Une guéguerre oppose, d’un côté, feu Richard Herlin et Jean-Pierre Lacroux, de l’autre, Jean-Pierre Colignon, à propos du tiret long, également appelé « tiret [sur] cadratin ».
Richard Herlin, ancien correcteur au Monde1 , dans ses Règles typographiques2, défend le tiret cadratin.
— Et le tiret long, alors, s’enquit Zazie ? — Eh bien, le voici, le « tiret sur cadratin », qui sert notamment à mettre en forme un dialogue. Dans la présentation moderne des échanges entre personnages, le tiret long s’impose souvent seul, abandonnant les guillemets qui l’accompagnaient encore naguère (quoiqu’on les trouve encore). Selon les maisons ou les auteurs, il aura droit ou non à un alinéa à chaque changement d’interlocuteur, l’essentiel étant pour le confort du lecteur, pour la lisibilité, qu’on sache qui parle. […]
— Mais tu n’as rien dit du tiret sur demi-cadratin ! s’impatientait Zazie.
— Écoute ce qu’en disait le typographe Jean-Pierre Lacroux3, lui répondit Gabriel.
J. André — Alors qu’on utilisait autrefois le tiret sur cadratin pour les incises, etc., on a tendance aujourd’hui à n’utiliser que le demi-cadratin (c’est ce que fait l’I.N. par exemple).
J.-P. Lacroux — L’Hyène a bien tort […] C’est une mode funeste ! qui ne se justifie que dans les justifications très étroites… donc, surtout dans la presse. […] Pour résumer, le tiret sur demi-cadratin porte un nom un peu trompeur. C’est en « principe » (histoire d’en placer un) un trait d’union faible… et exceptionnellement un ersatz rabougri du vrai tiret. Cela dit, cela ne me gêne nullement qu’ici ou là on lui attribue tous les rôles imaginables… Pour être complet, ça ne me gênerait pas énormément si l’on ne l’employait jamais, on a vécu sans lui pas mal de temps… mais je trouverais quand même idiot de se priver d’un signe qui peut avoir une utilité (même limitée). S’agit simplement de pas lui en demander trop…
Pour sa part, Jean-Pierre Colignon, dans son Dictionnaire d’orthotypographie moderne4, ne mentionne que « le tiret », jusqu’à la fin de l’article, où il assène :
Il faut rejeter l’emploi des tirets hideux, affreux, parce que surdimensionnés, que certains adoptent aujourd’hui, notamment pour les dialogues. On dirait presque qu’il s’agit de « couillards », des petits filets qui séparent les notes du corps du texte !
Deux écoles, donc. Je n’ai pas de préférence aussi marquée. Et vous ?
Dans leur blog, les correcteurs du Monde recommandent de choisir l’un des deux tirets dans le même ouvrage :
Comme il s’agit rigoureusement du même signe, on emploie d’ordinaire l’un ou l’autre, mais pas les deux ensemble. [Ce serait] un peu comme si l’on trouvait dans un livre deux dessins différents pour le point d’interrogation, par exemple.
L’alternance des tirets cadratin et demi-cadratin est cependant courante dans l’édition contemporaine, notamment dans la collection « Folio » de Gallimard.
Illustrations : 24 Jours de web et Romane Rose.
- Mort en 2019. Voir l’hommage de ses confrères dans leur blog.
- « Les petits guides de la langue française Le Monde », éd. Garnier, 2017, p. 65-67.
- Dans Orthotypographie, volume II, en ligne.
- CPFJ, 2019, non paginé, à tiret (le), tirets (les).