« À Genevieve, mon amour, ma muse, ma correctrice, ma relectrice, ma dialoguiste, ma claviste, celle qui me supporte dans les bons comme dans les moins bons moments, qui ramasse ce que j’échappe, qui me consacre un temps fou et qui s’oublie trop souvent à mon profit. Ton nom mériterait de figurer sur la couverture de ce livre autant que le mien1. »
Ils ne sont plus rares, aujourd’hui, les auteurs qui remercient (comme Martin Michaud, ci-dessus), dans leurs livres, une parente ou une compagne pour les bons soins qu’elles ont portés à leurs écrits.
Balzac aurait pu faire de même pour sa sœur cadette, Laure, et surtout Lamartine, dont l’épouse dévouée, Elisa, s’est épuisée pour la gloire du poète.
Surtout connue pour avoir protégé la mémoire de son frère en publiant une biographie de ce dernier après sa mort2, Laure Surville (1800-1871) ne s’est pas arrêtée à ce rôle, apprend-on dans La Plume du 1er septembre 19003.
Laure Surville, sœur cadette de Balzac.
« Comment oublier […] cette sœur du poète, qui savait être, selon les heures, enjouée ou sérieuse, que Balzac emmenait un soir au bal de l’Opéra, et qui une autre fois travaillait avec lui à ses livres, la collaboratrice de ses premiers romans, la correctrice des derniers, à qui il recommandait ainsi son Médecin de campagne : « Dis-moi tous les endroits qui te sembleront mauvais, et mets les grands pots dans les petits, c’est-à-dire : si une chose peut être dite en une ligne au lieu de deux, essaie de faire la phrase. »
Édith Marois, docteure ès lettres, chercheuse à l’université François Rabelais de Tours, fournit quelques précisions4 :
« Si Laure Surville n’est pas entrée dans la postérité en tant qu’écrivaine, sa collaboration, même modeste, même simplement consultative, à l’œuvre de son frère est attestée par leur correspondance. En octobre 1833, peu de temps avant la publication du Médecin de campagne, Honoré sollicite ses remarques : “corrige bien le Médecin ou plutôt dis-moi tous les endroits qui te sembleront mauvais et mets les grands pots dans les petits, c’est-à-dire si une chose peut être dite en une ligne au lieu de deux, essaie de faire la phrase5”. L’année suivante, il la remercie de sa lettre sur La Recherche de l’Absolu tout en réfutant les critiques qu’elle exprime : “merci des éloges […] je me suis tout bêtement attendri de ta phrase. Tu as, je crois, tort pour les trois pages que tu trouves de trop, car elles ont des ramifications avec l’histoire. […] Ta lettre est la 1ère félicitation que j’ai reçue de l’Absolu6”, mais là encore, le livre est déjà imprimé et diffusé… »
On trouvera peut-être d’autres informations sur Laure Surville, correctrice de son frère, dans l’ouvrage de Christine Planté, La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Presses universitaires de Lyon, 2015.
Elisa de Lamartine par Jean-Léon Gérôme, 1849.
On en sait davantage sur Elisa (ou Marianne) de Lamartine (1790-1863), artiste peintre et sculptrice française d’origine britannique : elle s’est usé la santé à corriger les épreuves de son poète de mari, Alphonse.
« Mme de Lamartine, correctrice d’épreuves. — M. Henri Guillemin, dans le Mercure de France, nous apporte — d’après des documents inédits réunis par M. Camille Latreille mort avant d’avoir pu les utiliser — de précieux renseignements sur la vie conjugale de Lamartine et sa femme, que M. Guillemin appelle “la troisième Elvire”. Mme de Lamartine fut une épouse parfaite, exclusivement dévouée à son mari et aux travaux duquel elle apporta une discrète collaboration généralement peu connue.
« Voici à ce propos ce qu’elle écrit, dans une lettre de 1846, adressée à son beau-frère, M. de Montherol : “M. Furne, l’éditeur, est venu de Paris sur le bruit que les Girondins étaient finis, et il a emporté la permission de mettre trois volumes sous presse en janvier, pour paraître en mars, à peu près. « C’est à Paris que le travail des épreuves va être terrible pour moi. Je vais être en lutte continuelle pour obtenir des corrections, dont je n’obtiendrai pas le quart. Mais chaque mot gagné sera une victoire, dont il n’y aura que moi qui sache la bataille et le péril. Vous savez qu’il n’aime pas à corriger ni le sens, ni les phrases, ni même les mots. Il écrit d’abondance, abondance miraculeuse, mais qui aurait besoin d’être coordonnée. Les épithètes vont au delà de la pensée. Le public les prend au pied de la lettre, en bien et en mal. Une chose qui n’a qu’un bon côté est sublime ; celle qui n’a qu’un côté mauvais est anathématisée. Le public n’y met pas le correctif, et blâme l’auteur. Je passerai un mauvais hiver. (Inédit.)” » — Journal des débats politiques et littéraires, 3 août 1934, p. 2.
Dans des lettres à Charles Alexandre (1821-1890), secrétaire de Lamartine, Elisa évoque notamment « le long travail de correction des épreuves de son mari dont elle revoie [sic] les textes », selon le libraire en autographes et manuscrits Emmanuel Lorient, sur son site, Traces écrites. Extraits.
« M. de L. parle de partir le 25, lundi de la semaine qui vient. J’espère avoir fait les corrections au moins pour l’exemplaire que je garde et j’espère aussi être mieux portante pour écrire plus nettement celles que je donnerai à l’imprimeur. Il me faudra bien quelqu’un à Paris pour revoir les épreuves qui seront très difficiles à tirer. Mais il faudrait quelqu’un aussi poète que vous et aussi minutieux que le grammairien. Je ne pourrais pas confier à lui une épreuve[,] il en ferait de la très mauvaise prose […] » [1862].
« […] Un jour à Monceaux j’ai eu la chance de voir avec lui une épreuve. Je suis tombée sur un mot, un seul, qui était des plus fâcheux. Je le lui ai dit. Il en est convenu et j’ai substitué une épithète exacte et sans inconvénient. Je lui ai fait observer que je lui rendais service ! Mais il continue la même chose, et ce n’est que de loin en loin que je puis entrevoir par hasard, ou par supercherie quelque chose. C’est si fort une volonté de sa part qu’il donne ses épreuves à porter tout de suite à Jean, au lieu de les donner le soir à un commis qui passe devant l’imprimerie. J’en suis désolée. Si je pouvais seulement causer avec lui sur ce qu’il écrit, je le convaincrais souvent de l’inconvénient de mots qui lui sont échappés […] » [sans date].
« Passez sur la terrasse déserte, devant la façade du château paisible, la paix n’y est pas. Un drame intime s’agite dans l’intérieur. Dans cette grande chambre aux murs tapissés de rosiers grimpants, desséchés, une femme est dans la tristesse. Elle a fait sa prière du matin, elle a demandé à Dieu la force des sacrifices. Comme ses rosiers sans fleurs, son âme est sans espérances. Elle travaille, sa plume active corrige des épreuves, écrit des lettres », raconte Charles Alexandre dans Madame de Lamartine (Dentu, 1887, p. 207).
