Après bien des recherches infructueuses, j’ai retrouvé la trace de Charles Gouriou, l’auteur du Mémento typographique, une des références des correcteurs professionnels.
Né à Brest1 en 1905, il est entré dans la profession en 1927 et promu correcteur l’année suivante. En 1936, quand il adhère à l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France (photo), il est employé à la Librairie Hachette. Ses parrains sont Georges Leclerc et Oscar Pernel, trésorier adjoint de l’Amicale. Sa présence est mentionnée dans plusieurs assemblées générales de la section parisienne de l’Amicale en 1936 et 1937.
Il demeure alors 8, rue de Latran, à Paris (Ve), puis déménage l’année suivante 9, rue Laplace, dans le même arrondissement. Le recensement de 1936, dans le quartier de la Sorbonne, le fait apparaître dans les archives de Paris. Il est marié à Marie, née en 1908, qui lui a donné un fils en 1932, René2.
Quand il publie chez Hachette, son employeur (du moins peut-on le supposer), en 1961, son Mémento typographique, appliqué au « livre d’édition courante », il a donc 56 ans et trente-trois ans de maison. L’ouvrage est préfacé par Robert Ranc (1905-1984), alors directeur de l’école Estienne. L’ouvrage peut être considéré comme la « marche typographique » de la maison Hachette, puisque Ranc écrit :
La Librairie Hachette, qui avait depuis longtemps un tel langage intérieur [sa propre grammaire typographique] bien mis au point et heureusement manié, a pensé proposer son code et les règles de son utilisation comme exemples, comme modèles mêmes, après avoir fait procéder à l’étude et au contrôle indispensables pour en faire un langage non plus particulier et de maison, mais professionnel et de l’Édition, un langage commun aux auteurs et aux imprimeurs, facilement et généralement utilisable.
Une « nouvelle édition entièrement revue » par l’auteur (et sans la préface) paraîtra en 1973. Elle sera rachetée par le Cercle de la librairie et rééditée telle quelle en 1990 et 2010.
Charles Gouriou, lui, est mort à Orsay (Essonne) en 1982.
Pour la plupart des manuels typographiques, les signes prime (ʹ) et seconde (ʺ) « sont réservés aux indications de degrés de longitude, latitude, d’une circonférence, d’un angle » (Guéry, p. 217) et ne doivent donc pas être employés pour exprimer les durées. Cependant, cet usage est courant dans la presse sportive (cela prend moins de place1). Ainsi, on peut lire sur le site de L’Équipe (18 juin 2024) des textes comme celui-ci :
Maxime Grousset (47ʺ65) a été le plus rapide en série du 100m ce mardi aux Championnats de France de Chartres. Florent Manaudou est descendu sous les 48ʺ (47ʺ90) pour la première fois depuis 2015 mais ne nagera pas la finale.
Que l’on travaille pour la presse sportive ou que l’on corrige un roman y faisant référence, on peut donc être amené à respecter cette pratique. Hors de ces cas, on observera les règles classiques, comme le fait, par exemple, l’article « Records du monde de natation messieurs » de Wikipédia, où le record mondial du 800 m est exprimé comme suit : 7 min 32 s 12.
Le Guide du typographe (romand, 2015, § 412, p. 60, et § 524, p. 76) accepte que, « dans l’énumération des résultats sportifs », on abrège minute et seconde avec les signes prime et seconde, et en donne les règles :
Dans un compte rendu sportif, les signes ʹ et ʺ remplacent les abréviations min et s ; on les utilise ainsi pour marquer l’heure précise : Le vainqueur est arrivé à 15 h 07ʹ 02ʺ.
On supprime le zéro précédant l’unité de minute et l’unité de seconde pour, dans un classement, indiquer la durée : Classement : 1. Christopher Froome 83 h 56ʹ 8ʺ ; 2. Nairo Quintana Rojas 84 h 1ʹ 9ʺ.
Je rappelle qu’il ne faut pas confondre les signes prime et seconde (ʹ et ʺ) avec l’apostrophe et le guillemets anglais (’ et ”).
Dans la capture d’écran de L’Équipe que je publie en ouverture, il s’agit vraisemblablement d’apostrophes et de guillemets droits, immédiatement accessibles au clavier, et le journal gagne encore de la place en supprimant les espaces. On notera enfin qu’il n’observe pas la règle de suppression du zéro dans les durées.
Dans sa dernière évolution, le logo de la Philharmonie de Paris a mis des points sur les i majuscules. Bien que cela surprenne, ce n’est pas si rare, comme l’expliquait, hier, un article du site Cap’Com.
Pourtant, c’est un principe en typographie : les i majuscules ne portent jamais de point, à la différence des i minuscules. Pourquoi ? Le point ne permet pas de distinguer deux mots ; il est donc inutile, contrairement au tréma (MAIS/MAÏS).
Alors, pourquoi le graphiste Antoine Lafuente a-t-il commis cet « accident volontaire », bien accueilli ? « De l’avis général, ces points-là ajoutaient quelque chose d’un peu étonnant, d’un peu joueur, qui évoque la musique. »
La correctrice de l’infolettre de la Philharmonie, elle, Stéphanie Hourcade, fixe la limite à la fantaisie : « Le correcteur ne peut et ne doit […] pas intervenir sur les logos eux-mêmes, bien sûr ; mais dans un texte, l’orthotypographie traditionnelle s’applique, et les I n’auront pas de point ! »
Y a-t-il une différence de nature entre, d’une part, les caractères supérieurs employés dans les abréviations (comme Mlle) et dans les appels de note (1) et, d’autre part, les lettres ou chiffres mis en exposant (ou en indice) dans les mesures (km2) ou les formules mathématiques (x2) ?
