Le “TOP”, référence ancienne du métier du correcteur

"TOP. Toute l'orthographe pratique", d'André Jouette, édition Nathan de 1986
Édi­tion de 1986

Cer­tains cor­rec­teurs, aujourd’­hui retrai­tés, ont eu entre les mains un « Jouette » dif­fé­rent de celui que nous connais­sons aujourd’­hui (☞ lire La biblio­thèque du cor­rec­teur). Il por­tait, au choix de l’é­di­teur, le petit nom de « TOP », abré­via­tion du titre entier : Toute l’orthographe pra­tique. L’ou­vrage a été publié par Nathan (coll. Plu­ri­guides, 765 pages) en 1980.

Portrait d'André Jouette dans la pression quotidienne marnaise en 1996
André Jouette dans la presse mar­naise en 1996

Né le 22 juin 1914 à Allian­celles (Marne), André Jouette a été direc­teur d’é­cole, biblio­thé­caire en chef de la ville de Mar­ra­kech, cor­rec­teur d’é­di­tion spé­cia­li­sé dans les dic­tion­naires et ency­clo­pé­dies. Il est l’au­teur d’une dizaine d’ou­vrages sur la langue, dont La Gram­maire facile du fran­çais (Nathan), Le Savoir-écrire (Solar) et Les Pièges du fran­çais actuel (Mara­bout) ; du Secret des nombres (Albin Michel) et d’une chro­no­lo­gie, Toute l’his­toire (Per­rin).

Couverture de "Ortho" rouge, édition scolaire, d'André Sève, 1946
L’Ortho rouge, sco­laire, de 1946

Dès sa sor­tie, le TOP trou­va sa place dans le petit mar­ché des dic­tion­naires d’or­tho­graphe. Seul réel concur­rent, l’Ortho d’An­dré Sève et Jean Per­rot. Conçu comme ouvrage sco­laire dès 1946, il a été édi­té pour le grand public de 1950 à 1983. Le Dic­tion­naire d’or­tho­graphe et des dif­fi­cul­tés du fran­çais, de Jean-Yves Dour­non, paraî­tra tout juste un an après celui de Jouette. Le Dic­tion­naire ortho­gra­phique de Bled le sui­vra de quelques années (1987).

Un ouvrage unique en son genre

Couverture de "Ortho. Dictionnaire orthographique et grammatical", d'André Sève et Jean Perrot, 1983
Ortho vert, grand public, 1983

Le « Jouette » leur est net­te­ment supé­rieur en nombre de mots enre­gis­trés (50 000 dans la pre­mière édi­tion, 70 000 ensuite), mais aus­si par la foule d’in­for­ma­tions pra­tiques qu’il leur adjoint et qui lui donne son carac­tère pra­tique. Homme du métier, André Jouette sait quels sont les doutes que doit lever le cor­rec­teur au quo­ti­dien. Il four­nit donc de nom­breux exemples (Ils s’en sont aper­çus ; les deux heures qu’ils ont cou­ru) et expres­sions (L’en­tre­prise change de mains ; l’ou­vrier fati­gué change de main) aptes à nous tirer d’af­faire1. Mais ce n’est pas tout.

Des articles de syn­thèse […] concernent : la gram­maire (avec une étude com­plète sur l’accord du par­ti­cipe pas­sé) ; le voca­bu­laire (des listes métho­diques faci­litent la connais­sance ana­lo­gique du fran­çais) ; les recom­man­da­tions offi­cielles de fran­ci­sa­tion des mots étran­gers ; la pré­sen­ta­tion (ponc­tua­tion, typo­gra­phie…) ; la culture géné­rale (les noms des sept Muses, des trois Grâces…). On trouve éga­le­ment : des tableaux de conju­gai­son com­plets ; des tableaux ana­lo­giques (liste des noms de col­lec­tion­neurs, des noms de femelles et de petits d’animaux, des États avec le nom de leurs habi­tants et de leur mon­naie…). […]2

Un bon accueil critique dès sa parution

J’ai trou­vé une recen­sion de la pre­mière édi­tion, parue dans la revue Com­mu­ni­ca­tions et lan­gage.

Couverture de "TOP. Toute l'orthographe pratique", d'André Jouette, édition originale de 1980
Édi­tion ori­gi­nale, 1980

Le titre de cet ouvrage est à la fois juste et trom­peur. En effet, pour four­nir tout ce qui est néces­saire à une écri­ture sans faute, il fal­lait dépas­ser lar­ge­ment le cadre strict de l’or­tho­graphe. Et c’est bien cela qu’An­dré Jouette a fait.

« T.O.P. » est beau­coup plus qu’un dic­tion­naire ortho­gra­phique (pour­tant cin­quante mille mots et expres­sions s’y trouvent) et qu’un dic­tion­naire de gram­maire (pour­tant tous les points déli­cats sont pas­sés en revue), c’est une somme d’une sur­pre­nante richesse. De la liste des sept cent soixante-huit villes fran­çaises de plus de dix mille habi­tants et des soixante-dix-neuf sous-pré­fec­tures n’at­tei­gnant pas ce nombre aux lois et décrets concer­nant la langue fran­çaise, des gal­li­ca­nismes [sic, gal­li­cismes] à l’é­cri­ture des noms de vins, il est bien dif­fi­cile d’en rendre compte en quelques mots.

