D’après guerre ou d’après-guerre ?

J’ai tou­jours res­sen­ti une dif­fé­rence entre d’après guerre et l’après-guerre (le trait d’u­nion est un « signe d’u­ni­té lexi­cale », Gre­visse, § 109).

On lit dans le TLFI :

« Ortho-vert 1966 […] fait la rem. suiv. : “Lorsque le mot après est sui­vi direc­te­ment d’un nom on n’emploie le trait d’u­nion que s’il s’a­git d’un véri­table nom com­po­sé ; ce n’est pas le cas quand on peut inter­ca­ler l’ar­ticle le, la entre après et le nom : je pas­se­rai l’a­près-dîner avec vous, je pas­se­rai vous voir après dîner (après le dîner). L’a­près-guerre, le chaos d’a­près guerre (d’a­près la guerre).”»

Cepen­dant, aujourd’­hui, « après guerre sans trait d’u­nion est excep­tion­nel », dit aus­si le TLFI. 

Bien des noms ain­si com­po­sés sont consa­crés par l’usage, y com­pris avec d’ : avant-dîner, avant-guerre, après-guerre, après-rasage, après-sou­per, après-messe, avant-scène… et, bien sûr, après-midi.

« Au milieu de cela, quelques pro­me­neurs et pro­me­neuses, qui ont l’air de faire insou­ciam­ment et tout comme autre­fois leur pro­me­nade d’a­vant-dîner sur l’asphalte. » (E. et J. de Gon­court, Jour­nal, 1871.)

« Elle me parle avec émo­tion de la bien­heu­reuse époque d’a­vant-guerre “que vous n’a­vez pas pu connaître”, ajoute-t-elle. » (Green, Jour­nal, 1932.)

« … à cer­tains ouvrages d’une école lit­té­raire qui fut la seule (…) à appor­ter dans la période d’a­près-guerre autre chose que l’es­poir d’un renou­vel­le­ment à ravi­ver les délices épui­sées du para­dis tou­jours enfan­tin des explo­ra­teurs. » (Gracq, Au châ­teau d’Ar­gol, 1938.)

« Quelle mau­vaise par­te­naire d’après-aimer je fais » (Colette, Clau­dine en ménage, 1902.)

Le “Monde” du jour ou “Le Monde” du jour ?

Dans le Gre­visse, je viens de tom­ber sur une règle bien utile et dont je ne trouve pas l’é­qui­valent dans les codes typo.

On sait que « lorsqu’il fait par­tie inté­grante du titre réel, l’article se com­pose en ita­lique1 » : « dans Les Mar­tyrs de Cha­teau­briand ». Mais qu’en est-il si l’œuvre est sui­vie d’un autre com­plé­ment que le nom de l’auteur ?

Gre­visse nous dit (§ 588) : « La syn­taxe l’emporte sur le res­pect du titre néces­sai­re­ment dans Ache­ter deux Monde, Ache­ter le Times. Il est donc pré­fé­rable d’écrire Dans le Monde d’aujourd’hui plu­tôt que Dans Le Monde d’aujourd’hui. »

Si l’on suit cette règle, on devrait écrire dif­fé­rem­ment : « J’ai emprun­té le Monde de Jean » et « J’ai emprun­té Le Monde à Jean ». Éton­nant, non ?

Dans les ouvrages du xixe siècle, on ren­contre sou­vent « dans le Figa­ro », alors qu’aujourd’hui l’usage le plus fré­quent est « dans Le Figa­ro ». Certes, « plu­sieurs jour­naux arbo­rant le titre Figa­ro (avec ou sans article) paraissent de manière irré­gu­lière entre 1826 et 18542 », mais à par­tir de 1854 l’ar­ticle est fixé. Il sem­ble­rait donc que cette dif­fé­rence de com­po­si­tion soit davan­tage liée à la pri­mau­té de la syn­taxe qu’à la géné­ra­li­sa­tion du code typo.

Quand “ou” impose de choisir un genre

Cor­ri­geant régu­liè­re­ment des articles de nature juri­dique, je suis confron­té à un pro­blème épi­neux : l’accord après deux sujets liés par un ou exclu­sif et de genres ou de nombres dif­fé­rents. Que faire dans ce cas ? Atten­tion, chaus­sée glissante !

Pour bien poser le pro­blème, je rap­pelle quelques exemples ne pré­sen­tant pas de dif­fi­cul­té au correcteur : 

  • Hen­ri ou Étienne sera le pre­mier de la classe ce mois-ci.
  • Un seul être ou objet peut convenir.
  • Lorsqu’une rente via­gère ou une pen­sion aura été léguée au titre d’aliments (Code civil, art. 1015).