Tout le monde ne se lève pas le matin avec cette question en tête, mais elle apparaît dans quelques rares forums, aujourd’hui datés d’une vingtaine d’années1.
Des termes à distinguer
Jean-Pierre Lacroux (1947-2002) distinguait fermement les termes exposant et supérieur :
Les éditeurs et les traducteurs de logiciels feignent de l’ignorer mais les typographes français ont un vocabulaire respectable. Ils ne connaissent ni exposant ni indice, mais des lettres, des chiffres, des signes supérieurs ou inférieurs. Les exposants des mathématiciens se composent en caractères supérieurs, les indices en caractères inférieurs2.
Cependant, le terme en exposant est couramment employé pour désigner le placement d’un signe « en haut et à droite du signe (lettre, chiffre) auquel [il] se rapporte3 ». Et ce n’est pas d’hier. Pour ne donner qu’un exemple, dans sa Grammaire typographique (4e éd., 1989), Aurel Ramat (1926-2017) emploie bien le terme de « lettres supérieures », mais le signe de correction correspondant, il l’appelle « exposant ».
Formes et emplois différents
La distinction à opérer est clairement exprimée par le Guide du typographe (20154) :
Les exposants, ou les indices, sont des chiffres ou des lettres surélevés, respectivement abaissés, par rapport à la ligne de base, utilisés en mathématiques, où ils peuvent être du même corps que le texte de base, ou en chimie où ils sont généralement d’un corps plus petit.
En comparaison, les lettres et chiffres supérieurs :
sont utilisés dans le texte comme appel[s] de notes ou comme ordinaux. Ils […] différent [des exposants et indices] par un dessin spécifique et ce ne sont pas que des lettres réduites. Toutes les fontes n’en sont pas pourvues et parfois il faut se résoudre à utiliser les exposants ou les indices à leur place, voire les lettres de base en les parangonnant (c’est-à-dire en les élevant ou en les abaissant par rapport à la ligne de base), en diminuant leur corps et en augmentant leur graisse pour qu’ils ne paraissent pas trop malingres à ces petites tailles.
Ce problème existait déjà à l’époque du plomb. Émile Desormes (1850-19..) définit les lettres ou chiffres supérieurs comme « les exposants algébriques dont on use généralement pour les appels de notes […]5 ». On composait avec les moyens du bord.
Un peu d’histoire
Les lettres supérieures étaient « fondues sur le corps du caractère employé » (Daupeley-Gouverneur, 18806) et présentes dans la casse parisienne (en nombre limité).
Patrick Bideault et Jacques André expliquent :
[…] On trouve de telles « supérieures » dans les casses d’imprimeurs dès le xviie siècle. Par ailleurs, dès le début du xvie siècle, les appels de note sont marqués par des signes supérieurs comme « * », « a » « † », etc. Vers 1750, Fournier propose 4 (vraies) supérieures (aers) ; la casse parisienne, qui a duré en gros de 1850 à 1950, en comptait 8, appelées roselmit 7 ou eilmorst selon l’ordre de rangement dans les casses ; en 1934, Brossard en énumère 16 différents (a c d e f g h i k l m n o r s t) dans une police standard – elles suffisaient pour les abréviations courantes8.
On notera cependant qu’il manque toujours le g pour Mgr et le v pour Vve. Or, ces abréviations sont bien composées avec des lettres finales supérieures dans les manuels typographiques du xixe siècle. Puisait-on celles-ci dans les casses réservées aux travaux scientifiques ? ou les commandait-on spécialement ? Je l’ignore. Cela devait sans doute dépendre des ateliers.
Henri Fournier (1800-1888) explique que les lettres supérieures :
[…] ne servent ordinairement que comme signes d’abréviation. Les plus usitées sont l’e, l’o, le r et le s ; et, à moins d’une matière spéciale, il n’y en a que d’un petit nombre de sortes qui fassent partie des fontes. Les autres ne sont en usage que pour les ouvrages scientifiques, et elles se commandent particulièrement pour des cas semblables9.
Les chiffres supérieurs, eux, n’existaient pas dans la casse. Ils « […] ne sont d’habitude fondus que sur commande spéciale, de même que les chiffres inférieurs, usités dans certains travaux algébriques » (Daupeley-Gouverneur, op. cit.). C’est pourquoi on était obligé de « bricoler » au plomb comme aujourd’hui sur ordinateur.
Quelle taille ? quelle position ?
La taille des signes supérieurs ou en exposant n’est jamais précisée dans les sources, anciennes ou modernes, que j’ai consultées. « Petit œil », « moindre corps », « caractères plus petits » sont les seules indications données. Cependant, James Felici (200310) décrit les caractères supérieurs « spécialement dessinés » comme ayant une taille « de 30 à 50 % inférieure à celle des caractères “normaux” ».
Quant à la position verticale respective des uns et des autres, c’est encore Felici qui en informe le plus clairement : idéalement, les signes supérieurs devraient être alignés par rapport au haut des jambages supérieurs11, alors que les exposants devraient être centrés par rapport à lui.
