », contre lequel nous prévient, bien solitairement, le dictionnaire Cordial : « Ne pas employer ce mot au sens de “décoration”. […] Ne dites pas “ce vase a été placé là pour le décorum”. »
Le ver était dans le fruit chez Littré, avec sa définition étrangement succincte et ambiguë, calquée sur l’étymologie latine : « Ce qui convient et décore. » Et, à en croire une remarque dans le supplément de son dictionnaire, cette dérivation germait depuis plus longtemps encore :
« REM. Le Poussin a employé ce mot dans le sens de décoration. “Puis viennent l’ornement, le décorum, la beauté, la grâce, la vivacité, le costume, la vraisemblance et le jugement partout,” Lett. du Poussin, 7 mars 1665, dans J. Dumesnil, Hist. des amat. ital. p. 542. »
Exemple ancien, rare, trouvé dans une lettre du maître, qui n’explique pas à lui seul l’acception actuelle que grignote aujourd’hui le mot décorum. Les locuteurs et les scripteurs ont le droit d’être en avance sur les dictionnaires, mais ils prennent le risque d’être mal compris, et les en avertir est une des missions du correcteur.
Certains l’appellent « tiret du 6 », d’autres « (signe) moins », d’autres encore « trait d’union » – les typographes parlent, eux, de « division21 », plus rarement de « tiret quart de cadratin ». Mais la plupart ignorent sans doute, comme moi jusqu’à hier, qu’un tour de passe-partout a été opéré, dans le monde de l’ingénierie, à la fin du xixe siècle.
En cherchant autre chose, je lis ici : « Le tiret du 6 n’est pas un trait d’union ! » Je lis ailleurs : « Le “tiret du 6” n’a […] pas de valeur typographique. » Je découvre aussi que les développeurs informatiques l’appellent « trait d’union-signe moins » (hyphen-minus, en anglais). Me voilà troublé !
« Le signe - que vous connaissez tous est un des caractères les plus accessibles sur nos claviers. Il n’est malheureusement qu’un (pauvre) héritage de la dactylographie. En effet, il a été inventé pour remplacer deux signes distincts à la fois : le trait d’union et le signe moins. Ainsi les mécanismes des machines à écrire s’en trouvaient simplifiés. […] Même si graphiquement les deux premiers signes sont bien identiques, ils n’ont en fait pas exactement le même sens. […] Pour autant, l’usage du trait d’union étant très fréquent, et le véritable caractère bien plus difficile à obtenir, je vous recommande de ne pas vous montrer trop perfectionniste et de considérer le caractère “trait d’union et signe moins” comme un simple trait d’union. C’est un compromis qui semble acceptable tant sémantiquement que graphiquement. »
Je savais que, par simplicité – et ce, depuis l’invention de la machine à écrire –, le trait d’union était souvent employé comme signe moins, mais je pensais que seul ce signe mathématique avait disparu du clavier. J’ignorais que le vrai trait d’union (hyphen) avait, lui aussi, disparu !
Il n’existe quasiment plus que sous forme de référence chiffrée (U+2010), dans le standard mondial Unicode (le code du « trait d’union-signe moins » est U+002D). Il y a donc « confusion homoglyphique » des deux signes. Si, comme il est dit plus haut, il est « bien plus difficile à obtenir », c’est que ce code est laissé vide par nombre de polices numériques, telle la Garamond de mon Mac :
Le code du vrai trait d’union n’est pas affiché par la Garamond de mon Mac.
Je ne suis pas certain que la typographie y ait vraiment perdu quelque chose. D’éventuels spécialistes me détromperont. (Plus gênante est la difficulté d’employer le vrai signe moins – lire mon article.) Mais j’ai été surpris par cette révélation impromptue.
Au passage, j’ai découvert dans les profondeurs d’Unicode des tirets méconnus comme le trait d’union arménien (U+058A), le trait d’union double oblique (U+2E17) ou encore le trait d’union à tréma (U+2E1A). Ne me demandez pas à quoi ils servent… (Si vous le savez, vous pouvez m’écrire !)
