La PAO nous a donné accès à la large palette des signes spécifiques aux alphabets étrangers, tels que le o barré (ø) ou la brève (˘). Les reproduire est-il cependant une nécessité dans les travaux courants ?
La langue française, accueillant traditionnellement les mots étrangers dans leur orthographe d’origine, pourvu bien sûr que cette orthographe soit en caractères latins, a vu apparaître, avec les nouvelles techniques typographiques, des signes diacritiques issus essentiellement de travaux de translittération. Entrant en contradiction avec la volonté actuelle de simplification de l’orthographe, cette tendance, qu’avait suivie par exemple Larousse, a été stoppée par l’arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d’États et de capitales. Larousse a adapté son orthographe, mais cette tendance perdure ici et là. L’utilisation de diacritiques étrangers n’est en principe tolérée que pour les patronymes ainsi que pour les toponymes sans envergure internationale qui ne nécessitent pas de francisation. Ces mots restant dans tous les cas étrangers au français.
À propos des signes diacritiques, l’arrêté en question précise :
3. Les noms de pays et de villes étant des noms propres, il est recommandé de respecter la graphie locale en usage, translittérée ou non. On ne portera cependant pas les signes diacritiques particuliers s’ils n’existent pas dans l’écriture du français.
Wikipédia poursuit :
Il y a 5 diacritiques utilisés en français : l’accent aigu (é), l’accent grave (à, è, ù), l’accent circonflexe (â, ê, î, ô, û), le tréma (ë, ï, ü, voire ÿ – mais aussi ä et ö pour de rares mots étrangers devenus français) et la cédille (ç) avec des restrictions d’emploi (les combinaisons possibles sont indiquées entre parenthèses)1.
Cela dit, si on écrivait Erdoğan et non Erdogan, on aurait plus de chances de le prononcer correctement… Depuis que j’ai appris que le « g doux » turc signalait un allongement de la voyelle qui précède, j’ai compris d’où venait le problème.
Il arrive que l’usage systématique et sans discernement des tirets dans les dialogues rende la lecture difficile, la limite entre dialogue et récit n’étant pas marquée par un guillemet fermant.
Dans son Dictionnaire orthotypographique moderne (s. v. dialogues), Jean-Pierre Colignon prend clairement parti pour le maintien des guillemets comme délimitateurs de parole.
Dans la typographie traditionnelle, tous les dialogues commencent et finissent par un guillemet. C’est toujours la meilleure façon de procéder, celle qui déjoue tout risque de mécompte.
Beaucoup d’écrivains, d’éditeurs, d’imprimeurs se bornent à placer un tiret devant chaque amorce ou reprise de dialogue, chaque fois qu’un personnage prend la parole. Hélas ! ce procédé – en faveur grâce à la facilité de son emploi – rend confus la plupart des textes. Et cela devient très pénible quand un interlocuteur dévide une tirade de plusieurs alinéas. Paroles, jeux de scène, descriptions de lieux, commentaires du narrateur ou de l’auteur, tout cela est mélangé sans distinction. Aussi, et non par dilection pour l’archaïsme ou la mode « rétro », ne peut-on que recommander la présentation classique, qui exclut toute obscurité.
Colignon donne un exemple (je mets les guillemets en gras) :
« Votre position ainsi que la fonction qui est la vôtre vous donnent droit à une arme. C’est le règlement, cela fait partie de vos émoluments. Il faut que vous en ayez une. J’espère que je suis clair… – Tout à fait, mais quelque chose m’échappe. » D’énervement, j’avais rougi jusqu’aux oreilles. « Je n’ai jamais vu la couleur du pistolet dont tu me parles, tu comprends ? – Je comprends. Mais peu importe que vous l’ayez vu ou pas. Il est forcément en votre possession ! » (D’après Lao Ma, Tout ça va changer, éd. Philippe Picquier.)
Je me demandais pourquoi certains noms asiatiques, comme celui du cinéaste taïwanais Tsai Ming-liang (Hou Hsiao-hsien, Wong Kar-wai, Bong Joon-ho…), sont transcrits en français avec un trait d’union et une minuscule au second vocable.
Je savais que Tsai est le nom de famille, Ming-liang, le « nom personnel », composé de deux idéogrammes. Je ne m’interrogeais que sur l’ajout du trait d’union en français, la transcription en pinyin étant Cài Míngliàng.
