Pourquoi les enfans étaient-ils obéissans en 18201 ? Pourquoi le Journal des Savans écrivait-il son titre ainsi en 1817 ? Pourquoi les Talens lyriques, ensemble baroque de Christophe Rousset, ont-ils gardé, de nos jours, cette étrange orthographe ?
C’est le résultat d’un choix de l’Académie française. En 1740, elle a décidé de supprimer le t au pluriel des mots finissant par ent ou ant, avant de le rétablir en 1835.
Ainsi, en 1718, elle écrivait scavants, en 1740, savans et, en 1835, savants. De même, tourments (1718), tourmens (1740), tourments (1835)2.
Voici ce qu’en dit Nina Catach, historienne de la langue3 :
« Une autre réforme, qui touchait également un vaste secteur de marques morphologiques, a été en 1835 l’adoption définitive de la même forme au singulier et au pluriel des noms, adjectifs et participes présents en ant, ent (enfants, présents, aimants, au lieu de enfans, présens, aimans). L’Académie avait toujours hésité sur ce point, adoptant ants en 1694, puis ans, ens en 1740, après de nombreuses décisions contradictoires. Cette réforme, comme la précédente, souleva des tollés dans l’opinion conservatrice, et certains écrivains, comme Ch. Nodier, ou Chateaubriand, s’obstinèrent longtemps à écrire sans t les participes présents et mots assimilés (Journal des Savans). »
La réforme de 1835 « donna au français son visage contemporain ».
Avant 1835 : Ma foi, je connois le françois & les savans, les dents de mes parens, &c. Après 1835 : Ma foi, je connais le français et les savants, les dents de mes parents, etc.
Le linguiste Ferdinand Brunot écrivit, en 1905, qu’« après l’édition de 1835, il ne resta que l’innocente protestation des Débats et de la Revue des Deux-Mondes, obstinés à écrire prenans au lieu de prenants, pour rappeler un temps où chacun écrivait à son gré, sans passer pour un homme dépourvu d’éducation »4.
De « films culte » à « scènes cultes », le choix grammatical des éditeurs (ici, Glénat, 2021, Le Robert, 2023, et Hachette, 2022) varie.
Le site La Langue française revient sur un cas intéressant où l’usage s’oppose à la logique : celui du mot culte apposé à un autre nom — films culte(s), par exemple.
Selon l’Académie, on ne peut accorder culte en nombre parce qu’« il est évident que les films ne sont pas des cultes, mais qu’ils font l’objet d’un culte ».
« Toutefois, écrit La Langue française, on note aujourd’hui que les principaux dictionnaires acceptent les deux versions avec ou sans accord : “des répliques culte” ou “des répliques cultes”, considérant le mot “culte” comme un adjectif qualificatif (qui s’accorde en genre [sic] et en nombre). »
On précisera cependant que le Wiktionnaire, souvent cité par La Langue française, suit l’avis de l’Académie : « singulier et pluriel identiques ».
« Si on analyse la fréquence d’usage de l’accord ou non du mot “culte”, on remarque que l’accord au pluriel (“films cultes”) prédomine, à l’encontre des préconisations de l’Académie », ajoute l’article de La Langue française, graphique à l’appui.
C’est si vrai que culte est même employé comme adjectif attribut : Certaines répliques de ce film sont devenues cultes, voire C’est culte. Usage que l’Académie qualifie de « barbarisme ».
Quand Hachette écrit « scènes cultes » et les Éditions Le Robert, « répliques cultes » (voir photos), il est difficile d’imposer l’invariabilité. Je note, d’ailleurs, qu’Antidote vient de me suggérer d’accorder culte avec répliques.
Résultats de la finale du 3 000 m steeple hommes (Championnats du monde d’athlétisme, Budapest, 22 août 2023), exprimés avec les signes prime et seconde, sur le site de L’Équipe.
Pour la plupart des manuels typographiques, les signes prime (ʹ) et seconde (ʺ) « sont réservés aux indications de degrés de longitude, latitude, d’une circonférence, d’un angle » (Guéry, p. 217) et ne doivent donc pas être employés pour exprimer les durées. Cependant, cet usage est courant dans la presse sportive (cela prend moins de place1). Ainsi, on peut lire sur le site de L’Équipe (18 juin 2024) des textes comme celui-ci :
Maxime Grousset (47ʺ65) a été le plus rapide en série du 100m ce mardi aux Championnats de France de Chartres. Florent Manaudou est descendu sous les 48ʺ (47ʺ90) pour la première fois depuis 2015 mais ne nagera pas la finale.
