De l’importance de la correction, 1911

Extrait d’un long et vibrant éloge au cor­rec­teur. Inti­tu­lé sim­ple­ment « Du Cor­rec­teur et de la Cor­rec­tion », celui-ci court sur six pages (onze colonnes) de la Cir­cu­laire des protes no 181, de mars 1911. Il est signé « A. MARSILLAC », que je n’ai pas iden­ti­fié et qui n’ap­pa­raît à aucune autre date dans la revue.

“L’auteur plane trop haut”

« […] l’esprit empor­té vers les hori­zons loin­tains du rêve poé­tique ou des spé­cu­la­tions ardues, l’at­ten­tion absor­bée par l’a­gen­ce­ment logique des idées, l’ef­fort ten­du à la pour­suite de l’ex­pres­sion la plus com­plète et la plus juste, l’au­teur peut perdre de vue cer­tains détails : il plane trop haut. Sous le mar­tè­le­ment de sa pen­sée, de nou­veaux aspects de son sujet jaillissent comme des étin­celles sur l’en­clume ; ces étin­celles l’é­blouissent, toutes elles l’at­tirent, il court de l’une à l’autre, et, dans son empres­se­ment à les sai­sir toutes, dans sa hâte à n’en perdre aucune, il laisse une idée inache­vée, sans liai­son avec ses voi­sines ou en entre­mêle les mots.

« Certes, ce sont défaillances infimes, mais elles déparent l’œuvre, comme une tache dépré­cie un bro­cart, un accroc une riche tapis­se­rie. Ôtez la tache, repri­sez l’ac­croc, le bro­cart et la tapis­se­rie rede­viennent ines­ti­mables. Mais com­bien habiles, com­bien déli­cates doivent être les mains char­gées de ce tra­vail ! C’est celui du correcteur.

Une collaboration étroite

« Devant lui la pen­sée de l’au­teur s’é­tale à nu. Il en sai­sit l’é­clo­sion, en suit la marche, en devine les efforts, les hési­ta­tions, les retours, toutes choses que lui dévoilent les ratures, les ren­vois du manus­crit ; l’é­cri­ture calme ou fié­vreuse a pour lui un lan­gage. Cette pen­sée de l’au­teur, dont il a sur­pris les plus sub­tiles évo­lu­tions et les replis les plus secrets, il doit la faire sienne, s’en péné­trer tel­le­ment qu’il sache don­ner à chaque titre, à chaque par­tie de l’ou­vrage l’im­por­tance et, par suite, la place qui leur convient. Il faut que, grâce à lui, une série de pages écrites d’une main mono­tone et uni­forme ait, une fois impri­mée, comme le relief d’un monu­ment, en sorte que l’œil du lec­teur sai­sisse le thème de l’étude, les déve­lop­pe­ments du sujet trai­té, les phases du récit offert à sa curiosité.

« Dans le détail, le cor­rec­teur doit éla­guer les irré­gu­la­ri­tés du manus­crit, en sup­pléer les inat­ten­tions, en répa­rer les oublis, en rec­ti­fier les lap­sus cala­mi, com­bler les défaillances de mémoire, réta­blir les cita­tions fau­tives, car il se peut que l’au­teur, entraî­né par sa pen­sée, ait lu, dans le pas­sage cité, non ce qui est mais ce qui devrait être.

« Telle est, vrai­ment étroite, et dans l’en­semble et dans le détail, la col­la­bo­ra­tion du cor­rec­teur et de l’é­cri­vain. Aus­si Vic­tor Hugo aimait à rendre hom­mage à ces « modestes savants si habiles à lus­trer les plumes du génie » ; aus­si P. Larousse, après Fir­min-Didot, les appelle ses « auxi­liaires les plus précieux. »