Entré dans la langue française par (via ?) la correspondance d’Hugo, poussé par l’influence de l’anglais, il est partout1 :
Aussi moderne qu’économe, Sophie fait toutes ses emplettes via Internet.
Ce film invite à l’évasion via l’univers musical de Gershwin.
Je vous ferai passer le dossier, via M. Durand.
S’il reste familier pour le TLFI (clos en 1994) ou le Larousse (l’Académie l’ignore tout à fait), le Robert et la Banque de dépannage linguistique (BDL) l’accueillent sans restriction (et même en romain, à la différence de l’Imprimerie nationale et de Lacroux). La BDL déclare : « Via s’emploie aussi au figuré, et ce, depuis le début du siècle dernier. La préposition sert alors à introduire une chose perçue comme un lieu ; Internet n’est qu’un exemple de cette forme d’analogie. […] « Certains dictionnaires apposent la marque “familier” à via au sens de “par l’intermédiaire de”. Or, de l’usage se dégage une perception tout à fait contraire, selon laquelle via s’apparenterait davantage au langage standard qu’à la langue familière. »
Certes, on le trouve déjà chez Paul Morand : « Ces récits mythiques de petites Londoniennes, vendues, violées ou crucifiées, qui venaient jusqu’à nous sous le manteau, du fond du dix-huitième siècle, en passant par Jean Lorrain et par Toulet, via les Goncourt » (Londres, 1933).
Mais sa dissémination pose deux problèmes :
Parfois, le lien entre les deux éléments qu’il unit n’est pas clair.
Comme tout mot à la mode, il en fait disparaître provisoirement beaucoup d’autres. En l’occurrence, par, sur, à travers, au travers de, par l’intermédiaire de, par l’entremise de, au moyen de, en faisant usage de, par le biais de, en utilisant, en employant, etc.
Il existe deux types de dictionnaires recensant les mots d’une langue dans toute leur étendue : les dictionnaires de synonymes et les thésaurus. Les premiers sont classés par mots, les seconds par thèmes – Le Thésaurus. Dictionnaire des analogies, de Larousse, est excellent.
La plupart des dictionnaires de synonymes actuels, aussi bons soient-ils, se « contentent », à chaque entrée, de proposer d’autres mots, sans explication des nuances entre eux. Or :
« Les dictionnaires de synonymes qui donnent des listes de mots ne sont pas inutiles […], ils permettent à la personne qui écrit de choisir celui qui lui semble le meilleur dans une liste qu’elle n’a pas forcément en tête, mais en réalité ils ne rendent service qu’à ceux qui connaissent déjà bien le sens des mots », écrit très justement Jean Pruvost, dans Le Dico des dictionnaires, p. 436.
Trouver le mot juste nécessite donc un dictionnaire de synonymie distinctive.
Les dictionnaires de synonymie distinctive voient le jour en France en 1718 sous la plume de [l’abbé Gabriel] Girard. Cette catégorie de dictionnaire de synonymes est particulière puisqu’elle se base sur le fait que la synonymie parfaite n’existe pas, et qu’il est du devoir du synonymiste d’avertir le lecteur sur les fautes à ne pas commettre lorsque l’on prend deux mots pour synonymes. En effet, d’après les synonymistes, l’emploi inadéquat d’un terme amène à un manque de clarté et de justesse dans la langue. C’est pourquoi Girard intitulera le premier recueil de synonymes français La Justesse de la langue française. Après cet ouvrage, au moins 24 dictionnaires du même genre verront le jour en France jusqu’en 1981 dont 21 aux xviiie et xixe siècles. Cette longue tradition lexicographique a laissé place à la synonymie cumulative, synonymie ne prenant pas en compte la différence de sens existante entre les termes dits synonymes.
Source (PDF) : Alice Ferrara-Léturgie, Étude contrastive de la lexicographie synonymique distinctive en France et en Europe aux xviiie et xixe siècles, Euralax, 2012, p. 502.
Le dernier dictionnaire de synonymie distinctive du xixe siècle, le Dictionnaire des synonymes de la langue française, de Benjamin Lafaye (1858), est disponible sur Gallica (édition de 1884).
L’ouvrage de 1981 auquel il est fait allusion ci-dessus, le Dictionnaire Marabout des synonymes, de Georges Younes, que Jean Pruvost juge « de grande qualité1 », est bien sûr épuisé, mais on le trouve facilement d’occasion. « […] tantôt [il] présente des synonymes clairement distingués, tantôt [il] offre une simple liste de synonymes, mais avec d’excellents renvois », précise Pruvost.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Dans le Dictionnaire de synonymes, nuances et contraires, aux éditions Le Robert, « 500 encadrés mettent en regard près de 1 400 mots qui font souvent l’objet d’amalgame ou de confusion », tel celui-ci :
Mais ces encadrés restent parsemés dans les pages.
Dans les dix mille pages du célèbre Dictionnaire de la langue française (1873-1874) de Littré, on trouve de fréquentes notices où le lexicographe situe le mot par rapport à des cousins aux significations proches. À l’entrée suffisant, par exemple, on trouve la distinction entre suffisant, présomptueux et vain :
En 1994, Duchesne et Leguay, passionnés par Littré, ont réuni environ deux cents de son millier de notices2 et les ont enrichies. La première édition de leur livre s’appelait La Nuance. Dictionnaire des subtilités du français (Larousse, 351 p.).
La dernière, qui s’intitule Surpris ou étonné ? Nuances et subtilités des mots de la langue française, date de 2005, mais elle est aussi épuisée. On peut la trouver d’occasion.
Dernière solution, et non des moindres : le logiciel Antidote – qui annonce « 1 000 000 de synonymes, hyponymes et hyperonymes ». Exemple ci-dessous : les synonymes du verbe nuancer. Quand on clique sur l’un des synonymes, sa définition apparaît dans la colonne de droite. En passant d’une définition à l’autre, on peut se faire une idée précise des différents synonymes et trouver celui qui convient.
Capture d’écran du dictionnaire des synonymes du logiciel Antidote
Enfin, pour une première approche, on peut se tourner vers Trouvez le mot juste d’André Rougerie (Hatier, 1976, réédité plusieurs fois). Cette brochure de travaux pratiques propose de s’exercer à distinguer les synonymes selon leur sens, leur caractère péjoratif, leur degré et leur niveau de langue.