Par ailleurs, ce qui frappe tout de suite, c’est le plai­sir que semble avoir pris l’au­teur à nous faire entrer dans les secrets de la langue. Tou­jours pré­cis et rigou­reux, il va jus­qu’à employer une anno­ta­tion spé­ciale dans le cas par­ti­cu­lier où un mot com­po­sé se trouve cou­pé en fin de ligne à la hau­teur du trait d’u­nion… Ain­si, on peut voir écrit :

… porte-
-cou­teau.

Pour ache­ver, je ne résiste pas au plai­sir de citer quelques curio­si­tés que l’on ren­contre rare­ment ailleurs. Savez-vous, par exemple, que la phrase « Por­tez ce vieux whis­ky au juge blond qui fume » emploie toutes les lettres de l’al­pha­bet ? ou encore qu’un palin­drome est un diver­tis­se­ment ortho­gra­phique fait d’un mot ou d’une phrase pou­vant se lire de droite à gauche comme de gauche à droite (ain­si, engage le jeu que je le gagne) ? Quel est l’a­ni­mal qui ancoule ? Quelle est la conte­nance de la bou­teille qui porte le nom de sal­ma­na­zar ? Vous trou­ve­rez les réponses res­pec­ti­ve­ment aux articles « ani­maux » (p. 65) et « bou­teille » (p. 111). Enfin, il faut men­tion­ner l’an­nexe inti­tu­lée « On en parle, mais quels sont-ils ? », com­po­sée de plus de soixante rubriques qui donnent aus­si bien les noms des douze sybilles, des pro­phètes de la Bible que ceux des six femmes d’Hen­ry VIII ou des quatre poches de l’es­to­mac des rumi­nants. Un livre de pre­mière uti­li­té qui sort vrai­ment de l’or­di­naire3.

Le suc­cès de cet ouvrage, repris par les Édi­tions Le Robert en 1993, ne s’est jamais démen­ti, comme le montre la régu­la­ri­té des rééditions. 

Sans comp­ter les édi­tions dans les clubs du livre. 


Plus réédi­té depuis la mort de l’au­teur (le 9 novembre 2006, à Chan­tilly, Oise, à 92 ans), le « Jouette » reste à ce jour sans véri­table concur­rent, aus­si je recom­mande à ceux qui ne le pos­sèdent pas encore d’en acqué­rir un exem­plaire d’oc­ca­sion, tant qu’il s’en trouve. 

PS – En 2010, 2011 et 2015, Le Robert a publié, au for­mat de poche, un Dic­tion­naire d’or­tho­graphe et de dif­fi­cul­tés sans nom d’au­teur sur la cou­ver­ture, ce qui a pu induire en erreur cer­tains ache­teurs. Rédi­gé par Édouard Trouillez et Géral­dine Moi­nard, sous la direc­tion de Domi­nique Le Fur, c’est avant tout un dic­tion­naire d’or­tho­graphe, les déve­lop­pe­ments étant plus rares et plus suc­cincts que chez Jouette ; les enca­drés qua­si inexis­tants. Dans leur pré­face, les auteurs saluent la mémoire de leur pré­dé­ces­seur, dont ils se sont ins­pi­rés, recon­nais­sant « un tra­vail dont l’ex­cel­lence, l’ex­haus­ti­vi­té et le ton inimi­table furent appré­ciés par le grand public comme par les spé­cia­listes de l’écrit ». 

« Inimi­table»… Je dirais plu­tôt « irrem­pla­çable », en tout cas irremplacé.


Le correcteur face à l’auteur médiocre

Tout cor­rec­teur ayant un peu d’ex­pé­rience vous énon­ce­ra cette véri­té : ce sont les auteurs de piètre talent qui montrent le plus de résis­tance à son inter­ven­tion sur leur texte. Nul ne l’a mieux expri­mé que le grand révi­seur qué­bé­cois Jean-Pierre Leroux, avec son humour et son franc-par­ler, dans un article de 1985, « Exer­cices de révi­sion ». Voi­ci l’ex­trait en question.

Curieu­se­ment, les auteurs les plus médiocres sont ceux qui jettent des cris dès qu’on signale dans leurs chefs-d’œuvre une impro­prié­té ou une struc­ture de phrase bran­lante. Ils veulent assi­mi­ler leur igno­rance de la gram­maire et de l’orthographe à une liber­té toute créa­trice. L’effronterie ne cédant en rien à la paresse, ils vont jusqu’à pré­sen­ter leurs tor­chons aux édi­teurs, les­quels édi­teurs en font des livres, les­quels livres s’attirent des éloges, les­quels éloges aident ces fumistes d’auteurs à obte­nir prix, bourses, tour­nées de confé­rences, mais faites qu’on ne me laisse jamais la chance d’approfondir la ques­tion ou de four­nir une liste de noms. (Exer­cice 8. Expli­quez en ver­tu de quoi plus un texte est mal fou­tu, plus l’auteur est soup­çon­neux, plus la révi­sion est ingrate, mal payée, insa­tis­fai­sante, et plus l’éditeur vous met des bâtons dans les roues.) (Exer­cice 9. Expli­quez pour­quoi, lorsqu’un livre est bien révi­sé, les cri­tiques lit­té­raires estiment que l’auteur a du talent et pour­quoi, lorsqu’un livre est mal révi­sé, ils consi­dèrent que l’éditeur n’a pas fait son tra­vail. […] Quant aux auteurs conscien­cieux, baume sur mon cœur endo­lo­ri, ils ne pensent pas que le fait de se ren­sei­gner sur le sens des mots rende le tra­vail d’écriture moins pas­sion­nant. Mieux : ils sont rede­vables au révi­seur qui iden­ti­fie leurs lacunes, leurs tics ; ils pré­fèrent en effet conso­li­der leur ouvrage plu­tôt que leur ego, qui ne se trouve abso­lu­ment pas désho­no­ré d’avoir appris quelque chose.