Le hasard a voulu qu’en vingt-quatre heures je tombe successivement sur deux phrases qui m’ont frappé, en ce qu’elles voulaient croire que le progrès ne serait pas néfaste à la profession évoquée. Voici la première, à propos du métier de compositeur typographe :
« […] quant aux éditions qui font la gloire de l’imprimerie et l’ornement des bibliothèques, il serait impossible de les tirer à la mécanique. […] « il n’est subtile combinaison de ressorts et d’engrenage qui puisse enseigner aux doigts d’un automate à chercher dans la casse le type correspondant au caractère écrit, et à le ranger dans le composteur : car il faudrait que l’automate sût lire. » — « Bert. », Paris ou Le livre des Cent-et-un7, vol. 5-6, 1832.
L’automate ne sait toujours pas lire, M. « Bert. », mais on a bien inventé les machines à composer, d’abord au plomb (Monotype et Linotype), puis sans plomb (de la photocomposition au prépresse). Aujourd’hui, le texte — le plus souvent écrit, mis en pages et relu sur écran — ne devient matière qu’en toute fin de parcours. Vous ne pouviez pas l’imaginer.
Le métier de typographe a disparu, à quelques belles exceptions près. Les survivants sont devenus des artisans d’art plutôt que des ouvriers. Voir, notamment, Vincent Auger, un des derniers typographes français.
Et voici la deuxième phrase, qui s’adressait à une assemblée de correcteurs :
Ambroise Firmin-Didot en 1860.
« Félicitez-vous, Messieurs, de ce que, dans ces transformations inouïes8, un correcteur mécanique ne puisse être jamais inventé. « Mais quand tout change ainsi dans l’imprimerie, la correction, cette partie intellectuelle, a gardé son importance, tout en se pliant aux exigences de cette célérité toujours croissante. » — Discours d’Ambroise Firmin-Didot à la Société des correcteurs, 1866.
Firmin-Didot, non plus, ne pouvait pas imaginer le traitement automatique de l’information (ou informatique), les logiciels de correction, et maintenant les machines intelligentes — mais qui ne savent toujours pas lire, M. « Bert. ».
Cette « partie intellectuelle » du métier reste aussi importante qu’elle l’a toujours été, mais résistera-t-elle à la quête infinie du profit ?
Monté à Paris, un jeune auteur, sans le sou, désespère de trouver du travail. Jusqu’au jour où il est reçu par « le rédacteur en chef de Marie-Marie, le grand hebdomadaire féminin », qui le recommande à un certain Marcel, « directeur littéraire des Éditions Bâché-Fourasson ». En même temps que la nature du travail qu’on attend de lui, il découvre le bureau où il devra s’installer.
« — Louis a eu une bonne idée de vous envoyer. Mais que savez-vous faire ? — J’ai écrit quelques nouvelles, répondit Sébastien. Lapostat leva la main, d’un air blasé : — Normal, à vingt ans, plus une tragédie en vers, plus un traité de philosophie. Et on lit l’Express pour achever d’avoir l’air d’un monsieur très intelligent. Donc, vous ne savez rien faire ? Excellent ! Il vaut mieux apprendre à un pékin à monter à cheval, qu’à le lui désapprendre pour le lui réapprendre. Vous voyez ce que je veux dire ? — Oui, monsieur ! — J’espère que vous n’avez pas de diplômes ? — Je suis licencié ès lettres. — Tâchez de l’oublier. Savez-vous taper à la machine ? — Oui, avec trois doigts, monsieur ! — Que ne le disiez-vous tout de suite ? Deux doigts de plus que nos meilleurs écrivains ! Quand voulez-vous commencer ? — Commencer quoi ? — Louis ne vous a pas dit que je cherchais un correcteur-metteur au point ? — C’est que je ne sais pas exactement en quoi consiste le travail.
« Lapostat tira une grosse bouffée du cigare suisse à trois sous — trois sous suisses, s’entend — qu’il fumait et essaya d’envoyer des ronds vers le plafond. Sans succès. — Voilà ! La maison édite de nombreux récits d’explorateurs que rien ne prédisposait à la littérature. Vous savez, ces types qui louent la salle Pleyel avant de partir imberbes, et qui reviennent y faire des conférences une fois que leur barbe leur a bouffé la figure. Ces gars-là sont bien gentils, et ils écrivent avec leur machette ou avec celle de leur nègre. C’est du pathos amazonien, en général. Remarquez que quelques-uns écrivent fort bien, mais ne confondons pas : ceux-là, ce sont des écrivains qui explorent. Pas la même chose.
« Lapostat cracha des bribes de tabac dans un coin et désigna des rangées de titres sur des étagères : — Nous, notre métier, c’est de vendre leur camelote. Donc, il faut que je revoie tous leurs ours9 avant parution. Je n’y suffis pas. Il me faut quelqu’un qui m’aide, un correcteur, un metteur au point… C’est le mot : metteur au point. Vous allez être le metteur au point. « Il proposa à Sébastien un salaire d’essai, qui lui permettrait de ne pas crever de faim, et de commencer de suite son travail. — Vous avez le pied dans la maison… Pour quelqu’un qui veut devenir auteur, vous commencez bien. Simonin, lui, a débuté par le taxi.
« Il appela la standardiste, qui faisait également fonction d’huissière, et lui ordonna d’installer Sébastien dans ses nouvelles fonctions. La fille l’enferma dans une sorte de réduit sans fenêtre, éclairé au néon en plein jour, qui sentait vaguement le camphre. — C’est le bureau des correcteurs, dit-elle d’un ton extrêmement fatigué. — Nous sommes plusieurs ? demanda le jeune homme en calculant l’exiguïté du réduit. — Non, on n’en a qu’un à la fois ; mais il en passe tellement… « Sur ce bon mot, sans un sourire, sans qu’une lueur d’intérêt se fût allumée dans ses yeux, elle referma la porte. […]
« Sébastien, à l’idée de travailler chaque jour huit heures dans son placard, fut tenté de se jeter par la fenêtre. Sans doute ses employeurs y avaient-ils pensé, puisqu’il n’y en avait pas. Il alla jusqu’à la porte, en fit jouer le bouton. On ne l’avait pas verrouillée. Si un incendie se déclarait, du moins pourrait-il se sauver. L’envie de crier « Au feu », de franchir précipitamment le vestibule et de plonger dans le sein de la rue accueillante, l’effleura.
« Sur une table de bois blanc qui, avec une chaise à cannage, constituait tout le luxe du bureau, il lut : « À rewriter ». Un premier manuscrit l’attendait : Avec les cygnes noirs du Bengale. La curiosité l’emporta sur les désirs de fuite. « Il s’assit. »
Manuel de Cuebbas, Des blondes à pleins paniers, « Série blonde », Éditions de Paris, 1957, p. 42-45.