Que l’on travaille pour la presse sportive ou que l’on corrige un roman y faisant référence, on peut donc être amené à respecter cette pratique. Hors de ces cas, on observera les règles classiques, comme le fait, par exemple, l’article « Records du monde de natation messieurs » de Wikipédia, où le record mondial du 800 m est exprimé comme suit : 7 min 32 s 12.
Le Guide du typographe (romand, 2015, § 412, p. 60, et § 524, p. 76) accepte que, « dans l’énumération des résultats sportifs », on abrège minute et seconde avec les signes prime et seconde, et en donne les règles :
Dans un compte rendu sportif, les signes ʹ et ʺ remplacent les abréviations min et s ; on les utilise ainsi pour marquer l’heure précise : Le vainqueur est arrivé à 15 h 07ʹ 02ʺ.
On supprime le zéro précédant l’unité de minute et l’unité de seconde pour, dans un classement, indiquer la durée : Classement : 1. Christopher Froome 83 h 56ʹ 8ʺ ; 2. Nairo Quintana Rojas 84 h 1ʹ 9ʺ.
Je rappelle qu’il ne faut pas confondre les signes prime et seconde (ʹ et ʺ) avec l’apostrophe et le guillemets anglais (’ et ”).
Dans la capture d’écran de L’Équipe que je publie en ouverture, il s’agit vraisemblablement d’apostrophes et de guillemets droits, immédiatement accessibles au clavier, et le journal gagne encore de la place en supprimant les espaces. On notera enfin qu’il n’observe pas la règle de suppression du zéro dans les durées.
Ainsi, des tableaux emblématiques avec devises (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859) [peints dans le grand salon d’un château] contiennent des emblèmes, alors que seize est le nombre emblématique de la volupté (Gautier, Le Roman de la momie, 1858) : il la symbolise (exemples du TLF). De même, la colombe est la figure emblématique (ou l’emblème) de la paix.
Une œuvre d’art peut donc être emblématique soit parce qu’elle contient un emblème (cet emploi est rare aujourd’hui), soit parce qu’elle est représentative d’autre chose : la BnF parle, par exemple, d’« un dessin emblématique du fonds » (il est extrait d’un ensemble de dessins réalisés entre 1943 et 1944 par les enfants de la colonie d’Izieu).
L’emploi d’emblématique au sens premier de « qui a valeur d’emblème » n’a pas totalement disparu :
Donner à la disparition de quelques espèces particulières un caractère emblématique est sans doute bénéfique, car nous avons besoin de symboles (Responsabilité et environnement, 2009, Patrick De Wever, Cairn.info, cité par le Dico en ligne — je souligne).
Plus souvent est dit emblématique, aujourd’hui, ce « qui représente (qqch., une idée) de manière forte » (Le Grand Robert).
André Breton est la figure emblématique du surréalisme (Wiktionnaire) : il représente ce mouvement artistique à lui seul ; l’œuvre de Rabelais est emblématique de son temps parce qu’elle « ouvre sur la réflexion humaniste et le besoin d’un renouveau » (Maxicours).
On peut encore écrire que Gilbert Doucet est une figure emblématique du rugby toulonnais (La Langue française, art. cité), parce que, « possédant les caractères propres à une catégorie d’êtres ou de choses, [il] peut être choisi pour l’incarner, la refléter » (représentatif, Académie). Mais si l’on dit qu’Untel est une figure emblématique du sport (Le Grand Robert), Untel représente-t-il le sport à lui seul ? C’est plus discutable.
Emblématique, mais de quoi ?
C’est surtout quand le mot emblématique est employé sans complément que son sens nouveau se révèle : la personne ainsi qualifiée n’est plus vraiment représentative de quoi que ce soit (du moins, l’énoncé ne le précise pas), elle est seulement une figure marquante. Quelques exemples (tirés de Cordial et du Dico en ligne) :
Menés par leur emblématique capitaine, François (Le Monde, juillet 1995).
Qui, hormis l’emblématique président, pourra dire la destination des malversations ? (Le Monde, 1999).
À 63 ans, ce personnage emblématique va devoir raccrocher les bottes sans savoir s’il va être remplacé (Ouest-France, mai 2019).
