La presse emploie de plus en plus des incises de citation telles que soupire-t-il ou s’étonne-t-elle, un phénomène qu’un linguiste (Raluca Nita, 2010) appelle « le verbe introducteur non déclaratif », dont « l’usage […] demeure encore hors norme » [dix ans ont passé depuis], et qu’il étudie en particulier dans les chroniques judiciaires de Libération.
La question qui intéresse le correcteur est la suivante : « Faut-il fixer une règle ? » Elle est formulée par Jacques Desrosiers (évaluateur linguistique pour le gouvernement canadien), dans un court article de 2001.
L’auteur formule « deux principes de base » qui peuvent nous aider à veiller à leur usage : « relief de la citation et discrétion de l’incise », c’est-à-dire marquer la séparation entre discours de l’auteur et discours rapporté, tout en évitant de mettre l’accent sur l’incise elle-même.
Citant un exemple du type insiste le secrétaire général, Desrosiers rappelle que « le verbe insister est en fait un raccourci pour insister sur le fait que. De même protester, c’est dire en manifestant son opposition, s’étonner, dire en exprimant de l’étonnement. Tous ces raccourcis sont des usages consacrés depuis longtemps par les dictionnaires et les grands ouvrages de langue. »
Mais, poursuit-il : « Tout va bien [tant que] l’on reste dans l’univers du verbe dire. […] C’est d’ailleurs ici que Grevisse […] trace la limite. » Je cite Grevisse [§ 416] :
« Tantôt cette superposition de l’idée de “dire” est impossible et on peut être heurté par l’illogisme de telles incises, comme : ° C’est affreux, pâlit-il, s’enfuit-il, tomba-t-il, etc. Il faut reconnaître pourtant que beaucoup d’auteurs, et certains non médiocres, se servent sans gêne d’incises de cette espèce : Monsieur, m’aborda-t-il cérémonieusement… (Bordeaux, Pays sans ombre). — Ah !… s’apaisa-t-elle tout à coup (Châteaubriand, M. des Lourdines). — Du secours ! sursauta la visiteuse (Billy, Princesse folle). — « Niera-t-on qu’il soit chasseur ? » se fût alors retourné notre homme, discernant dans un coin un fusil et une gibecière (Montherl., Célibataires). — On se moque de nous, tremblent-ils (Bremond, Poésie pure). — Pardon ! s’étrangla le bonhomme (Dorgelès, Tout est à vendre). — Je voudrais bien la permission de minuit, sourit-il ( La Varende, Roi d’Écosse). — La maison, c’est évidemment considérable, s’agitait le médecin (Mallet-Joris, Mensonges).»
L’exemple de Montherlant est particulièrement surprenant !
Au vu de ces exemples, il est logique que Nita écrive que le discours journalistique, « en se focalisant sur la mise en scène, […] emprunte des traits littéraires ». C’est, dit-il dans sa conclusion, « un moyen de […] restituer l’authenticité de la parole qu’il représente. Le DD [discours direct] n’est plus une simple citation, mais une parole prise sur le vif dans un faisceau d’éléments paraverbaux (gestes, mouvements, réactions émotionnelles). […]»
Pour Desrosiers, « ces tours sont choquants pour des raisons stylistiques : leur sens est si lourd, et leur emploi si éloigné de l’usage courant, que c’est l’incise elle-même qui est mise en valeur. Elle est étrangement surchargée d’expressivité. […]
« Il serait utopique, ajoute-t-il, de tenter de dresser la liste des verbes admissibles. Tout suggère que non seulement c’est une question de jugement, mais qu’il est préférable de disposer d’une certaine marge de manœuvre, d’autant plus que la raison d’être fondamentale des inversions étant d’ordre stylistique, celui qui en use a jusqu’à un certain point le droit de pousser l’expressivité un peu plus loin. […]»
Pour ma part, en lisant un des exemples donnés par Nita :
M. Harper a bondi : « Nous recevons notre mandat de la population et non de l’ambassadeur des États-Unis », a-t-il déclaré. (Le Monde)
j’ai pris conscience qu’un verbe introducteur non déclaratif passait beaucoup mieux devant la citation que derrière, le comportement étant visualisé avant la prise de parole et non après. On pourrait, sans problème, faire l’économie du a-t-il déclaré.