Le monsieur n’était sans doute pas commode. « Socialiste utopique et disciple de Fourier, [Alphonse Toussenel (1803-1885)] était aussi anglophobe et antisémite. […] Ses études d’histoire naturelle […] lui servaient parfois à exprimer ses pensées philosophiques10. » Son œuvre principale est L’Esprit des bêtes. Vénerie française et zoologie passionnelle11. Dans un Avertissement à la première édition (Librairie sociétaire, 1847), ses éditeurs prennent leurs distances avec ses propos : « […] nous n’endossons point la responsabilité de certaines doctrines dans lesquelles il semble se complaire, notamment ses théories au sujet du capital, et ses sentiments à l’égard du Juif et de l’Anglais. » Suit une page d’errata, volontairement placée en tête d’ouvrage, où Toussenel s’en prend au correcteur. J’avoue que l’éloquence de l’auteur m’a assez amusé.
ERRATA
« La plupart des écrivains ont encore la singulière habitude de placer à la fin de leurs volumes une page de rectifications qu’ils intitulent errata, et dans laquelle ils se complaisent à entasser tous les crimes de la typographie. Cette disposition m’a toujours paru peu logique, parce qu’il est peu logique d’attendre que les gens se soient cogné le nez pour leur crier : casse[-]cou ! Jugeant donc que le meilleur moyen d’empêcher le lecteur de tomber dans un piège était de lui signaler le péril à l’avance, j’ai rompu avec l’usage, et j’ai placé cette page des crève[-]cœurs, cette page des rectifications en tête de l’ouvrage, pour que chacun fût tenu de la lire.
« Un philosophe immense, Gavarni, a écrit : « Chacun sa misère ! Le lièvre a le taf12, le chien les puces, le loup la faim ; l’homme a la soif… et la femme a… l’ivrogne ! »
La Femme et l’Ivrogne, gravure de Gavarni, vers 1845 (colorisation postérieure ?).
« L’Auteur a le Correcteur, dont l’analogie est à faire. Le pire de tous les correcteurs est le correcteur trop savant, l’amant jaloux de la grammaire, l’ennemi de la fantaisie et de la couleur locale. C’est à lui que j’en ai13. C’est contre sa tyrannie que je proteste par les lignes ci-après.
« J’avais écrit, page 32 de l’Introduction : toutes les sciences sontla même, ce qui n’est peut-être pas français, mais ce qui a un sens clair ; le correcteur a imprimé : toutes les sciences sontles mêmes ; ce qui est peut-être français, mais ce qui n’a aucun sens. Le lecteur est prié de lire : sont la même.
« J’avais écrit, page 180, que le domaine du cheval s’étendait des portes de la Chine aux rives du Danube. Le tyran, porté à suspecter d’exagération toute assertion de chasseur, a substitué de son autorité privée les portes de l’Asie, qui commencent tout près de la fin du Danube, à celles de la Chine ; ce qui pourrait bien diminuer de quelque million de lieues carrées l’empire du cheval. Dans l’intérêt du noble quadrupède, je ne saurais accepter une pareille réduction.
« J’avais dit, article rat, page 244, que le perroquet nocturne et le diablotin de la Guadeloupe habitaient des terriers comme le tadorne (canard des Alpes). On a imprimé : des terrains, ce qui ne signifie rien du tout ; ce qui est une erreur d’autant plus déplorable, que la circonstance de la demeure souterraine était indispensable ici pour expliquer la destruction des deux espèces par le rat.
« Si la fantaisie me prend de poster mes chasseurs au crochet14 comme dans l’histoire du professeur de mathématiques à lunettes, le correcteur me fait dire : porté au crochet.
« C’est lui aussi et non pas moi qui attribue à l’ours la passion des olives ; j’avais dit des alises, ce qui est tout différent. Suum cuique15.
« Par exemple, c’est bien moi et non pas lui qui ai prêté aux abeilles cette répartition éminemment vicieuse (grammaticalement parlant) : à chacun suivant leurs besoins. lci le correcteur est innocent, ou du moins il n’a commis d’autre crime que de n’avoir pas corrigé.
« C’est encore moi, moi tout seul qui me suis avisé de raccourcir de cent ans l’âge des jeunes vierges de Jupiter, pour avoir confondu avec une légèreté sans excuse l’année de cette planète avec celle de Mars. Que le mépris de l’astronomie ne retombe que sur moi !
« Je connais un cabiai de la taille d’un énorme porc-épic et qui n’a que fort peu de rapports avec le cochon d’Inde des collèges. Si j’ai bien voulu accepter la dénomination de cabiai pour ce dernier quadrupède, c’est par pure complaisance ; qu’on ne le trouve pas mauvais.
« Ces crimes-là sont les erreurs capitales de ce volume, avec quelques omissions de particule et quelques confusions de genre, quos [sic, quas16]… incuria fudit17, comme dit Horace, et sur lesquelles il serait véritablement puéril de s’arrêter. Que le lecteur nous pardonne donc nos offenses, ainsi que nous les pardonnons au correcteur qui nous a offensé. […] »
J’avais déjà publié un texte du xviie siècle disant que « la plûpart des Correcteurs d’Imprimerie ne sont pas de fort habiles gens, parce que ce métier si necessaire & si utile, n’a rien qui attire les personnes d’esprit ». Toussenel en a, lui, après les correcteurs trop savants.
Tout correcteur expérimenté a sans doute en réserve le récit d’un jour où il s’est montré trop hardi, trop sûr de lui, ce qui lui a valu de commettre une erreur… qu’on n’a pas manqué de lui faire remarquer, vu qu’il a pour fonction de corriger les erreurs des autres. En voici une, racontée du point de vue de l’auteur.
« Les articles que j’ai écrits sur lui et sur son œuvre [Paul Corteville, qui a créé une école de dressage de chiens guides d’aveugles], grâce au tirage important du journal (quatre millions de lecteurs), l’ont rendu célèbre du jour au lendemain : il est passé plusieurs fois sur le petit écran ; il a reçu des distinctions honorifiques ; les partis politiques ont sollicité son adhésion et dans les rues de sa petite ville du Nord : Wasquehal, il est désormais : “l’homme-des-chiens-qui-passe-dans-le-journal”.
« Tout cela n’a modifié en rien son comportement. Je suis bien placé pour dire que c’est tout à fait exceptionnel. « Exceptionnel comme le titre de mon premier “papier”, comme l’on dit dans le métier. « C’était le suivant : “Cet homme fait cent vingt mille kilomètres à pied en vingt ans pour dresser des chiens d’aveugles.”