Traits d’union arménien, double oblique et à tréma.
Dorénavant, quand je me repencherai, dans mes codes typo22, sur les usages du « trait d’union », je saurai que le vrai, l’unique, a été enterré sans les honneurs, il y a quelque cent cinquante ans, et qu’un imposteur a pris sa place.
☞ Pour d’autres infos intéressantes, consulter la liste des articles.
Chapô récent d’un article du Monde. Faut-il écrire piquant ou piquants ?
Un récent article du Monde23 me donne l’occasion d’évoquer un cas de grammaire litigieux. Son existence même est peu connue, même des professionnels de l’écrit, dont les correcteurs.
« Dans un roman graphique des plus piquant […] », écrit le quotidien. Fallait-il écrire piquants ?
Cette hésitation est ancienne. Dans la correspondance de Stendhal, par exemple, on trouve à la fois L’état sanitaire de cette ville [= Marseille] et de Lyon est des plus satisfaisant(t. VIII, p. 14) et L’intérêt était des plus minimes (t. IX, p. 269).
Même « avec un singulier distinct phonétiquement du pluriel » (Grevisse, § 993 g), on trouve aussi bien Le gros public s’étonne toujours qu’un homme, sur un point, puisse être extravagant, et sur tous les autres des plus normal (Montherlant) que Je le tiens pour un écrivain des plus moraux (A. France).
Pour la GMF (voir sigles en bas de page), l’accord au singulier est « sporadique ».
Quelle est la règle ?
Si l’on creuse la question, on se rend vite compte que la règle est diversement édictée par les grammairiens et lexicographes. Lançons-nous.
Chez Jouette, on trouve à plus : Un accueil des plus cordiaux ou « avec la valeur de très », un accueil des plus cordial. Mais comment trancher ? Et dans l’encadré Le superlatif : « Après des plus […] l’adjectif se met au pluriel si le sujet est nettement déterminé. […] Un accueil des plus cordiaux. […] Si l’on trouve le singulier dans ce cas, c’est contre l’Académie. » Nous voilà peu éclairés.
Observateur de l’usage, Le Petit Robert distingue toujours le superlatif relatif des plus – « parmi les plus. Il n’est pas des plus malins. « c’était quelqu’un dont le commerce était des plus aimables » (Cliff) » – de l’usage adverbial : « Extrêmement (adj. souvent au sing.). La situation est des plus embarrassante. »
Le Grand Robert, lui, ne traite le second cas qu’en remarque : Chez « certains auteurs », quand l’expression des plus est prise « au sens de “au plus haut point”, l’adjectif rest[e] alors au singulier s’il y a lieu. […] Ce spectacle est des plus immoral […]. » Une seconde remarque signale un cas particulier : « Si l’adjectif se rapporte à un pronom neutre, il reste généralement au singulier. »
Cette dernière règle est plus affirmée chez Hanse et Blampain (à adjectifs qualificatifs, 2.6) : « Il [l’adjectif] se met toujours au singulier […] s’il se rapporte à un pronom neutre : Il lui était des plus difficile de s’abstenir. Cela est des plus naturel. »« C’est l’usage général et logique », commentent-ils. C’est aussi « tout à fait logique pour Le Grevisse de l’étudiant (De Boeck, 2018, p. 238). Ex. donné : Ce n’est pas des plus facile.
Passons à Girodet, arbitre des élégances. « Que le nom soit au singulier ou au pluriel, l’adjectif se met normalement au pluriel et s’accorde en genre avec le nom : Ce procédé est des plus légaux. Ces procédés sont des plus légaux. Cette femme est des plus belles. Ces femmes sont des plus belles. Voilà une maison des plus élégantes. — En revanche, invariabilité quand l’adjectif se rapporte à un pronom neutre ou à un verbe : Cela n’est pas des plus facile. Il lui est des plus naturel de se conduire en galant homme. Connaître le secret du code n’était pas des plus compliqué. »
Même règle pour Péchoin et Dauphin (Larousse) : « S’il se rapporte à un verbe ou à un sujet neutre, l’adjectif reste invariable : Il n’est pas des plus facile d’arrêter de fumer. « Naturellement invariable », disait déjà Thomas (Larousse, 1956).
