Conscient correcteur, tu es la bête noire De tous les ignorants et de tous les jaloux, Quand, penché tout le jour sur un affreux grimoire, Tu te permets d'y voir des sottises, des « loups ». J'entends par « loups » ici, les oublis, les bêtises Qui parfois échappés à la dactylographe Feraient dire à l'auteur d'énormes balourdises Toujours assaisonnées de fautes d'orthographe. Mais il est entendu que tu es responsable Et que tu dois tout voir, même le mot absent. Le Code, à l'avenir, te sera secourable1, Même si le typo se moque de l'accent. Le temps n'est plus, hélas ! de lire les épreuves En somnolant, béat, les yeux à demi clos. Tout va vite aujourd'hui… il faut donner des preuves D'un savoir étendu, sans quoi tu es forclos. Le typo maladroit, ennemi des virgules, Le metteur trop pressé de terminer à temps Tempêteront souvent contre tes majuscules Ou tes alinéas et diront en partant : « Combien ce correcteur est donc insupportable ; » Il s'applique vraiment à tout nous compliquer, » Car ce que nous faisons nous paraît raisonnable. » À travail d'automate, à quoi bon s'appliquer ? » Mais le bon correcteur garde son habitude De regarder de près ce qui paraît fautif ; Passionné de son œuvre, il est, comme Latude2, Patient pour le mot : nom, pronom, adjectif. De quelque état d'esprit qu'on le brime ou l'entoure Il va, il va toujours et sans trop s'émouvoir Il poursuit son travail : c'est une chasse à courre Aux fautes des humains qu'il peut apercevoir. Mais je ne vais pas dire qu'il demeure infaillible Dans le monde des fautes, il peut en oublier, Car, sauf le Créateur, qui donc n'est pas faillible ? Non, mais le correcteur est un rude ouvrier. H. JURY.
Circulaire des protes, no 320, avril 1927.
- Très attendu, le premier Code typographique a paru l’année précédente. Les correcteurs espèrent qu’avec un tel document « universel », leurs corrections seront moins contestées à l’atelier.
- « Jean Henry, dit Danry, dit Masers de Latude, 1725-1805, est un prisonnier français, célèbre par ses nombreuses évasions, qui a publié en 1787 des Mémoires, remplis d’inexactitudes et d’exagérations, qui connurent un grand succès pendant la Révolution » — Wikipédia.