Les héros – gloire nationale, personnage emblématique, homme providentiel ou femme fatale – font naître des désirs, provoquent des besoins et conduisent au transfert de personnalité (Esprit, 2021, Cairn.info).
On en trouve la confirmation dans la liste de synonymes d’emblématique que propose, dans cette acception, le logiciel Antidote : « mythique, marquant, incontournable, légendaire, culte, célèbre, connu, historique, illustre, mémorable, inoubliable, renommé, réputé, immortel, notoire, populaire, glorieux, reconnu, proverbial, de grand renom ».
Il ne faut donc pas confondre un « cliché “emblématique” du Covid-19 » (Ouest-France, avril 2021) — photographie dont la force expressive résume la pandémie — avec les « clichés emblématiques » vendus à l’encan par Christie’s (« Série limitée », Les Échos, juin 2021). Ces derniers sont plutôt remarquables.
Le terme s’est banalisé au point qu’un sac en tissu (ou tote bag) peut être qualifié d’« objet emblématique » (Capital, décembre 2019, cité par le Dico en ligne) — ou iconique. Reste à savoir de quoi…
Un passage d’un article de Libération, daté d’hier, me donne l’occasion d’un point de grammaire.
Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Est-ce car le Nouveau Front populaire y organisait un apéro quelques heures plus tôt ? Est-ce car les artistes du soir ont réuni un public jeune et marqué à gauche ? »
Il s’agit là d’une construction abusive (Grevisse et Goosse, § 1090), mais de plus en plus fréquente.
La plupart du temps, car et parce que ne sont pas interchangeables. En effet, car a généralement une valeur plus subjective que parce que : elle permet d’énoncer une justification plutôt qu’une cause logique ou réelle.
Suzy est certainement bien rémunérée, car elle vient de s’acheter une maison et une voiture neuve. […]
Pierre a survécu à l’incendie parce qu’il est sorti à temps de l’édifice. […]
Dans le premier exemple, il ne peut s’agir que d’une justification, d’où l’emploi de car ; en effet, le fait de s’acheter une maison et une voiture neuve n’est pas la cause d’une bonne rémunération, mais bien sa conséquence. Dans le deuxième exemple, parce que introduit bien la cause réelle.
Autre exemple, donné par Hanse et Blampain (car) :
On distingue : Le chat miaule parce qu’il a faim (cause) et Le chat a faim, car il miaule (on dit pourquoi on est autorisé à déclarer que le chat a faim ; on donne la preuve de ce qui est énoncé, on n’exprime évidemment pas la cause : Le chat a faim).
L’amour en majuscule (Amour), au singulier, ne doit pas être confondu avec l’amour en majuscules (AMOUR), au pluriel.
On met la première lettre du mot amouren majuscule, c’est-à-dire en caractère majuscule (en typographie) ou en écriture majuscule (quand on écrit à la main). En langage courant, on le dit aussi d’un mot entier, au singulier ou au pluriel, comme on dit en italique1, même s’il faudrait dire en (lettres) capitales2. (Le terme écriture capitale existe aussi, mais est employé plus rarement3.)
L’amour en majuscule (parfois écrit l’Amour en majuscule) est une expression que l’on rencontre occasionnellement. Même Sylvie Vartan l’a chanté :
Pour moi tu es l’amour au masculin singulier L’amour en majuscule, au futur, au passé4
C’est l’équivalent de l’amour avec un grand A.
Une thèse consacrée au romancier Paul Féval parle du « sceau de l’amour en majuscule qui caractérise ses romans5 ». Un article sur l’amour de Dante pour Béatrice affirme : « Il s’agit de l’Amour en majuscule, celui qui pousse à la vie6. » Une critique de film relate que « Lubna Azabal […] joue une femme “forte”, un roc qui s’effrite à cause de sa maladie, mais qui résiste, porté par un amour en majuscule7. »
“L’histoire avec sa grande hache”
On parle aussi, plus fréquemment, de l’h/Histoire en majuscule (« l’histoire avec sa grande hache », comme l’a écrit Georges Perec8).
Il n’y a pas que l’Histoire en majuscule qui se répète, cela arrive aussi dans l’histoire des familles. Dans les deux cas, la répétition se pimente de nuances, de menues modifications, ainsi tempère-t-elle l’effet de rabâchage. ― Sylvie Germain9.
NB — Majuscule est aussi employé au figuré comme adjectif, au sens de « grand, important, considérable, majeur » : Une colère majuscule10. Un enjeu majuscule11.
