“Une vie française”, de Jean-Paul Dubois

La phrase que j’ai choi­si de mettre en exergue à mon site, je l’ai extraite du Petit Robert

Entrée "correcteur" du Petit Robert
Extrait de l’en­trée « Cor­rec­teur, trice » du Petit Robert (appli­ca­tion pour iPhone, 2021).

La source de cette cita­tion est un roman de Jean-Paul Dubois, Une vie fran­çaise (éd. de l’Olivier, 2004). La mère du nar­ra­teur, Claire Blick, y est cor­rec­trice de presse. S’il est peu ques­tion du métier dans le roman, la page 23 fait excep­tion. La voici. 

Couverture du roman "Une vie française" de Jean-Paul Dubois

Claire, ma mère, ne par­lait guère de son métier de cor­rec­trice. Elle m’avait som­mai­re­ment expli­qué une fois pour toutes que son tra­vail consis­tait à cor­ri­ger les fautes d’orthographe et de langue com­mises par des jour­na­listes et des auteurs peu regar­dants sur l’usage des sub­jonc­tifs ou les accords des par­ti­cipes pas­sés. On pour­rait croire qu’il s’agit là d’une tâche rela­ti­ve­ment pai­sible, répé­ti­tive, et tout cas peu anxio­gène. C’est exac­te­ment le contraire. Un cor­rec­teur n’est jamais en repos. Sans cesse il réflé­chit, doute, et sur­tout redoute de lais­ser pas­ser la faute, l’erreur, le bar­ba­risme. L’esprit de ma mère n’était jamais en repos tant elle éprou­vait le besoin, à tout heure, de véri­fier dans un mon­ceau de livres trai­tant des par­ti­cu­la­rismes du fran­çais1, le bon usage d’une règle ou le bien-fon­dé de l’une de ses inter­ven­tions. Un cor­rec­teur, disait-elle, est une sorte de filet char­gé de rete­nir les impu­re­tés de la langue. Plus son atten­tion et son exi­gence étaient grandes, plus les mailles se res­ser­raient. Mais Claire Blick ne se satis­fai­sait jamais de ses plus grosses prises. En revanche, elle était obsé­dée par ces fautes minus­cules, ce krill d’incorrections qui, sans cesse, se fau­fi­lait sans ses filets. Il était fré­quent que ma mère se lève de table en plein repas du soir pour aller consul­ter l’un de ses ency­clo­pé­dies ou un ouvrage spé­cia­li­sé, et cela dans l’unique but d’éliminer un doute ou bien d’apaiser une bouf­fée d’angoisse. Ce com­por­te­ment n’était pas spé­ci­fique au carac­tère de ma mère. La plu­part des cor­rec­teurs déve­loppent ce genre d’obsession véri­fi­ca­trice et adoptent des com­por­te­ments com­pul­sifs géné­rés par la nature même de leur tra­vail. La quête per­ma­nente de la per­fec­tion et de la pure­té est la mala­die pro­fes­sion­nelle du réviseur. 

Je me recon­nais assez dans ce por­trait. Et vous ? 

  1. Voir ma Biblio­thèque du cor­rec­teur.