« Cent vingt mille kilomètres, trois fois le tour de la terre ! Cela a semblé absurde au correcteur du journal lui-même qui a rectifié d’office et ramené le chiffre à douze mille kilomètres, ce qui était beaucoup plus vraisemblable.
« Par chance, ce soir-là, je passais au “marbre” et faisais rétablir le chiffre initial : le calcul était exact, je l’avais refait plusieurs fois pour bien m’en convaincre.
« Pour dresser un chien, il faut marcher cinq heures et parcourir vingt à vingt[-]cinq kilomètres chaque jour, pendant trois ou quatre mois. Cela fait deux mille kilomètres par chien. M. Corteville en a dressé 60. Il suffit de faire la multiplication : les cent vingt mille kilomètres sont là.
« Le plus extraordinaire est que M. Corteville lui-même en fut surpris, encore qu’il n’y attachât pas une telle importance : “À la longue, dit[-]il, ça finit par faire beaucoup.” »
Albert Plécy, Les Chiens du bon monsieur Corteville, La Table ronde, 1973.
École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, Paris 4e. Carte postale, s.d.
À la suite de mes recherches sur les premières correctrices apparaissant dans les annonces d’emploi (1884-1941), je découvre l’existence d’une école primaire supérieure de jeunes filles, dont certaines élèves pourraient devenir correctrices18. Trois extraits de journaux permettent d’en brosser un tableau assez précis. Cet établissement est aujourd’hui le lycée Sophie-Germain, nom de baptême que l’école a reçu dès 1888.
Plaque de l’école.
« L’école primaire supérieure de jeunes filles de la rue de Jouy [Paris 4e] mérite une mention spéciale. Fondée il y a dix-huit mois [en 1882], dirigée par une femme de grand talent, Mme Blanche Chegaray, cette école rend des services inappréciables, et bientôt, du reste, la Ville en ouvrira une deuxième, exactement semblable, rue des Martyrs.
« Les jeunes filles y sont admises seulement au concours, et lorsqu’elles sortent de l’établissement, après avoir satisfait aux examens — examens des plus sérieux, — elles sont aptes à entrer dans les postes et télégraphes. à être correctrices d’imprimerie, premières dans des maisons de couture, etc. Indépendamment de cela, elles sont dressées aux soins du ménage, et le blanchissage des dentelles, la confection du linge et des vêtements, la cuisine leur sont enseignés par d’habiles professeurs. En un mot, à l’école de la rue de Jouy, les jeunes filles reçoivent une instruction solide et on leur apprend aussi à être de vrai[e]s femmes. […] » — Gil Blas, 4 août 1884
Conditions d’admission et personnel enseignant
« La durée des études est fixée à quatre années : trois années d’études normales et une année d’études complémentaires.
« L’école est gratuite ; elle ne reçoit que des élèves externes.
« Les élèves sont admises à la suite d’un concours. Les jeunes filles qui doivent atteindre l’âge de douze ans révolus au 1er octobre, et qui n’ont pas dépassé à la même date l’âge de quatorze ans, sont seules admises à participer à ce concours.
« Pour le premier concours, devant avoir lieu au moment de l’ouverture de l’école, les jeunes filles devront avoir atteint l’âge de douze ans révolus au 1er janvier 1882. […]
« Le personnel de l’école est ainsi composé : « Une surveillante générale faisant fonctions d’économe, au traitement de 3,400 à 5,000 francs. « Des maîtresses adjointes, chargées de la surveillance des études, des fonctions de répétitrices et pouvant être appelées en outre à faire certains cours, au traitement, de 2,400 à 3,600 fr. « Des professeurs, hommes ou femmes, pour l’enseignement du français et de la lecture, des langues vivantes (anglais et allemand), de l’écriture, de l’arithmétique, de la tenue des livres, de l’histoire et de la géographie, des sciences physiques et naturelles, de la géométrie pratique et du dessin linéaire, de la coupe et de la couture, de la gymnastique, du chant, et en deuxième et troisième année seulement, de la morale, de notions d’économie politique, de législation et d’économie domestique. » — L’Unité nationale, 28 mars 1882
Épreuves du concours
« Le concours comprend des épreuves écrites et des épreuves orales : « 1o Epreuves écrites : Orthographe et écriture. — Arithmétique et applications pratiques de la géométrie. — Dessin linéaire. — Dessin d’ornement. — (La dictée d’orthographe sert d’épreuve d’écriture) ; « 2o Epreuves orales : Histoire de France. — Géographie. — Arithmétique. — Instruction morale et civique.
« Les épreuves écrites sont éliminatoires.
« Nota. — Le conseil municipal de Paris a décidé, en principe, la création, dans chacune des écoles primaires supérieures, d’un certain nombre de bourses d’entretien destinées à venir en aide aux familles qui n’auraient pas les ressources nécessaires pour entretenir leurs enfants pendant la durée des études d’enseignement primaire supérieur. » — La Réforme, 9 octobre 1882
École primaire supérieure de jeunes filles Sophie-Germain, grand amphithéâtre. Carte postale, s.d.