Cette règle n’est entrée dans le Dictionnaire de l’Académie qu’à la dernière édition : « L’adjectif se met au singulier lorsque le sujet est un pronom neutre ou un infinitif. Cela est des plus vraisemblable.Se conduire ainsi me semble des plus cavalier. »
Tout cela est bien compliqué !
Qu’est-ce qui explique cette exception ?
« Quand des plus se rapporte à un pronom neutre ou à un infinitif, il ne peut s’analyser comme équivalent de parmi les plus (et impliquer l’ellipse d’un nom exprimé auparavant) » (Grevisse). Lire est des plus agréable.
« Dans ce cas, le pluriel est un peu surprenant, mais il se trouve pourtant. » Trouver un coin paisible n’y est pas des plus faciles (Echenoz, Je m’en vais, p. 11).
Mais revenons au choix du Monde qui a motivé ce billet… Point de pronom neutre ni d’infinitif, dans leur phrase, mais un groupe nominal, un roman graphique.
Péchoin et Dauphin (Larousse) contestent ce choix : « REM. Certains grammairiens, voyant en des plus un superlatif, sans idée de pluriel, ont préconisé une personne des plus brillante, sans s (= une personne brillante au plus haut point). Cette règle peu logique n’est plus suivie aujourd’hui. »
Thomas (Larousse, 1956), dont ils se sont inspirés, le rejetait déjà :
« L’adjectif qui suit des plus (des moins, des mieux) se met en général au pluriel, l’usage ayant écarté les subtilités opposées par les linguistes, qui n’admettaient que le singulier. […] Certains ont estimé que des plus amenait un superlatif, et que par conséquent il n’y avait pas de pluriel dans l’idée : un homme des plus loyal était un homme loyal au plus haut point, le plus loyal possible, extrêmement loyal, etc. “Mais ce n’est pas la règle la plus suivie ni la plus logique” (Larousse du XXe s. [1928-1933]). »
Alors, on fait quoi ?
La locution des plus fait partie des « formes […] devenues inanalysables » (GGF). Elle est devenue « une locution adverbiale intensive » (GMF). « […] originairement superlatif relatif […] [elle] sert simplement à exprimer un haut degré […] (Grevisse).
Ce qui devrait être « normalement au pluriel » pour Girodet se trouve donc au singulier dans Le Monde. « Peu logique » et contraire à l’usage pour les auteurs de Larousse, aussi bien dans les années 1930 qu’aujourd’hui, ce choix est toujours suivi par certains.
Il me semble lire là plutôt une évolution de l’analyse grammaticale qu’une résistance de puristes.
On le constate à l’Académie. En 1935 (8e éd. de son dictionnaire), des plus n’était encore, pour elle, qu’un superlatif relatif : « Parmi les plus. Il est des plus difficiles. Ce travail est des plus délicats. » Aujourd’hui, elle interprète de plus uniquement comme « très, énormément », et laisse le choix de l’accord : « Ce personnage est des plus farfelus.Cette affaire est des plus banales ou des plus banale. »
Quel que soit votre choix, j’espère que vous aurez trouvé dans cet article les arguments pour le justifier.
GMF : Grammaire méthodique du français, PUF, 7e éd., 2018, p. 621 — GGF = Grande grammaire du français, version numérique, ch. VIII, 7.1.3.
À propos du style journalistique, deux citations historiques sont restées célèbres.
Georges Clemenceau, atelier Nadar, s.d.
La première est due à Georges Clemenceau, alors rédacteur en chef (1903-1906) de L’Aurore. Plusieurs variantes circulent, mais il s’agissait sans doute d’une circulaire adressée aux rédacteurs du journal, formulée ainsi :
« Faites des phrases courtes. Vous ne devez pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. »
Clemenceau avait son franc parler. Parmi les nombreuses citations qu’il nous a laissées, celle-ci est particulièrement savoureuse : « Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie française. » On voit que la « vieille dame du quai Conti » était déjà tenue en haute estime !
