Il règne un grand désordre dans l’emploi du complément de métier après les noms corps, syndicat ou union1. On le trouve tantôt au singulier, tantôt au pluriel, aussi bien dans les ouvrages de référence que dans les textes des livres et journaux. Si un emploi isolé passe inaperçu, il est préférable d’unifier la graphie lorsque les occurrences se multiplient dans un même texte.

Or « il n’y a pas de règle absolue qui détermine si le nom en fonction de complément du nom se met au singulier ou au pluriel ; c’est généralement le sens qui nous fait opter pour l’un ou l’autre2 ». Quel est alors le sens de ce de métier ?
Retour au Moyen Âge
Rappelons, pour commencer, que « le mot [métier] a vu son sens s’étendre notablement. Il a d’abord signifié une occupation manuelle ou mécanique avec l’indication d’une certaine opposition à l’égard du mot art3. […] Métier peut s’utiliser aujourd’hui pour désigner n’importe quelle profession : être médecin, quel métier4 ! »
Autrefois, les corps de métier étaient des communautés d’artisans dont les membres formaient des corporations5. On les appelait aussi « les métiers ». (Elles ont été remplacées par les chambres consulaires et syndicales.) Aujourd’hui, un corps de métier désigne l’ensemble des personnes exerçant la même profession. Antidote donne pour exemples : Les règles et traditions d’un corps de métier. Les corps de métier du bâtiment comprennent les charpentiers, les maçons, les plombiers, etc. — tout en notant l’hésitation graphique au pluriel dans son corpus. Le Larousse admet les deux graphies6. Le Grand Robert et l’Académie7 donnent seulement le pluriel corps de métiers. Outre son héritage historique, cette graphie bénéficie aussi de la tendance qu’ont certains scripteurs à marquer doublement le pluriel : à la fois au nom et à son complément.
Curieusement, la locution (tous) corps d’état8, courante dans le domaine de la construction, est peu affectée par cette tendance, alors que son sens est équivalent. Autant être cohérent : les corps d’état, les corps de métier.
L’Union des métiers du bois est une union de métier
De même, on trouve aussi bien syndicat de métier que de métiers, union de métier et de métiers, là aussi avec un fréquent « pluriel par attraction » (un syndicat de métier, des syndicats de métiers).
L’hésitation est compréhensible : ces associations regroupent-elles plusieurs métiers ou bien des personnes exerçant le même métier ? Certains intitulés tels que Union des métiers et des industries de l’hôtellerie ou Groupement des métiers de l’imprimerie incitent à choisir le pluriel, mais leurs adhérents ont bien en commun l’hôtellerie ou l’imprimerie. Au-delà de leurs différences (les métiers regroupés), ils partagent un métier.
Contrairement à corps de métier, je ne trouve ces termes dans aucun dictionnaire usuel, mais le Larousse donne : « Syndicalisme de métier, syndicalisme de type britannique (trade unionism), ayant pour but de défendre les intérêts des salariés par métier (trade) et non par branche professionnelle9. » C’est bien le métier qui les réunit.
Il me semble donc préférable, du moins dans un même texte, d’écrire corps de métier, syndicat(s) de métier et union(s) de métier.
Pour faire le tour de la question, ajoutons que les chambres de métiers (et non des métiers, comme on le dit souvent10) — qui, depuis 1925 en France, assurent la défense des intérêts de l’artisanat — ont changé de nom en 2004 : elles sont devenues les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). A contrario, le registre public des artisans de France est bien le répertoire national des métiers.

Mentionnons, pour finir, l’emploi du nom complément métier sans préposition11, plus délicat encore à trancher — avec, là aussi, une tendance au pluriel par attraction12 et une indécision sémantique. Des processus métier(s) sont-ils ceux du métier ou des métiers de l’entreprise13 ? Et ses directions métier(s)14 ? ses besoins métier(s)15 ? Faut-il écrire une fiche métier, des fiches métiers ? L’usage hésite16.
Cette tendance forte à la juxtaposition de noms, particulièrement dans les textes techniques, n’est pas le moindre problème posé au correcteur.
- Cœur de métier (activité première d’une entreprise) ou homme/femme de métier (professionnel·le) posent moins de problèmes. ↩︎
- « Règles générales quant au nombre du complément du nom », Banque de dépannage linguistique, Office québécois de la langue française (OQLF), 2015. ↩︎
- On la trouve encore dans la désignation de l’École nationale supérieure d’arts et métiers. ↩︎
- Paul Dupré, Encyclopédie du bon français, éd. de Trévise, 1972, t. II., p. 1596. Voir aussi le long article « Métier » du TLFi. ↩︎
- Voir « Métier (corps) », Wikipédia. « Tous les Artisans sont divisez par la Police en plusieurs corps de mestiers », écrit Furetière en 1690 (onglet « 17e siècle », dans « Métier », Dico en ligne Le Robert (je souligne). ↩︎
- « Métier », Larousse. ↩︎
- « Corps », Dictionnaire de l’Académie, 9e éd. Voir aussi corps de métier au singulier dans « Métier », ibid. ↩︎
- À ne pas confondre avec les corps de l’État. Voir Corps (fonction publique française), Wikipédia. ↩︎
- « Métier », Larousse. Voir aussi « Syndicalisme de métier », Wikipédia. ↩︎
- Et comme l’écrit le Larousse. ↩︎
- Certaines grammaires (notamment celle d’Antidote) parlent d’apposition. ↩︎
- « Quand on place ce nom directement après un autre, on le fait sans trait d’union, et il prend facultativement la marque du pluriel en contexte pluriel », écrit Antidote (je souligne). ↩︎
- L’article « Processus métier : définition, gestion et exemples », de HubSpot (par Erell Le Gall, 20 janvier 2023), a choisi le singulier. ↩︎
- L’article « Direction métier : rôle, fonctions, et stratégies pour l’optimisation des opérations », du Blog du dirigeant (par Youssef Eid, 30 août 2024), penche pour l’accord en nombre. ↩︎
- L’accord est privilégié dans l’article « Définition des besoins métiers avec vos utilisateurs », d’ISLEAN (par Paul Schwebius, 21 septembre 2021). ↩︎
- « Quand on peut sous-entendre une préposition devant le nom complément, […] c’est le sens qui indique si le nom complément évoque l’idée d’une réalité unique ou multiple. Cela dit, le nom complément est le plus souvent singulier. » — « Règle générale du pluriel et du trait d’union pour le nom complément du nom », Banque de dépannage linguistique, OQLF (je souligne). ↩︎

