Après avoir épluché les annonces d’emploi, j’ai eu l’idée de faire de même pour les annonces de mariage et de décès. J’y ai ajouté les éventuelles distinctions hors médaille du travail.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Correctrice de langues étrangères dés. mar. riche pas banal. S’abst. d’écr. si pas riche. Bouleau, Bill. Tuberculeux, 0.914.561. Bur. 84. (La Lanterne, 11 février 1904)
1907 — Par décret du ministre de l’instruction publique, en date du 23 novembre, Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie, à Tours, a été nommée officier d’académie [il s’agit des Palmes académiques19]. C’est avec plaisir que nous enregistrons cette nomination, pleinement justifiée par les services rendus. Nous adressons à notre aimable collaboratrice nos bien cordiales félicitations. (L’Union libérale, 26 décembre)
Le Journal officiel publie les nominations suivantes : […] Au grade d’officier d’académie : Mlle Ther, Julie, correctrice d’imprimerie à Tours. (L’Union libérale, 30 décembre)
1908 — Eugène-Auguste-Jules Cornilleau, clerc d’avoué, rue Saint-Vincent, et Blanche-Victorine Terrier, correctrice d’imprimerie, rue Saint-Vincent. (L’Ouest-Éclair (Rennes), 6 août (promesse), L’Avenir de la Mayenne, 9 août (promesse) et 23 août ; La Gazette de Château-Gontier, 27 août)
1908 — Georges-Jean-Alexandre Cornemillot, agent de détaxe, et Marie-Louis Bonnardot, correctrice au Bien Public. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 27 août)
1908 — Isidore-Eugène Denancé, employé de bureau, à Meudon (Seine-et-Oise), et Anaïs-Augustine-Joséphine Dubois, correctrice typographe, rue des Lavanderies. (L’Avenir de la Mayenne, 11 octobre)
1917 — Décès — Marie Françoise Masserot, célibataire, 30 ans, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine. (L’Écho de la Mayenne, 8 avril, et La Mayenne, 11 avril)
1924 — Gaston Eiehacker, rentier, rue de la Gare, et Valentine Gourrault, correctrice d’imprimerie, rue de la Gare. (La Mayenne, 4 mai)
1925 — Gustave-Georges Vasseur [ou Vaseux, selon les annonces], maréchal des logis au 4e escadron du train (T.E.M.) au Mans, et Marie-Louise-Jeanny Bathilde Morin, correctrice d’imprimerie, rue de la Madeleine (à Laval). (La Mayenne, 16 et 20 septembre, 4 octobre ; L’Avenir de la Mayenne, 20 septembre)
1926 — Georges-Victor-Marie Mercier, chauffeur d’autos, rue Ambroise-Gestière, et Suzanne-Mathilde-Victorine Foucoin, correctrice d’imprimerie, rue Ambroise-Gestière. (La Mayenne, 23 mai (bans), La Mayenne, 15 juin, et L’Avenir de la Mayenne, 20 juin)
1928 — Georges Terrier, graveur-typographe, à Nantes, et Denise-Solange Jean, correctrice d’imprimerie, rue Basse-des-Bouchers, 16. (La Mayenne, 18 et 22 juillet)
1930 — Robert-François Hamon, ajusteur, 31, boulevard de Tours, et Jeanne Ozouf, correctrice d’imprimerie, 26 [parfois 21], rue de Chapelle. (La Mayenne, 10 août (promesse), et L’Avenir de la Mayenne, 3 et 7 septembre)
1930 — Cormerais Armand, artiste lyrique, rue Banasterie, 10 et Guirand Marie, correctrice d’imprimerie, rue Banasterie, 10. (Le Radical de Vaucluse, 29 octobre)
1932 — Henri Surnom, boulanger à Issoudun, et Germaine-Elisabeth Aubrun, correctrice monotypiste à Saint-Amand-Montrond (Cher). (La Dépêche du Berry, 31 juillet)
1934 — Ourmières, Jean, gendarme à la 17e légion, avec Moine, Jeanne, correctrice d’imprimerie. (L’Auvergnat de Paris, 27 janvier 1934)
1934 — Cochet Daniel-Raoul-Camille, mécanicien, et Venot Gilberte-Jeannine, correctrice, tous deux à Vendôme. (L’Écho du Centre, 23 mars)
1937 — Emile Goussin, clerc d’avoué, rue Duguesclin, et Jeanne Allain, correctrice d’imprimerie, rue Paul-Lintier. (La Mayenne, 26 janvier)
1938 — Fernand Genest, commis du trésor, à Flers, et Marthe Durckel, correctrice d’imprimerie, place Gambetta. (La Mayenne, 17 avril)
1941 — Décès de Germaine Sillon, épouse Humberjean, correctrice d’imprimerie, 60 ans, 9, rue des Vergelesses, domiciliée 21, rue Félix-Trutat. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 16 juillet)
« À l’époque il n’y avait pas beaucoup de femmes dans les imprimeries », a déclaré la correctrice Annick Béjean, entrée dans la presse parisienne en 1979 (☞ lire son témoignage). Comment retrouver les traces de ces exceptions ? Comment saisir l’existence des premières femmes embauchées comme correctrices professionnelles, avant que la société en général et le monde typographique en particulier les accueillent plus volontiers ?
Grâce à RetroNews, le site de presse de la BnF, j’ai pu interroger 2 000 journaux français de 1631 à 1950. J’ai sondé, avec un heureux succès, les annonces d’emploi (offres et demandes). J’ai exhumé quelques lauréates de la médaille du travail. Les correctrices au travail apparaissent aussi dans quelques extraits de procès et à travers des personnages de feuilleton. Peu à peu, ces femmes reviennent à la lumière.
NB — Ce sont des données volontairement brutes, non corrigées. Je ne les ai pas alourdies de guillemets inutiles : tout ce qui suit est tiré des journaux consultés.
Au bas de la page, j’ai ajouté mes premiers commentaires.
Annonces d’emploi, articles judiciaires et feuilletons
1884 — AGENCE Saint-Julien, maison fondée en 1859 : ventes et achats de fonds de commerce, recouvrements de créances, etc. 9, place d’Aquitaine. Mme Lataste, directrice et correctrice du journal la Liberté, de Paris. (La Petite Gironde, 3 juillet)
1886 — Une dame désire entrer dans une imprimerie en qualité de correctrice. Ecr., L. P., poste restante, 50, rue Bonaparte. (Le Mot d’ordre, 15 octobre)
1887 — On demande une correctrice d’épreuves d’imprimerie. S’ad. Mme Jaudoin, 65, bd Arago. (Le Mot d’ordre et L’Écho de Paris, 17 avril)
1888 — Me MORILLOT, défenseur de Robert. — Ni l’espoir du gain, car, outre son traitement, sa femme apporte encore au ménage 3,500 francs, qu’elle gagne comme correctrice d’imprimerie. (Pierre-Émile Robert, ex-agent de la police de sûreté, jugé pour usurpation de fonctions, arrestation illégale et violation de domicile, tribunal correctionnelle de la Seine, 8e chambre, présidence de M. Gillet, audience du 6 décembre 1888, Le Droit, 7 décembre)
Annonce de l’Imprimerie picarde, 1889
1889 — ON DEMANDE / Des Apprenties / COMPOSITRICES / de 13 à 18 ans / Travail agréable et lucratif / ATELIER PARTICULIER / On gagne de suite / (Il n’est pas exigé de contrat) / ET POUR / CORRECTRICE / une jeune fille ayant le brevet élémentaire. / A l’Imprimerie Picarde / 71, Rue du Lycée, 71, Amiens (Le Progrès de la Somme, 13 janvier)
1889 — Dame veuve diplômée demande emploi de correctrice dans une imprimerie. C. R., 10, avenue de Tourelle, St-Mandé. (Le Radical, 20 avril)
1893 — Attendu qu’en fait, il est reconnu que l’appelant a, le 25 décembre 1893, jour de fête légale et à l’heure énoncée par le procès-verbal, employé treize filles majeures comme compositrices et une fille majeure comme correctrice dans l’atelier de son imprimerie ; […] Attendu que le travail de la correctrice consiste surtout à vérifier l’identité du manuscrit avec l’imprimé[,] à rectifier les erreurs matérielles telles que le renversement des lettres, que c’est exceptionnellement qu’elle accomplit une œuvre purement intellectuelle pour résoudre des difficultés qui se présentent sur l’orthographe, la ponctuation, les dates ; que le caractère industriel prédomine dans la tâche confiée à l’ouvrière chargée de la correction des compositions typographiques ; […] En conséquence le condamne : 1o à quatorze amendes de 1 franc chacune pour avoir fait travailler quatorze filles majeures après neuf heures du soir ; 2o à quatorze amendes de 1 franc pour avoir fait travailler ces mêmes filles majeures un jour de fête légale reconnue par la loi, soit en tout vingt-huit amendes de 1 franc chacune et aux dépens liquidés à 15 fr. 45, outre le coût du présent jugement ; fixe au minimum de la loi la durée de la contrainte par corps. (Police correctionnelle, tribunal de Saint-Etienne, présidence de M. Gast, audience du 28 avril 1894, La Loi, 12 août 1894)
1895 — Correctrice connaiss. bien la lect. et le tierçage est demandée p. gde impr., pl. stable Journal A.B.17. (Le Journal, 9 février)
1895 — ON DEMANDE / UNE / CORRECTRICE / A l’imprimerie WATON, / à Bellevue. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 19 juillet)
Annonce de l’Imprimerie Waton, 1897
1897 — BONNE CORRECTRICE / est demandée / à l’Imprimerie WATON (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 29 et 30 septembre, 20 octobre)
1898 — On demande bonne correctrice typographe, emploi sérieux et rémunérateur. Références exigées. — G. M. H., Journal. (Le Journal, 12 février)
1899 — P.-S. — J’écrivais, il y a huit jours, dans mon Supplément : « Il fallut toute la courtoisie de mon interlocuteur (il s’agissait d’une conversation, en wagon, avec un officier) et tout mon désir de ne pas froisser un homme convaincu, pour, etc., etc. On a imprimé : « et tout mon désir de ne pas favoriser ; je prie ceux de mes lecteurs qui ont ouvert de grands yeux, de rétablir le texte, et je conjure la correctrice d’avoir pitié d’une malheureuse chemineaude qui ne peut corriger ses épreuves. (La Fronde, 17 juin)
1903 — CORRECTRICE imprimerie, b. réf., d. pl. M.D.P., post. rest., r. Pierre-Guérin (16e) (Le Matin, 19 et 23 février)
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT et Cie / JEUNE FILLE, instruite et sérieuse, est demandée pour apprendre le métier de correctrice. (L’Union libérale, 23 avril)
Annonce de l’Imprimerie Arrault et Cie, 1904.