Évolution du logo de la Philharmonie de Paris. Les I ont gagné des points.
Dans sa dernière évolution, le logo de la Philharmonie de Paris a mis des points sur les i majuscules. Bien que cela surprenne, ce n’est pas si rare, comme l’expliquait, hier, un article du site Cap’Com.
Pourtant, c’est un principe en typographie : les i majuscules ne portent jamais de point, à la différence des i minuscules. Pourquoi ? Le point ne permet pas de distinguer deux mots ; il est donc inutile, contrairement au tréma (MAIS/MAÏS).
Alors, pourquoi le graphiste Antoine Lafuente a-t-il commis cet « accident volontaire », bien accueilli ? « De l’avis général, ces points-là ajoutaient quelque chose d’un peu étonnant, d’un peu joueur, qui évoque la musique. »
La correctrice de l’infolettre de la Philharmonie, elle, Stéphanie Hourcade, fixe la limite à la fantaisie : « Le correcteur ne peut et ne doit […] pas intervenir sur les logos eux-mêmes, bien sûr ; mais dans un texte, l’orthotypographie traditionnelle s’applique, et les I n’auront pas de point ! »
La recherche historique mène parfois à des impasses frustrantes. Ainsi, en fouillant les archives de la presse, je suis tombé sur l’annonce de futurs Mémoires d’un correcteur, qui n’ont, hélas, jamais paru. C’est dans le Bulletin de la presse (organe professionnel des publicistes) du 25 avril 1897 :
Le hasard nous mit sous les yeux, il y a quelques semaines, un manuscrit déjà volumineux, quoique inachevé, des Mémoires d’un correcteur d’imprimerie, dont, pour sa tranquillité, l’auteur a résolu de faire de nouveaux Mémoires d’outre-tombe1. C’est qu’ayant vu beaucoup de grands hommes en robe de chambre et d’auteurs en déshabillé, il n’a pas pu les trouver tous beaux, ni tous hommes de génie, et il a consigné, dans ses cahiers, certains souvenirs plutôt désagréables pour des gens dont il est bon de se méfier. Autant que la crainte de Dieu, la crainte des puissants de la terre est le commencement de la sagesse.
Le journal n’a retenu que les pages, datées de 1891, évoquant le docteur Cornélius Herz (1845-1898), savant électricien et affairiste impliqué dans le scandale de Panama. Jean-Yves Mollier, historien de l’édition, lui a consacré un livre2. Herz dirigeait alors la revue La Lumière électrique, installée dans de « somptueux bureaux » au 31 du boulevard des Italiens, à Paris. Dans cet extrait, sur le métier lui-même, le « vieux correcteur » n’écrit que ceci :
Cornélius Herz.
[…] j’étais chargé de faire régner un français à peu près correct (beaucoup de rédacteurs étant étrangers), de veiller à ce qu’il ne passât pas d’hérésie scientifique ou historique trop visible et, spécialement, de couper les débinages ou les traces de courtisaneries qui se seraient glissées dans la copie. […] Habituellement, les pouvoirs d’un correcteur sont assez bornés et la hardiesse qu’il ose se permettre est bien timide. Par exception, mon autorité était presque autocratique ; le docteur, qu’on voyait de moins en moins, mais qui lisait très exactement son journal après publication, et dont l’influence se fit toujours heureusement sentir avant son départ pour l’Angleterre [où il a dû fuir], le voulait aussi parfait que possible. Le correcteur devait être là, comme le dépeint Horace, « l’homme circonspect qui raye, d’un trait noir, une proposition inexacte, coupe sans merci toute expression démesurément ambitieuse et donne du ton aux phrases languissantes ». Dans ma longue carrière, c’est la seule administration où j’aie trouvé la considération et les égards dont jouissaient nos prédécesseurs des derniers siècles.
« La crainte des puissants de la terre » a-t-elle poursuivi l’auteur post-mortem ? En tout cas, le manuscrit ayant apparemment disparu, il faudra se contenter de cet extrait.
