« Saviez-vous qu’il existât une édition numérique […] de l’Encyclopédie ? » ai-je spontanément écrit, hier, dans un billet sur LinkedIn ?
La formulation a dû en surprendre plus d’un, à l’heure où, dans une phrase comme celle-ci, même l’imparfait de l’indicatif (qu’il existait) est détrôné par le présent (qu’il existe).
Mais la fréquentation des auteurs du xixe siècle déteint sur moi, et je me suis dit qu’au moment d’évoquer une œuvre majeure du xviiie siècle, il était approprié d’employer une langue soutenue.
Ne fallait-il pas là le passé simple (qu’il exista), plutôt que l’imparfait du subjonctif, m’a demandé un « correcteur en devenir » ?
C’est ce qu’a fait France Culture dans ce tweet :
« Saviez-vous qu’il exista, à une époque de notre histoire, une technique funéraire consistant à séparer le corps d’un défunt de haut rang en plusieurs parties ? […] »
Mais la radio se référait à un fait historique, alors que l’édition numérique de l’Encyclopédie est bien un objet actuel, comme existe toujours la Société pour la propagande de la boxe anglaise, au moment où Jules Claretie écrit, dans La Vie à Paris (le 25 mars 1910) :
« Saviez-vous qu’il existât une Société pour la propagande de la boxe anglaise ? Je l’ignorais jusqu’à présent et je l’ai appris, l’autre soir, en allant assister au grand match entre Willie Lewis et Billy Papke dans le vaste cirque de l’avenue de La Motte-Picquet. »
De même, alors qu’on écrirait aujourd’hui je voudrais qu’il existe (subjonctif présent, mode entraîné par l’expression d’un souhait), Balzac écrit, lui :
« Je voudrais qu’il existât un langage autre que celui dont je me sers, pour t’exprimer les renaissantes délices de mon amour […] » — Louis Lambert, Pl., t. X, p. 434.
C’est la concordance classique.
Plus surprenant encore paraît, de nos jours, le subjonctif hypothétique en début de phrase. Les Plût à Dieu que…, Dussé-je…, Fussé-je…, voire, au présent, Je ne sache pas que…
Ces formes étonnent mes jeunes confrères, mais ils se doivent de les connaître — à défaut de les employer eux-mêmes —, car ils peuvent les rencontrer dans la réédition d’un texte ancien ou même sous la plume d’un auteur contemporain. Exemple :
« Derrière les contrevents clos, j’attendais que la pénombre m’entraînât dans une sieste encombrée de songes. » — Gaël Faye, Il faut tenter de vivre, 20151.
Je leur recommande donc de se pencher sur une grammaire complète, comme la Grammaire méthodique du français (PUF), un peu aride mais, à mon avis, indispensable.
Ces formes littéraires classiques, il serait fâcheux qu’ils les corrigeassent (au passé, si l’on est passé près de la catastrophe, il eût été fâcheux qu’ils les eussent corrigées2).
- Cité dans Le Petit Bon Usage de la langue française, De Boeck Supérieur, 2018, p. 475.
- J’emploie ici ces formes par plaisanterie. « En français moderne, […] dans un usage recherché ou littéraire, […] on n’emploie plus que toutes les personnes des verbes être et avoir et la troisième personne du singulier (et, plus rarement, du pluriel) des autres verbes (qu’il votât, vînt). On évite les formes en -ss-, en raison de leur lourdeur, de certains effets comiques (que vous sussiez, que je visse) ou d’assimilations péjoratives (qu’ils lavassent). Selon R. Queneau, l’imparfait du subjonctif a été “tué par le ridicule et l’almanach Vermot” (Bâtons, chiffres et lettres : 71). » — Grammaire méthodique du français, p. 573.