Leroux, Jean-Pierre, « Exer­cices de révi­sion », Liber­té, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 15-16. URL : <http://www.erudit.org/culture/liberte1026896/liberte1034163/31304ac.pdf>.

☞ Lire aus­si mon article Le Gar­dien de la norme, de Jean-Pierre Leroux.

☞ Lire aus­si « L’af­faire du sha­ko » sui­vi de « Pre­mier (et der­nier ?) lec­teur » dans Défense d’un “être hybride”, le cor­rec­teur, 1864.

De quoi le correcteur doit-il douter ?

Le cor­rec­teur, un pro­fes­sion­nel à l’œil aigui­sé… mais dis­cret. (Foto­me­lia)

Un bon cor­rec­teur doute en per­ma­nence. C’est même sa prin­ci­pale qua­li­té – la maî­trise de la langue fran­çaise et la culture géné­rale étant des pré­re­quis. Mais de quoi doute-t-il au juste ? Eh bien, de tout ou presque. Dans son article « Prête-toi ta plume… et ton cer­veau », l’écrivaine qué­bé­coise Suzanne Robert en donne un aper­çu assez ver­ti­gi­neux, mais réa­liste. Le champ d’in­ter­ven­tion du cor­rec­teur sur un texte est très éten­du. Il doit tout voir, tout régler, mais sans se faire remarquer.

[…] Le révi­seur-cor­rec­teur doit non seule­ment pos­sé­der une connais­sance exhaus­tive de la langue fran­çaise — ce qui est la moindre des choses —, mais il doit de plus — ce qui en éton­ne­ra plu­sieurs — être nan­ti d’un amour inébran­lable pour cette langue et, sur­tout, d’un pro­fond sens du doute. Dou­ter de tout, d’un accent, d’un accord, de l’exactitude d’un terme, d’une date, d’un sigle, d’un nom de ville étran­gère, d’un sub­jonc­tif, de la logique d’une pen­sée, etc. Métier d’incertitude ! Tout véri­fier, son­der, cor­ro­bo­rer. Savoir lire avec un œil de lynx et un esprit scien­ti­fique. Culti­ver l’intuition, l’acuité, l’attention, la concen­tra­tion, la logique, la patience. Savoir écrire, récrire, refor­mu­ler, réor­ga­ni­ser. Noter les redon­dances, les répé­ti­tions, les contra­dic­tions, les digres­sions. Adou­cir ici, ren­for­cer là, uni­for­mi­ser le tout, cla­ri­fier, refondre le cha­pitre, réunir les para­graphes, les scin­der. Res­pec­ter le « style » de l’auteur et com­prendre sa « pen­sée » éche­ve­lée, ou étroite, ou confuse, ou sim­ple­ment incom­pré­hen­sible ; com­prendre l’incompréhensible. Suivre à la trace l’auteur, son pro­pos, sa démarche, son ton, qu’il ait ou non (ce qui arrive plus sou­vent qu’on ne le croit) accep­té de dis­cu­ter avec le révi­seur de cer­tains points obs­curs de son texte. Deve­nir l’auteur, s’insérer en lui, puis le rehaus­ser, le repeindre, le rendre par­fait dans son genre. Rendre Dieu plus sem­blable à lui-même en éli­mi­nant les défauts, les erreurs, les méprises — car l’éditeur accepte plus ou moins n’importe quoi, sachant que son brave répa­re­ra tous les dégâts. Réduire à 300 pages un manus­crit de 600 pages ; refaire une biblio­gra­phie de 150 titres pour les­quels l’auteur a omis d’indiquer l’année de publi­ca­tion ou le lieu de l’édition, ou de pré­ci­ser s’il s’agit d’un article, d’une mono­gra­phie, d’un rap­port, etc. ; savoir en quelle année fut éta­bli le pont aérien vers Ber­lin ou de quelle sub­stance miné­rale est fait le rocher Per­cé ; scru­ter les équa­tions algé­briques ; véri­fier la topo­ny­mie d’une région ou l’orthographe de noms nor­vé­giens ; faire les conver­sions métriques ; s’assurer de l’exactitude d’un jeu-ques­tion­naire ou de la cohé­rence d’un roman poli­cier ; recons­truire un tableau de don­nées ; récrire l’envolée phi­lo­so­phique d’un grand pen­seur ; refaire le pas­sage cru­cial d’un roman de déses­poir, etc. Le révi­seur-cor­rec­teur vit une exis­tence de pré­da­teur, tou­jours à l’affût, tenant sa culture géné­rale dans la main gauche et ses livres de réfé­rence (dont il défraie lui-même le coût) dans la main droite. […]

Robert, Suzanne, « Prête-moi ta plume… et ton cer­veau », Liber­té, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 7-8. URL : <http://www.erudit.org/culture/liberte1026896/liberte1034163/31303ac.pdf>.