Collection de fautes d’orthographe d’écrivains
Autre piste ne menant nulle part, de trente ans antérieure (L’Aube, 20 février 1867), l’annonce de la vente aux enchères d’un étrange manuscrit, lui aussi produit par un correcteur :
Une vente d’autographes d’un genre nouveau et aussi curieux que piquant doit avoir lieu, dit-on, ce mois-ci à la salle Sylvestre [Silvestre, alors située 28, rue des Bons-Enfants, à Paris3]. C’est une collection… de fautes d’orthographe. Le tout provient, dit un correspondant parisien de l’Indépendance belge, de la succession d’un M. C…, qui exerça pendant trente années années la profession de correcteur d’imprimerie. Chaque fois que, dans le manuscrit d’une notabilité littéraire, M. C… rencontrait des fantaisies grammaticales, il conservait précieusement la page, la numérotait, l’étiquetait et l’ajoutait dans ses cartons à son singulier trésor. La nouvelle est-elle vraie ? Peut-être. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle n’est pas invraisemblable.
Il sera épais, avec du sépia, des dessins, des photos, parfois même des schémas, pas très cher (car imprimé sur du papier recyclé), c’est une œuvre collective, les auteur(e)s (correcteurs et correctrices dans les journaux et sites de journaux parisiens) y travaillent depuis bientôt un lustre…, et voilà, c’est fait, il y a de l’action, des (signes de) correction(s), des complications, des explications, des souvenirs, des soupirs, des cuirs, il s’intitule Plus de casse dans les cass’tins !, coûtera 12 €, est publié aux toutes nouvelles éditions Deux-Cap’-Div’, et sera en librairie le 3 avril… et si vous ne voulez vraiment pas l’acheter… fauchez-le !
Si l’article a été publié un 1er avril, l’information semblait bien réelle. Dommage.
Cet ouvrage est consacré à la défense de certains auteurs plutôt que d’un certain métier, celui de correcteur en l’occurrence, quoique tout soit lié. C’est une promenade sans autre but que le plaisir à travers la littérature mondiale, au gré du hasard, de Melville à Dostoïevski, de Diderot à Casanova, de Tocqueville à Proust, d’Orwell à Céline et à Bernhard, de Balzac à Stendhal et à Marx. C’est une dénonciation des penseurs, intellectuels, littérateurs faussaires de notre époque. C’est-à-dire de la presque totalité de ce qui est publié en France et ailleurs.
On me demande parfois des conseils pour améliorer son écriture. Je ne suis pas écrivain, alors je ne vous dirai pas comment composer un roman. Mais, après trente bonnes années de correction, j’ai une certaine idée de ce qui rend un texte agréable et facile à lire.
On répète souvent qu’on apprend à écrire en lisant. Cela fournit des modèles, en effet, à condition de bien les choisir — la qualité prime la quantité. Et surtout d’y prendre du plaisir. Quand on aime lire, on ne compte pas ses pages ni le nombre de livres lus par an. On lit.
Mais regarder des matchs de tennis ne fabrique pas des joueurs émérites. De même que le manche d’une raquette, il faut un jour empoigner un stylo (ou se mettre au clavier). C’est évidemment la pratique quotidienne qui est le plus profitable. Depuis cinq ans, j’écris chaque jour, à la fois sur mon blog et sur les réseaux sociaux — mine de rien, cela représente beaucoup de texte. Et j’estime avoir beaucoup progressé, à la fois en aisance rédactionnelle et en correction.
Ne pas attendre, non plus, d’être touché par la grâce. « L’inspiration, c’est une invention des gens qui n’ont jamais rien créé » (Jean Anouilh). On ne le sait pas avant de s’y mettre, mais plus on écrit, plus les idées viennent (et il vaut mieux les noter !). On prend l’habitude de les exprimer, de les mettre en forme, cela devient un joyeux réflexe.
Enfin, on peut aussi gagner du temps en étudiant les outils de l’écrivain. On les appelle les « techniques du style ». Je recommande le livre de Jean Kokelberg (voir la fiche de l’éditeur). Il existe bien d’autres ouvrages de ce genre, mais, de ceux que j’ai lus, c’est celui qui m’a le plus apporté.
Y a-t-il une différence de nature entre, d’une part, les caractères supérieurs employés dans les abréviations (comme Mlle) et dans les appels de note (1) et, d’autre part, les lettres ou chiffres mis en exposant (ou en indice) dans les mesures (km2) ou les formules mathématiques (x2) ?
Tout le monde ne se lève pas le matin avec cette question en tête, mais elle apparaît dans quelques rares forums, aujourd’hui datés d’une vingtaine d’années1.
