Dans une bande dessinée que je corrigeais1, j’ai bloqué sur cette réponse : Je crois que ce l’est. Dans mon esprit, Je crois que ça l’est s’imposait aussitôt. Non que la première formulation soit fautive, mais elle me paraissait ne pas convenir dans la bouche de ce commissaire envoyé au Congo belge.
J’en ai trouvé confirmation chez Grevisse (§ 663) : les formes conjointes (ou faibles) à la 3e personne [du présent de l’indicatif] relèvent de la « langue écrite recherchée ». Définition d’une forme faible : « Forme qui ne peut pas constituer un énoncé à elle seule, ni être coordonnée ou modifiée (par exemple, les pronoms ce ou je), à la différence d’une forme forte (par exemple, les pronoms ceci ou moi).» — Glossaire de la Grande Grammaire du français, s.v. faible.
Ce est une forme faible ; cela (ou ça, sa forme réduite) est une forme forte.
On le disait encore chez Molière :
Lucile. N’est-il pas vray, Cleonte, que c’est là le sujet de vostre dépit ? / Cleonte. Oüy, perfide, ce l’est (Bourg., III, 10).
Ou chez Boileau, plus étrange encore pour nous :
Brutus. […] Ne les [= les tablettes] sont ce pas là ? […] / Pluton. Ce les sont là elles mesmes (Héros de roman, p. 33).
Soit, en français contemporain, ce sont bien elles.
Toujours chez Grevisse (§ 673), j’ai trouvé, au passage, une autre forme datée, malgré l’emploi de ça :
Ça serait-il les cornes du diable que tu as sur tes bâtons, Pat ? / – Je n’en sais trop rien, répondit Pat, mais si ça les est, alors c’est le lait du diable que vous avez bu (P. Leyris, trad. de J. M. Synge, Îles Aran, p. 148).
Aujourd’hui, on dirait plutôt c’est le cas.
Puis j’ai trouvé confirmation – et complément d’explication – dans une autre source, le Guide de grammaire française pour étudiants finnophones (en ligne) :
Au présent de l’indicatif, la forme cela est inusitée devant le pronom le : on évite de dire cela l’est (pour des raisons d’euphonie). On utilise donc uniquement ça l’est, même dans le code écrit courant (aux autres temps, on peut employer cela) : La voile, c’est passionnant. – Oh, oui, ça l’est vraiment. — Cela peut être évident pour des spécialistes en mathématiques, mais ça l’est moins si l’on cherche à découvrir et à comprendre.
Dans ce cas, dans la langue soutenue, à la place de ça l’est, on peut utiliser le pronom ce devant tous les temps simples d’être : Savoir gérer sa respiration, c’est capital pour la voix chantée, ce l’est moins pour la voix parlée, qui n’exige pas le même genre de tenue. — Ce fut, certes, toujours difficile, mais ce l’est certainement plus encore aujourd’hui avec la concentration de l’édition. — Était-il indispensable de démissionner ? Oui, ce l’était.
Il ne faut toutefois pas abuser de ce dans cet emploi, qui est nettement du style soutenu et peut sembler surprenant dans un style écrit courant, ni mêler la forme ce et la forme ça, comme on le constate assez souvent : Le biodiesel ? Si ça n’est pas utile pour vous, ce l’est forcément pour quelqu’un autour de vous. [Il aurait été préférable d’utiliser deux fois ce ou deux fois ça.]
- Fleurs d’ébène, d’Éric Warnauts et Raives, Casterman, 2007, à reparaître chez Daniel Maghen.