Un des meilleurs que vous ayez écrit(s) ?

Dans ses « Dire, ne pas dire », l’Académie rap­pelle qu’on ne dit pas un des meilleur jour­nal et que si l’«on peut dire fami­liè­re­ment J’ai un de ces mal de tête, on doit dire J’ai un de ces maux de tête à hur­ler, un de ces maux de tête qui vous couchent un homme »1.

Je crois que nous sommes tous d’accord là-des­sus, même si l’erreur peut se rencontrer. 

Plus fré­quente est l’erreur d’accord dans ce qui suit éventuellement. 

Ain­si, Hanse et Blam­pain (à adjec­tifs qua­li­fi­ca­tifs 2.6) rappellent : 

Il est nor­mal d’écrire : Une des consé­quences les plus inat­ten­dues. Il est évident que le super­la­tif se rap­porte au nom plu­riel et qu’il est abu­sif d’écrire la plus inat­ten­due comme on le ferait logi­que­ment si l’on disait : La consé­quence la plus inat­ten­due. Cet accord n’est pas rare, cependant.

Chez Gre­visse (§ 988) on trouve aus­si l’exemple : « Un des plus griè­ve­ment frap­pé, c’était le colo­nel Proc­tor (Verne, Tour du monde […]).» 

Mais c’est sur­tout dans la rela­tive qui suit (un des meilleurs jour­naux qui…) que l’accord est le plus fluc­tuant (… qui soient ou qui soit). Il y a deux rai­sons à cela. L’une, c’est qu’on a par­fois le choix, selon le sens :

  • Obser­vons une des étoiles qui brillent au firmament.
  • À un des exa­mi­na­teurs qui l’interrogeait sur l’histoire, ce can­di­dat a don­né une réponse éton­nante2.

L’autre est don­née par Gre­visse (§ 434) :

[…] le sin­gu­lier n’a pas tou­jours cette jus­ti­fi­ca­tion logique, et il faut recon­naître […] qu’il s’agit sou­vent d’un phé­no­mène méca­nique, le locu­teur ou le scrip­teur ayant dans l’esprit l’idée qu’ils s’expriment à pro­pos d’un être ou d’une chose par­ti­cu­liers.

Par­mi les nom­breux exemples cités, on trouve : 

  • Il m’a trai­té de Fran­çais ! C’est le der­nier mot que j’ai enten­du de cette caserne et l’un de ceux qui, de ma vie, m’aura le plus don­né de plai­sir (Bar­rès, Au ser­vice de l’Allem., p. 222). 
  • Votre livre sur Dos­toïevs­ky qui est un des meilleurs que vous ayez écrit (Clau­del, dans Clau­del et Gide, Cor­resp., p. 238). 
  • La France fut sou­le­vée par un des mou­ve­ments les plus beaux que l’Europe ait connu (Girau­doux, Sans pou­voirs, p. 25). 
  • Alain est un de ces arti­sans qui a ses tours de main et ses recettes (Mau­rois, Alain, p. 125). 
  • Peut-être suis-je un des seuls hommes de ce pays qui fasse ses livres « à la main » (Green, Jour­nal, 6 juillet 1942). 
  • Un des hommes qui souf­frit le plus cruel­le­ment de la calom­nie fut le Régent (Ph. Erlan­ger, dans Le Figa­ro, 25 févr. 1972). 

En 1935, le Dic­tion­naire de l’Académie écrit encore : « L’astronomie est une des sciences qui fait le plus ou qui font le plus d’honneur à l’esprit humain : le der­nier est plus usi­té. » Le plu­riel n’est donc pas encore stric­te­ment imposé.

Dans une note his­to­rique, Gre­visse explique : 

Dans cette construc­tion, le sin­gu­lier était cou­rant dans l’ancienne langue et l’est res­té jusqu’au xviiie siècle […]

Je suis assu­ré­ment un de ceux qui sais le mieux recon­naître ces qua­li­tés-là (Pas­cal, lettre à Fer­mat, 10 août 1660). — Mon­sieur de Sou­bize […] est un de ceux qui s’y est le plus signa­lé (Boil., Ép., IV, Au lec­teur). — Je lais­sois pas­ser un des plus beaux traits qui fust dans Ésope (La F., F., I, 15). — L’une des meilleures cri­tiques qui ait été faite sur aucun sujet est celle du Cid (La Br., I, 30). — C’est un des meilleurs livres qui soit jamais sor­ti de la main des hommes (Volt., Lettres phil., I). 

Les gram­mai­riens, sans grand suc­cès, ont fait beau­coup d’efforts pour réta­blir la logique ou ce qu’ils croient tel : voir par ex. Vau­ge­las, pp. 153-154 ; Lit­tré, art. un, Rem. 1 à 4.

En effet, on trouve chez Lit­tré des exemples aujourd’hui sur­pre­nants pour le locu­teur habi­tué à mettre de la logique mathé­ma­tique dans son expression. 

Ain­si, au clas­sique Votre ami est un des hommes qui man­quèrent périr, il oppose : Votre ami est un des hommes qui doit le moins comp­ter sur moi. Avec cette explication : 

Dans la pre­mière phrase on veut dire votre ami est par­mi ceux qui man­quèrent périr ; dans la seconde, on veut le mettre à part. En d’autres termes, quand on peut tour­ner par : est par­mi les hommes un qui…, on met le verbe au sin­gu­lier ; quand on ne le peut pas, on met le verbe au plu­riel3.

Lit­tré cite aus­si, entre autres, une phrase de Mme de Sévi­gné : Vous êtes un des hommes qui me convient le plus (à Gui­taut, 24 oct. 1679), qu’il jus­ti­fie ainsi : 

[…] avec le sin­gu­lier cela signi­fie que, par­mi les hommes, il y en a un qui me convient le plus, et c’est vous ; avec le plu­riel cela signi­fie que vous êtes par­mi les hommes qui me conviennent le plus. Le super­la­tif est, si l’on peut ain­si par­ler, plus super­la­tif avec le singulier.

Il me semble qu’aujourd’hui, à Sévi­gné comme aux autres auteurs pré­ci­tés, la grande majo­ri­té des cor­rec­teurs sug­gé­re­raient, voire impo­se­raient, le plu­riel4


Pour les réfé­rences des auteurs cités, voir La biblio­thèque du cor­rec­teur.

  1. « Dire, ne pas dire », 5 février 2016 et 2 mai 2019
  2. Exemples don­nés par Le Gre­visse de l’étudiant, DeBoeck supé­rieur, 2018, p. 566.
  3. Pour plus de lisi­bi­li­té, j’ai ajou­té des italiques.
  4. Pour Jean-Pierre Coli­gnon, l’accord du verbe au plu­riel devrait être « une évi­dence pour tout le monde, […] l’unique for­mu­la­tion intel­li­gente » (Le mot du 17 avril 2020), ce que conteste Michel Fran­card dans une chro­nique, « Vous avez de ces mots : un de ces accords qui {font / fait} sens » (Le Soir, 16 octobre 2020).