Le correcteur, “taupe de l’édition”

Dans la revue qué­bé­coise Liber­té, sous le titre « Les taupes de l’é­di­tion », ont été réunis en 1985 deux articles savou­reux trai­tant du métier de cor­rec­teur4. Du pre­mier, signé de l’é­cri­vaine Suzanne Robert, je retiens en par­ti­cu­lier le pas­sage ci-des­sous, qui, depuis sa publi­ca­tion, n’a pas pris une ride. 

[…] C’est à ce moment qu’entre en scène notre révi­seur-cor­rec­teur-lin­guis­tique-de-manus­crits. L’éditeur lui remet alors un tor­chon, au mieux un linge troué ou tis­sé à la hâte, en décla­rant : « Voyez ceci, mon brave. Il fau­dra me le répa­rer. Ce ne sera pas long. Rien de grave. Quelques accrocs, tout au plus ». On lui ordonne d’en faire, dans les plus brefs délais, une soie bien tra­mée, dégom­mée, cuite, mon­tée, mou­li­née, souple, d’apparence natu­relle, acces­sible à tous et pour une rému­né­ra­tion déri­soire. Après nuits blanches et épui­se­ments phy­siques et men­taux, le « brave » remet la mer­veille à l’éditeur qui, d’un œil d’expert, regarde de haut le tra­vail ache­vé, reproche à son brave le petit retard qu’il accuse sur le calen­drier d’édition et s’en va pres­te­ment aux salons de l’étage en mur­mu­rant : « Un livre de plus. J’espère qu’il se ven­dra bien ». L’imprimeur se hâte, le cor­rec­teur d’épreuves s’essouffle, l’engrenage va bon train, le livre paraît, les études de mar­ché se confirment et le lec­teur emporte chez lui ce pré­cieux objet que le révi­seur-cor­rec­teur-lin­guis­tique-de-manus­crits a cou­vé, abreu­vé, recons­truit, remo­de­lé, repen­sé, refor­mu­lé, res­sas­sé, récrit, sans même, bien sou­vent, avoir eu droit à un exem­plaire gra­tuit une fois l’ouvrage publié. Sur la cou­ver­ture, sur les pages de titre, dans les jour­naux, sur les affiches, dans les vitrines de librai­ries, à la radio et à la télé brillent les noms de l’auteur et de l’éditeur. Le « brave », quant à lui, retourne à ses caves. […]

Robert, Suzanne, « Prête-moi ta plume… et ton cer­veau », Liber­té, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 4. URL : <http://www.erudit.org/culture/liberte1026896/liberte1034163/31303ac.pdf>.

“Une espace”, vraiment ?

« Le logi­ciel Word affiche : “espaces non com­pris”. Espace est un mot fémi­nin, c’est le comble pour un cor­rec­teur ortho­gra­phique. » C’est, en sub­stance, ce que je lis dans les publi­ca­tions en ligne de nombre de confrères.

Fenêtre des sta­tis­tiques d’un docu­ment Word, qui en affiche les « carac­tères (espaces compris) ».

Certes, espace est bien, tra­di­tion­nel­le­ment, un sub­stan­tif fémi­nin en typo­gra­phie, mais Word est un logi­ciel tous publics, pas un outil réser­vé aux spé­cia­listes. Je com­prends que Micro­soft ait choi­si le genre le plus courant. 

Voir ce qu’en dit Anti­dote : 

En typo­gra­phie, le mot espace est géné­ra­le­ment fémi­nin, par­ti­cu­liè­re­ment quand il désigne la lamelle qu’on inter­ca­lait entre les carac­tères de plomb, de façon que les mots à impri­mer soient sépa­rés les uns des autres. Il y avait plu­sieurs varié­tés d’espaces, selon leur chasse (lar­geur) : espace fine, espace forte, espace moyenne, etc. De plus, par méto­ny­mie, les typo­graphes emploient sou­vent espace au fémi­nin pour dési­gner le blanc obte­nu entre les mots impri­més sur le papier, même si les tech­niques modernes d’impression ne font plus appel aux lamelles, mais à des carac­tères numé­riques, pour les­quels on a repris cer­taines anciennes appel­la­tions, comme espace fine. Cela dit, dans le lan­gage cou­rant, il n’est pas incor­rect de don­ner le genre mas­cu­lin à espace dans le sens géné­ral d’« inter­valle entre deux mots », puisqu’un des sens géné­riques du mot mas­cu­lin un espace est celui d’« inter­valle entre deux objets ».

