Il est assez cocasse que la certification de compétence en orthographe en vogue ait choisi de se baptiser du nom de Voltaire, car si l’auteur de Candide est reconnu comme l’un de nos meilleurs écrivains, son orthographe n’était pas fameuse — mais cela était alors assez courant1 — et il était, par ailleurs, un piètre correcteur d’épreuves. Cela dit, Molière n’aurait pas été un meilleur choix2.
Une chose qu’on a pu constater [dans ses lettres], c’est une orthographe défectueuse. Mais, en France, à cette date, et lettrés et gens du monde étaient également peu soucieux de cette sorte de correction ; et, bien que l’on parle souvent de « l’orthographe de Voltaire3 », Voltaire n’en avait guère plus que ses contemporains, petits et grands, comme il est facile de s’en assurer par le simple examen de ses lettres autographes4.
En effet, dans un de ses articles, un correcteur de l’Imprimerie nationale en donne un exemple :
Voici un échantillon de l’orthographe de Voltaire dans une de ses lettres : chambelan, nouvau, touttes, nourit, souhaitté, baucoup, ramaux, le fonds de mon cœur, etc., etc., et tous les verbes sans distinction de l’indicatif et du subjonctif ; à préposition comme a verbe. » Et notez que Voltaire a écrit d’assez nombreuses observations sur la langue5.
Wikipédia nous apprend que :
À Paris, il peut compter sur une équipe de fidèles, en premier lieu d’Alembert, futur secrétaire de l’Académie française, dont les relations mondaines et littéraires lui sont de précieux atouts, et qui n’hésite pas à le mettre en garde ou à corriger ses erreurs […].
« Un auteur est peu propre à corriger les feuilles de ses propres ouvrages : il lit toujours comme il a écrit et non comme il est imprimé » — Voltaire.
Quant à ses capacités de correcteur d’épreuves, Voltaire en a reconnu la faiblesse dans des lettres à son secrétaire, Cosimo Alessandro Collini, en juin 1734 :
Voltaire était en route pour se rendre à l’abbaye de Senones [Vosges]. Il m’avait chargé de lui faire parvenir les épreuves des Annales de l’Empire, avant le tirage. Mais il était mauvais correcteur d’imprimerie ; il l’avoue lui-même un peu plus bas.
9 juin — « En passant par Saint-Dié, je corrige la feuille ; je la renvoie ; je recommande à M. Colini les lacunes de Venise : il aura la bonté de faire mettre un g au lieu du c. Et ces chevaliers, qui sortent de son pays ; on peut d’un son faire aisément un leur. […] »
23 juin — « […] Il est bien triste que je ne puisse corriger la préface qui court les champs ; il n’y a qu’à attendre. A-t-on corrigé à la main les deux fautes essentielles qui sont dans le corps du livre ? […] »
24 juin — « Al fine ò ricevuto il gran pacchetto6 ; je garde la demi-feuille, ou pour mieux dire la feuille entière imprimée. Je n’y ai trouvé de fautes que les miennes ; vous corrigez les épreuves bien mieux que moi ; corrigez donc le reste sans que je m’en mêle et que M. Schœpflin7 fasse d’ailleurs comme il l’entendra […]8 »
Peut-être la certification Voltaire a-t-elle surtout retenu, outre la célébrité de l’auteur, le fait qu’il fut, tout de même, le correcteur de Frédéric II de Prusse. Un correcteur de style, sans doute, plus que d’orthographe.
Pendant deux heures de la matinée, Voltaire restait auprès de Frédéric, dont il corrigeait les ouvrages, ne manquant point de louer vivement ce qu’il y rencontrait de bon, effaçant d’une main légère ce qui blessait la grammaire ou la rhétorique.
Cette fonction de correcteur royal était, à vrai dire, l’attache officielle de Voltaire. En l’appelant auprès de lui, Frédéric avait sans doute eu pour premier mobile la gloire de fixer à sa cour un génie célèbre dans toute l’Europe ; mais il n’avait pas été non plus insensible à l’idée de faire émonder sa prose et ses vers par le plus grand écrivain du siècle. Pour celui-ci, cet exercice pédagogique n’était pas une besogne de nature bien relevée. Il s’en dégoûta vite quand les premiers enchantements du début furent passés, et il mit une certaine négligence à revoir les écrits du roi.
Passe encore à la rigueur pour la prose ou la poésie royale ; mais les amis, les généraux de Frédéric, venaient aussi demander à l’auteur de la Henriade de corriger leurs mémoires. C’est à une prière de ce genre faite par le général Manstein, que Voltaire répondit dans un moment de mauvaise humeur :
« J’ai le linge sale de votre roi à blanchir, il faut que le vôtre attende9. »
Un modeste correcteur d’imprimerie n’aurait pu se permettre un tel comportement.
- Au xixe siècle, encore, Chateaubriand « disait aux correcteurs, avec un fin sourire : “Messieurs, je vous abandonne l’orthographe.” » Citation à retrouver dans cet article.
- Voir cette anecdote.
- On désigne ainsi le passage de oi à ai dans d’innombrables mots : françois/français, avoit/avait, etc. Voltaire n’en est pas l’initiateur — cela remonte à Laurent Joubert, médecin d’Henri II —, mais il l’a fortement soutenu. L’Académie ne le ratifiera qu’en 1835.
- Gustave Desnoiresterres (1817-1892), Voltaire et la société française au xviiie siècle, 1re sér., Didier (Paris), 1867-1876.
- J.-B. Prodhomme, cité dans Les erreurs du typographe dues au correcteur, 1886.
- J’ai enfin reçu le grand paquet.
- C’est à la librairie de Jean-Frédéric Schoepflin, frère de l’historien Jean-Daniel Schoepflin, que devait paraître la première édition des Annales de l’Empire (source : Nos plus belles randonnées en Alsace). « Pour avoir le papier nécessaire […], Voltaire séjourne, du 13 au 28 octobre 1753, à la Papeterie Schoepflin de Luttenbach [près de Colmar], fondée vers 1742 [ou en 1738 ?] par Jean-Frédéric Schoepflin […] » (source : Vallée de Munster).
- Cosimo Alessandro Collini (1727-1806), Mon séjour auprès de Voltaire et lettres inédites que m’écrivit cet homme célèbre jusqu’à la dernière année de sa vie [Reprod.], L. Collin (Paris), 1807, p. 134 et 136-137.
- Émile Saigey (1828-1872), Les Sciences au xviiie siècle : la physique de Voltaire, G. Baillière (Paris), 1873.