Divergences esthétiques
Les vrais caractères supérieurs ne sont disponibles que dans les polices OpenType. Pour certains, comme la typographe et graphiste Muriel Paris, « la tricherie proposée par les applications est tout à fait acceptable12 ». Pour d’autres, comme Felici, l’œil de ces lettres obtenues par réduction homothétique n’estpas assez gras (sur la notion d’œil, voir mon article).
C’était notamment l’avis de Lacroux (op. cit.) :
Il vaut mieux employer les « vraies » lettres supérieures, dont le dessin devrait — en principe… — offrir des corrections optiques […], mais rares sont ceux qui perdent leur temps à aller pêcher de vraies lettres supérieures dans les polices « expert ». Dans quelques années, quand les polices auront enfin acquis une saine corpulence et les logiciels de bons réflexes, la situation s’améliorera…
Contraintes techniques actuelles
Comparons les supérieures imprimées dans le manuel de Daniel Auger (197613), alors professeur à l’école Estienne, aux caractères en « exposant/supérieur14 » calculés par le logiciel Adobe InDesign15 puis aux supérieures accessibles dans les polices OpenType (ici, Minion Pro) :
Si les supérieures calculées paraissent, en effet, « acceptables », elles sont « très ténu[e]s » (Felici). Les supérieures expert, elles, sont plus proches du modèle traditionnel.
Si l’on ne dispose pas de ces dernières, on peut créer les siennes (ou demander au graphiste de le faire), avec des lettres d’un corps 30 à 50 % inférieur au corps courant, dans une variante semi-grasse, décalées à la bonne hauteur. Pour InDesign, voir « Création d’un jeu de glyphes personnalisé » dans l’aide en ligne.
Dans un contexte où la production de documents, souvent destinés à la fois à l’impression et à la diffusion numérique, favorise la vitesse d’exécution, il n’est pas toujours aisé au correcteur d’imposer la distinction entre supérieur et exposant. Mais, dans l’édition soignée, il a plus de chances de faire valoir son point de vue.
« Exposant », Orthotypographie, en ligne. Consulté le 31 mars 2024. ↩︎
Dictionnaire encyclopédique du livre, III, Pascal Fouché, Daniel Péchoin et Philippe Schuwer (dir.), Paris : éd. du Cercle de la librairie, 2011, p. 785. ↩︎
Groupe de Lausanne de l’Association suisse des typographes (AST), 7e éd., p. 238. ↩︎
Notions de typographie à l’usage des écoles professionnelles, 3e éd., Paris : École professionnelle Gutenberg, 1895, p. 3. ↩︎
Le Compositeur et le Correcteur typographes, Paris : Rouvier et Logeat, p. 33. ↩︎
« Cette énumération lue comme un acronyme (les roselmit) est devenue un synonyme, aujourd’hui vieilli, de lettres supérieures. » — Dictionnaire encyclopédique du livre, op. cit.↩︎
Préparation de la copie et correction des épreuves, Paris : INIAG, p. 146. ↩︎
Adobe InDesign confond les deux modes de calcul, contrairement à QuarkPress. Voir la description de la « zone Exposant » et celle de la « zone Supérieur » dans le Guide QuarkPress en ligne. Consulté le 31 mars 2024. ↩︎
Depuis vingt ans, c’est le logiciel de PAO le plus utilisé. ↩︎
Nota : Cet article assez long regroupe des considérations sur des signes peu connus, mais cousins des guillemets français. Il ne s’agit pas, à strictement parler, d’une leçon d’orthotypographie.
Chacun sait que les guillemets dits « français1 » sont des signes en chevrons doubles, « » (motif qui évoque aussi, chez nous, le logo de Citroën). Ils « apparaissent à partir de la fin du xviiie siècle et deviennent majoritaires vers la fin du xixe siècle » (Wikipédia2).
On les oppose aux guillemets dits « anglais », en apostrophes simples, ‘ ’, ou doubles, “ ”.
Guillemets et citations
De nos jours, en France, les guillemets en chevrons doubles sont d’usage majoritaire pour délimiter les citations — même s’il existe d’autres possibilités (italique, corps inférieur, etc.3) moins employées.
Dans le cas où un texte comprend une citation et une sous-citation enchâssée dans la première, l’usage le plus courant, aujourd’hui, est d’employer les guillemets français pour la citation et les guillemets anglais pour la sous-citation. Chaque citation est close par son guillemet fermant.
Introduction : « Citation : “Sous-citation.”»
C’est, notamment, le choix de Louis Guéry4 (qui a formé des générations de journalistes). Par contre, l’Imprimerie nationale — pour qui les guillemets anglais doivent n’être employés qu’« exceptionnellement » dans un texte français — enchâsse les guillemets français et précise : « Si les deux citations se terminent ensemble, on ne composera qu’un guillemet fermant5 » :
Et La Fontaine de conclure l’anecdote qu’il rapporte sur son inspirateur : « Cette raillerie plut au marchand. Il acheta notre Phrygien trois oboles et dit en riant : « Les dieux soient loués ! Je n’ai pas fait grand acquisition, à la vérité ; aussi n’ai-je pas déboursé grand argent. »
« Exemple particulièrement curieux », note l’utilisateur Marcel sur Disposition de clavier bépo6, car « si le texte continue, on aura du mal à savoir qui parle, de La Fontaine ou du narrateur ».
