Aurais-je retrouvé des correcteurs du Grand Siècle ?

Jean de La Caille, "Histoire de l’imprimerie et de la librairie, où l’on voit son origine & son progrès, jusqu’en 1689". Paris, Jean II de La Caille, 1689. Bandeau historié non signé. Reproduit dans Frédéric Barbier (dir.), "Paris, capitale du livre. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle". Paris, Paris-Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2007, p. 163.
Ban­deau his­to­rié non signé, dans Jean de La Caille, His­toire de l’imprimerie et de la librai­rie, où l’on voit son ori­gine & son pro­grès, jusqu’en 1689. Paris, Jean II de La Caille, 1689.

À quoi pou­vaient donc res­sem­bler les cor­rec­teurs du Grand Siècle ? On en a — peut-être ! — une idée grâce à deux illus­tra­tions d’époque.

Ce sont là deux visions fan­tas­mées d’une impri­me­rie. La pre­mière (ci-des­sus) pré­sente un lieu idéal par l’espace vaste et lumi­neux, la déco­ra­tion (fenêtres, biblio­thèque, pan­neaux) et l’abondance de per­son­nel pour si peu de machines. 

Sébastien Leclerc (?), "L’Imprimerie royale au Louvre". Fin du <span class=ptescap>xvii</span><sup>e</sup> s. Dessin à la plume et au lavis anonyme, attribué à Sébastien Leclerc. 320 × 220 mm. Reproduit dans Frédéric Barbier (dir.), "Paris, capitale du livre. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle". Paris, Paris-Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2007, p. 171.
Sébas­tien Leclerc (?), L’Imprimerie royale au Louvre. Fin du XVII s. Des­sin à la plume et au lavis ano­nyme, attri­bué à Sébas­tien Leclerc. 320 × 220 mm.

La seconde (ci-des­sus) est cen­sée repré­sen­ter l’Impri­me­rie royale, fon­dée en 1640 à l’initiative de Riche­lieu et ins­tal­lée dans une gale­rie du Louvre. Elle n’était sans doute pas aus­si gran­diose que l’artiste la dépeint.

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est qu’on pour­rait bien y voir des cor­rec­teurs. À moins qu’il ne s’agisse d’auteurs : les his­to­riens com­men­tant ces images laissent place au doute. (À quoi recon­naît-on un cor­rec­teur au travail ?)

Jean de La Caille, Histoire de l’imprimerie et de la librairie, où l’on voit son origine & son progrès, jusqu’en 1689. Paris, Jean II de La Caille, 1689. Bandeau historié non signé (détail). Reproduit dans Frédéric Barbier (dir.), "Paris, capitale du livre. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle". Paris, Paris-Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2007, p. 163.
Détail du ban­deau his­to­rié non signé (1689) repro­duit en tête de l’ar­ticle. Il pour­rait s’a­gir de deux cor­rec­teurs au travail.

Sur la pre­mière image, au fond à droite, de part et d’autre d’une table ou d’un bureau, deux per­son­nages sont occu­pés à relire et à anno­ter des épreuves (l’un d’eux tient une plume à la main).

Sébastien Leclerc (?), L’Imprimerie royale au Louvre" (détail). Fin du XVII s. Dessin à la plume et au lavis anonyme, attribué à Sébastien Leclerc. 320 × 220 mm. Reproduit dans Frédéric Barbier (dir.), "Paris, capitale du livre. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXe siècle". Paris, Paris-Bibliothèques, Presses universitaires de France, 2007, p. 171.
Détail du des­sin à la plume et au lavis attri­bué à Sébas­tien Leclerc (fin du XVII s.). Il pour­rait s’a­gir d’un (ou du ?) cor­rec­teur de l’Im­pri­me­rie royale.

De même, au pre­mier plan de la seconde image, un homme écrit sur des feuilles posées devant lui, tout en tenant une autre feuille de sa main gauche. Com­pare-t-il la copie à l’épreuve imprimée ? 

Portrait de Raphaël Trichet du Fresne (1611-1661).
Raphaël Tri­chet du Fresne.

En tout cas, on connaît le nom du pre­mier cor­rec­teur de l’Imprimerie royale : Raphaël Tri­chet du Fresne (1611-1661).

Je ne les ima­gi­nais pas ain­si, mes confrères d’alors ! Mais il est vrai que la mode de la per­ruque était assez répan­due dans la noblesse et la bourgeoisie.

☞ On voit peut-être aus­si deux cor­rec­teurs dans une gra­vure alle­mande du début du siècle. Voir « Ortho­ty­po­gra­phia, manuel du cor­rec­teur, 1608 ».

