Extrait de « Glanage à la pêche », un article de trois colonnes sur les perles qu’on trouve dans les journaux, comme « Le brave agent reçut un coup de feu qui ne l’atteignit pas » ou « Double suicide accidentel par le gaz d’éclairage ». C’est surtout l’occasion de montrer l’importance du correcteur…
“Un charmant discours”
Il arrive parfois qu’un correcteur empêche la mise en circulation de certaines perles. Témoin le petit fait suivant que je garantis authentique :
Dans une ville de l’Île-de-France, un chef de cabinet de préfecture représentait le grand chef du département au banquet annuel d’une société musicale. Au champagne, le délégué lut un charmant discours qui fut communiqué à la presse pour être inséré dans le compte rendu. En terminant la lecture de l’allocution, le correcteur eut un sourire. L’auteur y disait qu’il était un peu musicien, puisqu’il avait toujours eu un faible pour le tambour. Il terminait ainsi sa tirade : « Et j’ai toujours un regard fervent quand je passe à Paris, devant la statue de Viala1, le brave petit tambour d’Arcole. »
« Sapristi ! se dit le lecteur d’épreuves, je ne suis pas un illuminé quoiqu’étant né un 14 juillet ! Viala était pourtant mort lorsqu’il tambourinait à la bataille d’Arcole2 !
Il fit remarquer aux autorités soi-disant compétentes qu’il y avait erreur, qu’on se trompait d’exécutant. À demi convaincues, les « lumières » eurent recours au dictionnaire du correcteur, car celui de la maison était un petit livre d’écolier à peu près contemporain du percement de l’isthme de Suez3. Ce juge suprême fournit la preuve que Viala avait été tué en 1793 et que la bataille d’Arcole s’était déroulée en 1796. On coupa simplement l’effet, mais je prends la liberté de glisser un tuyau dans l’oreille du Père Éternel : « Seigneur, c’est avec désintéressement que je vous fais l’offrande de mon idée. Lorsque sonnera l’heure du Jugement Dernier, n’usez donc pas de la trompette : faites battre du tambour par vos anges, car cet instrument est infaillible pour réveiller les morts. »
P. Amblard
Circulaire des protes, no 428, avril 1936.
- Joseph Agricol Viala (1778-1793), figure de la Révolution française. « En 1822, le sculpteur Antoine Allier réalise un monument grandeur nature en bronze, représentant Joseph Agricol Viala nu, renversé, la main droite posée sur une hache, le bras gauche agrippé à un poteau avec anneau et morceau de corde. À la suite d’un don du musée du Louvre au musée de la ville de Boulogne-sur-Mer, il a été érigé place Gustave-Charpentier, dans le faubourg de la ville, en juin 1993 » — Wikipédia.
- Le tambour d’Arcole est André Estienne (1774-1838).
- En 1869. Voir article sur Napoleon.org.