Guillemets en chevrons simples
Pour encadrer une sous-citation, d’autres signes seraient possibles, mais ils sont ignorés par la plupart des manuels typographiques français — de même qu’au Québec7. Il s’agit des chevrons simples. (Ils sont espacés comme les guillemets ordinaires.)
C’est pourtant ce que préconisent les typographes romands8 :
Lorsque, à l’intérieur d’une citation, s’en présente une deuxième, nous préconisons l’usage de guillemets simples ‹ › pour signaler celle-ci. […] Lorsqu’un mot entre guillemets se trouve à la fin d’une citation, le guillemet fermant se confond avec le guillemet final : […] Le sélectionneur de l’équipe nationale affirme : « Les hommes que nous avons choisis sont tous des ‹ battants. »9
Pour la graphiste et typographe Muriel Paris, « profiter de l’existence, dans les polices de caractères, des signes doubles et signes simples », c’est « choisir la sobriété »10.
Le typographe Jan Tschichold (1902-1974) prônait, lui, l’ordre inverse :
Je préfère la manière suivante : ‹ – « » – › , de même que je donne la préférence aux guillemets simples de cette forme : ‹ › 11.
Des guillemets d’ironie spécifiques
Outre l’avantage de la cohérence graphique entre chevrons doubles et simples, cet emploi présenterait celui de réserver aux guillemets anglais le rôle que, spontanément, nombre d’auteurs leur donnent, celui de guillemets d’ironie.
Ex. : Il m’a dit : « Je ne suis pas “n’importe qui”. »
Les guillemets d’ironie, dits aussi guillemets ironiques, désignent une utilisation particulière des guillemets pour indiquer que le terme ou l’expression mis en exergue n’a pas sa signification littérale ou habituelle et n’est pas nécessairement cité d’une autre source. Les guillemets d’ironie marquent la distance, l’ironie, le mépris que l’auteur veut montrer vis-à-vis de ce qu’il cite. Ils ont un pouvoir de distanciation et indiquent les réserves de l’auteur par rapport à un mot ou à une expression (Wikipédia12).
Employer le même signe pour deux usages différents dans le même contexte est contraire à la recherche de lisibilité maximale, vers quoi doit tendre l’orthotypographie :
[…] cette mode selon laquelle les mêmes guillemets servent tantôt pour marquer une citation ou un terme cité, tantôt un terme critiquable dont on met en question la signification habituelle, n’a-t-elle pas tout pour fâcher celles et ceux d’entre nous qui aiment la rigueur plutôt que l’ambiguïté ? […] Pour la clarté du discours écrit, il est recommandable d’utiliser les ‹ … › pour les citations de deuxième niveau, et de réserver les “…” aux guillemets d’ironie s’il convient d’en mettre. En voyant des “…”, la lectrice et le lecteur peuvent se rendre compte immédiatement que ce n’est pas donné comme une citation. Effet à éviter donc à l’intérieur des citations, sauf si la personne citée aurait mis des guillemets d’ironie à l’écrit (« Marcel », toujours13).
D’autres chevrons simples
D’un point de vue graphique, les guillemets en chevrons simples sont en concurrence avec d’autres, les signes mathématiques de comparaison (inférieur à, <, et supérieur à, >).
J’évoque là des usages méconnus des non-professionnels de l’édition.
On peut utiliser les chevrons simples (sans espaces intérieures) pour entourer une adresse de site. Si l’adresse termine la phrase, on met un point final après le chevron simple fermant. Mon site est le suivant : <www.ramat.ca>. […] Le chevron fermant (avec espaces) est utilisé pour décrire les opérations informatiques. Accueil > Insérer > Forme > Rectangles (Pour dessiner un rectangle dans Word.)
On emploie également le signe supérieur à, >, dans les « fils d’ariane », c’est-à-dire les chemins d’accès à une page Web15.
Ex. : Pour savoir quels ouvrages je recommande aux correcteurs, voir mon site > Accueil > La bibliothèque du correcteur.
Dans son « Que sais-je ? » sur La Ponctuation16, Nina Catach a employé ces mêmes chevrons pour citer des signes de ponctuation. Ex. : <“ ”> (elle cite les guillemets anglais).
Un domaine particulier : la philologie
Un usage encore plus spécifique ne concerne que la philologie.
En philologie, pour l’édition scientifique d’un texte, le chevron marque généralement les mots ou groupes de mots ajoutés dans le texte par conjecture. Les lacunes peuvent également être indiquées par un groupe de trois astérisques entourées par des chevrons (<***>). — Wikipédia17.
Lorsqu’on emploie les chevrons pour signifier la suppression de mots [par l’auteur du texte étudié, et non par l’éditeur], on les appelle aussi crochets de restitution — Vitrine linguistique18.
Les chevrons sont aussi employés en linguistique pour marquer la parenté entre deux mots (amare > aimer)19 ou « pour indiquer les graphèmes ou les transcriptions graphiques20 ».
Une découverte : les crochets triangulaires
Enfin, il faut mentionner les crochets triangulaires, encore plus rares, dont j’ai découvert l’existence dans la Grammaire typographique (1952) de Jules Denis21.