Source des images et de leur com­men­taire : Fré­dé­ric Bar­bier (dir.), Paris, capi­tale du livre. Le monde des livres et de la presse à Paris, du Moyen Âge au xxe siècle. Paris, Paris-Biblio­thèques, Presses uni­ver­si­taires de France, 2007, p. 162-163 et 170-171. — Com­plé­ment dans Jeanne Vey­rin-For­rer, La lettre et le texte : trente années de recherches sur l’his­toire du livre. Paris, École nor­male supé­rieure de jeunes filles, 1987, p. 269-270. — Por­trait de Raphaël Tri­chet du Fresne tiré du site Fontes Inedi­ti Numis­ma­ti­cae Anti­quae (FINA).

Une mention peu flatteuse du métier de correcteur, 1690

extrait des mémoires du marquis de Beauvau, 1690
Extrait de l’A­ver­tis­se­ment de l’é­di­teur aux Mémoires du mar­quis de Beau­vau (1690).

Je retrans­cris tel quel (dans l’or­tho­graphe de l’é­poque) un texte tiré des Mémoires (post­humes) du mar­quis de Beau­vau (1610?-1684), gou­ver­neur de Charles V de Lor­raine. Dans son « Aver­tis­se­ment », l’é­di­teur évoque les risques de contre­fa­çon de cet ouvrage, qui a déjà connu d’autres édi­tions, dont « une copie subrep­tice, pleine de fautes, & presque inin­tel­li­gible », et se montre, au pas­sage, peu tendre avec les cor­rec­teurs de son temps. 

Je donne quelques infor­ma­tions sur l’au­teur que j’ai trou­vées sur le site d’un libraire d’an­cien :

Après avoir pris part, en 1633, à l’expédition des Lor­rains en Alsace ; Hen­ri de Beau­vau finit par quit­ter la Lor­raine où la situa­tion était inte­nable à cause des guerres et se ren­dit à Vienne, où le duc Fran­çois de Lor­raine le char­gea de l’éducation des princes Fer­di­nand et Charles, ses enfants. Il les sui­vit en Flandres, puis en France et enfin se retrou­va en Lor­raine en 1662, fut appe­lé en Bavière en 1668 pour être char­gé de l’éducation du Prince élec­teur. Il ne revint en Lor­raine qu’en 1680 et y mou­rut en 1684. Dans son ouvrage il se montre très ins­truit des affaires de son temps.

« Pour cor­ri­ger tout, il auroit falu faire une nou­velle His­toire sur les Memoires de M. de Beau­vau. Mais outre qu’on n’avoit pas le temps de s’attacher à cela, on appre­hen­doit que pen­dant qu’on seroit occu­pé à ce tra­vail, quelque autre ne fit impri­mer ces Mémoires, & ne les rem­plit de nou­velles fautes, comme c’est l’ordinaire. On ne sçait que trop les rai­sons que nous avions de craindre cet acci­dent, & que la plû­part des Cor­rec­teurs d’Imprimerie ne sont pas de fort habiles gens, parce que ce métier si neces­saire & si utile, n’a rien qui attire les per­sonnes d’esprit. On n’y acquiert ni du bien ni de l’honneur, & cepen­dant il est extré­me­ment penible. Le carac­tére des Auteurs est ordi­nai­re­ment assez dif­fi­cile à lire, les Copistes n’entendent point l’Ortographe, les Impri­meurs ne sçavent pas le plus sou­vent la Langue des Livres sur les­quels ils tra­vaillent : de sorte que quand les Cor­rec­teurs sont igno­rans, il est presque impos­sible que les pre­miéres édi­tions des Livres ne soient pleines de fautes, & que les secondes qu’on fait en l’absence des Auteurs n’en ayent encore plus. C’est une chose qui a déjà furieu­se­ment décrié les impres­sions de Hol­lande, & qui ache­ve­ra de les perdre si l’on n’y prend garde ; je veux dire l’avarice sor­dide des Libraires, qui les empêche de trou­ver de bons Ouvriers, parce qu’elle les empêche de les payer. Il est vrai que les Païs Etran­gers com­mencent à ne faire guére mieux ; & il nous vient tous les jours des Livres d’Allemagne & de Paris aus­si peu cor­rects que ceux de Hol­lande. Si les choses vont à ce train, il n’en fau­dra pas davan­tage pour rame­ner la bar­ba­rie & l’ignorance dans nôtre siécle. »

« Aver­tis­se­ment », in Hen­ri de Beau­vau, Mémoires du mar­quis de Beau­vau, pour ser­vir à l’his­toire de Charles IV, duc de Lor­raine et de Bar, Cologne, Pierre Mar­teau, 1690, non paginé.

Pour d’autres docu­ments his­to­riques, consul­ter la liste des articles.