Mais voi­ci un cas ren­con­tré cette semaine : 

L’opéra ou la com­pa­gnie char­gée de la pro­duc­tion du spec­tacle doit cher­cher… 

Faut-il écrire char­gé ou char­gée ? (On ne peut écrire char­gés, puisque le ou est exclusif.)

« Selon la tra­di­tion gram­ma­ti­cale, si l’accord ne se fait qu’avec un des termes unis par ou ou par ni, ce terme est le der­nier anté­cé­dent », nous dit Le Fran­çais cor­rect (§ 955).

Exemples (ibi­dem ; Jouette, art. par­ti­cipe pas­sé, III, F, 9):

  • C’est son salut ou sa perte qu’il a ris­quée.
  • Est-ce une louange ou un blâme qu’il a méri­té ? 
  • Est-ce le bou­lan­ger ou sa femme que tu as vue ?

Pour­tant, dans d’autres cas, la règle est inverse. Hanse affirme, en effet (art. adjec­tifs qua­li­fi­ca­tifs, § 2.7.2) :

« Si les noms ne sont pas du même genre et qu’il y ait exclu­sion d’un des sujets, l’adjectif attri­but (ou le par­ti­cipe employé avec être) reste au mas­cu­lin : Est-ce le père ou la mère qui est le plus âgé ?»

Il nous faut donc deman­der son avis à Gre­visse (§ 449).

« La tra­di­tion gram­ma­ti­cale enseigne […] que, si l’accord se fait avec un seul des termes unis par ou, ce terme est le der­nier [accord de proxi­mi­té]. Mais la réa­li­té de l’usage est beau­coup moins simple. »

Gre­visse cite des exemples sui­vant la tradition : 

  • On entou­rait d’une par­ti­cu­lière défé­rence celui ou celle qui était « res­tée à écrire » (Proust, Pas­tiches et mélanges, p. 227). 
  • Le monde aus­si­tôt a été mena­cé d’une anar­chie ou d’un désordre uni­ver­sel (Lamen­nais, De la reli­gion, VI). […]

Mais il poursuit : 

«[…] contrai­re­ment à ce que disent beau­coup de gram­mai­riens, le pre­mier terme déter­mine plus sou­vent l’accord que le deuxième

  • Le tri­bu­nal pro­non­ce­ra […] si le père ou la mère qui offri­ra de rece­voir […] l’enfant à qui il devra des ali­ments, devra […] être dis­pen­sé de payer la pen­sion ali­men­taire (Code civil, art. 211).
    Quel poi­son ou quelle drogue m’a-t-on injec­té, qui m’incendie ? (J. Roy, Maître de la Mitid­ja)
  • Quelque héma­tome ou bles­sure que je m’étais infli­gé en jouant au foot­ball (Rinal­di, Roses de Pline).
  • Un sen­ti­ment ou une expres­sion ori­gi­nal (R. Des­nos, cit. dans Stu­dia neo­phi­lo­lo­gi­ca, 1946-1947).
  • Pla­teau ou table uti­li­sé pour ser­vir le café (Tré­sor, art. caba­ret).
  • Tâche ou ser­vice impo­sée (Dict. du fr. vivant, art. pres­ta­tion).

De plus, quand l’adjectif ou le par­ti­cipe pas­sé est au mas­cu­lin sin­gu­lier, sommes-nous cer­tains de ce qui motive le choix de l’auteur ? 

« Il ne faut pas oublier en effet que le mas­cu­lin est aus­si le genre indif­fé­ren­cié et que la troi­sième per­sonne est la per­sonne indif­fé­ren­ciée, la « non-per­sonne » (§ 655, c). Dès lors le recours à ce genre ou à cette per­sonne peut être, soit la marque d’un accord avec le terme qui est à ce genre ou à cette per­sonne, soit une absence d’accord. Cela est par­ti­cu­liè­re­ment vrai du par­ti­cipe pas­sé conju­gué avec avoir que cer­tains laissent inva­riable même quand l’objet direct pré­cède (cf. § 942).»