Des termes à distinguer
Jean-Pierre Lacroux (1947-2002) distinguait fermement les termes exposant et supérieur :
Les éditeurs et les traducteurs de logiciels feignent de l’ignorer mais les typographes français ont un vocabulaire respectable. Ils ne connaissent ni exposant ni indice, mais des lettres, des chiffres, des signes supérieurs ou inférieurs. Les exposants des mathématiciens se composent en caractères supérieurs, les indices en caractères inférieurs2.
Cependant, le terme en exposant est couramment employé pour désigner le placement d’un signe « en haut et à droite du signe (lettre, chiffre) auquel [il] se rapporte3 ». Et ce n’est pas d’hier. Pour ne donner qu’un exemple, dans sa Grammaire typographique (4e éd., 1989), Aurel Ramat (1926-2017) emploie bien le terme de « lettres supérieures », mais le signe de correction correspondant, il l’appelle « exposant ».
Signe de correction « exposant » dans la Grammaire typographique d’Aurel Ramat, 3e éd., 1989, p. 26.
Formes et emplois différents
La distinction à opérer est clairement exprimée par le Guide du typographe (20154) :
Les exposants, ou les indices, sont des chiffres ou des lettres surélevés, respectivement abaissés, par rapport à la ligne de base, utilisés en mathématiques, où ils peuvent être du même corps que le texte de base, ou en chimie où ils sont généralement d’un corps plus petit.
En comparaison, les lettres et chiffres supérieurs :
sont utilisés dans le texte comme appel[s] de notes ou comme ordinaux. Ils […] différent [des exposants et indices] par un dessin spécifique et ce ne sont pas que des lettres réduites. Toutes les fontes n’en sont pas pourvues et parfois il faut se résoudre à utiliser les exposants ou les indices à leur place, voire les lettres de base en les parangonnant (c’est-à-dire en les élevant ou en les abaissant par rapport à la ligne de base), en diminuant leur corps et en augmentant leur graisse pour qu’ils ne paraissent pas trop malingres à ces petites tailles.
Ce problème existait déjà à l’époque du plomb. Émile Desormes (1850-19..) définit les lettres ou chiffres supérieurs comme « les exposants algébriques dont on use généralement pour les appels de notes […]5 ». On composait avec les moyens du bord.
Un peu d’histoire
Les lettres supérieures étaient « fondues sur le corps du caractère employé » (Daupeley-Gouverneur, 18806) et présentes dans la casse parisienne (en nombre limité).
Patrick Bideault et Jacques André expliquent :
[…] On trouve de telles « supérieures » dans les casses d’imprimeurs dès le xviie siècle. Par ailleurs, dès le début du xvie siècle, les appels de note sont marqués par des signes supérieurs comme « * », « a » « † », etc. Vers 1750, Fournier propose 4 (vraies) supérieures (aers) ; la casse parisienne, qui a duré en gros de 1850 à 1950, en comptait 8, appelées roselmit 7 ou eilmorst selon l’ordre de rangement dans les casses ; en 1934, Brossard en énumère 16 différents (a c d e f g h i k l m n o r s t) dans une police standard – elles suffisaient pour les abréviations courantes8.
Casse parisienne. Dans le rang du haut, à droite, on voit les lettres supérieures e i l m o r s t. Émile Desormes, Notions de typographie à l’usage des écoles professionnelles, 3e éd., 1895, p. 3.
On notera cependant qu’il manque toujours le g pour Mgr et le v pour Vve. Or, ces abréviations sont bien composées avec des lettres finales supérieures dans les manuels typographiques du xixe siècle. Puisait-on celles-ci dans les casses réservées aux travaux scientifiques ? ou les commandait-on spécialement ? Je l’ignore. Cela devait sans doute dépendre des ateliers.
Henri Fournier (1800-1888) explique que les lettres supérieures :
[…] ne servent ordinairement que comme signes d’abréviation. Les plus usitées sont l’e, l’o, le r et le s ; et, à moins d’une matière spéciale, il n’y en a que d’un petit nombre de sortes qui fassent partie des fontes. Les autres ne sont en usage que pour les ouvrages scientifiques, et elles se commandent particulièrement pour des cas semblables9.
Les chiffres supérieurs, eux, n’existaient pas dans la casse. Ils « […] ne sont d’habitude fondus que sur commande spéciale, de même que les chiffres inférieurs, usités dans certains travaux algébriques » (Daupeley-Gouverneur, op. cit.). C’est pourquoi on était obligé de « bricoler » au plomb comme aujourd’hui sur ordinateur.