“Le Temps”, fruit d’une volonté de sérieux et de qualité
L’autre phrase souvent citée à propos de l’écriture journalistique est due à Adrien Hébrard. Qui ça ?
« Adrien Hébrard [1833-1914] s’efface derrière son œuvre et les historiens contemporains doivent se contenter de quelques renseignements signalétiques » (J.-G. Padioleau24). S’il fut longtemps sénateur de la Haute-Garonne (1879-1897), il n’est monté qu’une fois à la tribune. On sait aussi que, doué en affaires, il investit dans les travaux publics, l’électricité, le téléphone, la métallurgie, et mourut très riche (Wikipédia).
Surtout, pour ce qui nous concerne ici, il dirigea le quotidien Le Temps de 1871 à sa mort, en 1914, et en fit une puissance politique et financière.
Adrien Hébrard à l’atelier Nadar, s.d., et dans une cérémonie des Jardies [à la mémoire de Gambetta], le 29 juillet 1914. Au milieu, Le Temps, une du 2 novembre 1896. (Gallica, BNF.)
En 1861, en lançant Le Temps, Auguste Nefftzer en avait annoncé le principe directeur : « De la mission d’éducation publique que nous assignons à la presse, notre programme découle tout naturellement. […] nous devrons nous attacher à solliciter le libre raisonnement de nos concitoyens et […] nous chercherons moins à leur inculquer une opinion toute faite qu’à les mettre en état de s’en former par eux-mêmes » (P. Éveno25).
Sérieux et qualité étaient donc au programme.
Dix ans plus tard, Nefftzer laissa la direction du journal au rédacteur en chef Adrien Hébrard, dont le mot d’ordre fut plus succinct : « Surtout, faites emmerdant ! »
« Expression d’une recherche presque maniérée de l’austérité, mais aussi réaction salutaire contre la vulgarité ou la facilité des nouveaux grands de la presse quotidienne (Le Petit Parisien, Le Journal) et le sensationnalisme agressif et diffamatoire du Matin […] » (Encyclopædia Universalis26).
Peut-être était-ce aussi « pour inciter sa rédaction à creuser les sujets au risque de déplaire, sans crainte de lasser » (O. Maniette27).
Quotidien républicain et conservateur, Le Temps se saborda pendant la Seconde Guerre mondiale, le 30 novembre 1942. « Ses locaux réquisitionnés et son matériel saisi à la Libération permettent le lancement le 18 décembre 1944 du Monde qui le remplace comme organe de référence » (BNF28).
« Longtemps, Le Monde a été l’héritier [du] jansénisme [d’Adrien Hébrard]. Plus personne n’était là pour enjoindre de “faire emmerdant”, mais le style maison refusait toute frivolité. Du gris partout, du gris à satiété. Telle était la norme dans les années 1950 et 1960 » (Le Monde29).
Aujourd’hui, « Faites des phrases courtes » reste de bon conseil. « Faites emmerdant », je suis moins sûr.
Comment riez-vous par écrit ? Faites-vous « ah ah » ou « ha ha » ?
D’après un article de Libération en 2019, il y aurait débat sur la question. Il leur semble alors, « après une enquête toute subjective », que « ah ah » est plus fréquent.
Pourtant, le quotidien explique que les deux onomatopées sont admises, aussi bien par l’Académie que par le Robert.
Mais entre « Ah ! ah ! ah ! que c’est drôle ! » et « Ha ! ha ! ha ! comme c’est drôle ! », selon l’Académie, il y aurait une nuance d’affectation. Avec « ha ha », on fait plus semblant de rire qu’on ne rit vraiment.
Pour ce qui est de la ponctuation, vous avez le choix entre « Ah ! ah ! ah ! » et « Ah, ah, ah ! » (J’ai une préférence pour la seconde option, plus légère.)
Vous pouvez aussi faire « hi hi » si ça vous chante. Par contre, « hé hé » sert plutôt à « marquer une sorte d’adhésion gourmande, de complicité, parfois railleuse ou ironique » (Acad.). « Hé, hé, je ne dis pas non. » – à ne pas confondre avec « eh eh », qui « exprime un sous-entendu, généralement ironique ou grivois ».
