Une rareté : le “Code orthographique” d’Albert Hétrel (1862)

Reliure du "Code orthographique, monographique et grammatical", d'Albert Hétrel (Larousse et Boyer, 1862). Exemplaire de la Bibliothèque des arts graphiques (bibliothèque Forney).
Reliure du Code ortho­gra­phique, mono­gra­phique et gram­ma­ti­cal, d’Al­bert Hétrel (Larousse et Boyer, 1862). Exem­plaire de la Biblio­thèque des arts gra­phiques (biblio­thèque Forney).

Que cache cette reliure usée ? Une rare­té, que la Biblio­thèque des arts gra­phiques (dont le fonds est conser­vé par la biblio­thèque For­ney, à Paris) est presque seule à pos­sé­der : le Code ortho­gra­phique, mono­gra­phique et gram­ma­ti­cal d’Albert Hétrel (ou Hetrel, selon l’in­tro­duc­tion de l’au­teur). Publié par Larousse et Boyer en 1862 (c’est l’é­di­tion que j’ai consul­tée), il a été réédi­té en 1867 et une der­nière fois, sans date. Il fait suite aux abré­gés ortho­gra­phiques du xviiie siècle : Res­taut, Wailly, etc. (☞ voir mon article) et de la pre­mière moi­tié du xixe siècle : Boiste et Laveaux.

Page de titre du "Code orthographique" d'Albert Hétrel. Exemplaire de la Bibliothèque des arts graphiques (bibliothèque Forney).
Page de titre du Code ortho­gra­phique d’Al­bert Hétrel. Exem­plaire de la Biblio­thèque des arts gra­phiques (biblio­thèque Forney).

Selon Hétrel, il s’agit là d’une « nou­velle méthode don­nant immé­dia­te­ment la solu­tion de toutes les dif­fi­cul­tés de la langue fran­çaise », « ima­gi­née d’a­bord pour l’u­sage pro­fes­sion­nel de l’au­teur, qu’une longue expé­rience lui a prou­vé être infaillible et répondre à tous les besoins ». En effet, « le cor­rec­teur, […] par pro­fes­sion est obli­gé de connaître imper­tur­ba­ble­ment toutes les espèces de difficultés ».

« […] pen­dant une ving­taine d’an­nées pas­sées à cor­ri­ger des épreuves, M. Hetrel a soi­gneu­se­ment pris note des cas dou­teux, à mesure qu’ils se pré­sen­taient dans ses lec­tures. Étu­diant sans cesse les dic­tion­naires, les gram­maires, etc. etc., cher­chant des exemples dans les écri­vains les plus célèbres et com­pa­rant entre elles les diverses auto­ri­tés en matière d’or­tho­graphe et de lan­gage, il s’est enfin arrê­té aux solu­tions qu’il publie aujourd’­hui. Ses tablettes se sont rem­plies peu à peu, jour par jour ; et depuis long­temps non-seule­ment elles lui suf­fisent pour son tra­vail quo­ti­dien, mais elles rem­placent fort avan­ta­geu­se­ment tout le bagage lexi­co­lo­gique et gram­ma­ti­cal qui encom­brait autre­fois son bureau. »

En publiant ses notes per­son­nelles, son objec­tif est de faire gagner du temps et de l’argent aux col­lé­giens, aux hommes de lettres, aux typo­graphes, aux cor­rec­teurs (aux­quels « la mémoire fait sou­vent défaut »), aux impri­meurs et aux étran­gers qui apprennent notre langue. 

Double page à la lettre B. "Code orthographique" d'Albert Hétrel. Exemplaire de la Bibliothèque des arts graphiques (bibliothèque Forney).
Double page à la lettre B. Code ortho­gra­phique d’Al­bert Hétrel. Exem­plaire de la Biblio­thèque des arts gra­phiques (biblio­thèque Forney).

Je sais peu de chose sur l’auteur. Il publie ce livre après « une longue car­rière de cor­rec­teur d’im­pri­me­rie », notam­ment de La Presse1, quo­ti­dien lan­cé en 1836 par Émile de Girar­din. L’ouvrage est pré­cé­dé d’une lettre de son patron, dans laquelle celui-ci admet : « À peine gagnez-vous quinze cents francs par an en pâlis­sant dix heures par jour sur la cor­rec­tion des épreuves qui vous sont confiées. » Soit cinq francs par jour2.

Girar­din le remer­cie aus­si du « soin [qu’il a] appor­té à la cor­rec­tion des épreuves de la der­nière édi­tion des Œuvres com­plètes de l’au­teur de Made­leine et des Lettres pari­siennes, de Cléo­pâtre et de Lady Tar­tuffe, de Napo­line et de La joie fait peur ». Ce mys­té­rieux « auteur » n’est autre que Del­phine de Girar­din (1804-1855), sa pre­mière femme (il s’est rema­rié en 1856). 

À son tour, en 1867, pour remer­cier son patron d’avoir favo­ri­sé l’im­pres­sion de son Code ortho­gra­phique, réédi­té cette année-là, Albert Hetrel (cette fois, sans accent aigu) publie chez Michel Lévy frères des Pen­sées et maximes extraites des œuvres d’Émile de Girar­din. Leur auteur est « expli­qué par lui-même » dans une longue intro­duc­tion (64 pages).

Émile de Girardin, "Pensées et maximes" extraites des œuvres de M. Émile de Girardin par Albert Hetrel (Michel Lévy frères, 1867).
Émile de Girar­din, Pen­sées et maximes extraites des œuvres de M. Émile de Girar­din par Albert Hetrel (Michel Lévy frères, 1867).

D’après Le Figa­ro du 16 octobre 1864, on doit aus­si à Albert Hétrel un ouvrage inti­tu­lé Les Plumes du paon, dont je ne trouve pas trace. 

Annon­çant la paru­tion du Code ortho­gra­phique, le jour­nal Le Lan­nion­nais (cité par Le Guten­berg, le 1er octobre 1861) a écrit :

« Dans ce nou­veau tra­vail, il a conden­sé, sui­vant un ordre métho­dique et simple, la sub­stance de nos meilleurs dic­tion­naires, et en par­ti­cu­lier de celui de l’Académie. Avec ce livre qui ne coû­te­ra que 3 fr. aux sous­crip­teurs, et 3 fr. 50 c. aux non-sous­crip­teurs, on s’épargnera pour plus de 100 fr. de dic­tion­naires et une perte de temps consi­dé­rable qui sou­vent reste sans résul­tat. Dans cette œuvre toute pra­tique, où la théo­rie ne marche qu’appuyée sur les faits, on trou­ve­ra consi­gnées les recherches minu­tieuses, les obser­va­tions de plus de dix années, non d’un théo­ri­cien gram­ma­ti­cal, mais d’un homme qui a vu pas­ser et repas­ser sous ses yeux les épreuves à cor­ri­ger des tra­vaux de nos plus grands écri­vains dans tous les genres. »

☞ Voir aus­si « Ouvrages écrits par ou pour les cor­rec­teurs ».


  1. D’a­près Le Lan­nion­nais, cité par Le Guten­berg, le 1er octobre 1861. ↩︎
  2. À la même époque, M. Dutri­pon en touche quatre. « Notre salaire quo­ti­dien varie de 5 à 6 francs, et cela depuis de bien longues années, sans aucune amé­lio­ra­tion dans notre sort […] », écrit aus­si Cyrille Pignard en 1867. ↩︎