Poème “Le Correcteur”, 1927

Conscient correcteur, tu es la bête noire
De tous les ignorants et de tous les jaloux,
Quand, penché tout le jour sur un affreux grimoire,
Tu te permets d'y voir des sottises, des « loups ».
J'entends par « loups » ici, les oublis, les bêtises
Qui parfois échappés à la dactylographe
Feraient dire à l'auteur d'énormes balourdises
Toujours assaisonnées de fautes d'orthographe.
Mais il est entendu que tu es responsable
Et que tu dois tout voir, même le mot absent.
Le Code, à l'avenir, te sera secourable1,
Même si le typo se moque de l'accent.
Le temps n'est plus, hélas ! de lire les épreuves
En somnolant, béat, les yeux à demi clos.
Tout va vite aujourd'hui… il faut donner des preuves
D'un savoir étendu, sans quoi tu es forclos.
Le typo maladroit, ennemi des virgules,
Le metteur trop pressé de terminer à temps
Tempêteront souvent contre tes majuscules
Ou tes alinéas et diront en partant :
« Combien ce correcteur est donc insupportable ;
» Il s'applique vraiment à tout nous compliquer,
» Car ce que nous faisons nous paraît raisonnable.
» À travail d'automate, à quoi bon s'appliquer ? »
Mais le bon correcteur garde son habitude
De regarder de près ce qui paraît fautif ;
Passionné de son œuvre, il est, comme Latude2,
Patient pour le mot : nom, pronom, adjectif.
De quelque état d'esprit qu'on le brime ou l'entoure
Il va, il va toujours et sans trop s'émouvoir
Il poursuit son travail : c'est une chasse à courre
Aux fautes des humains qu'il peut apercevoir.
Mais je ne vais pas dire qu'il demeure infaillible
Dans le monde des fautes, il peut en oublier,
Car, sauf le Créateur, qui donc n'est pas faillible ?
Non, mais le correcteur est un rude ouvrier.

H. JURY.

Cir­cu­laire des protes, no 320, avril 1927.

Com­po­si­tion d’origine. 

  1. Très atten­du, le pre­mier Code typo­gra­phique a paru l’an­née pré­cé­dente. Les cor­rec­teurs espèrent qu’a­vec un tel docu­ment « uni­ver­sel », leurs cor­rec­tions seront moins contes­tées à l’atelier.
  2. « Jean Hen­ry, dit Dan­ry, dit Masers de Latude, 1725-1805, est un pri­son­nier fran­çais, célèbre par ses nom­breuses éva­sions, qui a publié en 1787 des Mémoires, rem­plis d’inexactitudes et d’exagérations, qui connurent un grand suc­cès pen­dant la Révo­lu­tion » — Wiki­pé­dia.