Curieux de toute mention un peu originale du métier de correcteur, je me suis procuré à la médiathèque locale le livre pour enfants Un troupal de chevals, dont j’avais découvert l’existence il y a un an1. La jeune protagoniste, Mélisande, a pour papa Louis Leroi, correcteur en chef du dictionnaire Labrousse. Un homme qui passe ses journées enfermé « dans le grenier aménagé en bureau », épaulé par « une armée de dictionnaires de toutes les tailles et de toutes les couleurs […] prêts à être mobilisés au moindre doute », évidemment pressé par l’éditeur à l’approche du bouclage.
Devant la télévision, « il ne cesse de faire des commentaires sur la façon calamiteuse dont s’expriment les présentateurs ». Un correcteur passionné, comme beaucoup, aux dépens de l’attention due à sa propre fille :
Chaque hiver, il relit et corrige un dictionnaire complet, de A à Z, de Abaca à Zythum, sans sauter une seule définition. C’est son travail. En fait, tous les ans, au printemps, les éditions Labrousse publient la nouvelle édition de leur prestigieux dictionnaire, en y ajoutant des nouveaux mots et en modifiant certaines des définitions. Eh bien, mon père, lui, il relit minutieusement le nouveau dictionnaire Labrousse, juste avant qu’il ne soit envoyé à l’imprimerie.
Papa est correcteur chez Labrousse. Correcteur en chef, même. Son boulot consiste à s’assurer qu’il ne reste aucune faute. Les fautes de grammaire, les fautes d’orthographe, les mots qui manquent, les lettres en trop… Absolument aucune erreur ne lui échappe. Parce que si le livre qui permet de ne pas faire de fautes d’orthographe en contenait lui-même, ce serait la fin du monde, d’après papa.
Heureusement, l’humanité a encore de beaux jours devant elle, car mon père a comme un sixième sens pour traquer les coquilles, ces petites erreurs sournoises qui se fondent dans les phrases. Il les flaire à des kilomètres. Pas une ne lui échappe, même celles qui se planquent dans les définitions obscures de vieux mots biscornus et oubliés que personne ne cherchera jamais. (P. 9-11)
Son activité favorite, quand il ne travaille pas ? « Relire le Norbert, le dictionnaire concurrent du Labrousse, en espérant dénicher une petite coquille ou une approximation grammaticale oubliée. »
« Chevals, ça n’existe pas ! » C’est peut-être dans ce genre d’affirmation péremptoire que l’autrice – originaire de Metz, ce qui nous fait un point commun – de ce charmant roman jeunesse a puisé l’inspiration. « Une courte expérience de correctrice lui a […] permis de rencontrer toutes sortes de créatures indomptables », raconte en clin d’œil sa présentation à la fin du livre. Elle imagine donc des « fautes de grammaire vivantes » pour nous parler du langage. Des chevals, nom pluriel sans singulier, mais animals bien singuliers, eux, qui réclament leur définition dans le Labrousse. Cela ne se fera pas sans mal… et, comme toujours en France, cela prendra une ampleur nationale.
« Ce n’est tout de même pas la réalité qui doit s’adapter au dictionnaire ! » s’exclame l’un des chevals, rappelant que des animaux qui n’existent pas – le yéti, la licorne – et d’autres qui ont disparu – le dodo, le ptérodactyle, le tigre à dents de sabre – y ont leur définition. Leur cri militant : « Nous refusons qu’une règle de grammaire nous réduise à la clandestinité ! »
Au passage, l’autrice fait découvrir aux enfants la vie d’un dictionnaire, allant jusqu’à évoquer le souci d’objectivité des rédacteurs. Mélisande précise : « Mon père corrige seulement les fautes, ce n’est pas du tout lui qui écrit les définitions. Le choix des nouveaux mots est confié une équipe de spécialistes de la langue française. »
L’autrice en profite pour jouer avec la langue – et avec la typographie –, montrant à ses jeunes lecteurs qu’on peut s’autoriser, avec bonheur, à inventer des mots. Gronchognemellement, « pas tout à fait des grommellements, pas exactement des grogrements ni des ronchonnements », puis piaillissement, « quelque chose entre le piaillement et le hennissement ». Pour ricannissement, je vous laisse deviner. À réalité nouvelle, vocabulaire nouveau.
Une chouette manière de parler d’édition et d’un métier méconnu aux enfants.
☞ Lire aussi La correction expliquée aux enfants.
Anne Schmauch et Aurore Damant, Un troupal de chevals, Paris, Rageot, 2018.