De même, on trouve dans Le Grand Robert , à l’en­trée espace n. m., cette phrase : « L’es­pace entre deux mots est pro­duit par une espace. »

Dans le dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie : « En écri­vant, il faut ména­ger entre les mots un espace suffisant. »

Sa 8e édi­tion (1935) pré­ci­sait encore : « En termes de Typo­gra­phie, il désigne des Petites pièces de fonte, plus basses que la lettre, qui ne marquent point sur le papier, et qui servent à sépa­rer les mots l’un de l’autre. Dans ce sens il est fémi­nin. »

Enfin, dans le TLFI, on peut lire cette cita­tion : « Les carac­tères [des Contes de Per­rault] sont ceux du xviie siècle […] il y a de l’es­pace et un espace égal entre les mots, l’air y cir­cule à tra­vers avec une sorte d’ai­sance » (Sainte-Beuve, Nouv. lun­dis, t. 1, 1863-69, p. 297).

À l’ère de la publi­ca­tion entiè­re­ment infor­ma­ti­sée, l’at­ta­che­ment au genre fémi­nin pour espace est un choix dis­cu­table. L’u­sage tranchera. 

PS – Dans un docu­ment de 1965, dif­fu­sé dans un tweet par le syn­di­cat Cor­rec­teurs CGT, je lis : « Le même espace tu met­tras / Entre les mots exac­te­ment. » Tiens, donc ! D’a­près une cou­pure de presse publiée par le blog Biblio­Mag, ce texte remon­te­rait au milieu du xixe siècle, tou­jours avec « le même espace ». Voi­là qui confirme les sources pré­cé­dentes : même en typo­gra­phie, le mot espace n’est fémi­nin que lors­qu’il désigne le carac­tère. L’es­pace (le blanc) entre les mots reste masculin.

Les Commandements du typographe, 1965, où on lit "le même espace".
Les Com­man­de­ments du typo­graphe, 1965.

“Opter” employé sans complément

Sur­pris de ren­con­trer le verbe opter employé sans com­plé­ment (intro­duit par pour ou entre) dans un texte juridique :

Si l’en­tre­pre­neur sou­haite pas­ser au régime réel, il doit opter dans le délai du dépôt de sa déclaration […]

En optant, l’en­tre­pre­neur pour­ra se ver­ser un salaire […]

j’ai trou­vé qu’en droit il a le sens de « choi­sir entre plu­sieurs situa­tions juri­diques pré­vues à un contrat » (Grand dic­tion­naire ter­mi­no­lo­gique).

Dans d’autres contextes, cet emploi est rare mais attesté :

Il a été ordon­né qu’il opte­rait dans les six mois. Vou­lez-vous être pour nous ou contre nous ? optez, il faut opter, il faut néces­sai­re­ment opter (Dic­tion­naire de l’A­ca­dé­mie fran­çaise, 7e éd., 1878).

Il était tou­jours prêt à tout […], aus­si indif­fé­rent à ceci qu’à cela, sans que jamais sa volon­té se don­nât la peine ou eût la force d’opter, de dési­rer, de vou­loir (Gon­court, Sœur Phi­lom., 1861, p. 274 — Tré­sor de la langue fran­çaise).

Le repos et la liber­té me paraissent incom­pa­tibles : il faut opter (Rous­seau, Gouv. de Pologne, 1 — Lit­tré).

Le peuple n’a guère d’es­prit, et les grands n’ont point d’âme : […] Faut-il opter ? Je ne balance pas, je veux être peuple (La Bruyère).

[…] il faut opter, mon petit cava­lier. Voyez donc si, vous en tenant à l’É­glise, vous vou­lez pos­sé­der de grands biens et ne rien faire ; ou, avec une petite légi­time, vous faire cas­ser bras et jambes, pour […] par­ve­nir sur la fin de vos jours, à la digni­té de maré­chal de camp avec un œil de verre, et une jambe de bois ? (Antoine Hamil­ton, Mémoires du comte de Gra­mont, III) — Deux exemples tirés du Grand Robert.

En his­toire, cela prend même un sens pré­cis : déci­der de quit­ter les ter­ri­toires annexés par l’Al­le­magne à l’is­sue de la guerre fran­co-alle­mande de 1870 afin de conser­ver la natio­na­li­té française.

Mais oui, quatre ans après la guerre, chez ma grand’­mère, où ma mère était venue accou­cher, tan­dis que mon père, qui avait opté, res­tait en France… (Paul Acker, Les Exi­lés, Plon, 1911) — Wik­tion­naire.

“Un [nom] le plus [adjectif] possible”

« Nous vou­lions une fabri­ca­tion fran­çaise et une com­po­si­tion des pro­duits le plus natu­relle possible. »

Exemple d’une construc­tion aujourd’­hui cou­rante. Faut-il l’accepter ?

Chaque fois que je la ren­con­trais, je m’in­ter­ro­geais. Pour ma part, spon­ta­né­ment, j’é­cri­rais, au choix :

  • « la com­po­si­tion des pro­duits le5 plus natu­relle possible » ;
  • « une com­po­si­tion des pro­duits aus­si natu­relle que possible ».

Je res­sen­tais la copré­sence de l’ar­ticle indé­fi­ni et de l’ar­ticle défi­ni comme contra­dic­toire. Pour moi, « la plus natu­relle pos­sible » ne peut être qu’u­nique, donc dési­gnée comme « la construc­tion ». Pourtant…

J’ai trou­vé le pas­sage où Gre­visse en parle (§ 988, c) :

« Le nom accom­pa­gné d’un adjec­tif au super­la­tif a comme déter­mi­nant ordi­naire un article défi­ni ou un pos­ses­sif : Il a épou­sé LA femme la plus aimable que je connaisse. […]
On trouve par­fois d’autres déter­mi­nants dans la langue écrite, sur­tout littéraire. » 

Suivent quelques exemples, dont celui-ci, dû au cri­tique Jacques Siclier, dans Le Monde, en 1984 : Le choix d’UN met­teur en scène de ciné­ma le mieux appro­prié à une œuvre lyrique.