Une aimable consœur a interrogé deux spécialistes à ce sujet. Voici son compte rendu.
« Ayons à l’esprit tout d’abord que les Chinois ne parlent que par vocables isolés, chaque « son » correspondant à un idéogramme, toujours détaché du précédent et du suivant. Donc, même si, en termes de « sens », on a un mot transcrit en français comme Qigong, en chinois, ce mot sera toujours transcrit avec deux idéogrammes : Qi + Gong.
« Idem pour les noms propres. On trouve effectivement le nom de famille en premier composé d’un seul vocable, suivi du prénom à deux vocables (et non de deux prénoms). Ex.: Mingliang.
« Le chinois classique considère que 1 mot = 1 caractère, donc les traducteurs attachés à la tradition préféreront couper un prénom en deux mots : Ming-Liang, le trait d’union servant à rappeler qu’il s’agit d’un seul prénom. C’est le système utilisé à Taïwan encore aujourd’hui.
« Le chinois moderne admet plus facilement que 1 mot = 2 caractères, et transcrira alors Mingliang.
« Le pinyin, système international utilisé pour romaniser le chinois depuis les années 1970, utilise donc la version moderne : tous les prénoms chinois devraient donc s’écrire en un seul mot : Mingliang.
« Il n’en demeure pas moins que beaucoup utilisent malgré tout le trait d’union. Pour citer une de mes amies sinologues, c’est « une erreur qui perdure»…
« Cela dit, même si l’on choisit la version traditionnelle, il n’y a (et ils sont bien d’accord sur ce point) aucune, mais alors, aucune raison de mettre une majuscule à un des vocables et pas à l’autre, ce qui laisserait supposer, à tort, qu’il y a une hiérarchie dans les vocables composant un prénom. »
Pour mon métier, j’ai lu quantité de manuels de typographie, et jamais je n’ai lu d’explication sur l’origine de l’espacement des signes de ponctuation. Ce que décrivent les codes typographiques est simplement l’état actuel de l’usage français.
Mais il a varié, comme on peut le comprendre ici ou là.
« Jadis, la virgule était précédée d’“une” espace. Cette règle est tombée en désuétude », nous dit Jacques Drillon2.
Les anciens typographes étaient plus souples que les modernes. Ils savaient jouer avec les espaces liées à la ponctuation.
Lefevre 1883 : « On met une espace d’un point avant la virgule, le point-virgule, le point d’exclamation et le point d’interrogation, si la ligne où ils se trouvent est espacée ordinairement ; mais si elle est plus serrée, on se dispense d’en mettre avant la virgule, surtout lorsqu’elle est précédée d’une lettre de forme ronde. Le contraire a lieu, c’est-à-dire que l’on peut augmenter l’espace d’un demi-point avant ces diverses ponctuations, et surtout avant les points d’exclamation et d’interrogation, si la ligne est espacée plus largement. On ne met pas d’espace avant le point qui termine une phrase, ni avant le point abréviatif, ni avant les points suspensifs. »
La virgule a perdu son espace éventuelle. Resquiescat in pace ! En revanche, rien n’interdit de continuer à faire varier les espaces qui précèdent le point-virgule, le point d’exclamation et le point d’interrogation. Aujourd’hui, rares sont les compositeurs qui se donnent la peine de modifier au coup par coup les espaces insécables fixes qui précèdent la ponctuation haute. Dommage, car de très légères modifications — quasi imperceptibles — peuvent éliminer des coupures ou améliorer l’espace justifiante d’une ligne donnée.
L’arrivée de l’informatique dans l’édition a simplifié les usages ; celle d’Internet les a bousculés, comme le note Jean-Pierre Colignon :
Comme le point d’interrogation, le point d’exclamation doit, en principe, être précédé d’une espace fine et suivi d’une espace forte. Dans la réalité, si le second espacement est respecté, l’espace fine, elle, disparaît souvent, ou bien cède la place à une espace plus ou moins moyenne, en fonction des blancs à répartir dans la ligne par la personne, écrivain, journaliste, secrétaire d’édition, secrétaire de rédaction, qui fait la saisie du texte3.