Dans les éditions philologiques de textes, on indique parfois entre parenthèses, ( ), les lettres ou les mots que l’éditeur considére comme devant être omis, et entre crochets, [ ], les lettres ou les mots qu’il ajoute au document reproduit. Un autre procédé consiste à employer, dans ce genre de travaux, deux sortes de crochets ; les crochets droits, [ ], enfermant des lettres ou des mots existant dans les manuscrits, mais qui sont à exclure ; les crochets triangulaires ⟨ ⟩, enfermant des lettres ou des mots ne figurant dans aucun manuscrit, mais qui sont rétablis par conjecture.
On notera que les crochets choisis par Jules Denis, correcteur de l’imprimerie Georges Thone à Liège, ont une forme différente à la fois des guillemets en chevrons simples et des signes de comparaison. Ce sont, eux aussi, des signes mathématiques :
Les deux chevrons ⟨ ⟩ sont utilisés pour noter le produit scalaire, ou pour annoncer une présentation d’un groupe finiment engendré » — Wikipédia22.
Dans le cas précis — rarissime, je le rappelle — où un correcteur serait amené à relire des travaux philologiques employant des chevrons simples, je lui conseillerais de privilégier ces crochets triangulaires, car graphiquement ils s’apparient mieux avec les crochets carrés que les chevrons mathématiques. Précisons toutefois qu’ils sont disponibles dans peu de polices (pour mes illustrations, j’ai utilisé Apple Symbols).
Article mis à jour le 22 mars 2024.
On les dit aussi « typographiques », par opposition aux guillemets dactylographiques ou droits. ↩︎
« Histoire », art. « Guillemet », Wikipédia. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
Voir Lexique des règles en usage à l’Imprimerie nationale, Imprimerie nationale, 2022, p. 49. Pour les autres usages des guillemets, se référer aux manuels habituels. ↩︎
Dictionnaire des règles typographiques, 5e éd., ediSens, 2019, p. 238. ↩︎
Lexique des règles en usage à l’Imprimerie nationale, op. cit., p. 51. ↩︎
« Si la citation principale est encadrée de guillemets français (« »), la meilleure façon d’indiquer la citation interne est de l’encadrer de guillemets anglais (“ ”). » — « 7.2.6 Citation double », Le Guide du rédacteur, TERMIUM Plus. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
Guide du typographe, 7e éd., Groupe de Lausanne de l’Association suisse des typographes, 2015, § 610, p. 99. — En France, cet usage relève de choix singuliers. En 2022, lors d’une discussion dans la liste de diffusion Typographie de l’Inria, Benoît Launay, directeur artistique au CNRS, écrit : « Personnellement, j’apprécie ces guilles et m’en sert dans les publications du CNRS que je réalise. » Jacques Melot lui répond : « Il est évident que ces guillemets simples qui n’ont pas d’usage en français vont évoquer une sorte de balisage destiné à un effet spécial comme lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention du lecteur sur le texte en tant que tel dans une production didactique par exemple, c’est-à-dire avoir un effet de ralentissement sur la lecture, irritant sans aucun doute une partie appréciable des lecteurs. C’est tout bonnement antirédactionnel ! » — Le chercheur indépendant Jean Méron (mort en 2022 — voir mon article) les utilisait aussi dans ses textes. Sur le sujet, on lira d’ailleurs, avec profit, son article « En question : le grammaire typographique — Les guillemets », du 14 juin 1999, dont un PDF est disponible sur le site de la Liste Typographie. ↩︎
Pour simplifier ma démonstration, je ne conserve volontairement que le second exemple. La rupture de parité des guillemets, renforcée par leur différence graphique, est perturbante pour le correcteur français. ↩︎
Le Petit Manuel de composition typographique, version 3, autoédité, 2021, p. 77. ↩︎
Jan Tschichold, Livre et typographie, trad. de l’allemand par Nicole Casanova, Allia, 2018, p. 125. ↩︎
« Guillemets d’ironie », art. « Guillemet », Wikipédia, cité. Leur nom anglais est scare quotes. Ils ont été inventés par l’Américaine Elisabeth Anscombe en 1956. — « History », art. « Scare Quotes », Wikipedia (EN). Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
« Usage philologique », art « Chevron (typographie) », Wikipédia. Consulté le 11 mars 2024. ↩︎
« Chevrons », Vitrine linguistique, art. cité. J’ai écarté la précision qui suit : « Certains éditeurs préfèrent employer les crochets ; cependant, si on opte pour ce signe, il faut expliquer qu’il s’agit d’un mot qui avait été supprimé par l’auteur, et non d’un ajout de l’éditeur, puisqu’on emploie généralement les crochets pour encadrer les commentaires et les modifications apportées par l’éditeur. » — Jacques Drillon fait une remarque équivalente (Traité de la ponctuation française, Gallimard, 1991, p. 280-281). ↩︎
Aujourd’hui, les codes typographiques réservent l’emploi de l’esperluette à l’écriture des raisons sociales (Dupont & fils) et à leurs dérivés (noms commerciaux, enseignes1), d’où l’autre nom de ce signe : « et commercial ». Cependant, sa forme séduit les graphistes, qui en font un usage plus large.
Les manuels proscrivent aussi la répétition d’etc. à l’écrit, qualifiée d’inutile, alors qu’on la pratique couramment à l’oral, au point que « dans les propos attribués à un personnage, un seul etc. semble[rait] aujourd’hui incongru, insolite » (Jean-Pierre Colignon, Un point, c’est tout !, 2018, p. 113).
Ces règles n’ont pas toujours été en vigueur.