1904 — IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie / ON DEMANDE / UNE CORRECTRICE (L’Union libérale, 29 octobre).
1908 — ON DEMANDE un correcteur ou une correctrice à l’Imprimerie E. Arrault et Cie. (L’Union libérale, 29 et 30 octobre)
1909 — Médailles d’honneur du travail20 (argent, vingt ans). — Mlles Ther Rosalie, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault, à Tours ; Ther Joséphine, correctrice d’imprimerie dans la maison Arrault à Tours ; […] (L’Union libérale, 16 août)
1910 — DEMOISELLE TRÈS SÉRIEUSE, diplômée enseignement, désire emploi comme correctrice d’imprimerie. Ferait recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections. Pourrait aussi s’occuper de contentieux. — S’adresser à Mme Barin à l’Action. (L’Action, 4 août)
1910 — ANCIENNE correctrice d’anglais et d’espagnol dans une grande imprimerie parisienne, connaissant en outre la sténographie et la machine à écrire, et ayant été employée à l’expédition d’un journal, demande situation à Paris ou en province ; se contenterait de conditions modestes. Ecrire aux bureaux du journal. (L’Univers, nombreux passages de décembre 1910 à juillet 1911)
1911 — J.f. 23 a., correctrice, dem. pl. ch. imp. ou édit. b. réf. parle angl. Zabaska, 64 r. du Rocher (Le Journal, 13 mai)
1911 — [Béthel] Le président passe enfin au dernier fait qui est reproché au jeune typographe : le détournement de la mineure Suzanne Pinteau [15 ans]. — Je ne l’ai pas enlevée, au sens propre du mot, répond Chagnoux. Son père s’était remarié. Elle vivait chez sa belle-mère et travaillait comme correctrice à l’imprimerie Cerf où j’étais employé. Je lui avais conseillé de rester dans sa famille jusqu’au jour où je l’épouserai. Elle m’a suivi volontairement. (L’Indépendant rémois, 30 août)
1912 — Demoiselle, 35 ans, correctrice plusieurs années même imprimerie, cherche situation similaire : secrétaire, dame de compagnie. S’adresser au bureau du journal. (La Mode illustrée, 7 avril)
1912 — Bne correctrice [?]em. empl. dans imprimerie. Sér. réf. Devalière, 5, r. Edgar-Quinet, Montrouge. (Le Journal, 28 août)
1912 — Jeune fille, 22 ans, ayant été correctrice d’imprimerie, cherche place analogue, comptabilité ou écritures. (La Mayenne, 22 et 29 décembre 1912 ; 5 janvier 1913)
1914 — J’ai un mot pour une imprimerie où je puis faire un remplacement, comme correctrice ; c’est la vie assurée pour quelque temps, et quelle vie ! Cette perspective ne m’a pourtant pas désarçonnée. Je demeure le pied à l’étrier, mais pour l’avoir senti glisser — oh ! un rien — j’ai perdu un peu de ma belle confiance. Bah ! l’espoir renaîtra, à la première éclaircie. Il faut laisser se dissiper ce léger nuage. (feuilleton « Le Retour des choses », Henriette Devers, dans L’Homme libre, 11 juillet)
1914 — Jne fem. dirigeant imprimerie belge dut quitter suite occup. all. dem. place correctrice, emploi simil. ou vend. R.L., 8, Théophile-Gautier. (Le Journal, 17 octobre)
1915 — J. FILLE instr., sténodactylo, correctrice journal, cherche emploi. Donne leçons st.-dactylo. Prix modérés. (Le Phare de la Loire, 15 octobre)
1919 — ON DEMANDE bons typos, metteur en page, correcteur ou correctrice connaissant si possible l’anglais et l’italien, imprimerie Ged, 4, rue Paradis. (Le Petit Provençal, 25 avril)
1921 — Imprimerie Lang, 75, rue Championnet, Paris, demande correctrice. Offres et référ. par écrit. (Le Journal, 11 mars)
1921 — ON DEMANDE Correcteur ou correctrice, blessé ou veuve de guerre, connaissant parfaitement le français, pour service de cinq à six heures par jour. — S’adresser au bureau du journal. (Le Nord maritime, 17 octobre)
1922 — On demande bon correcteur ou correctrice pour imprimerie Paris. Ecrire avec référ. et prétentions à Fanon, 3, rue d’Orainville, Athis-Mons (S.-et-Oise). (L’Intransigeant, 28 septembre)
1922 — On demande bonne correctrice d’épreuves. S’adr. av. références, de 9 à 10 h., Imprimerie, 20, r. Turgot (9e (L’Intransigeant, 9 octobre)
1923 — Médaille du travail (argent) — Mlle Seguin Marie-Catherine-Alphonsine, ouvrière correctrice dans la maison Paul Féron-Vrau, imprimeur de la « Bonne Presse », à Aiguiperse. (Courrier du Puy-de-Dôme, 8 avril)
1923 — Procès du renvoi injustifié de Rirette Maitrejean, correctrice d’imprimerie (article à venir).