Les compositeurs de texte « à l’ancienne » ayant quasiment disparu, bien peu de professionnels de l’édition ont connaissance de règles comme celle édictée par Charles Gouriou :
Le point-virgule (;), le point d’exclamation (!) et le point d’interrogation (?) sont séparés du mot précédent par une espace variable selon les corps et les caractères : elle est de 2 points au moins (on peut se régler sur 1/3 de cadratin)4.
(On notera qu’il pourrait y avoir débat entre Colignon et Gouriou, car une espace fine fait un point (Lacroux), alors que « 2 points au moins » est « une espace plus ou moins moyenne ».)
N.B. : Comme il n’existe pas un code typographique unique auquel se référer, l’espacement de la ponctuation peut varier, même entre professionnels. Par exemple, certains font précéder le deux-points d’une espace forte (règle la plus courante en France) ; d’autres préfèrent une fine, notamment les Belges et les Suisses.
Depuis l’invention de l’imprimerie en Europe (v. 1450), ce sont des professionnels, individus ou organismes, qui établissent, pour leur propre usage, les règles de composition des textes destinés à l’impression – ou, désormais, à la diffusion numérique.
Les codes typographiques sont donc la continuité des premières règles édictées par les typographes-imprimeurs de la Renaissance (☞ voir Orthotypographia, 1608). Plusieurs manuels typographiques ont fait date au xixe siècle, notamment ceux de Marcellin-Aimé Brun, d’Antoine Frey, de Théotiste Lefèvre et de S.-A. [Auguste] Tassis (☞ voir Ouvrages écrits par ou pour les correcteurs). Mais le terme « code typographique » apparaît dans les années 1920. Je ne cite dans cette page que les ouvrages en usage actuellement5.
Le Code typographique de 1986 (15e éd.), le « petit livre rouge » avec lequel j’ai appris les rudiments du métier.
Le Code typographique, ou Nouveau Code typographique en 1997, est publié pour la première fois en mai 19286 par la Société amicale des directeurs, protes et correcteurs d’imprimerie de France, et pour la dernière fois en 1997 par la Fédération de la communication CFE/CGC.
Jean-Pierre Lacroux (1947–2002), correcteur et typographe, est l’auteur d’un riche dictionnaire raisonné des usages typographiques, Orthotypographie, que sa mort prématurée l’a empêché de finir. Parachevé par une équipe de correcteurs, son ouvrage est disponible gratuitement en ligne, mais aussi édité chez Quintette.
Yves Perrousseaux (1940–2011), éditeur et historien de la typographie, a publié des Règles de l’écriture typographique du français (Atelier Perrousseaux éditeur, 1995, sous le titre Manuel de typographie française élémentaire ; 10e éd., 2020, revue et augmentée par David Rault et Michel Ballerini).
Le Centre d’écriture et de communication (CEC), qui a formé des correcteurs pendant plus de trente ans (jusqu’en 2022), a confié la rédaction de son ouvrage de référence, Orthotypo & Co(éd. Cornées Laliat, 2013), à Annick Valade, responsable des services lecture-correction aux Éditions Larousse, puis aux Dictionnaires Le Robert.
En Suisse, le Guide du typographe (1943, 7e éd., 2015), initialement intitulé Guide du typographe romand, est publié par le groupe de Lausanne de l’Association suisse des typographes (AST).
Charles Gouriou (1905-1982), auteur du Mémento typographique, appliqué au « livre d’édition courante » (Hachette, 1961 ; nouv. éd. ent. rev., 1973 ; éd. du Cercle de la librairie, 1990, 2010), était lecteur-correcteur à la Librairie Hachette.
Il faut aussi mentionner Daniel Auger (1932-2013), professeur honoraire à l’école Estienne, dont les ouvrages, de grande qualité, ne sont, hélas, consultables que dans de rares bibliothèques (BnF, bibliothèque patrimoniale de l’école Estienne) : Préparation de la copie, correction des épreuves (INIAG, 1976, éd. corrigée, 1980), Grammaire typographique, tomes I et II (aux dépens de l’auteur, 2003) et Les Textes imprimés (aux dépens de l’auteur, 2003), synthèse du cours de préparation de la copie et de correction qu’il a donné « à partir de 1962 et pendant plus de vingt-cinq ans au lycée Estienne ».