Ainsi, sur la couverture de ce livre de 1783, on compte une esperluette employée comme conjonction de coordination (à l’avant-dernière ligne) et pas moins de cinq abréviations &c. — abréviation d’abréviation, donc, puisque etc. abrège déjà et cætera (ou et cetera). On notera au passage qu’elles ne sont pas séparées par des virgules. Cette abréviation a aujourd’hui disparu — de même que les s longs (ſ et non f) qu’on peut voir dans le mot désastre du titre.
Rappelons que l’esperluette, ligature des lettres et, remonte à l’Antiquité et était très employée par les moines copistes au Moyen Âge pour gagner du temps.
Une siècle plus tard, on trouve encore aisément des répétitions d’etc. dans les journaux les plus sérieux, y compris dans le Journal officiel (photo ci-dessus).
Autre interdiction des codes typographiques actuels : faire suivre etc. de points de suspension, « car cela constitue un pléonasme qu’on ne saurait racheter ni au nom de l’“expression littéraire”, ni au nom d’un illusoire “renforcement de l’idée”… qui échappera au lecteur » (Colignon, op. cit., p. 112). Mais cela restait courant dans les journaux du xixe siècle et du début du xxe siècle.
Il arrive même qu’on trouve dans des journaux ou livres anciens plus de trois points de suspension, ce qui est encore une interdiction actuelle.
En mai 19281, le Code typographique tant attendu a enfin paru, sur les bords de la Garonne, à Bordeaux. Émile Verlet, président (depuis février 1925) de la commission chargée de sa rédaction, peut souffler… et se féliciter de cette naissance difficile en publiant un poème (pour nos confrères, tout était prétexte à rimer). Comme le rappelle en introduction Eugène Grenet, président de la Société amicale des protes et correcteurs de France, dans la Circulaire des protes (no 336, août 1928) où paraît ce texte, « le premier essai de réalisation du Code typographique fut entrepris par l’Amicale, ainsi qu’en avait décidé le Congrès de […] Nantes en 1908. […] ». Par suite de polémiques, « cette œuvre ne put alors être menée à sa fin ». Cela explique le premier vers du poème ci-dessous.
LE CODE TYPOGRAPHIQUE
Amis, il a bientôt vingt ans,
Sa carrière commence
Et c’est fou quand on pense
À ce qu’il a fallu de temps
Pour défaire et refaire
Ce qu’on voulait parfaire.
On a cherché quinze ans son nom :
« Méminto [sic] » ou bien « Code »,
« Marche à suivre »… la mode…
Toujours les typos disent : « Non ! »
Pourtant, quinze ans, ça lasse
Et « Code », à la fin, passe.
Puis intervint la Commission,
Travaillant en silence,
Usant son éloquence
Pour obtenir la permission
De quitter sa famille
Avant sa camomille.
On rentrait tard… après minuit,
En portant bas l’oreille :
L’épouse est là qui veille
Pour voir si l’on s’est mal conduit,
Et son œil italique
Interdit la réplique !
Après l’aride abréviation,
Ce fut la capitale
— La faute capitale —
Puis notes, nombres, division,
Parsemés d’italique :
C’en était fantastique !
Oui, trois ans nous avons lutté
De façon exemplaire,
Toujours pour satisfaire
Notre femme et la Faculté.
Oyez notre misère,
Voyez notre calvaire !
Toulouse2, avec tes troubadours,
Veux-tu mettre à la mode
Ce petit, petit Code
En le parant de tes atours ?
Fais que sur la Garonne
Bientôt l’olifant tonne !
Que chacun vibre à ses échos :
Réalisons ce rêve
De proclamer la trêve
Entre correcteurs et typos !
Et vous, frondeurs du Livre,
Aidez le Code à vivre !
E. VERLET.
« Un autre fils de François [Didot], Pierre François [1731-1795, dit le jeune], crée un des premiers codes typographiques à l’usage des correcteurs. »
Les Didot forment une dynastie d’imprimeurs qui, jusqu’au xixe siècle, apporteront « de nombreuses innovations techniques à l’industrie papetière, à l’imprimerie et à la typographie ».
L’Encyclopédie Larousse reprend cette information, avec des italiques : « Il créa également le premier Code des corrections typographiques », mais en l’attribuant à l’un des petits-fils de François Didot, Pierre (1761-1853).
Un code typographique au xviiie siècle ? Voilà qui bouscule mes connaissances, le premier « code typo » proprement dit datant, pour moi, de 1928 — après une série de « manuels typographiques » au xixe siècle. ☞ Voir Qui crée les codes typographiques ?
Silence des catalogues
« Soucieux d’apporter le plus grand soin aux ouvrages qu’il imprimait, Pierre François Didot composa et publia un petit ouvrage à l’adresse des correcteurs d’épreuves : Protocole des corrections typographiques », écrit, pour sa part, Jean-Claude Faudouas, dans son Dictionnaire des grands noms de la chose imprimée (Retz, 1991, p. 45).
Décidément ! Je fouille, bien sûr, le catalogue de la BnF et celui du musée de l’Imprimerie de Lyon, à la recherche de cette pièce historique. Sans succès.
Je ne trouve rien non plus sur Pierre-François1 Didot dans la vaste Somme typographique (1947-1951) de Maurice Audin, numérisée par le musée de l’Imprimerie de Lyon. Pas plus que dans Orthotypographie : recherches bibliographiques (Paris, Convention typographique, 2002), le gros travail de Jean Méron (voir son site).