1925 — Jeune fille, au courant rech. bibliogr., bonne correctrice épreuves, cherche emploi secrétaire dactylo. Connaît le russe. Mlle Cheinisse, 19, avenue d’Orléans, à Paris. (La Journée industrielle, 11 décembre)
1928 — CORRECTRICE épreuves imprimerie. Se prés. 4 à 6 h. Imp. Universelle, 48, r. Claude-Vellefaux. (L’Intransigeant, 10 janvier)
1929 — CORRECTEUR / ou CORRECTRICE / demandé par l’Imprimerie Darantière, rue Paul-Cabet, 13, Dijon (Le Progrès de la Côte-d’Or, 25 et 28 avril)
1929 — URGENT / Correcteur ou Correctrice, / connaissances générales et anglais, / Dactylographe habile, / pour être utilisée au clavier de machine à composer, demandés à l’Imprimerie Darantière, 13, rue Paul-Cabet, Dijon. (Le Progrès de la Côte-d’Or, 28 juillet)
1930 — Médaille du travail (vermeil, trente ans) — Mlle Groslier, correctrice à l’Imprimerie Clerc, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 1er août)
1932 — On demande jeune femme 20-25 ans, possédant brevet élémentaire pour emploi aide-correctrice. Ecrire avant se présenter / à l’Imprimerie DRAEGER, / 46, rue de Bagneux, Montrouge. (Le Journal, 28 mai)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mme Augonnet, née Vanier Marie-Alice-Antoinette, ex-correctrice à l’imprimerie Bussière, à Saint-Amand. (La Dépêche du Berry, 28 juillet)
1932 — Médaille du travail (argent) — Mlle Allimand (Marie-Madeleine-Jeanne), correctrice à la Société anonyme de l’imprimerie Théolier, à St-Etienne. (Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 31 juillet)
1932 — Da. con. l’assurance meill. réf. d. pl. jour ou 1/2 ch. courtier, ou correctrice p. éd. art. g.d.l. Ecr. P.R. N° 8277, P.A., 25, rue Royale. (Paris-soir, 20 octobre)
1933 — Dem. place correctrice pr impression franç. ou étrang. Ecr. Irène Pesté, 43, Bd. St-Martin 3e. (Paris-soir, 29 novembre)
1936 — Médaille du travail (argent) — Mlle Charvet (Berthe), correctrice à l’imprimerie de Sceaux, à Sceaux. (Journal officiel de la République française, 16 janvier)
1936 — ON dem. une correctrice et des ouvrières estampeuses de clichés. S’ad. S.I.P., 21, r. Montsouris. (L’Intransigeant, 22 mars)
1938 — Bonne correctrice rapide pour journaux et trav. imprimerie. Place stab. Ecr. réf. prétent. M. Fabre, ab. POP, 121, r. Lafayette. (Paris-soir, 19 octobre)
1938 — Dame typographe et correctrice dem. empl. 2 ou 3 jrs p. semaine. Ecr. No 7765. Paris-soir (Paris-soir, 17 novembre)
1941 — Je terminais à peine ma fastidieuse besogne de correctrice, interrompus [sic] seulement par l’absorption rapide de deux sandwiches, que Mme Jehanne d’Irounac revint de ses agapes littéraires, rouge et congestionnée sous son fard candide. (feuilleton « Le Pirate », Alex Berry, Le Réveil du Nord, 12 avril)
Premiers enseignements de ces données
On peut être embauchée dès 15 ans, avec pour tout bagage le brevet élémentaire (qui deviendra le BEPC en 1947), être employée surtout pour comparer l’épreuve à la copie (être « aide-correctrice » ou « ouvrière correctrice »), comme être diplômée, maîtriser des langues étrangères, et proposer ses services pour des « recherches littéraires ou scientifiques pour ouvrages ou collections ».
En 1904, l’Imprimerie Arrault et Cie, à Tours, cherche exclusivement une correctrice et se déclare prête à la former. Sténodactylo, préposée aux écritures, voire dame de compagnie, sont, pour certaines de ces femmes, des « emplois similaires ».
L’histoire s’invite dans ces situations professionnelles : en 1914, une directrice d’imprimerie a fui l’occupation allemande ; en 1921, on embauche une veuve de guerre…
Les deux demoiselles, Rosalie et Joséphine Ther, à qui on remet en 1909 la médaille d’honneur du Travail ont donc déjà vingt ans de métier, ce qui date leur entrée dans l’imprimerie à 1889.
Enfin, quelles impressions de ce métier les correctrices des feuilletons ont-elles ? « Quelle vie ! » (1914) ou « fastidieuse besogne » (1941).
Portrait de Louis Ganderax, Revue de Paris, 1910.
Le 12 février 1940, dans le quotidien Le Temps, le journaliste et écrivain Émile Henriot rend hommage à son ami Louis Ganderax (1855-1940), ancien directeur de la Revue de Paris et fin correcteur.
Un correcteur
« Un homme vient de mourir, aussi discret qu’il a vécu, qui depuis vingt ans s’était en sage chastement retiré du monde, et dont, par le fait de la guerre, le départ a passé inaperçu, alors qu’en d’autres temps sa nécrologie aurait fait longuement florès dans les gazettes littéraires. Précisément à cause de la guerre, où toutes les valeurs françaises méritent d’être mises en vedette, il nous faut donner le souvenir de l’amitié à cet être rare, très peu connu du grand public, mais à qui les écrivains durent beaucoup, qui s’appelait Louis Ganderax.
« Quand on aura dit, d’abord, qu’il fut l’exécuteur testamentaire d’Henri Meilhac — le Meilhac de la Vie parisienne et de Froufrou, avec lequel il avait même collaboré et fait représenter Pépa sur la scène du Théâtre-Français, — on aura situé dans le temps ce charmant et solide esprit d’un autre âge. Le situer dans la production littéraire de cet âge sera un peu plus difficile, car, bien qu’il ait assez écrit, Ganderax ne faisait guère figure de producteur. D’anciens lecteurs de la Revue des Deux Mondes se souviennent peut-être encore qu’il y tint, une dizaine d’années, la rubrique de la critique dramatique avec autant de goût que d’autorité, et qu’il l’abandonna un jour (en 1888, soyons précis) pour une raison qui paraîtra aujourd’hui extraordinaire. C’est qu’à cette date Ganderax, ayant écrit une ou deux pièces de théâtre, se fit un cas de conscience d’être à la fois auteur et critique, et décida que le fait d’être lui-même appelé à être jugé lui ôtait toute qualité pour juger autrui. On avait de ces scrupules autrefois. Celui-ci suffira pour faire apprécier le galant homme.