Nous voi­là bien ! Si nous reve­nons à notre exemple de départ, nous pou­vons suivre la tra­di­tion, éven­tuel recours : 

L’o­pé­ra ou la com­pa­gnie char­gée de la production

ou bien suivre l’usage cou­rant, moti­vé par deux rai­sons dif­fé­rentes, la proxi­mi­té ou l’indifférenciation : 

L’o­pé­ra ou la com­pa­gnie char­gé de la production

Pour ne pas allon­ger infi­ni­ment ce billet déjà dense, j’ai écar­té les pro­blèmes d’accord du verbe face à deux genres ou deux per­sonnes dif­fé­rents (noter, ici, l’accord au plu­riel), mais je ne résiste pas à cette devinette :

Quel futur après Toi ou lui par­ti­ra (lui ou la non-personne) ? 

Non, nous dit Jouette, au même endroit : par­ti­rez. « On tourne la dif­fi­cul­té »… au mépris de la logique (un seul des deux partira).

J’espère que vous aviez des pneus neige. 

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NOTES : 

  1. Le pro­blème évo­qué ci-des­sus est équi­valent avec ni. Voir cet exemple :
    « Ni Robert ni sa femme ne sera tré­so­rière de l’association. Le fémi­nin tré­so­rière nous heurte parce que nous atten­dons une sorte de neu­tra­li­té (sou­hai­table lorsque mas­cu­lin et fémi­nin sont en concur­rence) et que notre neutre est tra­duit par un mas­cu­lin sin­gu­lier. Alors on écrit com­mu­né­ment : Ni Robert ni sa femme ne sera tré­so­rier de l’association (seront tré­so­riers n’est pas pos­sible : il n’y a qu’une place à pour­voir). Le mieux serait d’écrire en ce cas : Ni Jac­que­line ni son mari ne sera tré­so­rier de l’association. L’oreille et la règle y trou­ve­ront leur compte. » (Jouette, art. verbes, XVII, C, 3°, c.)
  2. Il n’est pas tou­jours aisé de déter­mi­ner si nous sommes face à un ou exclu­sif. L’opéra ou la com­pa­gnie char­gée de la pro­duc­tion du spec­tacle doit cher­cher… Ne peut-on ima­gi­ner une copro­duc­tion ? (Ce n’est pas l’option choi­sie par l’auteur ici.)

Verbes d’incise non déclaratifs

La presse emploie de plus en plus des incises de cita­tion telles que sou­pire-t-il ou s’étonne-t-elle, un phé­no­mène qu’un lin­guiste (Ralu­ca Nita, 2010) appelle « le verbe intro­duc­teur non décla­ra­tif », dont « l’usage […] demeure encore hors norme » [dix ans ont pas­sé depuis], et qu’il étu­die en par­ti­cu­lier dans les chro­niques judi­ciaires de Libé­ra­tion.

La ques­tion qui inté­resse le cor­rec­teur est la sui­vante : « Faut-il fixer une règle ? » Elle est for­mu­lée par Jacques Des­ro­siers (éva­lua­teur lin­guis­tique pour le gou­ver­ne­ment cana­dien), dans un court article de 2001

L’auteur for­mule « deux prin­cipes de base » qui peuvent nous aider à veiller à leur usage : « relief de la cita­tion et dis­cré­tion de l’incise », c’est-à-dire mar­quer la sépa­ra­tion entre dis­cours de l’auteur et dis­cours rap­por­té, tout en évi­tant de mettre l’accent sur l’incise elle-même

Citant un exemple du type insiste le secré­taire géné­ral, Des­ro­siers rap­pelle que « le verbe insis­ter est en fait un rac­cour­ci pour insis­ter sur le fait que. De même pro­tes­ter, c’est dire en mani­fes­tant son oppo­si­tion, s’étonner, dire en expri­mant de l’étonnement. Tous ces rac­cour­cis sont des usages consa­crés depuis long­temps par les dic­tion­naires et les grands ouvrages de langue. »

Mais, pour­suit-il : « Tout va bien [tant que] l’on reste dans l’univers du verbe dire. […] C’est d’ailleurs ici que Gre­visse […] trace la limite. » Je cite Gre­visse [§ 416] :