Sont aus­si cités des exemples en fran­çais clas­sique, comme chez Molière, dans L’A­vare (III, 1) : 

C’est UNE chose la plus aisée du monde.

Il semble que cet usage lit­té­raire soit rede­ve­nu en vogue, y com­pris dans la langue orale. Je l’en­tends sou­vent à la radio ou à la télévision.

Une remarque chez Gre­visse laisse cepen­dant devi­ner le léger malaise que peut pro­vo­quer une telle construction : 

« On pour­rait intro­duire des vir­gules dans un exemple comme : Ils sont ain­si ame­nés […] à pré­sen­ter UN miroir le plus fidèle pos­sible du voca­bu­laire pos­sible (J. Dubois, I. Guil­bert, H. Mit­ter­rand et J. Pignon, dans le Fr. mod., avril 1960, p. 87).

Deux typographes parlent des codes typo

Que reste-t-il du monde des typo­graphes ? Laure Ber­nard a recueilli le témoi­gnage de deux d’entre eux, Fré­dé­ric Tachot et Jean-Paul Des­champs, der­niers héri­tiers de ce monde res­té qua­si­ment inchan­gé pen­dant cinq siècles et qui a dis­pa­ru en une géné­ra­tion. À tra­vers le récit de leur par­cours, de leur expé­rience dans une His­toire qui se ter­mine, ce sont les arcanes de ce métier qui se des­sinent : un uni­vers où se mêlent for­ma­tion et filia­tion, où le savoir-faire implique un cer­tain rap­port au savoir lui-même, où le geste est lié au mot, et où l’appartenance à une cor­po­ra­tion, avec ses diverses nuances, se tra­duit aus­si par un lan­gage, et par un esprit, vifs et tru­cu­lents. (Pré­sen­ta­tion de l’é­di­teur.) Extraits. 

Frédéric Tachot transmet son expérience de typographe.
Fré­dé­ric Tachot trans­met son expé­rience de typographe.

Chez les Tachot, on est typos depuis sept géné­ra­tions… Ain­si, la vie se passe en trois temps : un temps où l’on apprend, un deuxième temps où l’on se sert de ce qu’on a appris pour vivre et un troi­sième temps où l’on doit res­ti­tuer. J’en suis au troi­sième stade là, au stade de la res­ti­tu­tion. Mais qu’est-ce que je peux trans­mettre, et à qui ? Toute la ques­tion est là. La tra­di­tion typo­gra­phique, l’esprit du métier, ne sont plus trans­mis­sibles puisque le monde qui leur était rat­ta­ché est mort.

Correcteurs et corrigeurs

Une fois la pre­mière com­po­si­tion ter­mi­née, on tire une « épreuve » du texte. Le pro­ces­sus est un peu dif­fé­rent entre le Labeur et la Presse mais dans les deux cas, l’é­preuve per­met de faire les cor­rec­tions, Il y a les cor­rec­teurs qui cor­rigent le texte, qui l’an­notent en fonc­tion des modi­fi­ca­tions à faire ; par­fois il y a les cor­ri­geurs, des typo­graphes qui retouchent concrè­te­ment le texte, la forme typo­gra­phique selon les indi­ca­tions du cor­rec­teur. Bien sûr, en fonc­tion des boîtes ces tâches étaient faites par plus ou moins de per­sonnes dif­fé­rentes, le pro­to­cole n’é­tait pas tout à fait le même. (p. 82)

Codes typographiques

Des­champs : Éta­blir des règles com­munes, c’est aus­si le prin­cipe du Code typo­gra­phique. Mais il faut bien dire que ces codes de com­po­si­tion, ces codes typo­gra­phiques, il y en a un à chaque époque, chaque auteur a vou­lu en faire un, et il n’y en a pas deux qui disent la même chose, c’est assez extra­or­di­naire ! Il y a le Lexique des règles typo­gra­phiques de l’Im­pri­me­rie natio­nale ; le Code typo­gra­phique, édi­té par la Chambre typo­gra­phique ; le Guide du typo­graphe des Suisses romands ; les règles de l’Ins­ti­tut belge de nor­ma­li­sa­tion… autant de codes, sou­vent contra­dic­toires.
Et pour­tant, dans le pur esprit typo­gra­phique, il faut sou­li­gner qu’à une époque, quand on avait à faire un simple tableau admi­nis­tra­tif, qu’on le fasse à Lille, à Mar­seille, à Brest ou à Stras­bourg, il était fait rigou­reu­se­ment de la même manière. Chose qu’on ne fait plus maintenant.