Quelle taille ? quelle position ?
La taille des signes supérieurs ou en exposant n’est jamais précisée dans les sources, anciennes ou modernes, que j’ai consultées. « Petit œil », « moindre corps », « caractères plus petits » sont les seules indications données. Cependant, James Felici (200310) décrit les caractères supérieurs « spécialement dessinés » comme ayant une taille « de 30 à 50 % inférieure à celle des caractères “normaux” ».
Quant à la position verticale respective des uns et des autres, c’est encore Felici qui en informe le plus clairement : idéalement, les signes supérieurs devraient être alignés par rapport au haut des jambages supérieurs11, alors que les exposants devraient être centrés par rapport à lui.
Position idéale d’un chiffre supérieur et d’un exposant, selon Felici (2003). Exemple réalisé avec InDesign et la police Minion Pro.
Divergences esthétiques
Les vrais caractères supérieurs ne sont disponibles que dans les polices OpenType. Pour certains, comme la typographe et graphiste Muriel Paris, « la tricherie proposée par les applications est tout à fait acceptable12 ». Pour d’autres, comme Felici, l’œil de ces lettres obtenues par réduction homothétique n’estpas assez gras (sur la notion d’œil, voir mon article).
C’était notamment l’avis de Lacroux (op. cit.) :
Il vaut mieux employer les « vraies » lettres supérieures, dont le dessin devrait — en principe… — offrir des corrections optiques […], mais rares sont ceux qui perdent leur temps à aller pêcher de vraies lettres supérieures dans les polices « expert ». Dans quelques années, quand les polices auront enfin acquis une saine corpulence et les logiciels de bons réflexes, la situation s’améliorera…
Contraintes techniques actuelles
Comparons les supérieures imprimées dans le manuel de Daniel Auger (197613), alors professeur à l’école Estienne, aux caractères en « exposant/supérieur14 » calculés par le logiciel Adobe InDesign15 puis aux supérieures accessibles dans les polices OpenType (ici, Minion Pro) :
À gauche, les supérieures traditionnelles (Auger, 1976) ; à droite, les supérieures calculées par InDesign suivies de celles de la police expert Minion Pro.
Si les supérieures calculées paraissent, en effet, « acceptables », elles sont « très ténu[e]s » (Felici). Les supérieures expert, elles, sont plus proches du modèle traditionnel.
Si l’on ne dispose pas de ces dernières, on peut créer les siennes (ou demander au graphiste de le faire), avec des lettres d’un corps 30 à 50 % inférieur au corps courant, dans une variante semi-grasse, décalées à la bonne hauteur. Pour InDesign, voir « Création d’un jeu de glyphes personnalisé » dans l’aide en ligne.
Dans un contexte où la production de documents, souvent destinés à la fois à l’impression et à la diffusion numérique, favorise la vitesse d’exécution, il n’est pas toujours aisé au correcteur d’imposer la distinction entre supérieur et exposant. Mais, dans l’édition soignée, il a plus de chances de faire valoir son point de vue.
« Exposant », Orthotypographie, en ligne. Consulté le 31 mars 2024. ↩︎
Dictionnaire encyclopédique du livre, III, Pascal Fouché, Daniel Péchoin et Philippe Schuwer (dir.), Paris : éd. du Cercle de la librairie, 2011, p. 785. ↩︎
Groupe de Lausanne de l’Association suisse des typographes (AST), 7e éd., p. 238. ↩︎
Notions de typographie à l’usage des écoles professionnelles, 3e éd., Paris : École professionnelle Gutenberg, 1895, p. 3. ↩︎
Le Compositeur et le Correcteur typographes, Paris : Rouvier et Logeat, p. 33. ↩︎
« Cette énumération lue comme un acronyme (les roselmit) est devenue un synonyme, aujourd’hui vieilli, de lettres supérieures. » — Dictionnaire encyclopédique du livre, op. cit.↩︎
Préparation de la copie et correction des épreuves, Paris : INIAG, p. 146. ↩︎
Adobe InDesign confond les deux modes de calcul, contrairement à QuarkPress. Voir la description de la « zone Exposant » et celle de la « zone Supérieur » dans le Guide QuarkPress en ligne. Consulté le 31 mars 2024. ↩︎
Depuis vingt ans, c’est le logiciel de PAO le plus utilisé. ↩︎