Corriger est un métier

Voi­ci un texte qui met­tra du baume au cœur de mes confrères et consœurs vic­times, sur les réseaux sociaux, d’une concur­rence déloyale… et incompétente.

Charles Gouriou, Mémento typographique, Hachette, 1973

« En dépit des appa­rences et contrai­re­ment à une opi­nion trop répan­due, la pré­pa­ra­tion de la copie est un tra­vail minu­tieux, par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile. En effet, la typo­gra­phie est sin­gu­liè­re­ment plus riche de pos­si­bi­li­tés que la dac­ty­lo­gra­phie, et le pré­pa­ra­teur doit pré­voir et pré­ci­ser les solu­tions à rete­nir. Il lui faut donc joindre des connais­sances tech­niques à la culture et au sens de la langue que sup­pose la correction.

« Et pour­tant, quelque impor­tant qu’il soit, ce bagage ne suf­fit pas. À la lec­ture, l’intelligence opé­rant sans qu’on s’en aper­çoive la plu­part des rec­ti­fi­ca­tions utiles, l’état réel du texte échappe ordi­nai­re­ment aux yeux. Pour cor­ri­ger pro­fes­sion­nel­le­ment, c’est la démarche même de l’esprit qui doit être inver­sée : on ne prend conscience du véri­table aspect du texte qu’en pra­ti­quant des dis­ci­plines contraires aux habi­tudes créées par l’étude et la culture ain­si qu’aux réflexes acquis dès l’enfance. La recherche volon­taire et sys­té­ma­tique des fautes exige un mode de lec­ture spé­cial, d’acquisition dif­fi­cile — impos­sible même à cer­taines intel­li­gences — et qui consiste essen­tiel­le­ment en une épel­la­tion ana­ly­tique men­tale, atten­tive à per­ce­voir tous les signes, assez rapide cepen­dant pour ne pas nuire à la com­pré­hen­sion du texte.

« Il s’agit donc d’un authen­tique métier qui ne s’acquiert que par un long appren­tis­sage. À défaut des pro­fes­sion­nels qua­li­fiés qu’on recrute mal­ai­sé­ment, on se contente trop sou­vent de recou­rir à ceux qui, de bonne foi, se croient capables de cor­ri­ger parce qu’ils “aiment lire” et se pensent “soi­gneux et atten­tifs” ou parce qu’ils ont pra­ti­qué la cor­rec­tion sco­laire qui est tout autre chose. Qu’on trouve des fautes ne prouve point qu’on sache voir les fautes ; et, para­doxa­le­ment, celles qui sub­sistent emportent seules le jugement.

« Nous sou­hai­tons que se recrutent et se forment patiem­ment ces spé­cia­listes dont la col­la­bo­ra­tion pèse plus qu’on ne vou­drait l’admettre sur le des­tin du livre. »

Charles Gou­riou, « Avant-pro­pos » de son Mémen­to typo­gra­phique, Hachette, 1973. Rééd. Cercle de la librai­rie, 1990, 2010.