C’est pour moi une découverte, après trente ans de métier : le premier manuel à l’usage des correcteurs date de 1608 – soit un siècle et demi après l’impression de la Bible à 42 lignes par Gutenberg. Nous le devons à Jérôme Hornschuch (1573-1616), qui pratiqua la correction d’épreuves comme gagne-pain tout en suivant des études de médecine. Son petit ouvrage, Orthotypographia (45 pages in‑8), a été publié à Leipzig en latin, puis traduit en allemand (l’édition allemande peut être feuilletée et téléchargée sur SLUB). « La brochure a été publiée dans de nouvelles éditions légèrement modifiées jusqu’en 1744 environ » (Eberhard Dilba).
Page de titre de l’édition en allemand (1634).
« Livre d’érudit sourcilleux : [Hornschuch] évoque, dans un discours savant, l’histoire de l’écriture, l’invention de l’imprimerie ; il vante les qualités du correcteur, définit les dispositifs d’impression correspondant au format, énumère les signes de correction, dénonce les pièges de la composition, de la graphie, vante la bonne ponctuation, cite d’illustres modèles. Un manuel méthodique du savoir corriger » (Jean-Claude Chevalier, CNRS).
On y trouve, pour la première fois représentés, les signes utilisés par les correcteurs : « […] on sait que dès l’époque des incunables, certains signes de correction sont fixés et ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur forme initiale (voir par exemple le deleatur) » (Rémi Jimenes, Centre d’études supérieures de la Renaissance).
En face du 2e paragraphe, on reconnaît le deleatur.
« L’ouvrage comporte également une gravure, devenue célèbre, de Moses Thym représentant un atelier typographique. On y voit, à l’arrière-plan à droite, trois personnages dont l’un lit attentivement un texte et les deux autres discutent. On s’accorde à penser qu’il s’agit d’un auteur en pleine discussion avec deux correcteurs » (Dominique Varry, ENSSIB) – d’autres auteurs disent que le troisième personnage n’est pas identifié.
Au fond à droite, trois personnages discutent, dont deux sont peut-être des correcteurs.
« Le correcteur, quand il existe, joue précisément l’interface entre l’imprimeur et l’auteur. Il demeure donc un témoin privilégié. […] Hornschuch dégage sa propre responsabilité, renvoyant dos à dos des “maîtres imprimeurs ignares et grippe-sous, [et] des auteurs négligents” » (Alain Riffaud, Sorbonne, citant J.-F. Gilmont) :
Orthotypographia a été traduit en français par Susan Baddeley, et édité avec une introduction et des notes de Jean-François Gilmont, par les Éditions des Cendres en 1997. Malheureusement, les 499 exemplaires numérotés ont vite été écoulés et il est aujourd’hui introuvable. Il est cependant consultable à la BNF.
Je n’avais jamais lu l’avant-propos du grand œuvre de Jean-Pierre Lacroux, Orthotypographie – on saute souvent ces introductions, on a tort. Il est délicieusement écrit et parsemé d’un humour discret mais efficace. Extrait :
La plupart des récriveurs, des correcteurs et des typographes ne sont ni plus paranoïaques ni plus obtus que la plupart des linguistes ; ils ne sont pas spécialement puristes, encore moins fixistes ou « normolâtres » : ils savent, eux aussi, que notre langue est vivante, qu’elle bouge encore, l’aïeule désinvolte, et se régénère ; qu’elle évolue, danse sur ses marges, gracieuse ou désolante ; qu’il est absurde de vouloir la pétrifier en l’état, de lui interdire des emprunts judicieux, des fantaisies passagères ou durables. Une caractéristique pourtant leur est propre : on leur demande de faire comme si de rien n’était, on les paye pour faire respecter la norme écrite. Faut-il s’étonner s’ils aiment qu’elle soit périodiquement précisée ?
L’abréviation Md€ pour milliards d’euros ne se trouve dans aucun code typographique (le Ramat-Muller donne G€, recommandation du Système international d’unités, comme M€ pour millions d’euros). Elle est cependant d’usage courant dans l’Administration et le secteur financier. C’est celle que je rencontre le plus souvent dans les travaux qui me sont confiés.
Antidote recommande plutôt l’abréviation par retranchement médian mds ou mds – je ferais le même choix. On peut consulter l’article où sont détaillées les différentes méthodes d’abréviation de million et milliard.
Rappel : On ne peut utiliser un symbole, préfixé ou non, que s’il est précédé d’un nombre entièrement écrit en chiffres.