Il y va fort, Léon Richard. Lui-même typographe à Lyon, il « estim[e] qu’il est préférable pour les imprimeurs de […] prendre [les correcteurs] parmi leurs typographes ». En effet, « le compositeur devenu typographe est flatté de cette marque de confiance, son amour-propre est satisfait. Cela l’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour livrer un travail aussi parfait que possible ». Tandis que le correcteur lettré… je vous laisse découvrir en quels termes choisis il en parle.
Correcteurs, Corrections
Les correcteurs pris en dehors de la typographie sont trop souvent des déclassés1, assez prétentieux, mécontents de leur situation sociale, croyant tout connaître et n’avant aucune notion pratique de la composition.
Leurs grandes capacités leur font laisser sans sanction les incorrections techniques, les coquilles, les caractères mélangés, les petites fautes d’orthographe, etc… Ces correcteurs s’attachent à vouloir corriger les auteurs dans leur style et dans leur doctrine parfois ; ils ne parlent que syntaxe et étymologie…
Cependant, nous devons à la vérité de dire que quelques-uns, et ils sont rares, se familiarisent bénévolement avec la typographie, qu’ils s’assimilent assez pratiquement après un stage fait à la casse pendant quelques mois ; mais, la plus grande partie des correcteurs, pris en dehors de la typographie, a souvent plus de prétentions que de capacités comme correcteur : aussi la fonction de correcteur n’est-elle pour eux qu’une position d’attente, un pis-aller…
[…] Le lettré qui échoue comme correcteur subit plutôt sa profession qu’il ne l’adopte, il cherche toujours après une situation plus digne de sa science. Parfois, ne trouvant pas dans la fonction de correcteur les ressources nécessaires à ses besoins, il finit par s’aigrir et en vient alors à négliger complètement sa lecture.
[…] Malheureusement, le correcteur est bien souvent le pelé, le galeux2 de nos imprimeries, et on ne lui rend guère justice de la responsabilité qui lui incombe. On feint de ne voir en lui qu’un mangeur de bénéfices, un frais-généraux3, ne produisant rien : quand, au contraire, il évite bien des malfaçons. La fonction de correcteur est l’une des plus ingrates de l’imprimerie. On lui tient rigueur de quelques erreurs peu importantes, cependant bien excusable, étant donné la quantité d’épreuves qu’il a à lire, et on ne lui sait aucun gré des nombreux bouillons qu’il prévient. Parfois, le prote lui fait la vie dure et le traite en ennemi. Cela lui rend le caractère ombrageux…
[…] Nous terminons cet article en répétant qu’il y a tout intérêt pour les imprimeurs à former comme correcteurs des compositeurs capables et intelligents plutôt que de prendre des bacheliers ou autres licenciés besogneux, ayant parfois commis des erreurs qui leur ferment d’autres carrières. Il sera difficile à ceux-ci de faire de bons correcteurs, notamment en ce qui concerne la bonne exécution typographique des travaux, leur compétence dans les questions professionnelles étant nulle. Ces savants peuvent trouver ailleurs des situations plus en rapport avec la science qu’ils possèdent et les besoins matériels qu’elle réclame. La rémunération des correcteurs étant souvent inférieure au salaire de bien des typographes.
Léon Richard.
Le Courrier du livre (organe spécial du Syndicat des industries du livre), [revue mensuelle, 1899-1940], no 137, 1er décembre 1904.
- Déclassé est un qualificatif souvent accolé au correcteur, de la fin du xixe siècle au début du xxe siècle, depuis qu’Eugène Boutmy, lui-même correcteur, l’a « lancé » en 1866. Voir De savoureux portraits de correcteurs et Pourquoi le correcteur est-il un déclassé ? (1884).
- Voir aussi le mot paria dans La Démocratie (1914) ou chez Paul Bodier (1936).
- Dans les années 1910, on rencontre aussi le mot grève-budget.