Quant à « ho ho », c’est une exclusivité du père Noël.
1er décembre, premier jour de l’avent et, bien sûr, défilent, sur les réseaux sociaux et ailleurs, billets et articles surfant sur le « calendrier de l’avent » ou, plus souvent, « de l’Avent ». Pourquoi cette hésitation graphique ?
Anciennement advent (vers 1119), avent vient du latin chrétien adventus (« arrivée, avènement ») et désigne la « période de l’année liturgique de quatre semaines qui précède et prépare la fête de Noël » (Larousse).
Un calendrier de l’avent est une boîte « comprenant vingt-quatre volets à ouvrir chaque jour, du 1er décembre à Noël, pour découvrir une friandise, une surprise » (Robert).
Dans un cas comme dans l’autre, la minuscule s’impose.
Le logiciel Antidote précise : « Comme c’est toute une période qui est désignée par le mot avent et non pas un jour de fête unique, il est recommandé de l’écrire avec une minuscule, comme pour le nom du carême ou du ramadan. La graphie Avent, avec une majuscule, est déconseillée. »
On peut le vérifier dans les dictionnaires suivants : Robert, Jouette, Girodet, Dournon, Littré ; dans les encyclopédies Universalis et Wikipédia, ainsi que dans la Vitrine linguistique (Québec).
Seul Larousse (et le TLFI) maintient la majuscule. Est-ce pour « bien distinguer l’Avent, temps de la liturgie catholique qui précède Noël, de la préposition avant » ? L’argument me paraît mince.
Même le dictionnaire de la si conservatrice Académie a abandonné la majuscule depuis son édition de 1835.
Pourtant, cette tradition – de la majuscule – a la vie dure.
Avent dans calendrier de l’avent serait-il perçu comme le « nom spécifique », sur le modèle de ministère de l’Économie ? S’agit-il de l’expression d’une déférence à l’égard de la religion ? Ou encore d’un exemple de la « majusculite » commerciale ?
J’avoue que l’explication m’échappe. Les hypothèses sont les bienvenues.
Premières leçons d’orthographe, d’Édouard et Odette Bled, 1965.
J’ignore dans quel manuel les écoliers d’aujourd’hui apprennent les règles d’orthographe et de grammaire, mais pour ceux de ma génération, c’était un fameux livre blanc et bleu, le Bled. Nous prononcions consciencieusement le d final, et voici que, cinquante ans plus tard, je découvre dans Wikipédia qu’on prononce « blé30 ».
Un article du JDD Magazine31, où l’on peut enfin identifier « E. & O. » — Édouard (1899-1996) et Odette (1906-1991) — et découvrir le sympathique visage de ces deux instituteurs, me donne l’occasion d’une petite séquence nostalgie. J’en publie quelques extraits.
« Les mots étaient des amis qui me contaient des histoires. Quand j’en découvrais un nouveau, je le notais sur un petit carnet. » — Édouard Bled
À l’école, les époux Bled cherchent de nouvelles façons d’enseigner et d’aider les élèves à apprendre. Et ils profitent des vacances pour travailler sur une nouvelle pédagogie. Leurs méthodes commencent à intriguer : des inspecteurs viennent même visiter leurs classes pour observer leurs façons de faire. En 1937, ils entament la rédaction de leur premier livre. […]
Automne 1941. Le couple présente une première version de son manuscrit à Hachette. « Votre ouvrage est une nouveauté pédagogique qui a retenu notre attention, leur dit-on. Mais le papier est contingenté et réservé aux titres déjà existants. D’autre part, ce qui nous intéresse, c’est une collection qui couvrirait toute la scolarité. Êtes-vous prêts à vous lancer dans un tel travail ? » Édouard et Odette répondent oui d’une seule voix, sans même avoir pris le temps de se concerter.
Après signature du contrat, en mai 1945, « […] le couple publiera plusieurs versions de son manuel. Qui se vendra à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires – et se vend encore. »