« Il aimait les lettres à la passion ; il les servit à sa manière… »
« Son mérite est autre, pourtant. Louis Ganderax était devenu, dans les années 90, directeur de la Revue de Paris. Il n’y écrivit point, que je sache, pas plus que Buloz et Vallette, ces deux autres grands directeurs de revue, n’écrivirent dans leur Revue des Deux Mondes ou dans leur Mercure. Le rôle de directeur d’un important périodique littéraire est ailleurs que dans la production littéraire personnelle. Il consiste à chercher les talents pour les imposer au public, à les exciter, à les conseiller. Et dans ce rôle Louis Ganderax fut incomparable. Il aimait les lettres à la passion ; il les servit à sa manière, et ce qu’il accomplit, dans ses quinze ou vingt ans de direction, à la Revue de Paris, dont il fit la maison de France, de Loti, de Lemaître, de Barrès, d’Abel Hermant, d’Henri de Régnier, de Boylesve, de d’Annunzio, de Gérard d’Houville et de la comtesse de Noailles, sans compter de plus jeunes débutants, porte témoignage de son discernement et de son goût. Mais ce goût ne l’incitait pas seulement à choisir ; il sut en outre le mettre au service de ceux mêmes qu’il avait choisis ; et les plus illustres, et les plus accomplis même dans leur art, il fut pour eux, dans la coulisse, le collaborateur le plus actif, le plus désintéressé, le plus vigilant, en s’instituant leur correcteur. Car aucun de ceux qu’il avait acceptés dans son équipe ne recevait jamais la moindre épreuve d’imprimerie de la Revue, qu’il s’agît d’un roman, d’un conte, d’un article, qui ne fût, dès le premier état (on appelle cela un placard), criblée, constellée, zébrée, rayée en tous sens de soulignures, de points d’interrogation, de renvois et de corrections proposées, toutes fondées sur l’euphonie, la propriété des termes, la justesse du sens, la grammaire, l’horreur des répétitions de mots et de la fréquence des tours, et autres malfaçons d’écriture, qui échappent parfois au plus judicieux écrivain et au plus raffiné styliste…
« Il portait au génie le don qu’il avait de la correction »
« Ganderax était né correcteur. Il y aurait, pour un bibliophile lettré, une jolie collection à former, des épreuves si voluptueusement corrigées de sa main, parfaites leçons de bien dire. Il portait au génie le don qu’il avait de la correction et l’art d’apercevoir, à quatre pages d’intervalle, une consonance douteuse, une redondance, un doublement d’effet, une identité de timbre ou de couleur. Jusque dans l’intérieur d’un mot ou d’un composé, son œil et son oreille sourcilleuse (eût-il admis qu’une oreille pût être sourcilleuse ?) trouvaient un sujet de chagrin ; et je me souviens de la joie lyrique que mettait Mme de Noailles à montrer telle épreuve qu’elle avait reçue du redoutable Ganderax, où il avait souligné plusieurs fois d’une plume indignée ces simples mots Afrique équatoriale dont le « friquequa » lui paraissait intolérable à entendre et seulement à lire. Ganderax aurait, à cet égard, repris le sévère Malherbe lui-même, qui a écrit quelque part « comparable à la flamme », sans s’aviser que « parablalafla » est une horreur pour quiconque a l’oreille délicate et le tympan fin… Il est possible que le scrupuleux Ganderax ait parfois un peu exagéré le sentiment qu’il avait de l’euphonie ; mais si galant homme et si spirituel qu’il était, sans fanatisme d’aucune sorte, il lui suffisait d’avoir signalé à ses auteurs leurs bourdes, pataquès ou cacophonies, et suggéré le synonyme ou l’équivalent ; et il n’obligeait personne à accepter d’autorité les corrections qu’il « proposait ». Il en proposa même un jour, je crois bien, à Anatole France, dont il était l’ami. Et France, qui le tutoyait de longue date, poussa ce jour-là le tutoiement jusqu’à l’énergie militaire, en lui retournant ses épreuves corrigées, avec un deleatur sur les « corrections proposées », accompagnées de cette remarque : « Tu as raison, mais je t’.….. ! » — J’imagine que, pour toute vengeance, Ganderax dut se contenter de mettre un point d’interjection en face de ce verbe incorrect.
Émile Henriot, vers 1930.
« Jeux raffinés, goût délicieux, cas de conscience d’autrefois ! Comme tout cela doit paraître périmé à nos scribouilleurs d’aujourd’hui, qui tiennent l’imparfait du subjonctif pour une pose, et l’accord des temps pour une ridicule convention ! — N’empêche que c’est Louis Ganderax qui avait raison, en mainteneur et juge du meilleur parler de chez nous. Beaucoup de ceux qui ont travaillé avec lui ont gardé un souvenir affectueux et reconnaissant de ses souriantes sévérités. En leur épargnant bien des fautes, il leur a, sinon appris, du moins rappelé ce que c’était que l’art d’écrire : à la fois pour soi-même un choix ; et pour qui vous lit, une politesse.
C’est une friandise que je vous propose aujourd’hui, un entrefilet trouvé dans le Figaro du 22 mars 1878. Vous donnera-t-il un peu de gaieté ? C’est mon but, en tout cas.
Le Figaro, 22 mars 1878.
Introduite en seconde position dans le Dictionnaire de l’Académie en 1798, l’orthographe gaîté est donc admise en 1878, date de l’article du Figaro, mais la première, gaieté, est la seule que l’Académie emploie dans ses définitions depuis 1740 : « Avoir de la gaieté. Perdre toute sa gaieté. Reprendre sa gaieté. Montrer de la gaieté. Témoigner une grande gaieté. Il est d’une gaieté folle. Il a de la gaieté dans l’esprit. »
Ces messieurs les correcteurs suivaient donc la préférence de l’Académie.
Précédemment (1694, 1714), l’Académie écrivait gayeté – prononcé en trois syllabes, comme on le voit dans ces vers :
« Mais je vous avouerai que cette gayeté Surprend au dépourvu toute ma fermeté » — Molière, Don Garcie de Navarre ou le Prince jaloux (1661), V, 6.
Ensuite, elle écrira gaieté seul (1718, 1762), choix auquel elle reviendra en 1935.
L’édition actuelle du Dictionnaire de l’Académie conserve la seule gaieté, mais précise en bas de définition : « On trouve aussi gaîté » et « Peut s’écrire gaité, selon les rectifications orthographiques de 1990 ».
Dans les faits, gaieté reste nettement majoritaire, gaîté ne se rencontre plus que dans des noms propres (théâtre de la Gaîté) ; gaité n’a pas encore pris.
Ajoutons, pour le plaisir, qu’en 1878 les gaietés désignaient aussi « des paroles ou des actions folâtres que disent ou que font les jeunes personnes ».
Je vous souhaite donc, en ce dimanche, d’avoir de la gaieté ou de faire de petites gaietés.
PS – Les correcteurs auront noté, au passage, que la confusion mise à/au jour avait déjà cours.