Voici un texte qui mettra du baume au cœur de mes confrères et consœurs victimes, sur les réseaux sociaux, d’une concurrence déloyale… et incompétente.
« En dépit des apparences et contrairement à une opinion trop répandue, la préparation de la copie est un travail minutieux, particulièrement difficile. En effet, la typographie est singulièrement plus riche de possibilités que la dactylographie, et le préparateur doit prévoir et préciser les solutions à retenir. Il lui faut donc joindre des connaissances techniques à la culture et au sens de la langue que suppose la correction.
« Et pourtant, quelque important qu’il soit, ce bagage ne suffit pas. À la lecture, l’intelligence opérant sans qu’on s’en aperçoive la plupart des rectifications utiles, l’état réel du texte échappe ordinairement aux yeux. Pour corriger professionnellement, c’est la démarche même de l’esprit qui doit être inversée : on ne prend conscience du véritable aspect du texte qu’en pratiquant des disciplines contraires aux habitudes créées par l’étude et la culture ainsi qu’aux réflexes acquis dès l’enfance. La recherche volontaire et systématique des fautes exige un mode de lecture spécial, d’acquisition difficile — impossible même à certaines intelligences — et qui consiste essentiellement en une épellation analytique mentale, attentive à percevoir tous les signes, assez rapide cependant pour ne pas nuire à la compréhension du texte.
« Il s’agit donc d’un authentique métier qui ne s’acquiert que par un long apprentissage. À défaut des professionnels qualifiés qu’on recrute malaisément, on se contente trop souvent de recourir à ceux qui, de bonne foi, se croient capables de corriger parce qu’ils “aiment lire” et se pensent “soigneux et attentifs” ou parce qu’ils ont pratiqué la correction scolaire qui est tout autre chose. Qu’on trouve des fautes ne prouve point qu’on sache voir les fautes ; et, paradoxalement, celles qui subsistent emportent seules le jugement.
« Nous souhaitons que se recrutent et se forment patiemment ces spécialistes dont la collaboration pèse plus qu’on ne voudrait l’admettre sur le destin du livre. »
Charles Gouriou, « Avant-propos » de son Mémento typographique, Hachette, 1973. Rééd. Cercle de la librairie, 1990, 2010.