« Tan­tôt cette super­po­si­tion de l’idée de “dire” est impos­sible et on peut être heur­té par l’illogisme de telles incises, comme : ° C’est affreux, pâlit-il, s’enfuit-il, tom­ba-t-il, etc. Il faut recon­naître pour­tant que beau­coup d’auteurs, et cer­tains non médiocres, se servent sans gêne d’incises de cette espèce : Mon­sieur, m’aborda-t-il céré­mo­nieu­se­ment… (Bor­deaux, Pays sans ombre). — Ah !… s’apaisa-t-elle tout à coup (Châ­teau­briand, M. des Lour­dines). — Du secours ! sur­sau­ta la visi­teuse (Billy, Prin­cesse folle). — « Nie­ra-t-on qu’il soit chas­seur ? » se fût alors retour­né notre homme, dis­cer­nant dans un coin un fusil et une gibe­cière (Mon­therl., Céli­ba­taires). — On se moque de nous, tremblent-ils (Bre­mond, Poé­sie pure). — Par­don ! s’étrangla le bon­homme (Dor­ge­lès, Tout est à vendre). — Je vou­drais bien la per­mis­sion de minuit, sou­rit-il ( La Varende, Roi d’Écosse). — La mai­son, c’est évi­dem­ment consi­dé­rable, s’agitait le méde­cin (Mal­let-Joris, Men­songes).»

L’exemple de Mon­ther­lant est par­ti­cu­liè­re­ment surprenant ! 

Au vu de ces exemples, il est logique que Nita écrive que le dis­cours jour­na­lis­tique, « en se foca­li­sant sur la mise en scène, […] emprunte des traits lit­té­raires ». C’est, dit-il dans sa conclu­sion, « un moyen de […] res­ti­tuer l’authenticité de la parole qu’il repré­sente. Le DD [dis­cours direct] n’est plus une simple cita­tion, mais une parole prise sur le vif dans un fais­ceau d’éléments para­ver­baux (gestes, mou­ve­ments, réac­tions émotionnelles). […]»

Pour Des­ro­siers, « ces tours sont cho­quants pour des rai­sons sty­lis­tiques : leur sens est si lourd, et leur emploi si éloi­gné de l’usage cou­rant, que c’est l’incise elle-même qui est mise en valeur. Elle est étran­ge­ment sur­char­gée d’expressivité. […]

« Il serait uto­pique, ajoute-t-il, de ten­ter de dres­ser la liste des verbes admis­sibles. Tout sug­gère que non seule­ment c’est une ques­tion de juge­ment, mais qu’il est pré­fé­rable de dis­po­ser d’une cer­taine marge de manœuvre, d’autant plus que la rai­son d’être fon­da­men­tale des inver­sions étant d’ordre sty­lis­tique, celui qui en use a jusqu’à un cer­tain point le droit de pous­ser l’expressivité un peu plus loin. […]»

Pour ma part, en lisant un des exemples don­nés par Nita : 

M. Har­per a bon­di : « Nous rece­vons notre man­dat de la popu­la­tion et non de l’ambassadeur des États-Unis », a-t-il décla­ré. (Le Monde)

j’ai pris conscience qu’un verbe intro­duc­teur non décla­ra­tif pas­sait beau­coup mieux devant la cita­tion que der­rière, le com­por­te­ment étant visua­li­sé avant la prise de parole et non après. On pour­rait, sans pro­blème, faire l’é­co­no­mie du a-t-il décla­ré.

Covid-19 et gestes barrières

Le 7 mai 2020, l’A­ca­dé­mie fran­çaise publiait sur son site, dans la rubrique « Dire, ne pas dire », un avis sur le genre de Covid-19. En voi­ci les der­nières lignes : 

On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équi­valent du nom fran­çais fémi­nin mala­die. Pour­quoi alors l’emploi si fré­quent du mas­cu­lin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acro­nyme ne se répande, on a sur­tout par­lé du coro­na virus, groupe qui doit son genre, en rai­son des prin­cipes expo­sés plus haut, au nom mas­cu­lin virus. Ensuite, par méto­ny­mie, on a don­né à la mala­die le genre de l’agent patho­gène qui la pro­voque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du fémi­nin serait pré­fé­rable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redon­ner à cet acro­nyme le genre qui devrait être le sien.

Cette recom­man­da­tion a sus­ci­té des débats dans les médias, et cer­tains jour­na­listes l’ont aus­si­tôt sui­vie. J’é­tais plu­tôt de ceux1 qui pen­saient qu’elle venait trop tard et for­çait l’u­sage déjà bien établi. 

Un inté­res­sant article de France Culture, créé pré­cé­dem­ment mais modi­fié le 18 mai, revient sur cette ques­tion. On y apprend, entre autres, que le pré­ten­du « avis de l’A­ca­dé­mie fran­çaise » serait dû à la seule plume de sa secré­taire per­pé­tuelle, aus­si res­pec­table soit-elle. Tiens donc ! Les avis des lin­guistes inter­ro­gés sont plus nuan­cés et penchent pour le mas­cu­lin, du moins en France

Les cor­rec­teurs du Monde ont aus­si choi­si le masculin.