L’objet identifié
Alors je m’adresse au service d’aide SINDBAD de la BnF, qui m’oriente vers « L’Art de l’imprimerie (Paris, Dictionnaire des arts et métiers, 1773) », cité par Alan Marshall dans « Manuels typographiques conservés au musée de l’Imprimerie de Lyon » (Cahiers GUTenberg, no 6, juillet 1990, p. 40).
Ce document existe bien à la BnF, sous forme de réimpression moderne : « L’art de l’imprimerie, Thorigny-sur-Marne : impr. de E. Morin, 1913, 39 p., in-8, coll. Documents typographique[s], I ».
Il a été « attribué à Didot le jeune par E. Morin2 », comme l’écrit encore Alan Marshall (art. cit.), car le texte n’est pas signé.
Il s’agit précisément de l’article « IMPRIMERIE (L’art de l’) » (p. 480-512), extrait du tome 2 du Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers… de Philippe Macquer (1720-1770), revu par l’abbé Jaubert, imprimé en 1773 par Pierre-François Didot.
Cette planche, numérotée II dans l’article de Didot le jeune, y est introduite par les mots suivants : « Lorsque la forme est entiérement ferrée, il [le compositeur] […] la porte à la presse aux épreuves pour en tirer une première épreuve, que le prote lit, & sur la marge de laquelle il marque les mots passés [bourdons] ou doublés, les lettres mises les unes pour les autres que l’on nomme coquilles, &c.Voyez Pl. II » (p. 497-498).
Le paragraphe qui suit, intitulé « De la correction », ne traite, en fait, que du corrigeage (la correction sur plomb). Il n’évoque jamais le correcteur lui-même, sauf dans les premiers mots : « Quand le compositeur a reçu du Prote, ou de tout autre Correcteur, l’épreuve où les fautes sont indiquées sur les marges, il faut qu’il la corrige […]. » Le mot protocole n’y apparaît pas non plus.
Un précurseur
Sauf erreur, les titres donnés par Larousse et Faudouas sont donc fantaisistes. Le texte de Didot le jeune ne s’adresse pas nommément aux correcteurs. Il ne s’agit pas non plus d’un code typographique, dont je rappelle la définition : « Ouvrage de référence décrivant les règles de composition des textes imprimés ainsi que la façon d’abréger certains termes, la manière d’écrire les nombres et toutes les règles de typographie régissant l’usage des différents types de caractères : capitales, bas de casse, italique, etc. » — Wikipédia.
Il s’agit seulement d’un protocole des signes de correction. Le premier, à ma connaissance, depuis l’embryon proposé par Jérôme Hornschuch en 1608 (☞ Voir Orthotypographia, manuel du correcteur, 1608). Les traités de Marie-Dominique Fertel (1723) et de Pierre-Simon Fournier (1764-1766) ne sont pas destinés au correcteur. Bertrand-Quinquet (1798) mentionne les « signes usités dans l’Imprimerie, et qui lui sont particuliers », mais ne les donne pas. C’est généralement à Marcellin-Aimé Brun (Manuel pratique et abrégé de la typographie française, 1825) qu’on attribue le premier tableau des signes de correction3.
C’est ce changement d’un demi-siècle dans la chronologie qui fait l’intérêt principal du présent article.
Avez-vous déjà entendu parler du CONCUVIT1 (ou CONCUBITE2) ? Il s’agit d’une règle connue des professionnels de l’imprimerie et de l’édition, en particulier des correcteurs, qui doivent veiller à son application. Règle de bienséance plutôt que de typographie, si bien que les auteurs des codes typographiques ne la mentionnent pas tous et que, parmi eux, seuls Lacroux et Guéry osent donner son nom familier.
Cette règle recommande d’éviter les coupures (appelées aussi divisions) de mots en fin ou, plus rarement, en début de ligne généralement qualifiées de « malsonnantes » dans les codes typo.
Ainsi, Colignon écrit (à l’entrée « Coupures en fin de ligne ») :
« On évite, même si les mœurs ont évolué, les coupures “malhonnêtes”, choquantes, malsonnantes, qui peuvent entraîner des significations péjoratives… :
« … alors qu’arrivait le grand cul/ tivateur « Ce metteur en scène propose ici une pièce très cul/ turelle « Le chef de l’État voit en chaque Français un con/ tribuable à presser comme un citron. »
De même, le Ramat-Muller signale :
« J’ai mal occu/ pé ma jeunesse »
Et Guéry déconseille :
« Le général s’était fait présenter les cons/ crits qui arrivaient à la caserne. « Il était angoissé à l’idée d’une mort su/ bite qui lui apparaissait… »
Laisser une telle coupure était encore plus risqué à l’époque de la composition au plomb, où la seconde ligne pouvait disparaître pour une raison quelconque.
« Une fois, dans un potin mondain, il était question d’une célèbre danseuse étoile qui devait participer à une fête de charité en abandonnant son cachet. Cette information brève, banale à la limite, était ainsi conçue :
« … Mademoiselle X. prêtera son gracieux con cours.
« Durant le montage, la seconde ligne disparut. Ce bourdon se termina par un procès bien parisien, et le licenciement du journaliste responsable de la rubrique. »
Qu’on soit ou non « bégueule », comme le dit Lacroux, il vaut mieux éviter ces coupures, ne serait-ce que pour se préserver de telles conséquences.
