Pour mon métier, j’ai lu quantité de manuels de typographie, et jamais je n’ai lu d’explication sur l’origine de l’espacement des signes de ponctuation. Ce que décrivent les codes typographiques est simplement l’état actuel de l’usage français.
Mais il a varié, comme on peut le comprendre ici ou là.
« Jadis, la virgule était précédée d’“une” espace. Cette règle est tombée en désuétude », nous dit Jacques Drillon1.
Cette évolution est détaillée par Jean-Pierre Lacroux :
Les anciens typographes étaient plus souples que les modernes. Ils savaient jouer avec les espaces liées à la ponctuation.
Lefevre 1883 : « On met une espace d’un point avant la virgule, le point-virgule, le point d’exclamation et le point d’interrogation, si la ligne où ils se trouvent est espacée ordinairement ; mais si elle est plus serrée, on se dispense d’en mettre avant la virgule, surtout lorsqu’elle est précédée d’une lettre de forme ronde. Le contraire a lieu, c’est-à-dire que l’on peut augmenter l’espace d’un demi-point avant ces diverses ponctuations, et surtout avant les points d’exclamation et d’interrogation, si la ligne est espacée plus largement. On ne met pas d’espace avant le point qui termine une phrase, ni avant le point abréviatif, ni avant les points suspensifs. »
La virgule a perdu son espace éventuelle. Resquiescat in pace ! En revanche, rien n’interdit de continuer à faire varier les espaces qui précèdent le point-virgule, le point d’exclamation et le point d’interrogation. Aujourd’hui, rares sont les compositeurs qui se donnent la peine de modifier au coup par coup les espaces insécables fixes qui précèdent la ponctuation haute. Dommage, car de très légères modifications — quasi imperceptibles — peuvent éliminer des coupures ou améliorer l’espace justifiante d’une ligne donnée.
L’arrivée de l’informatique dans l’édition a simplifié les usages ; celle d’Internet les a bousculés, comme le note Jean-Pierre Colignon :
Comme le point d’interrogation, le point d’exclamation doit, en principe, être précédé d’une espace fine et suivi d’une espace forte. Dans la réalité, si le second espacement est respecté, l’espace fine, elle, disparaît souvent, ou bien cède la place à une espace plus ou moins moyenne, en fonction des blancs à répartir dans la ligne par la personne, écrivain, journaliste, secrétaire d’édition, secrétaire de rédaction, qui fait la saisie du texte2.
Les compositeurs de texte « à l’ancienne » ayant quasiment disparu, bien peu de professionnels de l’édition ont connaissance de règles comme celle édictée par Charles Gouriou :
Le point-virgule (;), le point d’exclamation (!) et le point d’interrogation (?) sont séparés du mot précédent par une espace variable selon les corps et les caractères : elle est de 2 points au moins (on peut se régler sur 1/3 de cadratin)3.
(On notera qu’il pourrait y avoir débat entre Colignon et Gouriou, car une espace fine fait un point (Lacroux), alors que « 2 points au moins » est « une espace plus ou moins moyenne ».)
N.B. : Comme il n’existe pas un code typographique unique auquel se référer, l’espacement de la ponctuation peut varier, même entre professionnels. Par exemple, certains font précéder le deux-points d’une espace forte (règle la plus courante en France) ; d’autres préfèrent une fine, notamment les Belges et les Suisses.
☞ Voir aussi Qui crée les codes typographiques ?
- DRILLON (Jacques), Traité de la ponctuation française, coll. Tel, Gallimard, 1re éd., 1991., p. 251.
- COLIGNON (Jean-Pierre), Un point, c’est tout ! La ponctuation efficace, 5e éd., EdiSens, 2018., p. 85–86.
- GOURIOU (Charles), Mémento typographique, éd. du Cercle de la Librairie, 1990, p. 93.