Enfin, le 27 sep­tembre, un billet de la direc­trice édi­to­riale du Robert rap­pelle : « Cet acro­nyme a été créé en anglais, langue qui ne connaît pas de genre pour les sub­stan­tifs, et il n’a pas été pré­ci­sé s’il devait être fémi­nin ou mas­cu­lin dans les tra­duc­tions. […] L’usage en France est majo­ri­tai­re­ment mas­cu­lin, pro­ba­ble­ment sous l’influence de virus, les sigles en fran­çais adop­tant le plus sou­vent le genre du pre­mier mot. »

Le 21 jan­vier 2021, Ouest-France a pro­po­sé une carte2 de l’u­sage en France. Elle est parlante : 

La ques­tion de la bonne gra­phie des gestes barrière(s) cir­cule aus­si sur Internet :

L’Aca­dé­mie fran­çaise (ou sa secré­taire per­pé­tuelle ?) écrit :

S’agissant de geste bar­rière, on peut consi­dé­rer que ces gestes forment une bar­rière et pré­fé­rer le sin­gu­lier, mais dans la mesure où l’on peut aus­si dire que ces gestes sont des bar­rières, l’accord au plu­riel semble le meilleur choix, et le plus simple. On écri­ra donc des gestes barrières.

Dans sa der­nière édi­tion, Le Petit Robert fait le même choix :

Geste, mesure bar­rière : pré­cau­tion prise dans la vie quo­ti­dienne pour limi­ter la pro­pa­ga­tion d’un virus, d’une mala­die. Res­pec­ter les gestes bar­rières.


Surprenant mélange de temps verbaux chez Perrault

Vous vous sou­ve­nez de La Belle au bois dor­mant ? Sans doute. Mais vous sou­ve­nez-vous que Charles Per­rault y passe allè­gre­ment du pas­sé au pré­sent ? (Je mets en gras les verbes au pré­sent ; les autres sont au passé.)

Le jeune prince, à ce dis­cours, se sen­tit tout de feu ; il crut, sans balan­cer, qu’il met­troit fin à une si belle avan­ture, et, pous­sé par l’amour et par la gloire, il réso­lut de voir sur le champ ce qui en estoit. À peine s’avança-t-il vers le bois que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écarterent d’elles-mesmes pour le lais­ser pas­ser. Il marche vers le chas­teau, qu’il voyoit au bout d’une grande ave­nuë où il entra, et, ce qui le sur­prit un peu, il vit que per­sonne de ses gens ne l’avoit pû suivre, parce que les arbres s’estoient rap­pro­chez dés qu’il avoit esté pas­sé. Il ne lais­sa pas de conti­nuer son che­min : un prince jeune et amou­reux est toû­jours vaillant. Il entra dans une grande avan-cour, où tout ce qu’il vit d’abord estoit capable de le gla­cer de crainte. C’estoit un silence affreux : l’image de la mort s’y pre­sen­toit par tout, et ce n’estoit que des corps éten­dus d’hommes et d’animaux qui parois­soient morts. Il recon­nut pour­tant bien, au nez bour­geon­né et à la face ver­meille des suisses, qu’ils n’estoient qu’endormis ; et leurs tasses, où il y avoit encore quelques goutes de vin, mon­troient assez qu’ils s’estoient endor­mis en beuvant.

Il passe une grande cour pavée de marbre ; il monte l’escalier ; il entre dans la salle des gardes, qui estoient ran­gez en haye, la cara­bine sur l’épaule, et ron­flans de leur mieux. Il tra­verse plu­sieurs chambres, pleines de gen­tils-hommes et de dames, dor­mans tous, les uns debout, les autres assis. Il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous cos­tez, le plus beau spec­tacle qu’il eut jamais veu : une prin­cesse qui parois­soit avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat res­plen­dis­sant avoit quelque chose de lumi­neux et de divin. Il s’approcha en trem­blant et en admi­rant, et se mit à genoux auprés d’elle.

Alors, comme la fin de l’enchantement estoit venuë, la prin­cesse s’éveilla, et, le regar­dant avec des yeux plus tendres qu’une pre­miere veuë ne sem­bloit le permettre :

« Est-ce vous, mon prince ? luy dit-elle ; vous vous estes bien fait attendre. »

Éton­nant, non ? Les édi­tions ulté­rieures ont par­fois modi­fié le temps de cer­tains verbes. 

Texte de 1697, pris sur Wiki­source. Gra­vure tirée d’une édi­tion de 1872, sur Gal­li­ca