Le hasard a voulu qu’en vingt-quatre heures je tombe successivement sur deux phrases qui m’ont frappé, en ce qu’elles voulaient croire que le progrès ne serait pas néfaste à la profession évoquée. Voici la première, à propos du métier de compositeur typographe :
« […] quant aux éditions qui font la gloire de l’imprimerie et l’ornement des bibliothèques, il serait impossible de les tirer à la mécanique. […]
« il n’est subtile combinaison de ressorts et d’engrenage qui puisse enseigner aux doigts d’un automate à chercher dans la casse le type correspondant au caractère écrit, et à le ranger dans le composteur : car il faudrait que l’automate sût lire. »
— « Bert. », Paris ou Le livre des Cent-et-un1, vol. 5-6, 1832.
L’automate ne sait toujours pas lire, M. « Bert. », mais on a bien inventé les machines à composer, d’abord au plomb (Monotype et Linotype), puis sans plomb (de la photocomposition au prépresse). Aujourd’hui, le texte — le plus souvent écrit, mis en pages et relu sur écran — ne devient matière qu’en toute fin de parcours. Vous ne pouviez pas l’imaginer.
Le métier de typographe a disparu, à quelques belles exceptions près. Les survivants sont devenus des artisans d’art plutôt que des ouvriers. Voir, notamment, Vincent Auger, un des derniers typographes français.
Et voici la deuxième phrase, qui s’adressait à une assemblée de correcteurs :
« Félicitez-vous, Messieurs, de ce que, dans ces transformations inouïes2, un correcteur mécanique ne puisse être jamais inventé.
« Mais quand tout change ainsi dans l’imprimerie, la correction, cette partie intellectuelle, a gardé son importance, tout en se pliant aux exigences de cette célérité toujours croissante. »
— Discours d’Ambroise Firmin-Didot à la Société des correcteurs, 1866.
Firmin-Didot, non plus, ne pouvait pas imaginer le traitement automatique de l’information (ou informatique), les logiciels de correction, et maintenant les machines intelligentes — mais qui ne savent toujours pas lire, M. « Bert. ».
Cette « partie intellectuelle » du métier reste aussi importante qu’elle l’a toujours été, mais résistera-t-elle à la quête infinie du profit ?
Je ne suis pas devin non plus.
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