Si vous êtes correcteur ou si vous lisez ce qu’ils publient, vous connaissez le mot orthotypographie ou, du moins, vous l’avez croisé. Il règne un certain flou autour de sa définition, de ce qui relève ou non de cette notion. Certains professionnels, lorsqu’ils parlent de correction orthotypographique, y incluent la grammaire1, voire, quand elle est « approfondie », la cohérence du récit et la réécriture2 !
Le terme orthotypographie ne figure pas dans les dictionnaires de référence (Larousse, Robert, Académie, TLF). Pour Cordial, c’est le « domaine couvrant l’ensemble des corrections de fautes, par l’association de l’orthographe et de la typographie ».
Le Wiktionnaire est plus précis et en propose deux acceptions :
« (Typographie)Ensemble des règles qui permettent d’écrire de façon correcte qui recoupe l’orthographe et les règles typographiques (utilisation des majuscules et des minuscules, des espacements, de la ponctuation, de l’italique, etc.).
Discipline ayant pour objet l’étude de cet ensemble, de son évolution, des ouvrages tels que codes, marches, manuels de bon usage, des pratiques de la correction et de la révision des textes et de celles et ceux qui en font profession. »
Mais la lecture de l’article de Wikipédia consacré à cette notion, au-delà du premier paragraphe, montre que les choses sont plus complexes.
La typographie « au sens large » est, rappelons-le, la « mise en forme de l’écrit3 ». Selon ses racines grecques, l’orthotypographie serait donc la typographie correcte. C’est dans ce sens que Jérôme Hornschuch a créé le terme orthotypographia (en latin) en 1608, dans ce qui est considéré comme le premier manuel du correcteur – lire mon article.
Plus près de nous, la linguiste et historienne de l’orthographe française Nina Catach (1923-1997) a repris le terme, en l’identifiant à une « orthographe typographique4 », incluant la ponctuation et l’« aspect tout extérieur » du texte, c’est-à-dire sa mise en page5.
Pour le correcteur et typographe Jean-Pierre Lacroux, orthotypographie est plutôt un mot-valise (à l’instar d’auto-école) :
« “Orthotypographie” est un beau néologisme. Sa formation, fort différente de celle d’orthotypographia […], ne doit rien à la préfixation. C’est un mot-valise subtil : ortho[graphe] + typographie. Il est parfait pour désigner l’armada des prescriptions à la fois orthographiques et typographiques, par exemple celles qui concernent l’écriture des titres d’œuvres6. »
« De fait, écrit Wikipédia, le terme correspond à une intersection (nécessairement) floue entre orthographe et typographie », mais « reste […] en attente d’une définition précise ».
Je n’entre pas davantage dans les subtilités définitionnelles du terme et je renvoie à l’article complet le lecteur qui souhaiterait en savoir davantage. J’en retiendrai seulement ce paragraphe :
« L’orthotypographie se distingue […] du simple respect de la norme orthographique et grammaticale commun à l’ensemble des productions écrites (y compris les productions courantes). Son but est d’appliquer des normes ortho- et typo-graphiques applicables à l’édition “composée” qui participent à la compréhension visuelle d’un texte structuré, qu’il s’agisse d’impression sur papier ou de mise en ligne. »
Autrement dit, l’orthotypographie, ce seraient les règles à suivre pour qu’un texte imprimé ou numérique soit conforme à un certain « bon usage », qui, selon Lacroux (ibid.), « n’est pas celui des écrivains mais celui des livres (de toute nature). […] il ne s’agit ici ni de la syntaxe ni de l’orthographe, mais de balivernes, telles que la ponctuation ou l’emploi des majuscules, que la plupart des auteurs ont toujours négligées et abandonnées avec empressement au bas peuple des ateliers. »
Bien que ses contours restent à préciser, l’orthotypographie est pratiquée chaque jour, aussi bien par les professionnels de l’édition que par les particuliers.
À l’époque de l’imprimerie traditionnelle, explique le professeur Jacques Poitou (ibid.), « la typographie était l’affaire exclusive des typographes ». Avec l’arrivée de la dactylographie (« dans les bureaux vers la fin du xixe siècle, dans le courant du xxe siècle chez les particuliers »), les possibilités d’enrichissement du texte étaient limitées. Mais avec l’arrivée de la PAO, « le possesseur d’un ordinateur, d’un logiciel de traitement de texte et d’une imprimante a les moyens techniques de produire des documents de qualité. Il a même à sa disposition bien plus de moyens (notamment de polices) que les imprimeurs auraient pu en rêver. » Or, « la mise en forme et la mise en page du texte ne sont généralement pas objet d’enseignement ». Pourtant, bien publier s’apprend.
« Depuis que la “typographie” est morte8, écrit encore Lacroux (ibid.), les codes typographiques sont devenus indispensables. » Avec les automobiles, « quand tout le monde circule vite, il vaut mieux prendre des précautions » (à savoir créer le Code de la route). De même, « quand n’importe qui imprime », il faut des règles communes.
Le « succès public9 » d’un ouvrage comme le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale montre que des particuliers et des professionnels hors du domaine de l’édition ont encore le souci de produire des documents – imprimés ou numériques – de qualité et que, selon la jolie formule de Lacroux, « la chaleur du plomb n’a pas fini d’irradier la langue écrite ».