Tachot : Si on vou­lait faire un ouvrage d’é­di­tion cou­rante, où que ce soit, il était fait de la même façon. À condi­tion que le for­mat papier soit le même. Il y avait la moi­tié du blanc avant le point-vir­gule, le point d’ex­cla­ma­tion, le point d’in­ter­ro­ga­tion, pas de cou­pure de syl­labe muette… Dans tous les pays fran­co­phones, que ce soit chez les Belges ou chez les Suisses, les mêmes règles étaient uti­li­sées. Les Anglais et les Amé­ri­cains en avaient d’autres, bien que les Anglais se rap­prochent aujourd’­hui de plus en plus des Amé­ri­cains. En France, d’ailleurs, le Code typo­gra­phique dépend des syn­di­cats de l’im­pri­me­rie ou de l’Imprimerie natio­nale ; tan­dis qu’en Angle­terre, il dépend d’Ox­ford. Ce sont les gram­mai­riens qui s’oc­cupent de la typo­gra­phie de leur langue, ce qui est tout à fait logique puisque ça touche aux règles de gram­maire et de com­pré­hen­sion d’un texte.

D : Quand l’é­tais appren­ti, mon patron pou­vait refu­ser un tra­vail à des clients dont les demandes ne cor­res­pon­daient pas aux règles typo­gra­phiques. Il nous disait : « Je ne le fais pas. Ce n’est pas typo­gra­phique ! ». Et le client se fai­sait dire la même chose par un autre. Main­te­nant, alors on s’en fout totalement.

T : Les impri­meurs sont deve­nus des pres­ta­taires de ser­vices, ils ne peuvent plus lut­ter contre les impri­mantes laser. Ils sont contraints de s’as­seoir sur toutes les valeurs qui ont construit le métier pen­dant cinq siècles. Et ça, ça nous désole un peu. (p. 98-99)

Laure Ber­nard, Les Typo­graphes. Fré­dé­ric Tachot, Jean-Paul Des­champs, éd. Pac­coud, 2013.

Ate­lier typo­gra­phique, Saran (Loi­ret) : visi­ter le site.

Face à la casse à l'Atelier typographique de Saran
Face à la casse, à l’A­te­lier typo­gra­phique de Saran. Source : Ville de Saran.

La correction expliquée aux enfants

Le métier de correcteur ou correctrice sommairement évoqué
Le métier de correcteur/trice très som­mai­re­ment évoqué… 
La correction, une des étapes du manuscrit au livre imprimé

L’é­tape de la cor­rec­tion figure en bonne place dans le livre jeu­nesse Com­ment fait-on un livre ?, édi­té par Tour­billon en 2009. 

Marie-Odile, l’é­di­trice du livre qui est don­né en exemple, appelle Anne, la cor­rec­trice, pour s’as­su­rer de sa dis­po­ni­bi­li­té. C’est tout ce que nous sau­rons du métier, mais c’est mieux que rien.

Je com­plète donc cet article en citant l’ar­ticle « Correcteur/trice » de l’O­ni­sep, pour celles et ceux qui seraient tenté(e)s d’en­trer dans cette « carrière ». 

Accent grave ou accent aigu ? Majus­cule ou minus­cule ? Deux « p » ou un seul ? Quels sont le sujet, le temps employés ? Le cor­rec­teur passe les textes des pro­fes­sion­nels de l’é­crit au crible. Jour­na­listes, auteurs, tra­duc­teurs, char­gés de com­mu­ni­ca­tion, rédac­teurs web, tous attendent la même chose de cet expert de la langue fran­çaise : qu’il amé­liore la « copie » (ou « épreuve ») qu’ils lui ont trans­mise. Son œil de lynx ne doit lais­ser pas­ser aucune faute d’or­tho­graphe, de gram­maire, de syn­taxe ou de typographie.

Dans les sec­teurs de l’é­di­tion, de la presse ou de la com­mu­ni­ca­tion d’en­tre­prise, il tra­vaille en rela­tion avec les secré­taires de rédac­tion ou d’é­di­tion ou encore les res­pon­sables de pro­duit. Le cor­rec­teur peut être sala­rié d’une entre­prise mais la grande majo­ri­té tra­vaille à domi­cile pour plu­sieurs employeurs. La pro­fes­sion est mena­cée par les res­tric­tions bud­gé­taires, plus encore que par le recours aux logi­ciels de cor­rec­tion auto­ma­tique. Cepen­dant, une nou­velle norme euro­péenne impose la cor­rec­tion des tra­duc­tions tech­niques et devrait favo­ri­ser l’es­sor de ce métier dans le sec­teur de la production.

On note­ra l’es­poir conte­nu dans la der­nière phrase, même si le sec­teur en ques­tion n’a rien de réjouis­sant pour un littéraire. 

Couverture du livre “Comment fait-on un livre ?”
Éd. Tour­billon, 2009.

Dans cette fiche, on trou­ve­ra aus­si une liste de for­ma­tions uni­ver­si­taires (licences et mas­ter de lettres et métiers du livre). 

Pour les for­ma­tions spé­ci­fiques au métier, voir la page For­ma­tion du Syn­di­cat CGT des correcteurs. 

☞ Lire aus­si Mon papa est cor­rec­teur.

PS – Le métier de cor­rec­teur est aus­si men­tion­né dans Le Livre, de Sté­pha­nie Ledu et Auré­lie Grand, coll. Mes p’tits docs, Milan, 2020 ; et dans Le Livre du livre, de Claude Lapointe, coll. Décou­verte cadet, Gal­li­mard, 1987. Mer­ci aux deux consœurs qui me les ont signalés.

Ce que la PAO a changé au métier de correcteur

Correcteur américain comparant la copie à l'épreuve. Lieu et date non communiqués.
Cor­rec­teur amé­ri­cain com­pa­rant la copie et l’é­preuve. Lieu et date n.c. Source : Get­ty Images.

L’avènement de la PAO a pro­vo­qué un chan­ge­ment d’époque pour le métier de cor­rec­teur. L’article « Cor­rec­tion » de l’Ency­clo­pé­die de la chose impri­mée du papier à l’é­cran6 explique bien ce basculement. 

Composition : la double saisie

À l’époque du plomb comme lors de l’arrivée de la pho­to­com­po­si­tion, les maté­riels uti­li­sés pour la com­po­si­tion étaient d’une uti­li­sa­tion réser­vée à des per­son­nels lon­gue­ment et spé­cia­le­ment for­més car ces maté­riels étaient chers, rares, encom­brants et d’emploi com­pli­qué.
La «  sai­sie » était donc confiée à des pro­fes­sion­nels (typo­graphes, lino­ty­pistes, cla­vistes) qui com­po­saient les textes manus­crits confiés par l’auteur… La tâche du cor­rec­teur consis­tait à com­pa­rer scru­pu­leu­se­ment la copie ori­gi­nale et l’épreuve pour évi­ter les bour­dons et les dou­blons, à cor­ri­ger les fautes d’inattention (coquilles), à contrô­ler l’observation des règles typo­gra­phiques (espa­ce­ments, lézardes…) et la qua­li­té du maté­riel de com­po­si­tion (lettres abî­mées, mélan­gées, mas­tics…).
Les cor­rec­tions étaient notées dans les marges de l’épreuve puis exé­cu­tées par le même per­son­nel qui avait com­po­sé le texte (cor­ri­geage). 

PAO : la saisie directe

L’arrivée de la micro-infor­ma­tique a per­mis, à par­tir de 1980, de confier direc­te­ment aux auteurs, aux écri­vains, aux jour­na­listes ou à des dac­ty­lo­graphes un maté­riel de sai­sie léger, éco­no­mique, d’utilisation extrê­me­ment sim­pli­fiée (com­pa­rable à une machine à écrire) et qui pro­duit un fichier infor­ma­tique direc­te­ment uti­li­sable pour la mise en page et l’impression. 
Le cor­rec­teur est sou­vent lui-même équi­pé d’un micro-ordi­na­teur. Sa tâche de com­pa­rai­son avec un texte ori­gi­nal est sup­pri­mée7, mais d’autres sujé­tions ont été ajou­tées à sa tâche. 
La pre­mière, c’est que le pro­fes­sion­nel d’imprimerie connais­sait bien et appli­quait lors de la com­po­si­tion les règles tra­di­tion­nelles de l’utilisation des ita­liques, des gras, des lettres supé­rieures, des espaces spé­ciales, savait pla­cer les capi­tales, com­po­ser les abré­via­tions, etc., toutes com­pé­tences qui ne res­sor­tissent pas de l’éducation du public moyen. 
Les règles déli­cates de la langue (accords des par­ti­cipes pas­sés par exemple, emploi des plu­riels, traits d’union…) n’échappaient pas non plus à l’opérateur de sai­sie. 
L’utilisation d’un micro-ordi­na­teur comme d’une machine à écrire, par un pro­fane sans for­ma­tion spé­cia­li­sée, amène éga­le­ment à devoir cor­ri­ger une bonne par­tie des signes néces­saires à un fran­çais cor­rect (e dans o, c cédille majus­cule, capi­tales accen­tuées, liga­tures, guille­mets, puces, tirets…). 
C’est le cor­rec­teur, pre­mier pro­fes­sion­nel de la chaîne de fabri­ca­tion à inter­ve­nir après l’auteur, qui est char­gé du « net­toyage » du texte, direc­te­ment lors de la lec­ture à l’écran, et simul­ta­né­ment de son cor­ri­geage8.

Cor­rec­teur tra­vaillant sur écran au New York Times. Date n.c. Source : The New York Times.

Sens et cohérence du texte

Cette rup­ture sur le plan tech­nique a cepen­dant lais­sé intacte la par­tie la plus inté­res­sante du métier :

[…] la fonc­tion la plus noble de la cor­rec­tion, toutes époques confon­dues, demeure : véri­fier que le texte a du sens ! Une légende pla­cée sous la mau­vaise pho­to, une note absente à l’appel, un nombre erro­né, un pavé de texte mas­qué par un des­sin, un cha­pô ajou­té en der­nière minute sur la page mon­tée et non relu préa­la­ble­ment… et c’est l’article entier qui perd son sens, quel­que­fois l’ouvrage entier qui perd tout cré­dit !
Dans la jungle des fautes humaines, infor­ma­tiques, méca­niques, le der­nier maillon de la chaîne du «  pré­presse », lors de cet ultime contrôle avant bon à tirer, c’est encore le cor­rec­teur (qui prend alors le nom de « réviseur »).

☞ Lire aus­si Cor­ri­ger au temps de Guten­berg.